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Décisions

Cass. 2e civ., 26 novembre 2020, n° 19-20.086

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Douai, du 26 oct. 2018

26 octobre 2018

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 26 octobre 2018), M. B..., ressortissant serbe, et Mme O..., ressortissante bosnienne, sont entrés irrégulièrement en France en septembre 2003 avec leurs trois enfants. À la suite de l'annulation par le tribunal administratif de Lille de deux arrêtés leur refusant la délivrance d'un titre de séjour, M. B... a obtenu, le 16 juillet 2014, une carte de séjour temporaire, mention « vie privée et familiale », et Mme O..., le 11 juin 2015, une carte de séjour temporaire.

 

2. Dès l'obtention de sa carte de séjour, M. B... a sollicité auprès de la caisse d'allocations familiales du Nord (la caisse) le bénéfice des prestations familiales pour ses huit enfants, à compter du 1er février 2013, date du dépôt de sa demande de titre de séjour auprès de la préfecture.

 

3. La caisse lui a accordé le bénéfice, à partir du 1er août 2014, des prestations familiales pour les cinq enfants nés en France, mais a refusé de lui accorder les prestations familiales pour les trois autres enfants nés hors du territoire national.

 

4. Les époux B... (les allocataires) ont saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

 

Examen du moyen

 

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

 

Enoncé du moyen

 

5. Les allocataires font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande d'attribution rétroactive, à compter du 1er février 2013, des prestations familiales, alors « que le bénéfice des allocations familiales est accordé aux personnes résidant de façon effective, permanente et régulière en France, ayant la charge effective d'un ou plusieurs enfants, les prestations étant dues à compter du premier jour du mois suivant celui au cours duquel les conditions d'ouverture du droit sont réunies ; que les époux B... dont il n'est pas contesté qu'ils ont la charge effective de leurs huit enfants, doivent être considérés comme résidant régulièrement en France depuis le 1er février 2013, date de leur demande de titre de séjour, en suite de l'annulation, par le juge administratif, des décisions du préfet du Nord du 24 janvier 2014 leur en refusant le bénéfice, et enjoignant en conséquence au préfet de leur délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » ; qu'en jugeant que les prestations familiales ne pouvaient leur être attribuées qu'à compter du premier jour du mois suivant celui de l'attribution effective du titre de séjour accordé par le jugement du 24 janvier 2014, la cour d'appel a violé les articles L. 512-1 et L. 552-1 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction applicable au litige. »

 

Réponse de la Cour

 

6. Selon l'article L. 552-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, les prestations familiales sont dues à compter du premier jour du mois suivant celui au cours duquel les conditions de leur bénéfice sont réunies.

 

7. Pour refuser l'attribution des prestations familiales à compter du 1er février 2013, l'arrêt retient que les allocataires font une lecture erronée du jugement du tribunal administratif du 12 juin 2014, qui ne contient aucune disposition en vue de l'obtention d'un droit au séjour rétroactif, et qu'ils ne prennent pas en compte le fait que la faculté d'octroyer les prestations familiales à compter d'une date antérieure à celle de la décision de la caisse suppose que les conditions d'octroi desdites prestations soient réunies, et notamment celle relative à une résidence régulière en France. Il en déduit qu'en se référant à la date de détention effective d'un titre de séjour, la caisse a fait une juste application des dispositions légales et réglementaires.

 

8. De ces constatations, faisant ressortir que les conditions du bénéfice des prestations familiales n'étaient réunies qu'au jour de l'obtention du titre de séjour, et non au jour du dépôt de la demande de titre, la cour d'appel a exactement déduit que les allocataires ne pouvaient prétendre aux prestations familiales qu'à compter du 1er août 2014.

 

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

 

Enoncé du moyen

 

9. Les allocataires font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande d'attribution des prestations familiales pour les trois enfants nés hors du territoire national, alors « qu'en application de l'article 1 § 2 de la convention générale de sécurité sociale signée entre la France et la Yougoslavie le 5 janvier 1950, publiée par le décret n° 51-457 du 19 avril 1951, rendue applicable dans les relations entre la France et la Serbie par l'accord entre le gouvernement de la République française et le conseil des ministres de Serbie et Monténégro relatif à la succession en matière de traités bilatéraux conclus entre la France et la République fédérative de Yougoslavie, signé le 26 mars 2003, publié par le décret n° 2003-457 du 16 mai 2003, et rendue applicable dans les relations entre la France et la Bosnie-Herzégovine par l'accord sous forme d'échange de lettres entre le gouvernement de la République française et le conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine relatif à la succession en matière de traités bilatéraux conclus entre la France et la République socialiste fédérative de Yougoslavie, signées à Paris et à Sarajevo les 3 et 4 décembre 2003, publié par le décret n°2004-96 du 26 janvier 2004, les ressortissants de ces Etats sont soumis respectivement aux législations concernant les prestations familiales énumérées à l'article 2 de la même convention, qui y sont applicables, et en bénéficient dans les mêmes conditions que les ressortissants de chacun de ces Etats, ce qui exclut que la législation de l'un des Etats contractants soumette l'octroi d'une prestation familiale à un ressortissant des autres Etats à des conditions supplémentaires ou plus rigoureuses par rapport à celles applicables à ses propres ressortissants ; qu'ayant constaté que M. B... était de nationalité serbe et Mme O... de nationalité bosniaque, la cour d'appel qui les a déboutés de leur demande tendant à l'attribution de prestations familiales pour leurs trois filles ainées, nées hors de France, faute de production d'une attestation de l'autorité préfectorale précisant que l'enfant est entré en France au plus tard en même temps que l'un de ses parents admis au séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, documents qui ne sont pas exigés des ressortissants français, a statué sur le fondement de textes instituant une discrimination directement fondée sur la nationalité, en violation des articles 1 § 2 et 2 de la convention générale du 5 janvier 1950 susvisée. »

 

Réponse de la Cour

 

Vu les articles 1, § 2, et 2 de la convention générale entre la France et la Yougoslavie sur la sécurité sociale signée le 5 janvier 1950, publiée par le décret n° 51-457 du 19 avril 1951, rendue applicable dans les relations entre la France et la Serbie par l'accord entre le gouvernement de la République française et le conseil des ministres de Serbie-et-Monténégro relatif à la succession en matière de traités bilatéraux conclus entre la France et la République fédérative de Yougoslavie, signé le 26 mars 2003, publié par le décret n° 2003-457 du 16 mai 2003, et rendue applicable dans les relations entre la France et la Bosnie-Herzégovine par l'accord sous forme d'échange de lettres entre le gouvernement de la République française et le conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine relatif à la succession en matière de traités bilatéraux conclus entre la France et la République socialiste fédérative de Yougoslavie, signées à Paris et à Sarajevo les 3 et 4 décembre 2003, publié par le décret n° 2004-96 du 26 janvier 2004 :

 

10. Selon le premier de ces textes, seul applicable au droit à prestations du chef de l'enfant qui réside également sur le territoire français, les ressortissants français, serbes, ou bosniens qui n'ont pas la qualité de travailleur salarié ou assimilé au sens des législations de sécurité sociale comprises dans le champ d'application de la Convention, sont soumis respectivement aux législations concernant les prestations familiales énumérées au second de ces textes, applicables en Serbie, en Bosnie et en France, et en bénéficient dans les mêmes conditions que les ressortissants de chacun de ces pays.

 

11. Pour débouter les allocataires de leur demande d'attribution des prestations familiales au bénéfice de leurs trois enfants nés hors du territoire national, l'arrêt retient que la convention de sécurité sociale conclue entre la France et la Yougoslavie, dont l'application a été maintenue pour les citoyens serbes et bosniens suivant deux accords de 2003, ne contient aucune disposition tendant à écarter de manière expresse la nécessité de fournir un document relatif à l'entrée des enfants sur le territoire français, et plus particulièrement l'attestation préfectorale visée par l'article D. 512-2, qui avec l'article L. 512-2 du code de la sécurité sociale, instituent certes une différence de traitement mais reposant sur une justification objective et raisonnable. Il en déduit que la question de l'entrée régulière des enfants demeure et doit être examinée au regard de la législation française.

 

12. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations, que les trois enfants résident en France avec leurs parents, titulaires d'un titre de séjour, ce dont il résulte que ces derniers peuvent prétendre au bénéfice des prestations familiales dans les mêmes conditions que les allocataires de nationalité française, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

 

Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche

 

Enoncé du moyen

 

13. Les allocataires font le même grief à l'arrêt, alors « que la cassation à intervenir sur les deuxième et troisième branches entraînera la cassation de l'arrêt en ce que la cour d'appel a débouté les exposants de leur demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du refus de la CAF du Nord de leur allouer les prestations auxquelles ils ont droit par application de l'article 624 du code de procédure civile. »

 

Réponse de la Cour

 

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

 

14. La cassation prononcée sur le moyen, pris en sa deuxième branche, entraîne la cassation, par voie de conséquence, de l'arrêt en ce qu'il rejette les demandes en indemnisation du préjudice subi.

 

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

 

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que ni M. B..., ni Mme O... n'ont le droit aux prestations familiales pour la période antérieure au 1er août 2014 et les déboute de leur demande en paiement des prestations familiales pour la période antérieure au 1eraoût 2014, l'arrêt rendu le 26 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

 

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

 

Condamne la caisse d'allocations familiales du Nord aux dépens ;

 

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la caisse d'allocations familiales du Nord et la condamne à payer à la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer la somme de 3 000 euros ;

 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, signé par M. Prétot, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille vingt.