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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 29 septembre 2009, n° 08/14331

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Compagnie de Finance pour l’Industrie (Sté)

Défendeur :

Institut de Développement Industriel de Midi Pyrénées (Sté), Tofinso Investissements (Sté), Société Générale Capital Développement (SAS), BNP Paribas Developpement (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Degrandi

Conseillers :

Mme Moracchini, Mme Vonfelt

Avoués :

SCP Grappotte-Benetreau-Jumel, SCP Hardouin

Avocats :

Me Glaser, Me Vincenti

T. com. Paris, 2e ch., du 17 juin 2008, …

17 juin 2008

Vu le jugement du 3 septembre 2007 par lequel le tribunal de commerce de Toulouse s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris pour connaître des demandes ;

Vu le jugement du 17 juin 2008 rendu par le tribunal de commerce de Paris qui a condamné la Compagnie de Finance pour l'Industrie- CFI - à payer à la SA Institut Régional de Développement Industriel de Midi Pyrénées - IRDI- : 490.318,50 €, à la SAS Tofinso Investissements: 151.527 €, à la SA BNP Paribas Développement : 106.259,50 €, à la SAS Société Générale Capital Développement : 294.000,50 €, les dites sommes assorties des intérêts légaux depuis le 21 avril 2005, capitalisés, ainsi que 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 16 juillet 2008 par la Compagnie de Finance pour l'Industrie - CFI ;

Vu les dernières conclusions au sens de l'article 954 du code de procédure civile déposées le 7 août 2009 par la CFI qui demande à la cour d'infirmer la décision entreprise, statuant à nouveau, de constater l'existence d'une révocation d'un commun accord tacite des parties au pacte d'actionnaires du 10 mai 2004 et en conséquence de débouter les intimées de leurs demandes ;

. subsidiairement, de :

- confirmer la décision déférée en ce qu'elle a considéré que le préjudice subi par celles-ci ne peut constituer qu'une perte de chance ;

- dire et juger que cette perte de chance tant de céder leurs titres à une valeur supérieure que de valoriser la minorité de blocage n'est pas sérieusement établie comme étant directement liée à la cession de ses titres ;

- dire en conséquence non fondées les intimées en leurs demandes et les en débouter ;

. plus subsidiairement, de dire et juger que le préjudice ne peut constituer qu'une perte de chance qui ne saurait être indemnisée au-delà du montant de l'avantage qu'elle a retiré, soit une somme maximale de 32.594,84 €, répartie entre les investisseurs financiers au prorata de leur participation dans le capital de la MAF ;

. très subsidiairement, de dire et juger que le préjudice ne saurait être indemnisé au-delà du montant de l'avantage que ceux-ci auraient pu retirer, soit 116.551,79 € au maximum;

. en tout état de cause, de condamner in solidum les intimées au paiement des intérêts légaux courus à compter du 7 novembre 2008 sur le montant des sommes correspondant au trop perçu qui leur aura été versé conformément à l'exécution provisoire ordonnée par le tribunal, outre 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions au sens de l'article 954 du code de procédure civile déposées le 3 juin 2009 par les intimées qui concluent à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de la CFI à leur verser 5.000 € supplémentaires en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ;

SUR CE, LA COUR

Considérant que la Société Montalbanaise de Construction Mécanique - SMCM - a fait appel en 1994 à des investisseurs financiers : l'Institut Régional de Développement Industriel de Midi Pyrénées - IRDI - , la SAS Tofinso Investissements, la Société Générale Capital Développement, BNP Paribas Développement, et la Compagnie de Finance pour l'Industrie - CFI - ; que suite à cette opération le capital social s'est trouvé réparti comme suit : IRDI 5.145 actions (14,41 %), Tofinso Investissements 1.590 actions (4,46 %), BNP Paribas Développement 1.115 actions (3,13 %), Société Générale Capital Développement 3.086 actions ( 8,652 %), CFI 2.330 actions (6,53 %), soit au total 13.265 actions représentant 37,18 % du capital social, l'actionnaire majoritaire étant M. Philippe Blanc; que par acte sous seing privé du 26 avril 1994 les investisseurs financiers ont organisé leurs relations avec la SMCM ; qu'aux termes de ce pacte la SMCM et M. Blanc se sont engagés à tout mettre en oeuvre pour permettre aux investisseurs de revendre ou d'introduire en bourse leur participation et ce, dans toute la mesure du possible aux environs de l'année 1998 ; que le 31 octobre 2002 la SMCM a été absorbée par sa filiale la société Matériel pour l'arboriculture fruitière dite MAF ; qu'à la même date un avenant au pacte précité a été conclu entre les mêmes actionnaires, l'ensemble des obligations de la SMCM étant reprises par la MAF ;

Considérant que dans un nouveau pacte conclu le 10 mai 2004, les investisseurs financiers sont convenus, dans la perspective de la cession commune de leurs participations respectives, de sortir simultanément du capital social et de confier dans cet objectif à la société ICSO Gestion, représentée par M. Sagon, la mission de négocier 'pour compte commun' cette sortie sur une base de 21 à 26 M€ ; que la CFI a cédé ses actions à M. Philippe Blanc le 6 avril 2005 au prix de 493,56 € ; que les autres investisseurs financiers ont cédé leurs actions le 5 juillet 2005 pour le prix de 476,50 € chacune ; que faisant valoir que CFI avait violé ledit pacte en négociant directement avec M. Blanc au-dessous du prix plancher, convenu leur faisant perdre au surplus la minorité blocage, ils ont assigné cette société devant le tribunal de commerce de Toulouse aux fins d'être indemnisés de leur préjudice, par acte du 2 juin 2006 ; que cette juridiction s'est déclarée incompétente au profit du tribunal de commerce de Paris qui a rendu la décision déférée ;

Considérant que la dernière clause du pacte du 10 mai 2004 stipule que la 'mission est confiée à ICSO Gestion pour une durée maximum de 1 an. Pendant cette période les Financiers s'interdisent de contacter directement Monsieur Blanc ou ses conseils et de négocier séparément la cession de leurs titres.' ;

Considérant que l'appelante soutient que les premiers juges ont méconnu les faits du litige et retenu à tort qu'il n'y avait pas eu révocation tacite du mandat donné à ICSO Gestion ; qu'elle expose que M. Blanc l'a contactée directement, circonstance qui ressort du courriel adressé le 24 novembre 2004 ; qu'elle affirme que le mandat a été modifié avec l'accord de l'ensemble des investisseurs financiers qui ont marqué leur consentement à une cession de leurs actions sur une valorisation ramenée à 20 millions d'euros ; qu'elle déclare avoir ignoré l'interdiction faite aux investisseurs de négocier directement, n'étant pas en possession d'un exemplaire signé par tous les intéressés de sorte qu'elle pensait avoir retrouvé sa liberté d'action ; qu'elle soutient également que les autres investisseurs financiers ont toujours su qu'elle avait été approchée directement par M. Blanc, M. Sagon ayant relayé cette information le 17 décembre 2004, et que la cession globale ayant été autorisée pour 20M€ par l'ensemble des investisseurs, comme le révèle le courriel adressé à M. Blanc par M. Sagon le 7 janvier 2005, le mandat n'avait plus d'objet depuis fin février 2005, date butoir fixée d'accord commun pour la cession des titres ; que le mandat de M. Sagon ayant pris fin de facto, elle a dans ces conditions cédé ses 2.230 actions à M. Blanc pour le prix de 1.150.000 €, correspondant à une valorsiation de la société de 17,6 millions d'euros ;

Mais considérant que le pacte du 10 mai 2004 détermine en termes clairs, dépourvus d'ambiguïté, la durée du mandat confié à M. Sagon ; que chacun des investisseurs financiers, dont la CFI partie audit pacte, s'est expressément engagé durant cette période à ne pas entreprendre de négociation directe avec M. Sagon ni procéder à une cession individuelle de ses titres ; que la CFI assure dès lors vainement avoir ignoré l'interdiction faite à chaque investisseur de recourir à des négociations directes en vue de la cession de ses actions au sein de la MAF ;

Considérant que du courriel du 24 novembre 2004 dont elle se prévaut au soutien de son argumentation, il ressort que la CFI, par l'intermédiaire d'un représentant du Crédit Industriel et Commercial, M. de la Vallée Poussin, a répondu favorablement à la proposition de M. Blanc de céder sa participation à ce dernier 'sur la base d'une valorisation de 20 M€ pour 100% du capital' à condition que l'opération ait lieu avant le 31 décembre 2004 ; que cette offre de M. Blanc a été répercutée par M. Sagon par courriel du 17 décembre 2004 à chaque investisseur, en ces termes '..êtes-vous prêt à vendre sur la base d'un prix de 20M€ (chiffre accepté par M. Blanc après discussion avec le CIC). Il s'engage à donner une réponse d'ici février sur sa capacité à financer. Il s'agit d'une ouverture mais à mon sens pas d'une promesse réelle de sa part. Il est clair que la sortie se fera en bloc (tous ceux qui veulent 20M€) ou ne se fera pas comme cela est prévu dans le mandat signé entre nous' ;

Considérant que par courriel du 7 janvier 2005 adressé à M. Blanc, M. Sagon lui déclare : 'je vous confirme après discussion avec les investisseurs financiers que nous serions prêts à envisager la cession de la totalité de nos actions sur la base d'un prix minimum de 20 millions d'euros pour 100 % des actions, soit un montant de cession de 7.436.163€. Il est toutefois indispensable qu'une telle opération, à un prix décevant pour nous, puisse se faire dans les plus brefs délais. Nous sommes naturellement prêts comme nous vous l'avions proposé, à contacter des banques susceptibles d'apporter une partie du financement.' ;

Considérant qu'il s'évince de ce document que M. Sagon, à cette date, était bien toujours chargé par les investisseurs financiers de négocier la vente de leurs actions, et qu'en aucun cas le pacte du 10 mai 2004 ne se trouvait résilié ni par suite le mandat commun ; que ces interrogations et observations du mandataire révèlent l'absence d'accord de tous les intéressés à la fois sur la cession envisagée et sur une révocation anticipée du mandat pour y parvenir ;

Considérant qu'en l'absence de révocation le pacte d'actionnaires devait être exécuté par l'ensemble des investisseurs financiers signataires de cet accord jusqu'au terme prévu, soit le 10 mai 2005 ; que force est de constater que rien dans le dossier ne corrobore les assertions de la CFI à M. Philippe Blanc, rapportées dans le pacte transactionnel du 7 juillet 2005 portant cession des actions des quatre autres actionnaires, selon lesquelles elle avait disposé du droit de céder librement ses titres pour l'acquisition par la SAS Philippe Blanc de ses 2.330 actions ;

Considérant que la vente de ses actions opérée par la CFI est ainsi intervenue en violation du pacte d'actionnaires ; qu'en méconnaissant ses engagements contractuels cette société a engagé sa responsabilité et doit réparation du préjudice causé à ses anciens associés ;

Considérant que les intimées sollicitent la confirmation de la décision de première instance en ce qu'elle a retenu que ledit préjudice s'analyse en une perte de chance de vendre leurs actions sur la base d'une valorisation plus importante que celle obtenue le 7 juillet 2005 ;

Considérant que seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ; que la réparation ne peut être que partielle ; qu'elle doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ;

Considérant qu'en acceptant de céder ses actions unilatéralement la CFI a fait perdre aux quatre investisseurs financiers la chance de pouvoir négocier par leur mandataire commun la vente en bloc de leurs actions, dans les conditions initialement envisagées dans le pacte du 10 mai 2004, c'est à dire sur la base minima d'une valorisation de la société de 21 millions d'euros, et de présenter en tout état de cause un front uni des actionnaires minoritaires bénéficiant d'une minorité de blocage ;

Considérant que compte tenu des éléments d'appréciation dont elle dispose la cour chiffre comme suit le préjudice respectivement subi par les investisseurs financiers: IRDI : 340.000 € ; société Tofinso Investissements : 105.000 € ; BNP Paribas Développement : 70.000 € ; Société Générale Capital Investissement 205.000€; que la société CFI sera condamnée à régler ces montants, assortis des intérêts légaux dans les conditions prévues par les premiers juges pour assurer la réparation intégrale dudit préjudice, la condamnation étant prononcée en deniers ou quittances compte tenu des sommes d'ores et déjà payées par l'appelante en exécution de la décision déférée ;

Considérant que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement; que les sommes devant être restituées porteront intérêts au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, dudit arrêt ; qu'il s'ensuit que la CFI sera déboutée de demande tendant à la condamnation des intimées à payer les intérêts légaux à compter du 7 novembre 2008 sur le montant des sommes correspondant au trop perçu en suite de l'exécution du jugement ;

Considérant que succombant la société appelante versera la somme de 3.000€ aux intimées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

Confirme le jugement déféré, sauf sur le montant des dommages-intérêts alloués,

Statuant quant à ce,

Condamne la Compagnie de Finance pour l'Industrie - CFI - à régler, en deniers ou quittances, les sommes de :

- 340.000 € à la SA Institut de Développement Industriel de Midi Pyrénées ;

- 105.000 € à la SAS Tofinso Investissements ;

- 205.000 € à la SAS Société Générale Capital Développement ;

- 70.000 € à la SA BNP Paribas Développement,

lesdites sommes assorties des intérêts légaux à compter du 21 avril 2005, lesquels seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1154 du code civil ;

Déboute la CFI de sa demande afférente aux intérêts légaux sur les sommes correspondant au trop perçu en suite de l'exécution du jugement ;

Condamne l'appelante à verser aux sociétés intimées la somme globale de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par les avoués de la cause dans les conditions de l'article 699 dudit code.