CA Toulouse, 2e ch., 11 mars 2020, n° 18/02010
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Penavayre
Conseillers :
M. Sonneville, M. Truche
Le 24 novembre 1989, Mme Françoise G. née R. s'est immatriculée en qualité de commerçante exerçant à titre individuel au registre du commerce et des sociétés de Toulouse pour l’exploitation, sous le nom commercial de MPPM OMDIF ERAPG, d'une activité de commerce de produits et d'objets funéraires
Pour les besoins de son activité, elle a conclu avec Mme Catherine G.-N. le 14 septembre 1995 un contrat de bail commercial portant sur un local situé [...].
Le bail a fait l'objet d'un renouvellement le 27 décembre 2005 pour une nouvelle période de neuf ans venant à échéance le 31 décembre 2014, et l'acte stipule qu'il n'a rien été changé aux autres clauses et conditions du bail d'origine qui restent toutes en vigueur.
Le 28 décembre 2009, Mme Françoise G. a constitué la SARLU MPPM, qui a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Toulouse sous le numéro 519.158.679, avec le même objet social que l'activité exploitée jusqu'alors par Mme G. à titre individuel.
Mme Françoise G. et son époux, M. Jean-Baptiste G. ont été désignés comme co-gérants.
A l'occasion de la création de la SARLU MPPM, Mme Françoise G. a apporté son fonds de commerce à la société, ce qui a été repris dans le traité d'apport établi le 28 décembre 2009, annexé aux statuts constitutifs.
Parmi les éléments du fonds de commerce apportés à la société, le traité d'apport recense au point 2.1 'le droit au bail pour le temps restant à courir des locaux situés [...] où le fonds de commerce est exploité'.
Cet apport a fait l'objet d'une insertion au journal d'annonces légales LA VOIX DU MIDI du 31 décembre 2019 au 6 janvier 2010.
Une mention de l'apport et de l'obligation pour les créanciers d'avoir à déclarer leurs créances a été portée au BODACC des 16 et 17 janvier 2010.
Concomitamment à l'apport de son fonds de commerce à la nouvelle société, Mme Françoise G. a fait procéder à sa radiation du registre du commerce et des sociétés de Toulouse, de sorte qu'à compter du 6 janvier 2010, elle n'exploitait plus aucune activité en nom personnel.
Par acte du 21 juin 2013, Mme Françoise G. a cédé l'intégralité de ses parts sociales à son époux, qui est également devenu le gérant unique de la société.
La société MPPM a cessé de payer ses loyers courant 2014.
Par acte d'huissier du 7 avril 2015, Mme Catherine G.-N. a assigné Mme Françoise G. et la S.A.R.L MPPM devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse aux fins d'obtenir leur condamnation in solidum à lui payer, à titre provisionnel, la somme de 28.726,44€ à titre principal outre des dommages-intérêts et les frais de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 27 mai 2015, le juge des référés a condamné in solidum Mme Françoise G. et la S.A.R.L MPPM à payer à Mme Catherine G.-N. la somme provisionnelle de 28.726,44€ au titre de l'arriéré locatif et dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes reconventionnelles du locataire qui réclamait la réalisation de travaux.
L'ordonnance qui a été signifiée n'a fait l'objet d'aucun recours.
Par jugement du 16 juillet 2015, le tribunal de commerce de Toulouse a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SARLU MPPM.
Mme Catherine G.-N. a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire, Me B..
Par jugement du tribunal de commerce du 2 août 2016, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire.
M. Jean-Baptiste G. est décédé le 7 août 2016.
Par acte d'huissier en date du 14 décembre 2016, Mme Françoise R. veuve G. a fait assigner Mme Catherine G.-N. devant le tribunal de grande instance de Toulouse, au visa de l'article 488 du code de procédure civile et des articles L141-21 et L141-22 du code de commerce aux fins:
-d’infirmer l'ordonnance de référé rendue le 27 mai 2015 par le président du tribunal de grande instance de Toulouse
-de dire et juger qu'elle ne peut être tenue à l'exécution du bail commercial conclu le 14 septembre 1995 avec Mme Catherine G.-N., depuis l'apport de son fonds de commerce à la SARLU MPPM en date du 28 décembre 2009,
-de réserver les demandes d'indemnisation des préjudices subis par elle,
-Subsidiairement de dire que les loyers réclamés au titre d'un parking ne relèvent ni du bail signé le 14 septembre 1995 ni du renouvellement du 27 décembre 2005
-de condamner Mme Catherine G.-N. à lui verser la somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile
-d' ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Par jugement du 2 mars 2018, le tribunal de grande instance de Toulouse a :
- dit que Mme Françoise R. veuve G. ne peut être tenue de l'exécution du bail commercial conclu le 14 septembre 1995 avec Mme Catherine G.-N. depuis l'apport de son fonds de commerce à la SARLU MPPM en date du 28 décembre 2009
- débouté Mme Catherine G.-N. de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné Mme Catherine G.-N. à payer à Mme Françoise R. veuve G. la somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- rejeté toutes demandes autres ou plus amples formées par les parties
- condamné Mme Catherine G.-N. aux dépens
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 27 avril 2018, Mme Catherine G., épouse N., a relevé appel du jugement en ce qu'il a dit que Madame Françoise G. ne peut être tenue à l'exécution du bail depuis l'apport de son fonds de commerce et a rejeté ses autres demandes.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans le dispositif de ses conclusions notifiées le 4 juillet 2018, Mme Catherine G.-N., demande à la cour, au visa des articles 1690 du code civil et 32-1 du code de procédure civile :
-d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que Mme G. ne peut être tenue de l'exécution du bail commercial conclu le 14 septembre1995 avec Madame G.-N.
-de condamner Mme G. à payer à Mme G.-N. une somme qui ne saurait être inférieure à 28.726,44€ au titre des loyers impayés depuis mai 2014,
-de condamner Mme G. au paiement de la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
-de condamner Mme G. au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
-de condamner Mme G. aux entiers dépens.
L'appelante fait essentiellement valoir, dans la partie réservée à la discussion des prétentions et des moyens, au sens des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, étant précisé qu'il y est expressément renvoyé pour l'examen du détail de l'argumentation :
-que l'apport d'un droit au bail qui est assimilé à une cession de bail doit être signifié au bailleur comme l'exige l'article 1690 du code civil et à défaut ne lui est pas opposable
-qu'elle n'a jamais eu connaissance de la cession du droit au bail alors que le contrat prévoit qu'elle doit être notifiée au bailleur,
-que Madame G. a délibérément entretenu la confusion entre son ancienne activité exercée à titre individuel et sa nouvelle activité, en choisissant de garder le nom commercial de 'MPPM'
-que le fait qu'elle ait accepté les loyers versés par le cessionnaire ne prouve pas une acceptation tacite de la cession,
-que Madame Françoise G. a poursuivi les échanges épistolaires avec son bailleur sous son propre nom, malgré le changement de statut du preneur
-que la cession du droit au bail étant inopposable, elle est fondée à solliciter le paiement des loyers impayés
- que Madame G. n'a jamais contesté l'existence de la dette locative devant le juge des référés.
Dans le dispositif de ses conclusions notifiées le 1er octobre 2018, Mme Françoise G. demande à la cour, au visa des articles L141-21 et L141-22 du Code de commerce, de confirmer le jugement et de condamner Mme Catherine G.-N. à lui verser la somme de 3.000€ en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de son conseil.
L'intimée fait essentiellement valoir, dans la partie réservée à la discussion des prétentions et des moyens, au sens des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, étant précisé qu'il y est expressément renvoyé pour l'examen du détail de l'argumentation:
-que l'apport du droit au bail à la société nouvellement créée a fait l'objet d'une publicité au journal LA VOIX DU MIDI et d'une parution au BODACC
-que conformément à l'article L141-22 du code de commerce, il a ainsi été spécifié aux créanciers de l'apporteur qu'ils disposaient d'un délai de 10 jours à compter de la parution au BODACC pour déclarer leurs éventuelles créances au greffe du tribunal de commerce de Toulouse,
-qu’à l'époque de la création de la SARLU MPPM et de l'apport du fonds de commerce, il n'existait aucune dette locative envers Mme Catherine G.-N.
-que l'apport étant assimilable à une cession, il y a eu transfert du droit au bail au profit de la SARLU à compter du 28 décembre 2009 et que Madame Catherine G.-N. ne pouvait plus solliciter l'exécution du contrat de bail commercial de 1995 à Madame Françoise G.,
-que le bail autorise la cession du droit au bail,
-que l'accomplissement des formalités de l'article 1690 du code civil est inutile pour rendre opposable au bailleur la cession dès lors que celui-ci en a eu connaissance et l'a acceptée sans équivoque,
-que la bailleresse s'est toujours adressée au cessionnaire dans les rapports qu'elle entretenait avec le preneur.
L'ordonnance de clôture est en date du 29 mai 2019.
Sur l'opposabilité de la cession du droit au bail au bailleur :
L'apport en nature d'un fonds de commerce à une société équivaut à une cession dudit fonds tout comme l'apport en société du seul droit au bail équivaut à une cession de celui-ci.
L'apport en société du droit au bail étant assimilé à une cession doit être signifié au bailleur, conformément à l'article 1690 du code civil.
À défaut il lui est inopposable.
En outre il appartient au locataire de respecter les stipulations contractuelles qui peuvent prévoir des clauses restrictives ou des formalités particulières.
Le bail conclu le 14 septembre 1995 qui est applicable en la cause stipule que :
'Le preneur aura la faculté de céder ses droits au présent bail à tout acquéreur de tout ou partie de son fonds de commerce.
Dans tout autre cas, le droit au bail ne pourra être cédé qu'avec l'autorisation expresse ou par écrit du bailleur. En cas de cession, un exemplaire de l'acte de cession du droit au bail sera adressé sans frais au bailleur dans la quinzaine de la signature'.
Il en résulte que si la cession du droit au bail réalisée dans le cadre d'une cession du fonds de commerce, ne requiert ni l'autorisation du bailleur ni son intervention à l'acte, par contre il doit en être informé et l'acte doit lui être adressé dans un délai de 15 jours suivant sa signature.
Madame G. ne rapporte pas la preuve qu'elle a notifié la cession du droit au bail au propriétaire et, contrairement à ce qu'elle soutient, elle ne peut être dispensée de remplir ses obligations contractuelles au motif qu'elle a effectué les publications requises pour la cession du fonds de commerce dans les journaux habilités à recevoir les annonces légales et judiciaires.
Il est prétendu toutefois que Madame G. N. a accepté tacitement de considérer la SARLU MPPM comme son nouveau locataire dans la mesure où c'est la société qui lui a versé les loyers pendant cinq ans et qu'elle ne s'est plus adressée qu'à cette dernière et non plus à Madame G., à partir de 2010.
La renonciation du bailleur à se prévaloir de la sanction du défaut de signification doit être certaine et non équivoque.
Le fait d'agir contre le cédant et le cessionnaire sans invoquer l'inopposabilité de l'acte de cession au cours de l'instance vaut nécessairement acceptation de la cession.
En assignant Madame Françoise G. et la SARLU MPPM devant le juge des référés pour obtenir leur condamnation solidaire au paiement des loyers en retard, Madame G. N. a manifesté de manière expresse et non équivoque son intention de renoncer à se prévaloir du non-respect des formalités prévues au contrat.
Il y a lieu de noter qu'elle a également déclaré sa créance de loyer entre les mains du mandataire judiciaire de la société MPPM, sans pour autant contester la qualité de locataire de cette dernière.
Dans ces conditions, il y a lieu d'approuver la décision des premiers juges qui ont à bon droit considéré que la cession était opposable à la bailleresse même si Madame Françoise G. n'a pas contesté sa qualité de débitrice des loyers impayés devant le juge des référés, et que cette dernière ne pouvait être tenue à l'exécution du bail commercial depuis le traité d'apport en date du 28 décembre 2009 ni au paiement des loyers échus postérieurement.
Madame G. N. succombant dans ses prétentions, sa demande tendant à obtenir des dommages-intérêts pour résistance abusive et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ne peut qu'être rejetée
Par contre il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de Madame G. les frais irrépétibles qu'elle a exposés pour assurer sa représentation en justice dès lors qu'elle n'a pas interjeté appel de l'ordonnance du juge des référés qui l'a condamnée solidairement avec la société MPPM à payer les loyers en retard et a attendu les premières mesures d'exécution pour soulever les moyens de droit invoqués devant le Premier juge alors qu'elle était assistée d'un avocat tout au long de la procédure.
La partie qui succombe doit supporter les frais de l'instance.
La cour statuant après en avoir délibéré,
Confirme le jugement du 2 mars 2018 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné Madame Catherine G. N. à payer à Madame Françoise R. veuve G. la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes et de leurs prétentions contraires,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties,
Condamne Madame Catherine G. N. aux entiers dépens de l'instance.