Cass. 3e civ., 12 décembre 2012, n° 11-10.180
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 7 juin 2010), que le 18 décembre 1990, la société Caisse régionale de crédit agricole de la Guadeloupe (CRCAM) a donné à bail une résidence à usage d'établissement hôtelier à M. X...qui, le 30 janvier 1992, a cédé le fonds de commerce avec le droit au bail à la société Ohaness ; qu'une expertise, ordonnée en référé à sa demande, ayant conclu que l'immeuble loué était impropre à sa destination, la société Ohaness, par acte du 3 octobre 1994, a assigné la bailleresse d'abord en résiliation du bail, puis en exécution de travaux et en indemnisation de ses pertes d'exploitation et a appelé en cause les époux X...; que le 17 juin 1996, la CRCAM a cédé l'immeuble en cause à l'EURL Jarry 1, qui, elle-même, l'a vendu le 15 juin 2000 à la société Rocvel ; qu'un jugement du 13 mars 2003, retenant que bailleurs et preneur avaient manqué à leurs obligations contractuelles, a, notamment, prononcé la résiliation du bail, ordonné l'expulsion de la société Ohaness sous astreinte, condamné celle-ci à payer les loyers, l'indemnité d'immobilisation prévue par le bail et une indemnité d'occupation et condamné les bailleurs successifs à l'indemniser du préjudice subi du fait des défauts de la chose louée ; que, par acte du 12 août 2003, se prévalant d'une interruption de l'instance consécutive à la cessation de ses fonctions de postulant de son avocat à compter du 6 janvier 2003, la société Ohaness a assigné la société Rocvel en nullité du jugement du 13 mars 2003 et aux fins d'en faire interdire l'exécution devant le juge de l'exécution qui a statué par jugement du 23 septembre 2003 en rejetant ces demandes ;
Attendu que la société Ohaness fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du 23 septembre 2003, alors, selon le moyen :
1°/ que l'instance peut être volontairement reprise dans les formes prévues pour la présentation des moyens de défense ou, à défaut de reprise volontaire, par voie de citation ; qu'en retenant que la constitution de M. Y...le 16 janvier 2003, afin de procéder uniquement au dépôt du dossier, sans contestation de quiconque, et sa comparution emportaient reprise de l'instance interrompue le 6 janvier 2003 par la cessation des fonctions de l'avocat postulant de la société Ohaness, la cour d'appel a violé l'article 373 du code de procédure civile ;
2°/ que sont recevables, après l'ordonnance de clôture, les conclusions qui tendent à la reprise de l'instance en l'état où celle-ci se trouvait au moment de son interruption ; qu'en retenant que, le dossier clôturé, aucune conclusion ne pouvait dès lors être déposée ni aucun acte accompli par la société Ohaness autre que la plaidoirie ou le dépôt de dossier, pour en déduire que la constitution et la comparution de M. Y...emportaient reprise d'instance, la cour d'appel a violé l'article 783, alinéa 3, du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé, à bon droit, que la constitution, sans protestation ni réserve, le 16 janvier 2003, du nouvel avocat de la société Ohaness valait reprise de l'instance interrompue le 6 janvier 2003 du fait de l'inscription à cette date dans un autre barreau du précédent avocat de cette société, la cour d'appel, abstraction faite d'un motif surabondant relatif à la postériorité de cette constitution par rapport à l'ordonnance de clôture prononcée le 12 septembre 2002, a légalement justifié sa décision ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Ohaness fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement du 13 mars 2003 en ce qu'il a dit les bailleurs successifs tenus de l'indemniser du préjudice subi du fait des défauts de la chose louée, de dire n'y avoir lieu à expertise, de majorer le montant de l'astreinte, de fixer à une certaine somme le montant de l'indemnité d'occupation due par elle et de la condamner à une amende civile, alors, selon le moyen :
1°/ que les juges d'appel ne peuvent aggraver le sort de l'appelant sur son unique appel et en l'absence d'appel incident ; que la société Rocvel, seule intimée ayant conclu devant la cour d'appel, demandait la confirmation du jugement du 13 mars 2003, sauf en ce qu'il n'avait pas condamné la société Ohaness à payer un droit d'entrée ou droit au bail, qu'elle évaluait à 122 257, 68 euros ; qu'en infirmant le jugement en ce qu'il avait fixé à la somme de 350 euros par jour de retard le montant de l'astreinte assortissant l'expulsion, dit que les bailleurs successifs devaient indemniser la société Ohaness du préjudice subi du fait des défauts de la chose louée, dit qu'il y avait lieu à compensation entre les dettes réciproques des parties, puis ordonné une expertise afin d'établir les comptes entre les parties et, notamment, de fixer le montant du loyer, de l'indemnité d'immobilisation et de l'indemnité d'occupation, et d'évaluer le préjudice subi par la société Ohaness, en l'absence d'appel incident formé de ces chefs, la cour d'appel, qui a aggravé le sort de la société Ohaness, a violé l'article 562 du code de procédure civile ;
2°/ qu'il est dû garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail ; qu'il est tenu de l'indemniser s'il résulte de ces vices ou défauts quelque perte pour le preneur ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que l'immeuble donné à bail était affecté de multiples vices et défauts de conception qui avaient conduit à le déclarer impropre à sa destination, et imposé des travaux que les bailleurs successifs, manifestant un " désintérêt manifeste " de leurs obligations, n'avaient jamais fait exécuter, bien qu'ils aient eu connaissance de leur nécessité dès l'origine ; qu'en infirmant le jugement en ce qu'il avait jugé que les bailleurs successifs devaient indemniser la société Ohaness du préjudice subi du fait des défauts de la chose louée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1721 du code civil ;
3°/ que le juge ne peut dénaturer les termes du litige ; que la société Rocvel demandait la confirmation du jugement du 13 mars 2003 qui, notamment, avait ordonné une expertise, sauf en ce qu'il n'avait pas condamné la société Ohaness à payer un droit d'entrée ou droit au bail, qu'elle évaluait à 122 257, 68 euros ; qu'en retenant " l'abandon de toute demande d'expertise en appel ", pour réformer le jugement à ce sujet, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
4°/ que le juge ne peut méconnaître les limites du litige ; que la société Rocvel ne demandait pas que le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle soit fixée à la somme de 4 000 euros à compter de la signification de l'arrêt, mais que le jugement soit confirmé en ce qu'il avait ordonné une expertise afin, notamment, d'évaluer ce montant ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
Mais attendu d'une part, qu'usant de son pouvoir discrétionnaire de fixer le montant de l'astreinte et de ne pas maintenir l'expertise ordonnée par les premiers juges pour fixer le montant de l'indemnité d'occupation, la cour d'appel, sans dénaturation ni modification de l'objet du litige, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu d'autre part, que l'arrêt, en dépit de la formule infirme pour le surplus, n'ayant pas statué dans ses motifs sur la demande en indemnisation de la société Ohaness par ses bailleurs successifs, le grief fait à l'arrêt, s'analysant en une omission pouvant être réparée selon la procédure de l'article 463 du code de procédure civile, ne donne pas ouverture à cassation ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Ohaness fait grief à l'arrêt de la condamner à une amende civile, alors, selon le moyen :
1°/ que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile ; qu'en se bornant à relever que la société Ohaness aurait multiplié des incidents en première instance et en cause d'appel à but manifestement dilatoire, constitutifs de malice ou de mauvaise foi, sans caractériser le caractère dilatoire ou abusif de son action en justice elle-même, quand ses demandes avaient été accueillies partiellement par le premier juge, la cour d'appel a violé l'article 32-1 du code de procédure civile ;
2°/ que l'appel tend à faire réformer ou annuler par la cour d'appel un jugement rendu par une juridiction du premier degré ; qu'en retenant, pour la condamner au paiement d'une amende civile de 3 000 euros, que la société Ohaness n'avait invoqué en appel que la nullité du jugement du 13 mars 2003, sans conclure au fond, la cour d'appel a violé les articles 32-1 et 559 du code de procédure civile, ensemble l'article 542 du même code ;
3°/ qu'en se fondant sur le fait que la société Ohaness n'avait pas conclu au fond en appel et qu'elle invoquait " seulement et obstinément " la nullité du jugement du 13 mars 2003, pour avoir été rendu alors que l'instance était interrompue en raison de la cessation des fonctions de postulation de M. Z..., sans répondre à ses conclusions qui faisaient valoir que par un arrêt n° 423 du 7 mai 2007, la même cour d'appel avait admis que le jugement qui lui était déféré était non-avenu pour avoir, dans les mêmes circonstances, été rendu alors que l'instance était interrompue en raison de la cessation des fonctions de postulation de M. Z..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ qu'en reprochant à la société Ohaness d'avoir demandé la restitution de documents communiqués par elle en copie en première instance dix ans auparavant, sans répondre à ses conclusions qui faisaient valoir qu'elle avait dû demander la restitution de ces pièces en raison de la propre demande, initiale, de la société Jarry 1, de lui communiquer à nouveau les pièces dont elle avait déjà été destinataire et que la société Jarry 1 n'avait pas exécuté l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 15 octobre 2007 qui lui avait enjoint de restituer ces pièces sous astreinte, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant retenu que la multiplication des incidents à l'initiative répétée de la société Ohaness en cause d'appel, à but manifestement dilatoire, constitutifs de malice ou de mauvaise foi, notamment en ce qu'ils consistaient à demander restitution de documents communiqués par elle, en copie, en première instance prés de 10 années auparavant a eu pour effet la dilution complète du débat de fond sur une durée totale de 8 années en cause d'appel, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu, par ces seuls motifs, caractériser un abus de procédure constitutif d'une faute ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Ohaness aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Ohaness à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole de la Guadeloupe la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de la société Ohaness ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille douze.