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Décisions

Cass. 3e civ., 17 décembre 2020, n° 19-23.520

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Rennes, du 5 sept. 2019

5 septembre 2019

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 5 septembre 2019), Mme R..., propriétaire d'un lot dans le lotissement [...], a assigné les consorts Q..., propriétaires d'un lot contigu, en démolition d'une extension construite en briques avec une toiture en zinc, en violation du cahier des charges du 18 avril 1931 qui n'autorisait que les constructions en moellons ou ciment armé avec toitures en ardoises.

 

2. Soutenant que Mme R... avait construit une extension de sa maison et un abri de jardin qui n'étaient pas conformes au cahier des charges, les consorts Q... en ont demandé reconventionnellement la démolition.

 

Examen des moyens

 

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, en ce qu'il est dirigé contre la condamnation de Mme R... à supprimer les ardoises de rive qui empiètent sur le fonds des consorts Q... et à réaliser une chevronnière conformément aux préconisations de l'expert

 

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

 

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, et le moyen unique du pourvoi incident éventuel, réunis

 

Enoncé du moyen

 

4. Mme R... et les consorts Q... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes respectives de démolition, alors :

 

« 1°/ que les colotis sont en droit de solliciter l'exécution en nature des obligations contractuelles contenues dans le cahier des charges ; qu'en jugeant, pour rejeter la demande de Mme R... tendant à voir démolir l'extension édifiée par les consorts Q... qui, ainsi qu'elle le relevait elle-même, contrevenait aux prescriptions de l'article 12 du cahier des charges du lotissement [...], que ceux-ci seraient « fondés à soutenir que la démolition de l'extension constituerait une sanction disproportionnée au regard de la gravité des non-conformités qui l'affectent », car celles-ci ne causeraient « aucun préjudice à l'intimée et, de plus, [seraient] largement pratiquées dans le lotissement où les toitures en matériaux autres que l'ardoise, notamment en zinc [seraient] majoritaires », quand Mme R... était en droit d'obtenir la démolition de ce qui avait été édifié en méconnaissance du cahier des charges, la cour d'appel, qui a ainsi porté atteinte à la substance d'obligations contractuelles librement souscrites, a violé les articles 1134 et 1143, dans leur version applicable à la cause, ensemble les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

 

2°/ que, pour rejeter la demande des consorts Q... tendant à voir démolir l'extension et l'abri de jardin de Mme R... édifiés en méconnaissance des stipulations de l'article 12 du cahier des charges du lotissement, la cour a renvoyé aux motifs qu'elle a retenus pour rejeter la demande de démolition de l'extension des consorts Q... formée par Mme R..., selon lesquels une telle démolition constituerait une sanction disproportionnée au regard de la gravité des non-conformités qui les affectent et de l'absence de préjudice en découlant ; qu'à supposer qu'une telle motivation soit censurée à l'occasion du pourvoi principal, la censure emporterait, par voie de conséquence, la cassation du chef de l'arrêt qui, pour des motifs identiques, a débouté les consorts Q... de leur demande de démolition de l'extension et de l'abri de jardin de Mme R..., en application des articles 1134 et 1143 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

 

Réponse de la Cour

 

Vu l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

 

5. Il résulte de ce texte que le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l'engagement soit détruit.

 

6. Pour rejeter les demandes, l'arrêt retient que, si l'extension des consorts Q... a été construite en briques recouvertes d'un bardage de bois et couverte par une toiture en zinc, alors que le cahier des charges du 18 avril 1931 prévoit, en son article 12, la construction des maçonneries en moellons ou ciment armé, à l'exception d'agglomérés, avec toiture en ardoises, les consorts Q... sont fondés à soutenir que sa démolition constituerait une sanction disproportionnée au regard de la gravité des non-conformités qui l'affectent, celles-ci ne causant aucun préjudice à Mme R... et, de plus, étant largement pratiquées dans le lotissement où les toitures en matériaux autres que l'ardoise, notamment en zinc, sont majoritaires.

 

7. Il ajoute que Mme R... ne peut sérieusement invoquer l'harmonie architecturale du lotissement ni en reporter la responsabilité sur les consorts Q... puisque le zinc est imposé par l'architecte des bâtiments de France aux constructions situées dans le périmètre d'un monument historique.

 

8. L'arrêt relève, en outre, que le maire a abrogé les articles 10 à 12 du cahier des charges par un arrêté du 30 mai 2016 et qu'il ne peut pas ne pas être tenu compte de l'abrogation des ces articles à la date à laquelle le juge statue, peu important qu'à l'époque de la construction de l'extension, ils aient été applicables.

 

9. L'arrêt retient, enfin, que, compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu d'ordonner la démolition de l'extension de la maison de Mme R... et de son abri de jardin, qui, construits en parpaings recouverts d'un enduit, ne sont pas non plus conformes au cahier des charges.

 

10. En statuant ainsi, alors que le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

 

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, en ce qu'il est dirigé contre le rejet de la demande de Mme R... tendant à voir condamner les consorts Q... à faire réaliser des travaux au niveau de la rive de toit de son appentis Enoncé du moyen

 

11. Mme R... fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement ayant rejeté sa demande tendant à faire réaliser par les consorts Q... des travaux au niveau de la rive de toit de son appentis, alors « que même en cas d'acquiescement, le juge doit se prononcer sur ce qui est demandé ou donner force exécutoire à l'accord des parties ; qu'en rejetant la demande de Mme R... tendant à voir condamner les époux Q... à exécuter les travaux de séparation des toitures, après avoir constaté un recouvrement desdites toitures et précisé que l'expert préconisait « l'exécution d'une chevronnière sur chacune des toitures permettant une séparation complète des deux bâtiments », motif pris de ce que « les consorts Q... [avaient]

déclaré accepter le principe de ces travaux », quand, même en cas d'acquiescement, il lui incombait de trancher le litige qui lui était soumis en condamnant les parties à réaliser les travaux préconisés par l'expert pour mettre fin à l'empiétement constaté ou de donner force exécutoire à l'accord des parties, la cour d'appel a violé les articles 4 et 384 du code de procédure civile. »

 

Réponse de la Cour

 

Vu l'article 408, alinéa 1er, du code de procédure civile :

 

12. Aux termes de ce texte, l'acquiescement à la demande emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action.

 

13. Pour rejeter la demande de Mme R..., l'arrêt retient que l'expert a préconisé l'exécution d'une chevronnière sur chacune des toitures permettant une séparation complète des deux bâtiments et que, les consorts Q... ayant déclaré accepter le principe de ces travaux, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande de condamnation sous astreinte à les exécuter.

 

14. En statuant ainsi, alors que les consorts Q... avaient manifesté leur volonté d'acquiescer à la demande de Mme R..., la cour d'appel a violé le texte susvisé.

 

Et sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche

 

Enoncé du moyen

 

15. Mme R... fait grief à l'arrêt de la condamner à payer aux consorts Q... la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors « qu'en toute hypothèse, une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières, constituer un abus de droit, lorsque sa légitimité a été reconnue par la juridiction du premier degré ; qu'en condamnant l'exposante à indemniser M. E... Q... du préjudice moral que lui avait causé la procédure qu'elle avait engagée, quand les premiers juges avaient reconnu la légitimité d'une partie des prétentions de Mme R..., la cour d'appel, qui n'a caractérisé aucune circonstance particulière, a méconnu l'article 1382 du code civil, devenu 1240 du code civil. »

 

Réponse de la Cour

 

Vu l'article 1240 du code civil :

 

16. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

 

17. Pour condamner Mme R... à des dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt retient que M. E... Q... est fondé à soutenir qu'au regard de son âge (89 ans) et du fait qu'il justifie avoir fait construire l'extension pour héberger dans de bonnes conditions son épouse atteinte de la maladie d'Alzheimer, la présente procédure, initiée après une expertise ayant démontré que la construction était conforme, une demande rejetée par le tribunal administratif et une procédure classée par le préfet dont M. Q... indique sans être démenti qu'elle faisait suite à une dénonciation de Mme R..., lui a causé des tracas et des soucis constitutifs d'un préjudice moral qui sera réparé par une indemnité de 5 000 euros.

 

18. En statuant ainsi, alors que Mme R... n'était pas l'appelante et qu'une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient au juge de spécifier, constituer un abus de droit lorsque sa légitimité a été reconnue par la juridiction du premier degré, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet en appel, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

 

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de Mme R... tendant à la démolition de l'extension des consorts Q..., condamne Mme R... à payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts et confirme le jugement en ce qu'il a, d'une part, rejeté la demande des consorts Q... tendant à la démolition de l'extension de la propriété de Mme R... et, d'autre part, rejeté la demande de Mme R... tendant à la condamnation des consorts Q... à faire réaliser des travaux au niveau de la rive de toit de son appentis, l'arrêt rendu le 5 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

 

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;

 

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

 

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept décembre deux mille vingt.