Cass. 3e civ., 13 mai 1998, n° 96-17.715
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauvois
Rapporteur :
Mme Stéphan
Avocat général :
M. Baechlin
Avocat :
Me Blondel
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu , selon l'arrêt attaqué ( Rennes, 27 septembre 1995, rectifié par arrêt du 1er septembre 1996), que Mme B... et M. Z... , en sa qualité de liquidateur judiciaire de M. B..., lui-même co-titulaire avec son épouse du bail portant sur des locaux à usage commercial appartenant à Mme A..., ont cédé le fonds de commerce exploité dans les lieux loués à la société Sweet N'Cie (société Sweet ) par acte du 23 juillet 1991 ;
que Mme A... a, par actes des 28 janvier et 8 février 1993 , assigné les époux B... et M. Z..., ès-qualités, ainsi que la société Sweet pour que soient prononcées la résiliation du bail, leur expulsion et leur condamnation à lui payer une indemnité d'occupation;
que M. Z... a assigné en intervention forcée la société Fiduciaire générale en tant que rédactrice de l'acte de cession ;
Attendu que M. Z... ès-qualités fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du bail conclu entre Mme A... et les époux B..., alors, selon le moyen, "1°) que dans ses conclusions régulières du 19 mai 1995, M. Z..., agissant ès-qualités, faisait valoir que Mme Veuve A... a notifié un commandement visant la clause résolutoire, relatif au défaut de paiement des loyers dus avant la cession et au changement prétendu d'activité, puis a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Lorient pour faire constater l'acquisition de la résolution;
qu'elle en a été déboutée par décision du 9 juin 1992 ;
qu'ayant interjeté appel de cette décision, elle s'en est désistée, de sorte qu'est intervenue une décision de radiation du 23 novembre 1993, rendant définitive la décision de première instance;
qu'entre temps, elle a saisi le tribunal d'instance de Lorient d'une action en résiliation judiciaire du bail ;
qu'il est évident qu'à l'occasion de cette procédure, elle ne peut pas invoquer le non-respect des commandements notifiés dans le cadre de la précédente procédure, ni même les faits régularisés;
que, de plus, M. Z... faisait valoir que l'extrait K Bis versé aux débats comportait une erreur et que l'activité de pâtisserie expressément visée par le bail n'était pas interdite, si bien que s'agissant des plats cuisinés à emporter, rien ne permet d'affirmer qu'il ne s'agissait pas de plats autorisés par l'activité du bail qui consistait en une restauration rapide;
qu'en ne répondant pas à ces conclusions pertinentes établissant à la fois que la bailleresse avait renoncé à invoquer l'existence d'une déspécialisation illicite et que celle-ci n'était pas établie au regard de l'activité réellement exercée, la cour d'appel ne satisfait pas aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;
2°) que, d'autre part, et en toute hypothèse, la cour d'appel ne pouvait affirmer, sans violer l'article 1134 du Code civil, que les parties à l'acte du 23 juillet 1991 ont clairement exclu le droit au bail de la cession du fonds puisque, d'une part, elles ont procédé à une énumération limitative des éléments du fonds englobés par la cession, le droit au bail n'en faisant pas partie, d'autre part, elles ont prévu que le bail commercial ferait l'objet d'un acte séparé, cependant que si l'article 2 du contrat énumérait certains éléments du fonds cédé, il précisait aussi " tel que ce fonds existe, s'étend, se poursuit, et comporte avec tous les droits y attachés sans aucune exception ni réserve";
d'où il résultait que l'énumération initiale n'était pas limitative et que, par ailleurs, l'article 6 du contrat prévoyait non la cession du bail tacitement reconduit mais la conclusion ultérieure d'un nouveau bail de neuf ans entre le bailleur et le cessionnaire" ;
Mais attendu qu'ayant, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que les termes ambigus de l'acte de cession du fonds de commerce rendaient nécessaire, retenu que les époux B... étaient restés locataires de Mme A... et que le non-paiement par eux des loyers à compter du 1er septembre 1991 constituait un manquement suffisamment grave aux obligations contractuelles pour justifier que soit prononcée la résiliation du bail, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a, par ces seuls motifs adoptés, légalement justifié sa décision de ce chef ;
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal :
Vu l'article 1184 du Code civil ;
Attendu que, pour condamner M. Z..., ès qualités, à payer à Mme A... une certaine somme à titre d'indemnité d'occupation, l'arrêt retient que le montant de cette indemnité d'occupation due depuis 1991 jusqu'au 1er décembre 1994 s'élève à la somme de 129 947,50 francs, ainsi que cela résulte d'un relevé de compte actualisé ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait confirmé le jugement du 23 juin 1994 qui prononçait la résiliation du bail et condamnait M. Z..., ès qualités, à payer une indemnité d'occupation à Mme A... à compter de sa date, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;
Et sur le premier moyen du pourvoi incident :
Vu l'article 1202 du Code civil ;
Attendu que, pour condamner la société Sweet N'Cie in solidum avec Mme B... et M. Z..., ès qualités, à payer certaines sommes à Mme A..., bailleresse, l'arrêt retient que les loyers ont été payés pour partie seulement par la société Sweet et que ce paiement partiel fonde la résiliation du bail ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que les époux B... étaient restés locataires, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une obligation in solidum à la charge de la société Sweet, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen du pourvoi principal et sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens du pourvoi incident :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné M. Z..., ès-qualités, à payer à Mme A... les sommes de 30 341 francs et de 129 947,50 francs et en ce qu'il a condamné la société Sweet N'Cie in solidum avec Mme B... et M. Z..., ès-qualités, à payer ces sommes, l'arrêt rendu le 27 septembre 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen.