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Décisions

Cass. 3e civ., 19 mars 2020, n° 18-26.567

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Rapporteur :

Mme Guillaudier

Avocats :

Me Laurent Goldman, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre

Aix-en-Provence, du 27 sept. 2018

27 septembre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 septembre 2018), le 7 janvier 2006, la société parisienne Européenne de gestion a consenti un bail commercial à la société Texto France.

2. Les 22 et 25 juillet 2014, la société Texto France a conclu avec la société 35 Avenue une promesse synallagmatique de cession du droit au bail sous diverses conditions suspensives, la réalisation de celles-ci devant intervenir au plus tard le 30 septembre 2014.

3. La société 35 Avenue ayant refusé de réitérer la cession du bail, la société Texto France l'a assignée en paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. La société 35 Avenue fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Texto France la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors :

« 1°/ que le juge doit préciser le fondement juridique de sa décision ; qu'en retenant tout à la fois, pour condamner la société 35 Avenue à payer une certaine somme à la société Texto France à raison de l'absence de réitération par la première d'un compromis de cession de droit au bail, que celle-ci avait engagé sa responsabilité et que, la vente étant parfaite, elle devait verser le prix convenu, la cour d'appel, qui a laissé incertain le fondement juridique de la condamnation qu'elle a prononcée, a violé l'article 12 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en tout état de cause, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, la société Texto France sollicitait la condamnation de la société 35 Avenue à lui verser la somme de 100 000 euros « au titre du prix de cession » ; qu'en lui accordant cependant cette somme « à titre de dommages-intérêts », la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que, plus subsidiairement, si une obligation est contractée sous la condition qu'un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'événement soit arrivé ; que la cour d'appel qui, après avoir constaté que le compromis était stipulé sous condition suspensive d'obtention de l'agrément du bailleur au plus tard le 30 septembre 2014 et que celui ci n'avait été donné que le 3 octobre, ce dont il résultait que, la condition ayant défailli, le compromis était caduc, s'est néanmoins fondée, pour constater la perfection de la vente, sur la brièveté de ce retard, a violé l'article 1176 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ que, dans ses conclusions d'appel, la société 35 Avenue faisait valoir que si elle avait finalement pris à bail le local litigieux en septembre 2015, un an après le terme du compromis signé en juillet 2014, c'était à raison de ce que les travaux pour remédier à la fissure se trouvant au-dessus du bandeau de l'enseigne avaient été réalisés ; qu'en retenant néanmoins, pour dire que la société 35 Avenue avait renoncé sans motif légitime au compromis, qu'elle avait conclu un bail sur le local litigieux, ce qui démontrait que la fissure ne constituait pas un obstacle effectif à la reprise des lieux, sans répondre aux
conclusions suivant lesquelles la fissure avait fait l'objet d'une reprise, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a constaté que, le 30 septembre 2014, la société 35 Avenue avait demandé à la société Texto France de lui adresser le projet d'acte de cession de droit au bail au motif que toutes les conditions suspensives étaient réalisées.

6. Elle a relevé que l'agrément de la société Européenne de gestion à la cession avait été donné le 3 octobre 2014, que ce très bref retard ne pouvait avoir de conséquences juridiques et que toutes les conditions suspensives étaient réalisées, ce qui rendait nécessaire la signature de la réitération au plus tard le 31 octobre 2014.

7. Elle a souverainement retenu que la fissure de l'immeuble existait au moment de la signature de la promesse de cession du droit au bail, qu'elle avait un caractère apparent et qu'elle n'affectait pas le local loué puisqu'elle se situait au-dessus de lui et que son caractère actif n'était pas démontré.

8. Elle a pu en déduire, sans modifier l'objet du litige ni violer l'article 12 du code de procédure civile et sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, que la société 35 Avenue avait engagé sa responsabilité en renonçant sans motif légitime à l'acquisition du droit au bail alors que cette cession était parfaite et qu'elle devait être condamnée à titre de dommages-intérêts au paiement du montant du prix de vente.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident

Enoncé du moyen

10. La société Texto France fait grief à l'arrêt de limiter à la somme de 100 000 euros les dommages-intérêts que la société 35 Avenue a été condamnée à lui payer, alors « que en cas de promesse synallagmatique de cession d'un droit au bail non réitérée par la faute du cessionnaire, le préjudice constitué par le paiement des loyers au bailleur par le cédant postérieurement à la date à laquelle l'acte devait être réitéré présente un lien de causalité direct avec l'absence de réitération de la promesse synallagmatique ; qu'en retenant au contraire que les loyers versés par la société Texto France au bailleur depuis la date prévue pour réitérer l'acte, soit le 31 octobre 2014, avaient un caractère indirect, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

11. Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

12. Pour rejeter la demande de la société Texto France en paiement des loyers versés à la société Européenne de gestion à compter de la date prévue pour la réitération de la cession du 31 octobre 2014 jusqu'au congé donné pour le 30 septembre 2015, l'arrêt retient que ce préjudice a un caractère indirect par rapport à la privation du prix de vente, ce qui exclut sa prise en compte.

13. En statuant ainsi, alors que le versement des loyers par la société Texto France constituait un préjudice ayant un lien de causalité direct avec le refus fautif de la société 35 Avenue de réitérer la cession du droit au bail, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la condamnation de la société 35 Avenue à la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 27 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.