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Décisions

Cass. com., 8 juin 1993, n° 91-18.904

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Orléans, du 4 juin 1991

4 juin 1991

Attendu que, selon l'arrêt attaqué, la Société d'économie mixte immobilière de la ville de Tours (la Semivit) a fait édifier de 1968 à 1973 un ensemble de logements destinés à la location, le lot chauffage-plomberie étant confié à la société Chapuzet, qui a été mise, le 7 janvier 1975, en règlement judiciaire, ultérieurement converti en liquidation des biens par le tribunal de commerce ; que des désordres étant apparus dans les installations de chauffage et le système de distribution d'eau chaude, la Semivit a assigné au fond, en 1978 devant le tribunal de grande instance, les architectes et la société Chapuzet, assistée du syndic de son règlement judiciaire, en réparation de ses préjudices ; qu'en cours d'instance, elle a fait effectuer les travaux de réparation préconisés par les experts judiciaires à ses frais, à l'aide de ses fonds propres et au moyen de deux emprunts contractés l'un directement par elle, l'autre, de nature obligataire, par la ville de Tours ; que par un jugement du 18 mars 1982, devenu irrévocable, le tribunal de grande instance a retenu la responsabilité décennale in solidum des architectes et de la société Chapuzet dans la survenance des désordres, a condamné les architectes à rembourser à la Semivit une somme de 7 071 908,00 francs, montant des factures acquittées par elle pour réparer son dommage et a renvoyé la Semivit à produire entre les mains du syndic de la liquidation des biens de la société Chapuzet ; que ce jugement a aussi déclaré que la Semivit avait " droit au remboursement des intérêts des sommes empruntées qu'elle a consacrées à l'exécution des travaux réparatifs et aux intérêts de droit des sommes propres qu'elle a employées aux mêmes fins, à compter de leur emploi " puis a sursis à statuer sur ces différents chefs de préjudice dans l'attente des résultats d'une expertise complémentaire ; qu'après exécution de cette mesure d'instruction, la Semivit a demandé au tribunal de grande instance de fixer sa créance supplémentaire aux sommes de 1 136 955,38 francs représentant le montant des réductions de charges locatives qu'elle avait dû consentir, de 5 683 431,38 francs représentant les intérêts, arrêtés au 31 décembre 1986, des deux emprunts destinés à faire face à l'avance du coût des travaux de réfection, de 2 532 987,38 francs, représentant les intérêts au taux légal sur ses fonds propres employés à la réparation, arrêtés à la même date, ainsi qu'au montant des intérêts de l'emprunt obligataire du 1er janvier 1987 au 9 octobre 1993 ; que le tribunal de grande instance a accueilli ces demandes en limitant seulement la charge des intérêts de l'emprunt obligataire jusqu'au jour du paiement effectif intégral des condamnations ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 39, alinéa 1er, de la loi du 13 juillet 1967 ;

Attendu que le cours des intérêts de toute créance non garantie par un privilège spécial, par un nantissement ou par une hypothèque est arrêté à l'égard de la masse par le jugement d'ouverture du règlement judiciaire ou de la liquidation des biens du débiteur ;

Attendu que pour confirmer le jugement et fixer aux sommes retenues par lui le montant de la créance de la Semivit à l'égard de la société Chapuzet à produire au passif de celle-ci, la cour d'appel a énoncé que le maître de l'ouvrage ne poursuivait pas le paiement des intérêts de sa créance dans la masse, mais la réparation des préjudices subis par lui du fait des désordres imputables à la société Chapuzet, c'est-à-dire partie de sa créance, de sorte que les dispositions du texte susvisé étaient inapplicables ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la Semivit, dont la créance de réparation prenait sa source dans le contrat d'entreprise conclu et exécuté avant la mise en règlement judiciaire de la société Chapuzet, ne pouvait prétendre, à l'égard de la masse, être admise au passif que pour le coût de réparation des désordres, c'est-à-dire pour le montant des factures réglées par elle aux entreprises chargées des réfections, mais non pour les intérêts des sommes empruntées ou exposées sur ses fonds propres pour faire face à cette dépense qui, bien que formant un chef distinct de son préjudice, constituaient aussi les intérêts de sa créance d'indemnité dont le cours était arrêté par l'ouverture de la procédure collective, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Sur la recevabilité de la deuxième branche du moyen unique, contestée par la défense :

Attendu que la Semivit soutient que l'argumentation contenue dans la deuxième branche du moyen est irrecevable pour n'avoir pas été invoquée devant les juges du fond ;

Mais attendu que le moyen tiré de la violation de la règle selon laquelle les créanciers d'un débiteur en règlement judiciaire ou en liquidation des biens pour une cause antérieure à l'ouverture de ces procédures doivent se soumettre à la procédure de vérification des créances, est de pur droit, le syndic de la société Chapuzet ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond ; que la fin de non-recevoir doit être rejetée ;

Et sur cette branche :

Vu l'article 1351 du Code civil ensemble les articles 35 et 40 de la loi du 13 juillet 1967 et 55 du décret du 22 décembre 1967 ;

Attendu que pour confirmer le jugement et renvoyer la Semivit à produire pour le montant fixé au titre des intérêts, la cour d'appel a encore retenu que le Tribunal avait, le 18 mars 1982, définitivement jugé que la Semivit avait droit au remboursement des intérêts litigieux et que la société Chapuzet, assistée puis représentée par le syndic, étant partie à cette instance, ne pouvait contester cette disposition bénéficiant de l'autorité de chose jugée ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que même assorti de l'autorité de la chose jugée, comme ayant tranché une partie du principal au sens de l'article 480 du nouveau Code de procédure civile, le chef précité du dispositif du jugement mixte du 18 mars 1982, qui se bornait au surplus à reconnaître à la Semivit le droit aux intérêts litigieux, sans préciser si ce droit existait à l'égard de la masse ou seulement du débiteur lui-même, ce que l'article 39 de la loi du 13 juillet 1967 permettait, ne pouvait avoir la portée retenue par l'arrêt, dès lors qu'il ne dispensait pas la Semivit de se soumettre, aussi bien pour les intérêts litigieux que pour les réductions de charges locatives, à la procédure de vérification des créances que les juges du fond doivent faire respecter d'office, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi ;

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 juin 1991, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges.