Cass. 1re civ., 6 décembre 2017, n° 16-26.080
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 29 septembre 2016), que, sur les poursuites disciplinaires engagées par le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Marseille, M. X...a été condamné à un blâme pour manquement à ses obligations déontologiques à l'égard de M. et Mme Y...;
Sur les questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne :
Attendu que M. X...demande que soient posées à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes :
1°/ « Le principe d'égalité de traitement, principe général du droit de l'Union européenne, consacré par l'article 2 du Traité sur l'Union européenne (TUE), la directive 98/ 5/ CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise, notamment son article 5, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation et une réglementation nationales, telles qu'elles résultent des articles 15, 16, 17, 22 à 25-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ainsi que des articles 180 à 199 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, en tant que le régime disciplinaire qu'elles instaurent et dont elles prétendent rendre tributaires les avocats inscrits à un barreau français est un facteur de discrimination entre avocats, sous l'angle de l'opportunité des poursuites, principe qui préside à la mise en oeuvre de ce régime ? ;
2°/ « Les articles 101 à 106 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne – TFUE-doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation et une réglementation nationales, telles qu'elles résultent des articles 15, 16, 17, 22 à 25-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ainsi que des articles 180 à 199 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, en tant que le régime disciplinaire qu'elles instaurent et dont elles prétendent rendre tributaires les avocats inscrits à un barreau français conduit le bâtonnier, les membres du conseil de l'ordre et les membres du conseil régional de discipline à abuser d'une position dominante créée ou renforcée par le simple exercice de droits spéciaux ou exclusifs (l'action disciplinaire) que leur confèrent les textes nationaux litigieux ? ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, d'une part, que « l'avocat européen est tenu au respect non seulement des règles professionnelles et déontologiques de l'Etat membre d'origine, mais également de celles de l'Etat membre d'accueil et ce, sous peine d'encourir des sanctions disciplinaires et d'engager sa responsabilité professionnelle, en vertu des articles 6 et 7 de la directive 98-5/ CE visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise (arrêt du 19 septembre 2006, Graham J. Wilson, C-506/ 04), d'autre part, qu'« en l'absence de règles communautaires spécifiques en la matière, chaque Etat membre reste, en principe, libre de régler l'exercice de la profession d'avocat sur son territoire » et que « les règles applicables à cette profession peuvent, de ce fait, différer substantiellement d'un Etat membre à l'autre » et avoir des effets restrictifs de la concurrence, si cela « s'avère nécessaire au bon exercice de la profession d'avocat telle qu'elle est organisée dans l'Etat membre concerné » (arrêt du 19 février 2002, J. C. J. Wouters, C-309/ 99) ;
Et attendu, en second lieu, qu'en application de l'article 88 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les avocats ressortissants de l'Union européenne, exerçant à titre permanent en France sous leur titre d'origine, sont soumis au respect des règles professionnelles et déontologiques en vigueur sur le territoire français et peuvent, en conséquence, faire l'objet des poursuites disciplinaires prévues par le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;
Qu'en conséquence, il n'y a pas lieu à saisine préjudicielle ;
Sur les questions préjudicielles au Conseil d'Etat :
Attendu que M. X...demande que soient posées au Conseil d'Etat les questions préjudicielles suivantes :
1°/ « L'article 16, alinéa 3, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat aux termes duquel ‘ Sauf en matière disciplinaire, le conseil de l'ordre est partie à l'instance.'est-il entaché d'illégalité – notamment externe – en ce sens que le pouvoir réglementaire, en l'occurrence, le Premier ministre – était radicalement incompétent pour décider de conférer au conseil de l'ordre des avocats, vu comme le conseil d'administration du barreau concerné, la personnalité juridique qui découle nécessairement de la qualité de partie à une instance ? » ;
2°/ « Les articles 180 à 199 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, constituant le Titre IV La discipline dudit décret, sont-ils entachés d'illégalité – notamment externe – en ce sens que le pouvoir réglementaire, en l'occurrence, le Premier ministre – était radicalement incompétent pour décider des peines, telles l'interdiction temporaire ou la radiation du tableau des avocats, lesquelles emportant empêchement temporaire ou perpétuel d'exercer la profession d'avocat, ne peuvent, à ce titre, être établies, sous réserve du statut constitutionnel de l'avocat défenseur, dans leur principe et dans leur quantum, que par le législateur, en application de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ? » ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'en vertu de l'article 74 du code de procédure civile, l'exception tirée de l'existence d'une question préjudicielle, qui tend à suspendre le cours de la procédure jusqu'à la décision de la juridiction administrative, doit, à peine d'irrecevabilité, être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public ; qu'il s'ensuit qu'est irrecevable le moyen qui soulève pour la première fois, devant la Cour de cassation, la question préjudicielle de la légalité de l'article 16, alinéa 3, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;
Et attendu, en second lieu, que le juge judiciaire ne peut accueillir une exception préjudicielle que si elle présente un caractère sérieux et porte sur une question dont la solution est nécessaire au règlement au fond du litige ; que les règles de déontologie ainsi que la procédure et les sanctions disciplinaires relatives aux avocats relèvent du pouvoir réglementaire, par application de l'article 53, 2°, de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ; que le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision QPC du 29 septembre 2011 (n° 2011-171/ 178), que le renvoi au décret opéré par cet article ne méconnaît pas l'article 34 de la Constitution et n'est contraire à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ; que, dans sa décision QPC du 19 mai 2017 (n° 2017-630), il a estimé qu'aucun changement de circonstances ne justifiait le réexamen de cette disposition, dont le seul objet est le renvoi au pouvoir réglementaire de la compétence pour fixer les sanctions disciplinaires des avocats ; qu'il résulte de la jurisprudence du Conseil d'Etat (26 décembre 2013, n° 363310) que le principe de légalité des délits et des peines est satisfait pour ce qui concerne les sanctions disciplinaires susceptibles d'être infligées aux membres des professions réglementées et auxiliaires de justice, dès lors que les textes applicables font référence à des obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l'activité qu'ils exercent ou de la profession à laquelle ils appartiennent ; qu'en conséquence, la question relative à la légalité externe des articles 180 à 199 du décret du 27 novembre 1991 précité ne présente pas un caractère sérieux ; qu'il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat ;
Sur les premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, huitième et neuvième moyens, ci-après annexés :
Attendu que ces moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le sixième moyen, ci-après annexé :
Attendu que M. X...fait grief à l'arrêt de ne pas transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle de la non-conformité au droit de la concurrence de la législation et de la réglementation « prétendant assujettir les avocats à un régime disciplinaire », sans motiver son refus ;
Attendu que l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne rend obligatoire le renvoi préjudiciel devant la Cour de justice d'une question soulevée devant une juridiction dont la décision n'est
pas susceptible d'un recours juridictionnel en droit interne ; que, dès lors, ce renvoi constituait une simple faculté pour la cour d'appel dont la décision, ainsi qu'elle le relève, était susceptible d'un recours interne devant la Cour de cassation ; que la cour d'appel a considéré qu'il n'y avait pas lieu à interprétation d'une norme communautaire ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le septième moyen, ci-après annexé :
Attendu que M. X...fait grief à l'arrêt de ne pas transmettre au Conseil d'Etat la question préjudicielle de la légalité externe des articles 180 à 199 du décret du 27 novembre 1991 précité ;
Attendu que la cour d'appel a exactement énoncé que la légalité de ces dispositions ne soulevait aucune difficulté sérieuse au regard tant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que de celle du Conseil d'Etat ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
DIT n'y avoir lieu à saisine préjudicielle de la Cour de justice de l'Union européenne ;
DÉCLARE irrecevable la demande de renvoi au Conseil d'Etat de la question préjudicielle relative à la légalité de l'article 16, alinéa 3, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi au Conseil d'Etat de la question préjudicielle relative à la légalité des articles 180 à 199 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X...aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à l'ordre des avocats au barreau de Marseille la somme de 4 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six décembre deux mille dix-sept.