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Décisions

Cass. com., 24 juin 2020, n° 19-12.261

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Le Bras

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Waquet, Farge et Hazan

Versailles, du 6 déc. 2018

6 décembre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 décembre 2018), rendu en matière de référé, la société Technicolor Delivery Technologies (la société Technicolor), en réponse à un appel d'offres de la société Groupe Canal+ (la société Canal+) lancé pour sélectionner le fournisseur de son futur décodeur ultra haute définition en deux versions, G9 pour le marché français, G9 light pour le marché polonais, a formulé une offre le 18 octobre 2016. Cette offre ayant été retenue, les deux sociétés ont signé une lettre d'intention le 20 décembre 2016. En 2017, plusieurs commandes de décodeurs G9 et G9 light ont été émises par la société Canal+ et par sa filiale, la société NC+, acceptées et livrées par la société Technicolor.

2. Soutenant être confrontée à une hausse significative du coût des puces mémoires nécessaires à la fabrication des décodeurs et se prévalant de difficultés de réalisation des commandes compte tenu du refus de la société Canal+ de renégocier le prix des décodeurs, la société Technicolor a notifié à cette dernière, le 19 octobre 2017, la résiliation de leur relation contractuelle.

3. Invoquant la nécessité de prévenir le dommage imminent qui proviendrait de la remise en cause par la société Technicolor de ses engagements à l'approche du lancement du décodeur, la société Canal+ a assigné cette dernière en référé afin que soit ordonnée la suspension des effets de la lettre de résiliation et qu'il lui soit fait injonction de livrer les commandes passées et à venir, sous astreinte, jusqu'au prononcé de la décision au fond.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches, et sur le troisième moyen, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société Technicolor fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par elle au titre des décodeurs destinés au marché polonais et de lui ordonner, à titre de mesure conservatoire, d'honorer les commandes à venir de la société Canal+ pour ces décodeurs, sous astreinte, alors « que seule a qualité pour agir devant le juge des référés pour prévenir un dommage imminent celui qui est susceptible de subir ce dommage ; que sauf à méconnaître la règle que nul ne plaide par procureur, une société mère ne peut se substituer à sa filiale pour demander une mesure conservatoire destinée à prévenir le dommage que pourrait subir sa filiale ; qu'en l'espèce, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que les décodeurs G9 light étaient destinés au seul marché polonais et qu'ils étaient commandés et payés par NC+, filiale polonaise de Canal Plus ; qu'en déclarant néanmoins recevable à agir en référé Canal Plus au motif inopérant que c'est elle qui avait signé la lettre d'intention, la cour d'appel a violé les articles 31 et 873 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt relève que seule la société Canal+ a conçu l'appel d'offres portant à la fois sur les décodeurs G9 et sur ceux destinés au marché polonais, qui a abouti à la lettre d'intention du 20 décembre 2016, laquelle n'est pas signée par la filiale polonaise de la société Canal+. Il constate que la société Canal+, seule, a négocié et conclu avec la société Technicolor les engagements dont elle entend obtenir le respect et qui s'imposent aux deux seules parties signataires. Il relève encore que la société Technicolor ne s'est adressée qu'à la société Canal+, et non à sa filiale polonaise, pour dénoncer leurs relations contractuelles. Il retient que la société Technicolor ne démontre pas que la société Canal+ ait stipulé au profit de sa filiale. Il retient en outre que la société Canal+ a contracté pour ses besoins propres et dans son seul intérêt.

7. En l'état de ces constatations et appréciations, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la société Canal+ avait intérêt à agir.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

9. La société Technicolor fait grief à l'arrêt de lui ordonner, à titre de mesure conservatoire, d'honorer des commandes à venir de la société Canal+ pour des volumes mensuels pouvant aller jusqu'à 25 000 décodeurs pour le G9 et 10 000 décodeurs pour le G9 light, chacun à un certain prix, correspondant aux prix 2018 et 2019 convenus dans la proposition commerciale du 18 octobre 2016 amendé le 28 novembre 2016 et pour le décodeur G9 light, annexée à la lettre d'intention du 20 décembre 2016 signée des parties, sous astreinte, et de dire que la mesure ordonnée emporte nécessairement, à titre conservatoire, la suspension des effets de la lettre de résiliation du 19 octobre 2016 alors :

« 1°/ que si l'existence d'une contestation sérieuse n'interdit pas au juge des référés de prendre les mesures prévues par l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile, le juge doit apprécier si le dommage imminent qu'il y a lieu de prévenir est ou non licite ; qu'en affirmant qu'il ne lui appartenait pas d'apprécier l'étendue exacte des obligations de TDT et de vérifier si elle était engagée par un contrat d'approvisionnement à l'égard de Canal Plus et en refusant de procéder à une appréciation du caractère illicite ou fautif du dommage imminent invoqué, la cour d'appel a violé l'article 873 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en se bornant à relever qu'il existait une "possible illicéité du comportement" de TDT résultant de la résiliation brutale et unilatérale de ses relations contractuelles, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé le caractère illicite du dommage imminent invoqué a encore violé l'article 873 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. Après avoir énoncé qu'il ne lui appartenait pas, statuant en référé, de déterminer l'étendue exacte des obligations de la société Technicolor et, partant, d'apprécier si le dommage imminent était illicite ou fautif, c'est à bon droit que la cour d'appel, relevant qu'il existait une possible illicéité du comportement de la société Technicolor, à l'origine du dommage invoqué, pour avoir résilié, unilatéralement et brutalement, sa relation contractuelle avec la société Canal+, a ordonné, à titre de mesure conservatoire et dans les conditions qu'elle a définies, le maintien de cette relation.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.