Décisions
CA Lyon, 2e ch. b, 19 octobre 2023, n° 22/01558
LYON
Arrêt
Autre
N° RG 22/01558 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OEVC
Décision du
Juge aux affaires familiales de VILLEFRANCHE SUR SAONE
Au fond JAF
du 10 janvier 2022
RG : 20/00174
ch n°
[H]
C/
[T]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
2ème Chambre B
ARRET DU 19 Octobre 2023
APPELANTE :
Mme [O] [H]
née le 11 Mars 1962 à [Localité 8]
[Adresse 3]
[Localité 9]
Représentée par Me Karen PICOT de la SELARL P&S AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 176
INTIME :
M. [K] [T]
né le 03 Mai 1962 à [Localité 12]
[Adresse 5]
[Localité 9]
Représenté par Me Aymeric CURIS, avocat au barreau de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 25 Juillet 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 Septembre 2023
Date de mise à disposition : 19 Octobre 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Sophie DUMURGIER, président
- Carole BATAILLARD, conseiller
- Françoise BARRIER, conseiller
assistés pendant les débats de Sophie PENEAUD, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Sophie DUMURGIER, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [O] [H] et M. [K] [T] ont vécu en concubinage sans contracter de pacte civil de solidarité à compter de l'année 1995 et jusqu'au 28 août 2014, date de leur séparation. Trois enfants, aujourd'hui majeurs, sont issus de cette union.
Ils ont notamment acquis durant la vie commune une maison d'habitation en indivision, à concurrence de 50 % chacun, située à [Localité 9], qui constituait le domicile familial.
Par acte du 7 janvier 2020, M. [K] [T] a fait assigner Mme [O] [H] devant le juge aux affaires familiales de Villefranche sur Saône aux fins de liquidation et partage judiciaire de l'indivision immobilière, d'attribution préférentielle de l'immeuble indivis à Mme [H] et de condamnation de celle-ci au paiement d'une somme de 152 500 euros au titre de ses droits indivis dans la maison et d'une somme de 28 800 euros à titre d'indemnité d'occupation.
Il demandait également à la juridiction de juger qu'il est titulaire envers Mme [H] d'une créance de 6 869 euros au titre de l'indemnité de remboursement anticipé.
A titre subsidiaire, il sollicitait la désignation de Me [I], notaire à [Localité 6], afin de procéder aux opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision.
Il sollicitait enfin l'allocation d'une indemnité de procédure de 2 500 euros.
Mme [H] a conclu à l'attribution préférentielle à son profit de l'immeuble indivis, à la désignation de Me [V], notaire à [Localité 11], en qualité de notaire liquidateur, et a demandé que la valeur de la maison indivise soit fixée à 295 000 euros.
Elle a conclu au rejet de la demande d'indemnité d'occupation et a sollicité l'allocation d'une indemnité de procédure de 1 000 euros.
Par jugement rendu le 10 janvier 2022, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Villefranche sur Saône a :
- déclaré recevable l'assignation en partage judiciaire délivrée par [K] [T],
- ordonné les opérations de partage de l'indivision ayant existé entre [K] [T] et [O] [H],
- attribué de manière préférentielle à [O] [H] la maison indivise sise [Adresse 3], à [Localité 9] (69),
- dit que la valeur de la maison indivise sera déterminée dans le cadre des opérations de partage,
- dit qu'une indemnité d'occupation de la maison indivise sera due par [O] [H] à l'indivision depuis la date de séparation effective et jusqu'au partage, dont le montant devra être déterminé lors des opérations de partage,
- désigné pour procéder aux opérations de partage :
' Maître [Z] [W], notaire associé, SCP Poignand-[W]
[Adresse 4]
[Adresse 7]
Tel: [XXXXXXXX01]- Fax:[XXXXXXXX02]
Mail: [Courriel 10]
- dit que le notaire commis accomplira sa mission conformément aux dispositions de l'article
1364 et suivants du code de procédure civile,
- autorisé le notaire commis à prendre tous renseignements utiles auprès de la direction générale des finances publiques par l'intermédiaire du fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA),
- dit que le notaire aura la faculté de se faire communiquer tous les documents que celui-ci estimera nécessaires à l'accomplissement de sa mission et invité les parties à procéder à cette
communication dans les délais impartis à peine de condamnation sous astreinte par le juge commis,
- désigné le juge aux affaires familiales de Villefranche sur Saône pour surveiller les opérations de partage,
- dit que le notaire commis aura la faculté de s'adjoindre tout spécialiste de son choix, de solliciter tout document nécessaire à sa mission et qu'il en sera référé au juge commis,
- dit qu'il sera adressé au notaire désigné une copie du présent jugement,
- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire,
- dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens,
- débouté les parties de toutes leurs autres prétentions.
'
Mme [H] a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe le 24 février 2022, limité au chef de jugement l'ayant condamnée à verser une indemnité d'occupation à l'indivision à compter de la séparation effective et jusqu'au partage.
Au terme de ses écritures n°4 notifiées le 21 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, l'appelante demande à la cour de :
Vu les articles 815 et suivants du code civil,
Vu l'article 2224 du code civil,
Vu les articles 122 et 123 du code de procédure civile,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
Y faisant droit,
- infirmer le jugement rendu le 10 janvier 2022 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Villefranche sur Saône en ce qu'il a :
' dit qu'une indemnité d'occupation de la maison indivise sera due par Mme [H] à l'indivision depuis la date de séparation effective et jusqu'au partage, dont le montant devra être déterminé lors des opérations de partage,
Et statuant à nouveau, à titre principal :
- débouter M. [T] de sa demande au titre de l'indemnité d'occupation depuis la séparation effective et jusqu'au partage, faute de privation de jouissance du bien indivis,
A titre subsidiaire si la cour considérait qu'une indemnisation était due :
- dire que la demande de M. [T] au titre de l'indemnité d'occupation est prescrite au-delà de 5 ans précédant sa demande,
En tout état de cause :
- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes au titre de son appel incident,
- condamner M. [K] [T] aux entiers dépens de l'appel ainsi qu'à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 12 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, M. [K] [T] demande à la cour de :
Vu les articles 1359, 1364 et suivants du code de procédure civile,
Vu les articles 1111-1, 815-9 du code civil, 831 du code civil,
Vu l'article 444-32 du code de commerce,
- confirmer le jugement rendu le 10 janvier 2022 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Villefranche-sur-Saône en ce qu'il a :
' déclaré recevable l'assignation en partage judiciaire délivrée par [K] [T],
' ordonné les opérations de partage de l'indivision ayant existé entre [K] [T] et [O] [H],
' attribué de manière préférentielle à [O] [H] la maison indivise sise [Adresse 3], à [Localité 9] (69),
' dit qu'une indemnité d'occupation de la maison indivise sera due par [O] [H] à l'indivision depuis la date de séparation effective et jusqu'au partage,
' désigné pour procéder aux opérations de partage :
Maître [Z] [W], notaire associé, SCP Poignand-[W] [Adresse 4],
' désigné le juge aux affaires familiales de Villefranche-sur-Saône pour surveiller les opérations de partage,
Et, statuant à nouveau,
- juger que la valeur de la maison d'habitation sise [Adresse 3] est de 354 700 euros pour les besoins du partage,
- juger que la valeur du bien immobilier sera portée à l'actif du compte de l'indivision,
- juger que le crédit souscrit par madame au titre du crédit immobilier ne pourra pas être pris en
considération dans le partage de l'indivision,
- juger que Mme [H] est débitrice d'une somme de 177 350 euros au titre de l'actif de la maison,
En conséquence,
- condamner Mme [H] au paiement d'une somme 177 350 euros,
Concernant l'indemnité de remboursement anticipé,
- juger qu'il est titulaire d'une créance sur Mme [H] de 6 869 euros au titre de l'indemnité de remboursement anticipée qu'il a versée de 13 378 euros,
Concernant l'indemnité d'occupation,
A titre principal,
- juger que Mme [H] est débitrice d'une somme de 49 440 euros au titre de l'indemnité d'occupation du bien,
En conséquence,
- condamner Mme [H] au paiement d'une somme 49 440 euros,
A titre subsidiaire, si la cour retient la prescription des 4 échéances de septembre 2014 à janvier 2015,
- juger que Mme [H] est débitrice d'une somme de 47 520 euros au titre de l'indemnité d'occupation du bien,
En conséquence,
- condamner Mme [H] au paiement d'une somme 47 520 euros,
- condamner Mme [H] à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi en raison de la perte de chance de vendre le bien immobilier,
- juger que les frais liés à ce partage seront supportés par moitié entre lui et Mme [H],
- juger que les parties pourront se faire assister de toutes personnes de leur choix dans le cadre des opérations de partage,
- juger, conformément aux dispositions de l'article 1374 du code civil, qu'à défaut d'accord entre
les parties sur l'acte de partage dressé par le notaire désigné par le juge aux affaires familiales, que ces dernières seront re-convoquées devant lui aux fins qu'il statue sur les désaccords,
- débouter Mme [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner Mme [H] au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [H] en tous les dépens de l'instance qui seront employés en frais privilégiés de partage et en donner distraction au profit de Me Aymeric Curis, avocat sur son affirmation de droit.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 25 juillet 2023.
A l'audience du 7 septembre 2023, la cour a relevé que M. [T] ne conclut pas à l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit que la valeur de la maison indivise sera déterminée dans le cadre des opérations de partage et que la valeur de l'indemnité d'occupation sera déterminée lors des opérations de partage, ni en ce qu'il a rejeté sa demande subséquente de condamnation de Mme [H] au paiement d'une somme de 152 500 au titre de ses droits indivis.
Elle a soulevé d'office l'inexistence d'un appel incident en l'absence de demande d'infirmation du jugement et a demandé aux parties de présenter par note en délibéré leurs observations.
La cour a également soulevé d'office l'irrecevabilité de la demande de dommages-intérêts présentée par l'intimé dans ses dernières écritures, en application de l'article 910-4 du code de procédure civile, s'agissant d'une demande présentée pour la première fois dans les écritures du 12 juin 2023 et il a été demandé aux parties de présenter leurs observations par note en délibéré.
SUR CE
Sur l'étendue de la saisine de la cour
L'article 562 du code de procédure civile prévoit que l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
L'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que la cour n'est tenue de statuer que sur les demandes figurant dans le dispositif des conclusions des parties.
Ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'donner acte'.
Par l'effet dévolutif de l'appel la cour connaît des faits survenus au cours de l'instance d'appel, postérieurement à la décision déférée, et statue au vu de tous les éléments justifiés même s 'ils n'ont été portés à la connaissance de l'adversaire qu'au cours de l'instance d'appel.
Par note en délibéré du 12 septembre 2023, Mme [H] soutient qu'il est impossible pour la cour de se prononcer sur l'ensemble des demandes de M. [T], faute par ce dernier de solliciter l'infirmation du jugement entrepris.
Par message RPVA du 19 septembre 2023, M. [T] fait valoir qu'il ne peut y avoir de doute quant à la demande d'infirmation dès lors qu'il a demandé dans ses conclusions de «confirmer» une partie du jugement et de «juger à nouveau» pour le reste. Faisant référence à l'arrêt n° 21-21463 rendu le 13 avril 2023 par la Cour de cassation, M. [T] ajoute que cette dernière invite à statuer sur l'ensemble des prétentions contenues dans le dispositif, indépendamment de la formulation retenue et sans faire preuve d'un formalisme procédural susceptible de verser dans l'abus.
Il est néanmoins constant, depuis l'arrêt n°18-23.626 rendu le 17 septembre 2020 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qu'il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation, ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement.
Cette solution a été étendue à l'appel incident de l'intimé par un arrêt n°20-10.694 rendu le 1er juillet 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui énonce qu'en application des articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile, lorsque l'intimé forme un appel incident et ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, l'appel incident n'est pas valablement formé.
L'arrêt rendu le 13 avril 2023, évoqué par l'intimé, n'est pas de nature à remettre en cause cette solution.
Il convient dès lors de considérer que la cour n'est saisie d'aucun appel incident par M. [T] et qu'elle ne peut que confirmer les chefs de jugement qui ne font pas l'objet de l'appel principal.
L'objet de l'appel porte ainsi sur :
- l'indemnité d'occupation mise à la charge de Mme [H], indivisaire occupant privativement l'immeuble indivis,
- les créances entre indivisaires,
- la demande indemnitaire de M. [T] au titre de la perte de chance de vendre l'immeuble,
- les frais et les dépens.
Sur la demande d'indemnité d'occupation
Selon l'article 815-9 alinéa 3 du code civil, l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.
L'article 815-10 alinéa 3 du code civil prévoit qu'aucune recherche relative aux fruits et revenus ne sera recevable plus de cinq ans après la date à laquelle ils ont été perçus ou auraient pu l'être.
Le premier juge a retenu que, s'il ressortait des débats et des pièces produites que M. [T] n'avait pas d'impossibilité de droit d'user de la maison indivise, l'occupation du bien par Mme [H], après la séparation du couple, l'empêchait d'en user en fait, compte tenu des relations obérées des parties, et il en a déduit que Mme [H] est redevable d'une indemnité d'occupation depuis la séparation effective du couple et jusqu'au partage, à évaluer dans le cadre des opérations de partage.
Mme [H] sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit qu'elle était redevable d'une indemnité d'occupation depuis la date de séparation effective et jusqu'au partage.
Elle soutient que M. [T] n'a jamais été dans l'impossibilité de droit ou de fait de jouir du bien indivis et qu'il n'existe donc aucune privation de jouissance de nature à générer le versement d'une indemnité.
Elle expose ainsi que M. [T] est parti de son plein gré, après avoir organisé son départ de longue date puisqu'il a mené un projet d'achat d'un autre bien dès le mois de juillet 2012, la séparation étant intervenue le 28 août 2014.
Mme [H] indique en outre avoir maintenu un libre accès des lieux au profit de M. [T] : contrairement aux affirmations de ce dernier, elle n'a pas changé les serrures et ne vit pas avec un tiers, la maison étant au demeurant suffisamment grande pour permettre une jouissance partagée.
Elle signale également que les sommes réclamées par M. [T] ne sont basées sur aucune estimation de la valeur locative de l'immeuble.
Mme [H] prétend à titre subsidiaire que la demande de M. [T] est prescrite au-delà des cinq dernières années, celui-ci n'ayant saisi le juge aux affaires familiales que le 7 janvier 2020.
Pour sa part, M. [T] estime que Mme [H] occupe le bien privativement depuis 9 ans et qu'elle est en conséquence redevable d'une indemnité d'occupation d'un montant de 49 440 euros, ou à titre subsidiaire de 47 520 euros seulement, si la cour retient la prescription des échéances antérieures au 7 janvier 2015.
L'intimé soutient ne pas pouvoir jouir librement de l'immeuble du fait de la rupture. Il précise que Mme [H] était informée des difficultés rencontrées par le couple, qu'ils ne partaient plus en vacances ensemble et qu'elle avait déposé une main-courante à son encontre. Il expose que Mme [H] a rapidement changé les serrures sur la deuxième porte après son départ et qu'elle a reconnu être la seule occupante de la maison indivise dans sa déclaration à l'administration fiscale.
M. [T] fait état d'un courriel émis le 23 février 2016 par Mme [H], laquelle formule la demande suivante : «je te saurais gré de ne pas pénétrer au-delà du portail quand tu viens chercher les enfants».
Il estime que les témoignages versés aux débats par Mme sont mensongers.
C'est à juste titre que le premier juge a écarté une impossibilité de droit d'user de la maison indivise, avant de retenir que l'occupation du bien par Mme [H] après la séparation du couple l'empêchait de fait d'en jouir. Le fait que M. [T] ait la possibilité matérielle d'entrer dans les lieux, puisque le changement de serrures n'est pas démontré à l'exception d'un verrouillage automatique de la porte arrière du bien, est sans incidence sur cette impossibilité de fait qui résulte du seul constat de la rupture du couple et de l'occupation du bien par Mme [H], l'immeuble ne pouvant être concurremment occupé par les coindivisaires puisque l'appelante a demandé à M.[T] de ne pas pénétrer dans la propriété indivise lorsqu'il vient chercher ses enfants.
La prescription de cinq ans prévue à l'article 815-10 alinéa 3 du code civil s'applique à l'indemnité d'occupation mise à la charge de l'indivisaire qui jouit privativement d'un bien indivis.
Il convient ainsi de limiter l'indemnité d'occupation dont Mme [H] est redevable envers l'indivision aux cinq années précédant l'assignation du 7 janvier 2020.
Cette indemnité est due jusqu'à la date du partage, l'attribution préférentielle de l'immeuble n'étant effective qu'à cette date.
En l'absence d'avis de valeur produit par les parties sur la valeur locative de l'immeuble indivis, le montant de l'indemnité d'occupation due par Mme [H] sera déterminé par le notaire au cours des opérations de partage.
Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a dit que Mme [H] est redevable envers l'indivision d'une indemnité d'occupation dont le montant sera déterminé au cours des opérations de compte, liquidation et partage, et infirmé en ce qu'il a dit que l'indemnité est due à compter de la séparation effective des indivisaires.
Sur les créances entre indivisaires
Mme [H] fait valoir qu'elle détient une créance sur l'indivision de 116 303 euros au titre des travaux réalisés dans l'immeuble qu'elle a financés seule. Elle indique avoir communiqué à M. [T] et au notaire liquidateur l'intégralité des factures qu'elle a acquittées.
Il convient de relever que Mme [H] ne formule toutefois aucune demande à ce titre dans le dispositif de ses écritures.
M. [T] soutient que les prétendues dépenses effectuées par Mme [H] relèvent de l'entretien normal de la maison, les factures produites ne démontrant pas une amélioration de l'immeuble. Il indique au contraire que Mme [H] a laissé le bien se dégrader.
En l'absence de demande formée par Mme [H] et d'appel incident de l'intimé, la détermination des créances entre indivisaires ne peut qu'être réalisée devant le notaire liquidateur au cours des opérations de compte, liquidation et partage.
Il sera toutefois constaté l'existence d'un accord des parties sur la somme de 13 378 euros versée par M. [T] au titre d'un remboursement anticipé, génératrice d'une créance de 6 869 euros à son profit.
Sur la demande indemnitaire formée au titre de la perte de chance de vendre l'immeuble
M. [T] soutient que l'acharnement de Mme [H] à bloquer la licitation lui a occasionné une perte de chance de pouvoir vendre l'immeuble. Il expose ainsi avoir été contraint de payer tous les intérêts des crédits contractés et les assurances afférentes qui auraient pu être évités si l'appelante n'avait pas bloqué la vente.
Mme [H] excipe qu'il s'agit d'une demande nouvelle présentée pour la première fois dans les dernières écritures de l'appelant.
Au terme de sa note en délibéré du 12 septembre 2023, Mme [H] expose avoir conclu par erreur au débouté de cette demande, laquelle est irrecevable en application de l'article 910-4 du code de procédure civile pour ne pas avoir été formulée dès les premières conclusions de l'intimé.
Dans sa note en délibéré du 19 septembre 2023, M. [T] soutient pour sa part que la demande de dommages et intérêts a été formulée compte tenu de l'appel de Mme [H], appel à défaut duquel son préjudice aurait été moindre.
Il explique que c'est pour cette raison qu'une telle demande n'avait pas été formulée en première instance et considère qu'étant l'accessoire de l'action en liquidation actuellement pendante, elle est recevable.
L'article 910-4 du code de procédure civile prévoit que :
«À peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.»
L'examen des conclusions déposées par M. [T] révèle que sa demande visant à voir condamner Mme [H] à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi compte tenu de la perte de chance de vendre le bien immobilier, présentée dans ses conclusions du 12 juin 2023, ne figurait pas dans ses premières conclusions notifiées le 18 août 2022.
Compte tenu du principe de concentration des demandes énoncé par l'article 910-4 du code de procédure civile susvisé, le seul constat de l'absence de cette demande dans les premières conclusions de M. [T] conduit à la déclarer irrecevable.
Sur les frais et les dépens
Il convient de condamner Mme [H], qui succombe en son appel, aux dépens de l'instance, qui seront employés en frais privilégiés de partage et distraits au profit de Me Aymeric Curis pour ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [T].
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme en toutes ses dispositions soumises à la cour le jugement rendu le 10 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Villefranche sur Saône, sauf en ce qu'il a :
- dit que l'indemnité d'occupation dont est redevable Mme [H] à l'indivision est due depuis la date de séparation effective et jusqu'au partage,
Statuant à nouveau sur ce point,
Dit que Mme [H] est redevable envers l'indivision d'une indemnité d'occupation à compter du 7 janvier 2015 et jusqu'à la date du partage,
Y ajoutant,
Constate l'accord des parties sur la créance de 6 869 euros dont M. [T] est titulaire au titre d'un versement anticipé qu'il a réalisé,
Condamne Mme [H] aux dépens de l'instance, qui seront employés en frais privilégiés de partage et distraits au profit de Me Aymeric Curis conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Sophie DUMURGIER, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
Décision du
Juge aux affaires familiales de VILLEFRANCHE SUR SAONE
Au fond JAF
du 10 janvier 2022
RG : 20/00174
ch n°
[H]
C/
[T]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
2ème Chambre B
ARRET DU 19 Octobre 2023
APPELANTE :
Mme [O] [H]
née le 11 Mars 1962 à [Localité 8]
[Adresse 3]
[Localité 9]
Représentée par Me Karen PICOT de la SELARL P&S AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 176
INTIME :
M. [K] [T]
né le 03 Mai 1962 à [Localité 12]
[Adresse 5]
[Localité 9]
Représenté par Me Aymeric CURIS, avocat au barreau de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE
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Date de clôture de l'instruction : 25 Juillet 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 Septembre 2023
Date de mise à disposition : 19 Octobre 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Sophie DUMURGIER, président
- Carole BATAILLARD, conseiller
- Françoise BARRIER, conseiller
assistés pendant les débats de Sophie PENEAUD, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Sophie DUMURGIER, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [O] [H] et M. [K] [T] ont vécu en concubinage sans contracter de pacte civil de solidarité à compter de l'année 1995 et jusqu'au 28 août 2014, date de leur séparation. Trois enfants, aujourd'hui majeurs, sont issus de cette union.
Ils ont notamment acquis durant la vie commune une maison d'habitation en indivision, à concurrence de 50 % chacun, située à [Localité 9], qui constituait le domicile familial.
Par acte du 7 janvier 2020, M. [K] [T] a fait assigner Mme [O] [H] devant le juge aux affaires familiales de Villefranche sur Saône aux fins de liquidation et partage judiciaire de l'indivision immobilière, d'attribution préférentielle de l'immeuble indivis à Mme [H] et de condamnation de celle-ci au paiement d'une somme de 152 500 euros au titre de ses droits indivis dans la maison et d'une somme de 28 800 euros à titre d'indemnité d'occupation.
Il demandait également à la juridiction de juger qu'il est titulaire envers Mme [H] d'une créance de 6 869 euros au titre de l'indemnité de remboursement anticipé.
A titre subsidiaire, il sollicitait la désignation de Me [I], notaire à [Localité 6], afin de procéder aux opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision.
Il sollicitait enfin l'allocation d'une indemnité de procédure de 2 500 euros.
Mme [H] a conclu à l'attribution préférentielle à son profit de l'immeuble indivis, à la désignation de Me [V], notaire à [Localité 11], en qualité de notaire liquidateur, et a demandé que la valeur de la maison indivise soit fixée à 295 000 euros.
Elle a conclu au rejet de la demande d'indemnité d'occupation et a sollicité l'allocation d'une indemnité de procédure de 1 000 euros.
Par jugement rendu le 10 janvier 2022, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Villefranche sur Saône a :
- déclaré recevable l'assignation en partage judiciaire délivrée par [K] [T],
- ordonné les opérations de partage de l'indivision ayant existé entre [K] [T] et [O] [H],
- attribué de manière préférentielle à [O] [H] la maison indivise sise [Adresse 3], à [Localité 9] (69),
- dit que la valeur de la maison indivise sera déterminée dans le cadre des opérations de partage,
- dit qu'une indemnité d'occupation de la maison indivise sera due par [O] [H] à l'indivision depuis la date de séparation effective et jusqu'au partage, dont le montant devra être déterminé lors des opérations de partage,
- désigné pour procéder aux opérations de partage :
' Maître [Z] [W], notaire associé, SCP Poignand-[W]
[Adresse 4]
[Adresse 7]
Tel: [XXXXXXXX01]- Fax:[XXXXXXXX02]
Mail: [Courriel 10]
- dit que le notaire commis accomplira sa mission conformément aux dispositions de l'article
1364 et suivants du code de procédure civile,
- autorisé le notaire commis à prendre tous renseignements utiles auprès de la direction générale des finances publiques par l'intermédiaire du fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA),
- dit que le notaire aura la faculté de se faire communiquer tous les documents que celui-ci estimera nécessaires à l'accomplissement de sa mission et invité les parties à procéder à cette
communication dans les délais impartis à peine de condamnation sous astreinte par le juge commis,
- désigné le juge aux affaires familiales de Villefranche sur Saône pour surveiller les opérations de partage,
- dit que le notaire commis aura la faculté de s'adjoindre tout spécialiste de son choix, de solliciter tout document nécessaire à sa mission et qu'il en sera référé au juge commis,
- dit qu'il sera adressé au notaire désigné une copie du présent jugement,
- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire,
- dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens,
- débouté les parties de toutes leurs autres prétentions.
'
Mme [H] a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe le 24 février 2022, limité au chef de jugement l'ayant condamnée à verser une indemnité d'occupation à l'indivision à compter de la séparation effective et jusqu'au partage.
Au terme de ses écritures n°4 notifiées le 21 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, l'appelante demande à la cour de :
Vu les articles 815 et suivants du code civil,
Vu l'article 2224 du code civil,
Vu les articles 122 et 123 du code de procédure civile,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
Y faisant droit,
- infirmer le jugement rendu le 10 janvier 2022 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Villefranche sur Saône en ce qu'il a :
' dit qu'une indemnité d'occupation de la maison indivise sera due par Mme [H] à l'indivision depuis la date de séparation effective et jusqu'au partage, dont le montant devra être déterminé lors des opérations de partage,
Et statuant à nouveau, à titre principal :
- débouter M. [T] de sa demande au titre de l'indemnité d'occupation depuis la séparation effective et jusqu'au partage, faute de privation de jouissance du bien indivis,
A titre subsidiaire si la cour considérait qu'une indemnisation était due :
- dire que la demande de M. [T] au titre de l'indemnité d'occupation est prescrite au-delà de 5 ans précédant sa demande,
En tout état de cause :
- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes au titre de son appel incident,
- condamner M. [K] [T] aux entiers dépens de l'appel ainsi qu'à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 12 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, M. [K] [T] demande à la cour de :
Vu les articles 1359, 1364 et suivants du code de procédure civile,
Vu les articles 1111-1, 815-9 du code civil, 831 du code civil,
Vu l'article 444-32 du code de commerce,
- confirmer le jugement rendu le 10 janvier 2022 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Villefranche-sur-Saône en ce qu'il a :
' déclaré recevable l'assignation en partage judiciaire délivrée par [K] [T],
' ordonné les opérations de partage de l'indivision ayant existé entre [K] [T] et [O] [H],
' attribué de manière préférentielle à [O] [H] la maison indivise sise [Adresse 3], à [Localité 9] (69),
' dit qu'une indemnité d'occupation de la maison indivise sera due par [O] [H] à l'indivision depuis la date de séparation effective et jusqu'au partage,
' désigné pour procéder aux opérations de partage :
Maître [Z] [W], notaire associé, SCP Poignand-[W] [Adresse 4],
' désigné le juge aux affaires familiales de Villefranche-sur-Saône pour surveiller les opérations de partage,
Et, statuant à nouveau,
- juger que la valeur de la maison d'habitation sise [Adresse 3] est de 354 700 euros pour les besoins du partage,
- juger que la valeur du bien immobilier sera portée à l'actif du compte de l'indivision,
- juger que le crédit souscrit par madame au titre du crédit immobilier ne pourra pas être pris en
considération dans le partage de l'indivision,
- juger que Mme [H] est débitrice d'une somme de 177 350 euros au titre de l'actif de la maison,
En conséquence,
- condamner Mme [H] au paiement d'une somme 177 350 euros,
Concernant l'indemnité de remboursement anticipé,
- juger qu'il est titulaire d'une créance sur Mme [H] de 6 869 euros au titre de l'indemnité de remboursement anticipée qu'il a versée de 13 378 euros,
Concernant l'indemnité d'occupation,
A titre principal,
- juger que Mme [H] est débitrice d'une somme de 49 440 euros au titre de l'indemnité d'occupation du bien,
En conséquence,
- condamner Mme [H] au paiement d'une somme 49 440 euros,
A titre subsidiaire, si la cour retient la prescription des 4 échéances de septembre 2014 à janvier 2015,
- juger que Mme [H] est débitrice d'une somme de 47 520 euros au titre de l'indemnité d'occupation du bien,
En conséquence,
- condamner Mme [H] au paiement d'une somme 47 520 euros,
- condamner Mme [H] à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi en raison de la perte de chance de vendre le bien immobilier,
- juger que les frais liés à ce partage seront supportés par moitié entre lui et Mme [H],
- juger que les parties pourront se faire assister de toutes personnes de leur choix dans le cadre des opérations de partage,
- juger, conformément aux dispositions de l'article 1374 du code civil, qu'à défaut d'accord entre
les parties sur l'acte de partage dressé par le notaire désigné par le juge aux affaires familiales, que ces dernières seront re-convoquées devant lui aux fins qu'il statue sur les désaccords,
- débouter Mme [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner Mme [H] au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [H] en tous les dépens de l'instance qui seront employés en frais privilégiés de partage et en donner distraction au profit de Me Aymeric Curis, avocat sur son affirmation de droit.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 25 juillet 2023.
A l'audience du 7 septembre 2023, la cour a relevé que M. [T] ne conclut pas à l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit que la valeur de la maison indivise sera déterminée dans le cadre des opérations de partage et que la valeur de l'indemnité d'occupation sera déterminée lors des opérations de partage, ni en ce qu'il a rejeté sa demande subséquente de condamnation de Mme [H] au paiement d'une somme de 152 500 au titre de ses droits indivis.
Elle a soulevé d'office l'inexistence d'un appel incident en l'absence de demande d'infirmation du jugement et a demandé aux parties de présenter par note en délibéré leurs observations.
La cour a également soulevé d'office l'irrecevabilité de la demande de dommages-intérêts présentée par l'intimé dans ses dernières écritures, en application de l'article 910-4 du code de procédure civile, s'agissant d'une demande présentée pour la première fois dans les écritures du 12 juin 2023 et il a été demandé aux parties de présenter leurs observations par note en délibéré.
SUR CE
Sur l'étendue de la saisine de la cour
L'article 562 du code de procédure civile prévoit que l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
L'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que la cour n'est tenue de statuer que sur les demandes figurant dans le dispositif des conclusions des parties.
Ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'donner acte'.
Par l'effet dévolutif de l'appel la cour connaît des faits survenus au cours de l'instance d'appel, postérieurement à la décision déférée, et statue au vu de tous les éléments justifiés même s 'ils n'ont été portés à la connaissance de l'adversaire qu'au cours de l'instance d'appel.
Par note en délibéré du 12 septembre 2023, Mme [H] soutient qu'il est impossible pour la cour de se prononcer sur l'ensemble des demandes de M. [T], faute par ce dernier de solliciter l'infirmation du jugement entrepris.
Par message RPVA du 19 septembre 2023, M. [T] fait valoir qu'il ne peut y avoir de doute quant à la demande d'infirmation dès lors qu'il a demandé dans ses conclusions de «confirmer» une partie du jugement et de «juger à nouveau» pour le reste. Faisant référence à l'arrêt n° 21-21463 rendu le 13 avril 2023 par la Cour de cassation, M. [T] ajoute que cette dernière invite à statuer sur l'ensemble des prétentions contenues dans le dispositif, indépendamment de la formulation retenue et sans faire preuve d'un formalisme procédural susceptible de verser dans l'abus.
Il est néanmoins constant, depuis l'arrêt n°18-23.626 rendu le 17 septembre 2020 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qu'il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation, ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement.
Cette solution a été étendue à l'appel incident de l'intimé par un arrêt n°20-10.694 rendu le 1er juillet 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui énonce qu'en application des articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile, lorsque l'intimé forme un appel incident et ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, l'appel incident n'est pas valablement formé.
L'arrêt rendu le 13 avril 2023, évoqué par l'intimé, n'est pas de nature à remettre en cause cette solution.
Il convient dès lors de considérer que la cour n'est saisie d'aucun appel incident par M. [T] et qu'elle ne peut que confirmer les chefs de jugement qui ne font pas l'objet de l'appel principal.
L'objet de l'appel porte ainsi sur :
- l'indemnité d'occupation mise à la charge de Mme [H], indivisaire occupant privativement l'immeuble indivis,
- les créances entre indivisaires,
- la demande indemnitaire de M. [T] au titre de la perte de chance de vendre l'immeuble,
- les frais et les dépens.
Sur la demande d'indemnité d'occupation
Selon l'article 815-9 alinéa 3 du code civil, l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.
L'article 815-10 alinéa 3 du code civil prévoit qu'aucune recherche relative aux fruits et revenus ne sera recevable plus de cinq ans après la date à laquelle ils ont été perçus ou auraient pu l'être.
Le premier juge a retenu que, s'il ressortait des débats et des pièces produites que M. [T] n'avait pas d'impossibilité de droit d'user de la maison indivise, l'occupation du bien par Mme [H], après la séparation du couple, l'empêchait d'en user en fait, compte tenu des relations obérées des parties, et il en a déduit que Mme [H] est redevable d'une indemnité d'occupation depuis la séparation effective du couple et jusqu'au partage, à évaluer dans le cadre des opérations de partage.
Mme [H] sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit qu'elle était redevable d'une indemnité d'occupation depuis la date de séparation effective et jusqu'au partage.
Elle soutient que M. [T] n'a jamais été dans l'impossibilité de droit ou de fait de jouir du bien indivis et qu'il n'existe donc aucune privation de jouissance de nature à générer le versement d'une indemnité.
Elle expose ainsi que M. [T] est parti de son plein gré, après avoir organisé son départ de longue date puisqu'il a mené un projet d'achat d'un autre bien dès le mois de juillet 2012, la séparation étant intervenue le 28 août 2014.
Mme [H] indique en outre avoir maintenu un libre accès des lieux au profit de M. [T] : contrairement aux affirmations de ce dernier, elle n'a pas changé les serrures et ne vit pas avec un tiers, la maison étant au demeurant suffisamment grande pour permettre une jouissance partagée.
Elle signale également que les sommes réclamées par M. [T] ne sont basées sur aucune estimation de la valeur locative de l'immeuble.
Mme [H] prétend à titre subsidiaire que la demande de M. [T] est prescrite au-delà des cinq dernières années, celui-ci n'ayant saisi le juge aux affaires familiales que le 7 janvier 2020.
Pour sa part, M. [T] estime que Mme [H] occupe le bien privativement depuis 9 ans et qu'elle est en conséquence redevable d'une indemnité d'occupation d'un montant de 49 440 euros, ou à titre subsidiaire de 47 520 euros seulement, si la cour retient la prescription des échéances antérieures au 7 janvier 2015.
L'intimé soutient ne pas pouvoir jouir librement de l'immeuble du fait de la rupture. Il précise que Mme [H] était informée des difficultés rencontrées par le couple, qu'ils ne partaient plus en vacances ensemble et qu'elle avait déposé une main-courante à son encontre. Il expose que Mme [H] a rapidement changé les serrures sur la deuxième porte après son départ et qu'elle a reconnu être la seule occupante de la maison indivise dans sa déclaration à l'administration fiscale.
M. [T] fait état d'un courriel émis le 23 février 2016 par Mme [H], laquelle formule la demande suivante : «je te saurais gré de ne pas pénétrer au-delà du portail quand tu viens chercher les enfants».
Il estime que les témoignages versés aux débats par Mme sont mensongers.
C'est à juste titre que le premier juge a écarté une impossibilité de droit d'user de la maison indivise, avant de retenir que l'occupation du bien par Mme [H] après la séparation du couple l'empêchait de fait d'en jouir. Le fait que M. [T] ait la possibilité matérielle d'entrer dans les lieux, puisque le changement de serrures n'est pas démontré à l'exception d'un verrouillage automatique de la porte arrière du bien, est sans incidence sur cette impossibilité de fait qui résulte du seul constat de la rupture du couple et de l'occupation du bien par Mme [H], l'immeuble ne pouvant être concurremment occupé par les coindivisaires puisque l'appelante a demandé à M.[T] de ne pas pénétrer dans la propriété indivise lorsqu'il vient chercher ses enfants.
La prescription de cinq ans prévue à l'article 815-10 alinéa 3 du code civil s'applique à l'indemnité d'occupation mise à la charge de l'indivisaire qui jouit privativement d'un bien indivis.
Il convient ainsi de limiter l'indemnité d'occupation dont Mme [H] est redevable envers l'indivision aux cinq années précédant l'assignation du 7 janvier 2020.
Cette indemnité est due jusqu'à la date du partage, l'attribution préférentielle de l'immeuble n'étant effective qu'à cette date.
En l'absence d'avis de valeur produit par les parties sur la valeur locative de l'immeuble indivis, le montant de l'indemnité d'occupation due par Mme [H] sera déterminé par le notaire au cours des opérations de partage.
Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a dit que Mme [H] est redevable envers l'indivision d'une indemnité d'occupation dont le montant sera déterminé au cours des opérations de compte, liquidation et partage, et infirmé en ce qu'il a dit que l'indemnité est due à compter de la séparation effective des indivisaires.
Sur les créances entre indivisaires
Mme [H] fait valoir qu'elle détient une créance sur l'indivision de 116 303 euros au titre des travaux réalisés dans l'immeuble qu'elle a financés seule. Elle indique avoir communiqué à M. [T] et au notaire liquidateur l'intégralité des factures qu'elle a acquittées.
Il convient de relever que Mme [H] ne formule toutefois aucune demande à ce titre dans le dispositif de ses écritures.
M. [T] soutient que les prétendues dépenses effectuées par Mme [H] relèvent de l'entretien normal de la maison, les factures produites ne démontrant pas une amélioration de l'immeuble. Il indique au contraire que Mme [H] a laissé le bien se dégrader.
En l'absence de demande formée par Mme [H] et d'appel incident de l'intimé, la détermination des créances entre indivisaires ne peut qu'être réalisée devant le notaire liquidateur au cours des opérations de compte, liquidation et partage.
Il sera toutefois constaté l'existence d'un accord des parties sur la somme de 13 378 euros versée par M. [T] au titre d'un remboursement anticipé, génératrice d'une créance de 6 869 euros à son profit.
Sur la demande indemnitaire formée au titre de la perte de chance de vendre l'immeuble
M. [T] soutient que l'acharnement de Mme [H] à bloquer la licitation lui a occasionné une perte de chance de pouvoir vendre l'immeuble. Il expose ainsi avoir été contraint de payer tous les intérêts des crédits contractés et les assurances afférentes qui auraient pu être évités si l'appelante n'avait pas bloqué la vente.
Mme [H] excipe qu'il s'agit d'une demande nouvelle présentée pour la première fois dans les dernières écritures de l'appelant.
Au terme de sa note en délibéré du 12 septembre 2023, Mme [H] expose avoir conclu par erreur au débouté de cette demande, laquelle est irrecevable en application de l'article 910-4 du code de procédure civile pour ne pas avoir été formulée dès les premières conclusions de l'intimé.
Dans sa note en délibéré du 19 septembre 2023, M. [T] soutient pour sa part que la demande de dommages et intérêts a été formulée compte tenu de l'appel de Mme [H], appel à défaut duquel son préjudice aurait été moindre.
Il explique que c'est pour cette raison qu'une telle demande n'avait pas été formulée en première instance et considère qu'étant l'accessoire de l'action en liquidation actuellement pendante, elle est recevable.
L'article 910-4 du code de procédure civile prévoit que :
«À peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.»
L'examen des conclusions déposées par M. [T] révèle que sa demande visant à voir condamner Mme [H] à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi compte tenu de la perte de chance de vendre le bien immobilier, présentée dans ses conclusions du 12 juin 2023, ne figurait pas dans ses premières conclusions notifiées le 18 août 2022.
Compte tenu du principe de concentration des demandes énoncé par l'article 910-4 du code de procédure civile susvisé, le seul constat de l'absence de cette demande dans les premières conclusions de M. [T] conduit à la déclarer irrecevable.
Sur les frais et les dépens
Il convient de condamner Mme [H], qui succombe en son appel, aux dépens de l'instance, qui seront employés en frais privilégiés de partage et distraits au profit de Me Aymeric Curis pour ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [T].
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme en toutes ses dispositions soumises à la cour le jugement rendu le 10 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Villefranche sur Saône, sauf en ce qu'il a :
- dit que l'indemnité d'occupation dont est redevable Mme [H] à l'indivision est due depuis la date de séparation effective et jusqu'au partage,
Statuant à nouveau sur ce point,
Dit que Mme [H] est redevable envers l'indivision d'une indemnité d'occupation à compter du 7 janvier 2015 et jusqu'à la date du partage,
Y ajoutant,
Constate l'accord des parties sur la créance de 6 869 euros dont M. [T] est titulaire au titre d'un versement anticipé qu'il a réalisé,
Condamne Mme [H] aux dépens de l'instance, qui seront employés en frais privilégiés de partage et distraits au profit de Me Aymeric Curis conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Sophie DUMURGIER, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président