Cass. com., 11 mars 2014, n° 13-11.777
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocats :
Me Le Prado, SCP Boré et Salve de Bruneton
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 29 novembre 2012), que la société Carrosserie Bertrand (la société Bertrand), qui a pour seul associé la société Expanciel, a donné mandat exclusif à la société MCG de négocier le montant de son droit au bail lors d'une opération de promotion immobilière portant sur les locaux dans lesquels elle exploitait son fonds de commerce ; qu'arguant de l'inexécution du mandat, la société Carrosserie Bertrand l'a résilié ; que se prévalant du caractère abusif de cette résiliation, la société MCG a assigné les sociétés Carrosserie Bertrand et Expanciel en réparation de son préjudice ; que la société Expanciel ayant été mise en liquidation judiciaire, M. Z..., nommé liquidateur, est intervenu volontairement à l'instance ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les sociétés Carrosserie Bertrand et Expanciel ainsi que M. Z..., ès qualités, font grief à l'arrêt de dire que la société Bertrand a révoqué abusivement le mandat et de condamner la société Expanciel à payer à la société MCG des dommages-intérêts en réparation de son préjudice, alors, selon le moyen :
1°/ que dans les contrats à durée indéterminée, la résiliation unilatérale est toujours possible, sauf abus ; qu'en l'espèce, la cour d'appel constatait que le mandat prévoyait le versement à la société MCG, négociateur exclusif concernant la valorisation des intérêts de la société Carrosserie Bertrand, d'un pourcentage sur l'indemnité d'éviction devant être versée à la société Carrosserie Bertrand par la société Sarimo ou tout autre opérateur immobilier ; qu'il est par ailleurs constant que pendant la durée du mandat, c'est-à-dire entre sa signature, le 1er mars 2004 et sa résiliation, le 11 janvier 2007, aucune convention n'a été signée avec quelque opérateur immobilier que ce soit, et aucune indemnité n'a été versée à la société Carrosserie Bertrand ; que dès lors en affirmant que la société Carrosserie Bertrand ne pouvait régulièrement unilatéralement résilier le contrat de mandat comme elle l'avait fait le 11 janvier 2007, la cour d'appel, qui n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales, a violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que dans les contrats à durée indéterminée, la résiliation unilatérale est toujours possible, sauf abus ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les relations entre la société Carrosserie Bertrand et la société MCG s'étaient poursuivies jusqu'au 26 octobre 2006, que la société Carrosserie Bertrand avait encore demandé conseil à la seconde le 13 décembre 2006, et que le dernier projet de protocole établi par l'intermédiaire de la société MCG datait du 4 mars 2005 ; qu'il en résultait qu'un mois s'était écoulé entre le tout dernier contact entre la société Carrosserie Bertrand et la société MCG, et la résiliation, laquelle était intervenue trois ans après la signature du mandat, étant rappelé que pendant cette période, aucune indemnité n'a été convenue ni versée à la société Carrosserie Bertrand, en l'état d'un dernier projet de protocole établi depuis le début du mois de mars 2005 et que ce n'est qu'après la résiliation que la société Carrosserie Bertrand a négocié et conclu le 23 mai 2008, directement avec la société Prestimm, promoteur immobilier, un protocole d'accord au terme duquel elle a perçu une indemnité d'éviction ; qu'il résulte de cet ensemble de circonstances, qui ne font pas apparaître qu'un protocole aurait été sur le point d'être conclu par l'intermédiaire de la société MCG au moment de la résiliation, que la rupture des relations est intervenue sans brusquerie ni brutalité, quelle qu'ait été la satisfaction exprimée par la société Carrosserie Bertrand à l'égard de la société MCG pendant la durée des relations contractuelles ; que dès lors en déclarant que la chronologie des relations entre la société Carrosserie Bertrand et la société MCG imprimaient à la rupture unilatérale un caractère « brutal » et abusif, la cour d'appel, qui n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales, et a derechef violé l'article 1134 du code civil ;
3°/ qu'en toute hypothèse, tout jugement devant être motivé à peine de nullité, les juges du fond ne peuvent statuer sans procéder à aucune analyse, même sommaire, des pièces qui leur sont soumises ; que dès lors en déclarant purement et simplement qu'« au vu des pièces versées au dossier », il convenait de verser à la société MCG la somme de 150 000 euros en réparation de son préjudice dû à la rupture, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que la société Carrosserie Bertrand, qui avait manifesté auparavant sa pleine satisfaction de l'action de la société MCG en augmentant sa rémunération et alors que celle-ci avait exécuté le mandat qui lui avait été confié par de multiples diligences jusqu'à ce que le projet de résiliation du bail qu'elle avait négocié avec efficacité soit susceptible d'être finalisé ce qui lui aurait permis d'obtenir sa rémunération, avait résilié brutalement le mandat, la cour d'appel en a exactement déduit que cette résiliation était abusive ;
Et attendu, en second lieu, que la cour d'appel a souverainement apprécié le montant du préjudice de la société MCG dont elle a justifié de l'existence par l'évaluation qu'elle en a faite ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen :
Attendu que les sociétés Bertrand et Expanciel ainsi que M. Z..., ès qualités, font encore grief à l'arrêt de condamner la société Expanciel à payer à la société MCG des dommages-intérêts pour procédure abusive alors, selon le moyen :
1°/ qu'il résulte des critiques développées dans le premier moyen de cassation que la société Carrosserie Bertrand n'a pas abusivement résilié le contrat de mandat conclu avec la société MCG, et qu'elle était donc fondée à s'opposer aux demandes de la société MCG ; que dès lors, si une cassation est prononcée du chef du premier moyen, la condamnation de la société Expanciel à payer à la société MCG la somme de 30 000 euros au titre de la résistance abusive de la société Carrosserie Bertrand aux demande de la société MCG, sera, en vertu de l'article 625 du code de procédure civile, annulée par voie de conséquence ;
2°/ qu'en toute hypothèse, une action ou une défense en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient aux juges du fond de justifier, constituer un abus de droit dès lors que sa légitimité a été reconnue, qui plus est entièrement, par la juridiction du premier degré ; qu'en l'espèce, les premiers juges ont débouté la société MCG de l'intégralité des demandes qu'elle formulait à l'encontre de la société Carrosserie Bertrand ; que dès lors en qualifiant d'abusive la résistance opposée à ces demandes par la société Carrosserie Bertrand, du fait que celle-ci avait mené un « véritable combat procédural démontrant une résistance importante des intimées » et aux motifs que la société Carrosserie Bertrand ou son conseil auraient affirmé de manière erronée que la résiliation amiable du bail n'était pas intervenue alors que le protocole du 23 mai 2008 était signé, que la dissolution de la société Carrosserie Bertrand résultait d'absence d'activité consécutive à l'expulsion de son local commercial, ou encore que l'opposition de la société MCG à la dissolution avait « bloqué les opérations liées à la dite transmission universelle de patrimoine », la cour d'appel n'a pas justifié de circonstances particulières de nature à caractériser la résistance abusive, et a statué par des motifs impropres à caractériser une faute dans l'exercice du droit de la société Carrosserie Bertrand de résister à une demande en justice, en violation de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, que le rejet du premier moyen rend la première branche sans portée ;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que la société Expanciel, qui avait prétendu qu'aucune résiliation amiable du bail n'était intervenue et nié sciemment la perception de l'indemnité d'éviction négociée et obtenue à son profit par la mandataire, et qui avait délibérément produit des documents comptables tronqués et incomplets afin de la dissimuler, en dépit de l'injonction délivrée sous astreinte par le magistrat chargé de la mise en état, avait, de manière dolosive, tenté de faire obstacle aux prétentions de la société MCG et de tromper la religion des juridictions successives, la cour d'appel a, ainsi, caractérisé sa résistance abusive ;
D'où il suit que le moyen qui ne peut être accueilli en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.