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Décisions

Cass. com., 1 avril 2014, n° 13-11.252

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Paris, du 27 nov. 2012

27 novembre 2012

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en matière de référé, que M. X... a formé opposition pour perte au paiement de quatre chèques qu'il avait émis sans indication de montant ni de bénéficiaire ; que M. Y..., désigné sur les titres comme bénéficiaire, s'en étant vu refuser le paiement, a sollicité du juge des référés la mainlevée de cette opposition qu'il estimait irrégulière ; que M. X... a contesté cette prétention en faisant valoir que les chèques litigieux avaient été utilisés frauduleusement par M. Y..., à qui ils avaient été remis, pré-signés, pour un autre objet ; qu'il a, en outre, demandé qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de l'issue d'une instance pénale et d'un arbitrage ;

 

Sur le premier moyen :

 

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir dit n'y avoir lieu à sursis à statuer alors, selon le moyen :

 

1°/ que les juges sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; qu'en écartant la demande de sursis à statuer dans l'attente de la décision arbitrale, motif pris de ce que la saisine de l'arbitre israélien ne pouvait avoir de conséquence sur la compétence et les pouvoirs de la juridiction des référés, saisie du seul rapport cambiaire résultant des chèques litigieux et de la demande de mainlevée de l'opposition au paiement de ceux-ci, sans répondre au moyen des conclusions d'appel de M. X... faisant valoir qu'en application de l'article 19 de la convention litigieuse du 12 octobre 2010, tous les litiges et contentieux entre les parties devaient être exposés devant l'arbitre israélien choisi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

 

2°/ que les juges sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; qu'en écartant également la demande de sursis à statuer dans l'attente du jugement du tribunal de correctionnel de Paris, saisi par citation directe de M. X... du 1er août 2011 pour abus de confiance et abus de blanc-seing de M. Y..., sans répondre à un autre moyen selon lequel ce sursis à statuer s'imposait, la citation pénale ayant précisément pour objet la reconnaissance de l'abus de confiance et de blanc-seing de l'intéressé en

conséquence du détournement des chèques litigieux, objet de la présente

instance civile, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

 

Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire que, pour une bonne administration de la justice, la cour d'appel a refusé de surseoir à statuer dans l'attente tant de l'issue de la procédure d'arbitrage que de celle de la procédure pénale ; que le moyen ne peut être accueilli ;

 

Sur le second moyen, pris en ses trois premières branches :

 

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir ordonné la mainlevée de l'opposition au paiement des quatre chèques litigieux alors, selon le moyen :

 

1/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et, en conséquence, il ne peut fonder sa décision sur des moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en retenant d'office, pour décider la mainlevée de l'opposition de M. X... au paiement à M. Y... des quatre chèques litigieux, que la procuration du 10 juillet 2006 et la convention du 12 octobre 2010 étaient deux actes distincts et qu'il n'était pas démontré que la révocation de la première, qui n'était pas mentionnée dans la seconde, valait dénonciation régulière de cette dernière par M. X..., sans avoir, au préalable, invité les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

 

2/ que les juges ne sauraient dénaturer les documents de la cause ; qu'au demeurant, selon les termes mêmes de la lettre du 4 mars 2011, adressée à M. Y... par M. X..., celui-ci avait notifié à celui-là sa « révocation, à compter de ce jour, et en tout cas, à compter de la présentation de la présente, de toute fonction de représentation et/ ou d'intervention auprès des tiers au nom, lieu et place de M. ou Mme X... », lui précisant, sans la moindre ambiguïté, que « conformément aux dispositions de l'article 2004 du code civil, à compter de votre révocation vous êtes tenu de remettre sans délai tous mandat ou pouvoir en votre possession, ainsi que la reddition des comptes, et tout document appartenant aux époux X... », de sorte qu'en toute hypothèse en retenant, pour ordonner la mainlevée de l'opposition, que la révocation de la procuration du 10 juillet 2006, non mentionnée dans la convention du 12 octobre 2010, ne valait pas dénonciation régulière de cette dernière par M. X..., quand, par cette lettre du 4 mars 2011, M. X... avait révoqué M. Y... de tout mandat et autre fonction de représentation et/ ou d'intervention en ses noms, lieu et place ainsi que ceux de son épouse, la cour d'appel, qui a dénaturé ladite lettre du 4 mars 2011, a violé l'article 1134 du code civil ;

 

3/ que l'opposition au paiement d'un chèque est admise, notamment en cas de perte ; qu'en refusant d'admettre en outre la perte invoquée par M. X..., motif pris de ce que celui-ci ayant remis lesdits chèques pré-signés volontairement à M. Y... dans le cadre de leurs relations contractuelles, il n'en avait pas été dépossédé involontairement de sorte que son opposition pour perte n'était pas licite, sans rechercher précisément, dans la mesure où M. Y..., pourtant mis en demeure par la lettre de M. X... du 4 mars 2011 de restituer lesdits chèques, était demeuré taisant et ne lui avait donné aucune information sur le sort qu'il leur avait réservé, si M. X... n'avait pas été dépossédé contre sa volonté des chèques litigieux, de sorte que son opposition au paiement de ceux-ci pour perte était licite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 131-35, alinéa 2, du code monétaire et financier ;

 

Mais attendu, en premier lieu, que M. Y... ayant fait valoir dans ses conclusions que M. X... n'avait pas dénoncé la convention du 12 octobre 2010 mais seulement celle du 10 juillet 2006, et qu'en toute hypothèse, il n'avait pas la possibilité de la dénoncer sans son accord puisque cette convention établissait un partage par moitié des droits de chacun sur les actifs immobiliers litigieux, la cour d'appel, qui a retenu que la procuration du 10 juillet 2006 et la convention du 12 octobre 2010 étaient deux actes distincts et qu'il n'était pas démontré que la révocation de la première, qui n'était pas mentionnée dans la seconde, valait dénonciation régulière de cette dernière, n'a ni relevé un moyen d'office ni dénaturé les termes de la lettre de révocation du 4 mars 2011, dont elle a apprécié la portée ;

 

Attendu, en second lieu, que seule la dépossession involontaire du tireur ou du porteur d'un chèque peut justifier une opposition au paiement pour perte ; qu'ayant relevé que M. X... avait remis volontairement les chèques litigieux à M. Y..., la cour d'appel n'avait pas à procéder à la recherche visée par la troisième branche, devenue inopérante ;

 

D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

 

Mais, sur le moyen, pris en ses deux dernières branches :

 

Vu l'article L. 131-35 du code monétaire et financier ;

 

Attendu que, pour retenir que M. X... échouait à faire la preuve de l'utilisation frauduleuse des quatre chèques litigieux et faire droit à la demande de mainlevée de l'opposition, l'arrêt relève qu'il avait remis ces chèques pré-signés à M. Y... dans le cadre de leurs relations contractuelles et que leur montant correspond à la rémunération prévue au profit de ce dernier par la convention du 12 octobre 2010, qui n'avait pas été dénoncée ;

 

Attendant qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si les chèques pré-signés par M. X... n'avaient pas été remis à M. Y... dans le seul cadre du mandat de gestion donné par le premier au second le 10 juillet 2006 pour les besoins de la gestion de ses biens immobiliers et si, ce mandat ayant été révoqué le 4 mars 2011, leur utilisation pour effectuer le paiement d'une rémunération prévue par la convention du 12 octobre 2010 pouvait constituer une manoeuvrefrauduleuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

 

PAR CES MOTIFS :

 

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 novembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

 

Condamne M. Y... aux dépens ;

 

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier avril deux mille quatorze.