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Décisions

Cass. com., 15 mars 2017, n° 14-29.448

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Avocats :

Me Blondel, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Didier et Pinet, SCP Gatineau et Fattaccini

Rennes, du 10 mai 2011

10 mai 2011

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par l'association AGC Finistère que sur le pourvoi provoqué relevé par Mmes [A], [R], [Y] et [B] ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 21 octobre 2014), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 4 décembre 2012, pourvoi n° D 11-24.174), qu'une société de fait (la société), a existé entre Mmes [N], [A], [R], [Y], [B] et [F], exerçant toutes la profession d'infirmière ; que Mme [F], qui s'en est retirée en décembre 2005, a assigné Mmes [N], [A], [R], [Y] et [B] en paiement de différentes sommes au titre de la répartition des bénéfices afférents aux années 2002 à 2005 ; que Mmes [F], [A], [R], [Y] et [B] ont, par ailleurs, demandé la condamnation au paiement de différentes sommes de Mme [X], leur ancienne salariée, reconnue coupable de détournement de fonds à leur préjudice, ainsi que celle de Mme [N], bénéficiaire d'une partie des détournements ; qu'elles ont en outre formé diverses demandes à l'encontre de l'association Bretagne gestion, aux droits de laquelle se trouve l'association gestion comptabilité Finistère (l'association AGC Finistère), qui avait été chargée d'une mission de révision comptable et d'établissement des déclarations fiscales de revenus ;

Sur le moyen unique du pourvoi provoqué, qui est préalable :

Attendu que Mmes [A], [R], [Y], [N] et [B] font grief à l'arrêt de les condamner in solidum avec l'association AGC Finistère à payer une certaine somme à Mme [F] alors, selon le moyen :

1°/ que la société créée de fait, au contraire de la société en participation, implique l'absence de conscience des associés d'oeuvrer dans le cadre d'une société ; qu'en retenant en l'espèce la qualification de société créée de fait plutôt que celle de société en participation revendiquée par les parties tandis qu'elle constatait que les associées avaient acquis des droits sociaux, aux termes d'actes de cession auxquels elles participaient toutes et qui précisaient la répartition de ces droits, et avaient eu le souci d'établir des règlements intérieurs successifs les 8 juin 2000 et 19 décembre 2014, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales s'en évinçant et a violé les articles 1871 et suivants du code civil ;

2°/ que, dans une société dépourvue de personnalité morale, quelle que soit la répartition des droits d'associés, chaque associé apporteur doit exercer en permanence ses prérogatives en vue de la réalisation de l'objet social ; qu'il n'est dès lors appelé à participer à la répartition des bénéfices qu'à la condition de participer à l'activité de la société et dans la mesure de cette participation ; que ce principe est d'ordre public, de sorte qu'il ne peut y être dérogé ; qu'en retenant que Mme [F] avait droit de participer à la répartition des bénéfices y compris au titre des périodes au cours desquelles elle avait totalement ou partiellement suspendu son activité par cela seul qu'il avait été convenu que la répartition des résultats s'opérerait dans les mêmes proportions que les droits sociaux et que l'organisation adoptée le permettait, la cour d'appel a violé les articles 1131, 1134, 1184, 1832, 1844-1, 1871, 1872 et 1873 du code civil ;

3°/ que, dans une société dépourvue de personnalité morale, quelle que soit la répartition des droits d'associés, chaque associé apporteur doit exercer en permanence ses prérogatives en vue de la réalisation de l'objet social ; qu'il n'est dès lors, sauf règle contraire voulue par les associés, appelé à participer à la répartition des bénéfices qu'à la condition de participer à l'activité de la société et dans la mesure de cette participation ; qu'en l'espèce, pour assurer à Mme [F] une participation aux bénéfices y compris au titre des périodes au cours desquelles elle avait totalement ou partiellement suspendu son activité, la cour d'appel s'est bornée à se référer à la règle voulue par les associées en matière d'organisation du travail et, plus spécialement de remplacement, et prévoyant que « la rémunération du remplaçant est à la charge du cabinet pour un nombre égal de semaines entre associés » (article 5 dernier alinéa des règlements intérieurs des 8 juin 2000 et 9 décembre 2004) ; qu'en déduisant de cette seule règle, qui ne prétendait régir que la question de la rémunération du remplaçant durant les absences ponctuelles et les congés des associées, que celles-ci avaient eu la volonté de maintenir le droit de participer à la répartition des bénéfices y compris en cas de suspension durable et hors congés de l'activité, la cour a méconnu la loi des parties et violé les articles 1134 et 1871, 1872 et 1873 du code civil ;

4°/ que le juge doit respecter l'objet du litige tel que déterminé par les moyens et prétentions des parties ; que Mmes [A], [R], [V] épouse [Y] et [B] exposaient que, contrairement à ce qui était soutenu par Mme [F], la répartition ne se pratiquait pas « seulement » en fonction de la proportion des droits sociaux détenus, mais que la quote-part des bénéfices devait également correspondre à la rémunération de leur travail accompli dans la mesure où les associées concernées avaient apporté leur industrie ; qu'il n'était donc pas soutenu que la répartition en fonction de l'activité déployée devait nécessairement l'emporter sur celle en fonction de la détention des droits sociaux, mais qu'une fois considérée cette détention, il convenait également de tenir compte de l'absence éventuelle de telle ou telle associée ; qu'ainsi, de manière subsidiaire, au cas où serait retenue une répartition fondée sur les droits sociaux, Mmes [A], [R], [Y] et [B] demandaient à la cour de vérifier si les associés avaient effectué leur apport en industrie et, dans l'affirmative, procéder à une répartition en fonction des droits sociaux ; qu'en se bornant à apprécier si une règle de répartition différente de celle dépendant de la détention des droits sociaux avait été adoptée, la cour d'appel a ignoré l'objet du litige et a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

5°/ que Mmes [A], [R], [V] épouse [Y] et [B] faisaient valoir que l'article 5 dernier alinéa du règlement intérieur (du 8 juin 2000 et du 9 décembre 2004), relatif au remplacement, prévoyait que « la rémunération du remplaçant est à la charge du cabinet pour un nombre égal de semaines entre associés », ce dont il ressortait clairement que les associées étaient mises sur un pied d'égalité, chacune pouvant s'absenter pour un même nombre de jours ; qu'elles faisaient encore valoir que, disposant qu' « en cas d'absence pour maladie, dûment justifié par certificat médical, le cabinet prendra en charge le délai de carence de 15 jours à raison de deux fois par année civile et par associée », l'article 6 dernier alinéa du règlement intérieur du 8 juin 2000 signifiait, a contrario, qu'il était exclu que les associées assurent à l'associée absente une participation aux bénéfices ; qu'en retenant, pour dire que le droit de participer à la répartition des bénéfices n'était pas affecté par les absences des associées, entendues comme des suspensions pures et simples d'activité sur l'ensemble ou une partie majeure d'un exercice, et qu'ainsi il devait être fait échec à l'exception d'inexécution, que les associées avaient envisagé une mutualisation du salaire du remplaçant sans répondre à ces moyens déterminants, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ que la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en se référant d'une part clairement à l'article 5 du règlement intérieur (tant celui du 8 juin 2000 que celui du 9 décembre 2004) constitutif de « l'organisation adoptée », d'autre part qu'il n'existait aucun règlement intérieur signé par l'ensemble des associées qui aurait pu être retenu comme une délibération collective adoptée à l'unanimité et que seuls les actes de cession, qui ne stipulaient rien au sujet du remplacement de l'associé absent, pouvaient contenir une règle acceptée de toutes, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'article 1873 du code civil dispose que les dispositions relatives à la société en participation sont applicables aux sociétés créées de fait, de sorte que la qualification de société créée de fait retenue par la cour d'appel est sans incidence sur la solution du litige ;

Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt constate qu'à l'exception des actes de cession de droits sociaux qui, signés par l'ensemble des associées, prévoient tous une répartition des bénéfices au prorata de ceux-ci, aucune délibération ni aucun acte signé par toutes les associées n'institue une répartition différente ; que de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la répartition des bénéfices n'était pas subordonnée à la réalisation d'un apport en industrie, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les termes du litige et ne s'est pas contredite, a pu déduire que Mme [F] avait le droit de participer à la répartition des bénéfices, y compris au titre des périodes au cours desquelles elle avait suspendu son activité ;

Et attendu, enfin, que répondant aux conclusions prétendument délaissées, la cour d'appel a retenu que les associées de la société n'avaient adopté et signé chacune aucun règlement intérieur assimilable à une délibération collective adoptée à l'unanimité ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur les premier et second moyens du pourvoi principal, réunis :

Attendu que l'association AGC Finistère fait grief à l'arrêt de la condamner à paiement au profit de Mme [F], in solidum avec Mmes [A], [R], [Y], [N] et [B], ainsi qu'à garantir ces dernières, en rejetant sa demande de garantie par elles, alors, selon le moyen :

1°/ que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; qu'en condamnant l'Association AGC Finistère à payer à Mme [F] les bénéfices qu'elle aurait dû percevoir proportionnellement à ses droits sociaux et que les associés bénéficiaires de la répartition erronée avaient été condamnés à restituer, quand l'association pouvait seulement être condamnée à garantir Mme [F] du non-paiement de ces restitutions, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

2°/ qu'en condamnant l'association AGC Finistère à garantir intégralement les infirmières de leur dette de remboursement des bénéfices trop-perçus sans donner de motivation à sa décision, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; qu'en condamnant l'association AGC Finistère à garantir intégralement Mmes [A], [R], [V] épouse [Y] et [B] des condamnations prononcées à leur encontre au profit de Mme [F] au titre des répartitions des bénéfices, quand le remboursement des sommes indument perçues au titre des réparations ne constituait pas une préjudice indemnisable, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate que les cessions de droits sociaux stipulent que la répartition des résultats s'opérera dans les mêmes proportions que les droits sociaux de chacune des infirmières et qu'il n'existe aucun règlement intérieur signé par l'ensemble des associées pouvant être retenu comme une délibération collective adoptant à l'unanimité une répartition différente ; qu'il relève que les factures de l'association AGC Finistère témoignent de sa connaissance de la répartition des résultats ; qu'il retient qu'en l'absence de tout document concrétisant un accord unanime des associées s'écartant de la répartition proportionnelle aux droits sociaux et en appliquant une répartition différente sans s'être inquiétée d'obtenir une décision unanime en ce sens, ne serait-ce qu'en conseillant la tenue d'assemblées générales, l'association AGC Finistère, conseil juridique et comptable, a engagé sa responsabilité et doit répondre intégralement de la faute ainsi commise ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que l'association AGC Finistère devait être condamnée, in solidum avec Mmes [A], [R], [Y], [N] et [B], à indemniser la perte subie par Mme [F] du fait de la répartition erronée des résultats et qu'elle devait en outre garantir ces cinq infirmières des condamnations ainsi prononcées contre elles ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et provoqué.