CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 16 juin 2015, n° 14/02590
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Altaven (SAS)
Défendeur :
Cegid (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hirigoyen
Conseillers :
Mme Hebert-Pageot, M. Boyer
Avocats :
Me Guerre, Me Soret, Me Liens, Me Fisselier, Me Chabert
En 2007, MM. X... et Ludvig ont créé la Sas Altaven, ayant pour objet l'édition de logiciels relatifs à la production et à l'optimisation des données fiscales des grandes entreprises, dans le but d'acquérir et de développer l'exploitation du logiciel Optim'is, activité précédemment exercée par Business Object.
Le 8 février 2008, un pacte d'associés a été signé entre les différents détenteurs du capital social d'Altaven :
- MM. X... et Ludvig, les fondateurs, détenant ensemble 30% du capital et étant respectivement
président et directeur général d'Altaven,
- Cegid, société spécialisée dans l'édition et la commercialisation de logiciels dans le domaine comptable et fiscal, au sein de laquelle M. Y... était précédemment directeur des ventes, pour 4,5% du capital,
- Select Innovation 5 et 6 et la Banque Postale Innovation 2 et 4, investisseurs, détenant le reste du capital social.
Le pacte prévoit la mise en place d'un comité de pilotage composé de représentants des associés, appelé notamment à se prononcer sur les décisions importantes et comporte un engagement des fondateurs de céder partie de leurs titres en cas de manquement au pacte.
Concomitamment à ce pacte, Altaven a conclu un contrat de distribution avec son associé Cegid, pour le développement du logiciel Optim'is, en lui concédant le droit de distribuer les licences afférentes à ce logiciel.
Invoquant l'insuffisance de résultats commerciaux, Altaven a résilié ce contrat de distribution le 29 novembre 2011.
Estimant que cette résiliation aurait dû faire l'objet d'un accord préalable du comité de pilotage, Cegid a revendiqué l'application de la sanction prévue au pacte en notifiant une option d'achat sur 25% des actions détenues par MM. X... et Ludvig au prix unitaire de 0,75 euros, correspondant à une décote de 25% sur la valeur nominale de 1 euro.
C'est dans ce contexte, s'inscrivant dans un contentieux plus large entre les parties, que Cegid a, le 29 août 2012, fait assigner MM. X... et Ludvig et Altaven devant le tribunal de commerce de Paris pour voir condamner les deux fondateurs à lui céder 25% des actions qu'ils détiennent sur Altaven.
Par jugement du 24 janvier 2014, le tribunal de commerce de Paris a rejeté la demande d'Altaven visant à voir écarter des débats la note en délibéré communiquée par Cegid, a constaté que MM. X... et Ludvig avaient commis une faute en ne soumettant pas la rupture du contrat de distribution au comité de pilotage, a condamné MM. X... et Ludvig à vendre 25% de leurs titres Altaven, soit 150.000 actions pour M. X... et 100.000 actions pour M. Y... au prix de 0,075 euros soit 11.250 euros revenant à
M. X... et 7.500 euros revenant à M. Y..., aux bénéficiaires de la promesse, qui seront déterminés comme suit, Altaven devant interroger dans le mois de la signification du jugement les investisseurs pour connaître leur intention d'exercer ou non leur droit d'option, ces derniers disposant d'un délai d'un mois pour répondre à Altaven qui devra ensuite faire la répartition des 25% d'actions en respectant les dispositions de l'article 18 du pacte d'associés, a dit qu'à défaut de respecter ces délais, il sera appliqué à Altaven au profit de Cegid une astreinte de 500 euros par jour de retard pendant 30 jours passé lequel délai il sera de nouveau fait droit, a condamné solidairement MM. X... et Ludvig à payer 5.000 euros à Cegid au titre des frais irrépétibles, a ordonné l'exécution provisoire, a débouté les parties de leurs plus amples demandes ou contraires et a condamné solidairement MM. X... et Ludvig aux entiers dépens.
MM. X... et Ludvig et la société Altaven ont relevé appel de cette décision selon déclaration du 5 février 2014 et demandent à la cour dans leurs écritures du 5 mai 2014 d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de dire que la résiliation unilatérale de la convention de distribution ne relève pas des décisions importantes au sens du pacte, que n'ayant pas à faire valider cette décision par le comité de pilotage, ils n'ont commis aucun manquement, de débouter en conséquence Cegid de toutes ses prétentions et de la condamner au paiement de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses écritures signifiées le 3 juillet 2014, Cegid entend voir constater que la résiliation du contrat de distribution était une décision importante exigeant l'approbation du comité de pilotage, que les fondateurs ont manqué à l'article 18.1 du pacte et sollicite en conséquence la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et la condamnation solidaire de MM. X... et Ludvig au paiement de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens.
SUR CE
- Sur la cession des titres
Selon l'article 19.2 du pacte d'associés, les décisions importantes doivent faire l'objet d'une approbation préalable du comité de pilotage.
Les conséquences d'un manquement à cette disposition sont prévues par l'article 18.1 du pacte intitulé 'Cession de titres par les fondateurs' aux termes duquel ' Si l'un des cas de figure mentionné ci-dessous (ci-après les Manquements) se réalise pendant un délai de quatre ans à compter de la signature des présentes, le fondateur concerné par le manquement s'engage irrévocablement à céder aux investisseurs et à l'actionnaire minoritaire qui en feraient la demande, des actions de la société dans les proportions ci-après', l'engagement de vendre portant sur un nombre dégressif d'actions, compris entre 90% et 25 % des titres détenus, jusqu'au 4ème anniversaire du pacte, la décision litigieuse étant intervenue moins de trois mois avant le quatrième anniversaire du pacte marquant la fin de l'engagement de cession. Cette disposition est suivie de l'énoncé des cas de manquement permettant l'exercice de la promesse de vente, Cegid se prévalant du cas de figure suivant: 'd) la prise et mise en oeuvre par le fondateur d'une décision importante sans avoir obtenu l'accord du comité de pilotage'.
Les parties sont contraires sur la nature de la décision de résiliation du contrat de distribution, dont il est constant qu'elle a été prise sans l'accord du comité de pilotage, Cegid considérant qu'elle constitue une décision importante au sens du pacte, ce que contestent les intimés, qui critiquent le jugement pour avoir dénaturé les termes clairs de la convention en retenant que la décision de rupture du contrat de distribution n'était pas exclue du champ d'application de la définition des décisions importantes, qu'elle devait obéir au même formalisme que la conclusion d'une telle convention et qu'elle constituait une décision importante mais également une convention avec un associé au sens de l'article 15 de la convention.
Cegid soutient que cette résiliation constitue une décision importante au sens de l'article 1er du pacte en ce qu'elle tend à modifier l'orientation de l'activité de la société
et en ce qu'elle concerne une convention avec un associé de la société, mais également au sens commun, le contrat de distribution étant par nature un partenariat essentiel pour le développement d'Altaven mis en avant auprès de la clientèle, que les fondateurs ne peuvent se prévaloir de l'exception figurant au paragraphe viii de l'article 1, la dérogation stipulée au profit de la convention passée avec Cegid résultant uniquement de ce que ce contrat devait être signé le même jour que l'accord global des parties. Elle ajoute qu'au travers de cette résiliation Altaven modifie son activité en présentant une offre totalement nouvelle, en éditant des logiciels de droit commun, notamment de télé-déclaration (liasses fiscales) correspondant à un produit distinct des logiciels d'intégration fiscale, offre qu'elle s'était pourtant interdite de développer dans le cadre du contrat de distribution, de sorte que la rupture de ce contrat constitue une décision stratégique transformant l'économie globale des relations entre les associés.
Tandis que MM. X... et Ludvig font valoir que l'importance de la décision ne doit être appréciée que par référence à la définition figurant au pacte, observant en tout état de cause que le chiffre d'affaires réalisé au titre de cette convention est insignifiant, que la conclusion et la résiliation d'une convention ne répondent pas aux mêmes critères, un contrôle plus approfondi lors de la conclusion
de certaines conventions se justifiant par l'existence de possibles conflits d'intérêts, qu'aucun parallélisme des formes ne s'impose et que la convention passée avec Cegid a été dispensée d'autorisation du comité de pilotage. Ils contestent également l'existence d'une modification de l'orientation de leur activité au travers de cette résiliation, les parties ayant toujours entendu définir l'activité d'Altaven de la manière la plus large possible, dans les statuts ainsi que dans le pacte, le fait de proposer une version enrichie du logiciel Optim'is s'inscrivant dans son activité d'éditeur de logiciel de production et de gestion de données fiscales.
L'article 1.1 définit les décisions importantes au sens du pacte par référence à une liste de 15 décisions introduites en ces termes,'les décisions suivantes au sein de la société et/ou d'une filiale' parmi lesquelles figurent la modification de l'orientation de l'activité (ii) , tout accord de partenariat avec une société industrielle du même secteur d'activité que celui de la société et/ou d'une filiale sortant du cours normal des affaires (viii) et la conclusion de toutes conventions avec un dirigeant ou un associé de la société, directement ou indirectement (xv).
Le fait que la convention de distribution, objet du litige, a été passée avec une des sociétés associées d'Altaven, entreprise exerçant également dans le même secteur d'activité, ne la fait pas relever pour autant de la catégorie des décisions soumises à approbation préalable du comité de pilotage. En effet, le paragraphe Viii visant au titre des décisions importantes tout accord de partenariat avec une entreprise du même secteur d'activité prend soin en son alinéa 2 d'exclure ce contrat dans les termes suivants : ' étant précisé en tant que de besoin que ne sont visés ici ni l'accord relatif à la cession de l'activité par la société Business Objects [...] ni l'accord relatif à la distribution par l'actionnaire minoritaire des logiciels édités par la société.'
A supposer, comme le soutient Cegid, que cette dérogation ne tienne qu'à la concordance de dates entre la signature du pacte d'actionnaires et du contrat de distribution, force est néanmoins de constater que la résiliation des conventions passées avec les associés et/ou les entreprises oeuvrant dans le même secteur d'activité ne figure pas dans la liste des décisions importantes, liste dont le caractère exhaustif est manifeste.
C'est à tort que les premiers juges ont cru pouvoir étendre à la résiliation de cette convention l'exigence d'une autorisation du comité de pilotage en se fondant sur le parallélisme des formes, alors que la conclusion d'un contrat avec un associé, un dirigeant ou une entreprise concurrente, génère un risque de conflit d'intérêt justifiant de prévoir un contrôle des représentants de l'ensemble des associés, une telle finalité ne se retrouvant pas lors de la résiliation d'un contrat de ce type et une résiliation unilatérale pouvant toujours être contestée, y compris en justice.
Il s'évince de ces éléments que la résiliation du contrat de distribution n'est pas comprise même implicitement dans la liste des 15 décisions importantes prévues par le pacte.
Les investisseurs FCPI Banque postale innovation 2 et 4 et Select Innovation 5 et 6, signataires du pacte d'actionnaires, ont d'ailleurs fait savoir à Cegid, le 2 avril 2012, que ni la résiliation du contrat de distribution, ni le développement de la gamme des produits ne constituaient selon eux un manquement au sens du pacte.
Est inopérant le moyen pris de ce que la résiliation constituerait au sens commun une décision importante pour la société, dès lors qu'en présence d'une définition contractuelles des décisions importantes, seule la convention des parties doit recevoir application.
Cegid soutient également que la résiliation du contrat de distribution participe d'une modification de l'orientation de l'activité.
Il sera tout d'abord relevé que l'effet premier de la résiliation du contrat est de mettre un terme à l'accord par lequel Altaven a concédé à Cegid le droit de distribuer des licences et de réaliser des prestations de service et de maintenance pour ces licences et ne signifie pas à elle seule une modification des activités de la société.
Il ressort des pièces au débat qu'Altaven entend enrichir son logiciel d'intégration fiscale Optim'is, d'un module de télé-déclaration fiscale (liasses fiscales) étant observé que Cegid édite de son côté un logiciel de télé-déclaration fiscale Edifa.
Si les fonctions d'intégration fiscale et de télé-déclaration correspondaient initialement à des logiciels spécifiques, la distinction entre ces produits ne suffit cependant pas à caractériser une réorientation de l'activité d'Altaven, dès lors que le développement d'un logiciel Optim'is enrichi de cette nouvelle fonctionnalité s'inscrit dans l'activité et dans le projet de développement de la société.
En effet, le développement de ces logiciels spécifiques destinés aux entreprises est en adéquation avec l'objet social d'Altaven énoncé dans les statuts et sur l'extrait K-bis de la société, qui est de réaliser et d'exploiter des logiciels destinés aux entreprises, aux SII-éditeurs et aux professionnels du chiffre, de fournir des prestations de services relatives au systéme d'information aux entreprises, de diffuser et de traiter des informations.
Il correspond également au projet d'Altaven figurant dans le préambule du pacte d'associés et dans le business plan annexé au pacte, selon lesquels la société a pour activité principale l'édition de logiciels relatifs à la production et à l'optimisation des données fiscales des grandes entreprises et les fondateurs pour projet de développer à partir du logiciel d'intégration fiscale Optim'is une nouvelle génération de produits et de modules fonctionnels et de créer la première plate-forme fiscale totalement intégrée et unifiée multi-impôts à partir de laquelle les clients pourront piloter la fiscalité de leurs groupes.
Le remaniement des logiciels, comme le déploiement de logiciels complémentaires dans un secteur d'activité où les produits deviennent obsolètes s'ils ne sont pas constamment enrichis pour s'adapter aux besoins du marché, s'inscrit bien dans la politique de développement de l'activité d'Altaven, de sorte que Cegid n'établit pas que la décision de résiliation entraîne une modification de l'orientation de l'activité de la société.
Le moyen pris de ce que la résiliation viserait en réalité à décharger la société de la clause de non-concurrence figurant au contrat de distribution est indifférent à la solution du présent litige, la cour saisie d'une demande de cession forcée des actions fondée sur l'absence de consultation du comité de pilotage, n'ayant à apprécier que la régularité de la procédure de résiliation.
Au vu de ces éléments Cegid n'établit pas que la résiliation du contrat de distribution s'analyse en une décision importante justifiant l'approbation préalable du comité de pilotage. En l'absence de manquement caractérisé à ce titre, Cegid ne peut se prévaloir de l'engagement de cession des actions figurant à l'article 18.1 du pacte.
Il s'ensuit que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions, sauf en celle ayant rejeté la demande d'Altaven visant à écarter des débats la note en délibéré de Cegid, qui n'est pas critiquée en appel et que Cegid sera déboutée de toutes ses demandes.
- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Partie perdante, Cegid sera en équité condamnée à payer à MM. X... et Ludvig pris ensemble une indemnité de 10.000 euros en application de l'article l'article 700 du code de procédure civile, la solution du litige commandant de la débouter de sa demande sur ce fondement et de mettre à sa charge les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en celle non critiquée ayant rejeté la demande d'Altaven visant à écarter des débats la note en délibéré de Cegid,
Statuant à nouveau,
Déboute Cegid de toutes ses demandes,
Condamne Cegid à payer à MM. Hodjaz et Ludvig ensemble 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Cegid aux entiers dépens et dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés directement par les avocats qui en ont fait la demande dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile.