Cass. soc., 23 mars 2017, n° 15-24.005
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en- Provence , 19 juin 2015), que des sociétés exploitant en location-gérance des restaurants à l'enseigne Mc Donald's à Marseille, forment une unité économique et sociale (UES) créée par accord du 27 octobre 1999 et dirigée par une société holding, la société B... F... ;
qu'un avenant à cet accord en date du 8 mars 2002 prévoit qu'en cas de cession d'une société ou cessation d'activité d'un établissement faisant partie de l'UES, les mandats en cours se poursuivront et qu'une proposition de transfert sera faite aux salariés titulaires des mandats désignés, dans l'une des sociétés continuant à appartenir à l'UES ;
que M. Y... a été engagé en 1997 par la société Sodecan qui exploite un restaurant, [...] en qualité d'équipier polyvalent ;
que son contrat de travail a fait l'objet de transferts successifs entre les sociétés composant l'UES, et notamment le 21 novembre 2003 à la société Sodero exploitant un restaurant rue de Rome ;
que depuis le 4 novembre 1998, il est délégué syndical au sein de l'UES et a été élu en mars 2009 membre du comité d'entreprise de l'UES ;
qu'il est en outre conseiller prud'homme ;
qu'en 2009, un sinistre ayant affecté l'i
mmeuble mitoyen du restaurant exploité par la société Sodero, interdisant temporairement son exploitation, les salariés, dont M. Y..., ont été détachés au sein de l'EURL Sodefe qui exploite le restaurant Mc Donald's , [...]
dans la même ville ;
qu'à compter de juin 2010, ces salariés ont réintégré le restaurant de la rue de Rome dorénavant exploité par la société Mc Donald's I... restaurant MPR, filiale de Mc Donald's France ;
que par lettre du 9 septembre 2010, M. Y... a pris acte de la rupture de son contrat de travail, reprochant à la société Sodefe de ne lui fournir ni travail ni salaire depuis juin 2010 ; que le 21 septembre 2010, il a attrait les sociétés Sodefe et B... F... devant la juridiction prud'homale pour obtenir la requalification de la prise d'acte en licenciement nul et différentes indemnités au titre de la rupture et de la violation du statut protecteur ; que le syndicat CFDT commerce et services des Bouches du Rhône est intervenu à l'instance ; que par acte du 22 juin 2011, l'EURL Sodefe et la société B... F... ont appelé en garantie la société Sodero puis se sont désistés de leur action à son encontre ; que M. Y... a formé diverses demandes à l'encontre de la société Sodero avant ce désistement ;
Sur le premier moyen du pourvoi de la société Sodero :
Attendu que la société Sodero fait grief à l'arrêt de dire recevables les demandes formées par M. Y... à son encontre et de la condamner au paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour rupture illicite du contrat de travail, d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité de préavis, de dommages-intérêts pour non respect de l'accord d'entreprise du 27 octobre 1999 et de son avenant, et au syndicat une somme à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en matière prud'homale la phase de conciliation est un préalable obligatoire dont l'omission constitue une nullité d'ordre public qui peut être toutefois couverte dès lors que la cour d'appel procède elle-même à une tentative de conciliation ; que l'appel en garantie ne crée pas de lien juridique entre le demandeur à l'action principale et le garant ; qu'il en résulte que la phase de conciliation tenue entre un salarié demandeur et son employeur défendeur principal en présence d'une société appelée en garantie par l'employeur ne se substitue pas à celle qui doit se tenir
entre un salarié et la partie initialement simple garant devenue en cours de procédure personnellement obligée à l'égard du salarié ;
que la cour d'appel a relevé que le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de demandes dirigées à l'encontre des sociétés Sodefe et B... F... qui ont appelé en garantie la société Sodero ; que la cour d'appel a également constaté qu'après l'échec de la tentative de conciliation intervenue entre les sociétés Sodefe et B... F... et le salarié en présence de la société Sodero appelée en garantie, le salarié avait élargi ses demandes à la société Sodero devenue défendeur principal ; que la cour d'appel aurait dû déduire de ses propres énonciations qu'il lui appartenait de procéder elle-même à une tentative de conciliation entre le salarié et son nouvel adversaire, la société Sodero, afin de couvrir l'irrégularité de fond affectant la saisine des premiers juges ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 1411-1 du code du travail et les articles 334 et 335 du code de procédure civile ;
2°/ que si la règle de l'unicité de l'instance permet la formulation de demandes nouvelles y compris en appel sans que l'absencede conciliation puisse être opposée, c'est à la condition que les demandes dérivent du même contrat de travail et qu'elles opposent les mêmes parties ; que la cour d'appel a déclaré recevables les demandes formulées à l'encontre de la société Sodero par le salarié sans phase préalable de conciliation entre ces parties ; qu'en statuant ainsi, bien que le litige n'opposait pas les mêmes parties, la société Sodero ayant été successivement appelée dans la cause comme simple garant de l'employeur sans lien juridique avec le salarié et étant devenue en cours de procédure personnellement obligée à l'égard de ce dernier, la cour d'appel a violé les articles R. 1452-7, R. 1452-6 et L. 1411-1 du code du travail et les articles 334 et 335 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni des énonciations de l'arrêt ni des écritures des parties, que la société Sodero s'est prévalue devant les juges du fond de l'omission du préalable de conciliation avant de défendre au fond
sur les demandes dirigées contre elle par le salarié à la suite de son intervention forcée à l'instance ; qu'elle est irrecevable à le faire pour la première fois devant la Cour de cassation ; Sur le deuxième moyen du pourvoi de la société Sodero :
Attendu que la société Sodero fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de sommes au titre de la rupture abusive du contrat de travail, alors, selon le moyen, que la cession d'une entité économique autonome conservant son identité emporte de plein droit transfert des contrats de travail au cessionnaire ;
aux termes de l'article L. 2414-1 du code du travail, ce n'est qu'en cas de transfert partiel d'entreprise ou d'établissement qu'une autorisation administrative, est requise pour le transfert du contrat de travail d'un salarié protégé, ce qui rend, à défaut d'une telle autorisation, la rupture du contrat de travail imputable au cédant ;
la cour d'appel a relevé que par acte de cession du 12 juillet 2007 à effet au 31 décembre 2009, la société Sodero avait été cédée dans sa totalité à la société MPR ;
que la cour d'appel a cependant considéré que le transfert du contrat de travail de M. Y..., salarié protégé de la société Sodero à la société MPR était nul en l'absence d'autorisation administrative préalablement sollicitée par la société cédante ;
en statuant ainsi, bien qu'en présence d'un transfert total d'entreprise, aucune autorisation administrative n'était requise pour le transfert du contrat de travail qui s'effectuait de plein droit, la cour d'appel a violé les articles L. 1224-1
et L. 2414-1 du code du travail ;
Mais attendu que le transfert de la totalité des salariés employés dans une entité économique doit être regardée comme un transfert partiel au sens de l'article L. 2414-1 du code du travail imposant l'autorisation préalable de l'inspecteur du travail pour le transfert d'un salarié titulaire d'un mandat représentatif dès lors que l'entité transférée ne constitue pas un établissement au sein duquel a été mis en place un comité d'établissement ; Et attendu qu'ayant constaté qu'un comité d'entreprise avait été mis en place au niveau de l'UES, la cour d'appel en a exactement déduit que la cession de la société Sodero, faisant partie de cette UES, constituait un transfert partiel d'activité, de sorte que le transfert du contrat de travail de M. Y..., salarié de cette société, titulaire d'un mandat de délégué syndical et membre du comité d'entreprise, était soumis à l'autorisation préalable de l'inspecteur du travail ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Sur le troisième moyen du pourvoi de la société Sodero et la première branche du moyen unique du pourvoi de la société B... F... réunis :
Attendu que les sociétés font grief à l'arrêt de les condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour non respect de l'accord d'entreprise du 27 octobre 1999 et de son avenant du 8 mars 2002 alors, selon le moyen, qu'un accord collectif ne peut déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d'ordre public absolu même dans un sens plus favorable au salarié ; que les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail qui prévoient le transfert automatique des contrats de travail des salariés du cédant au cessionnaire en cas de transfert d'une entité économique autonome conservant son identité dont l'activité est poursuivie ou reprise sont des dispositions d'ordre public absolu auxquelles les parties ne peuvent déroger ; que la cour d'appel a relevé que l'accord d'entreprise du 27 octobre 1999 et son avenant du 8 mars 2002 signés entre la société B... F... et les sociétés exploitant des restaurants sous l'enseigne Mc Donald's regroupées au sein d'une UES prévoyaient l'obligation pour l'employeur cédant de proposer aux salariésprotégés concernés par le transfert la poursuite de leur contrat de travail dans une société de l'UES autre que le cessionnaire ; que la cour d'appel a estimé que la violation de ces dispositions conventionnelles par l'employeur avait causé un préjudice au salarié et au syndicat CFDT qu'il convenait de réparer ; qu'en statuant ainsi, bien que ces dispositions conventionnelles ne pouvaient recevoir application, la cour d'appel a violé les articles L. 2251-1 et L. 1224-1 du code du travail ;
Mais
attendu qu'ayant relevé qu'en cas de cession d'une des sociétés composant l'UES, la proposition de transfert dans une autre entité de l'UES pour permettre la poursuite du contrat de travail des salariés protégés au sein de cette UES, devait intervenir antérieurement à la prise d'effet de la cession, ce dont il résultait que ces dispositions conventionnelles ne constituaient pas une dérogation illicite aux dispositions d'ordre public de l'article L. 1224-1 du code du travail, et constaté qu'aucune proposition n'avait été faite au salarié, la cour d'appel n'encourt pas le grief du moyen ;
Sur le premier moyen du pourvoi de M. Y... : Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de condamnation de la société Sodero à lui payer une somme à titre de violation de son statut protecteur alors, selon le moyen, que le salarié protégé, qui ne demande pas la poursuite de son contrat de travail illégalement rompu, a le droit d'obtenir, d'une part, au titre de la méconnaissance du statut protecteur, le montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction et l'expiration de la période de protection et, d'autre part, non seulement les indemnités de rupture, mais une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 du code de travail ; que l'indemnité pour méconnaissance du statut protecteur a le caractère d'une peine privée ; qu'en décidant que le contrat de travail liant M. Y... salarié protégé et la société Sodero a été rompu le 31 décembre 2009 illégalement faute de mise en oeuvre de la procédure d'autorisation à l'occasion du transfert partiel d'activité, tout en jugeant que le salarié ne pouvait prétendre à l'indemnité au titre de la violation du statut protecteur au motif qu'il a continué à faire partie de l'UES B... puisqu'il a travaillé pour la société Sodefe qui en dépendait
et à être convoqué après le 31 décembre 2009 aux réunions de l'UES ayant ainsi vocation à exercer son mandat de titulaire au comité d'entreprise au sein de l'UES ou de délégué syndical, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles L. 2322-4, L. 2411-1, L. 2411-8 et L. 2414-1 du code du travail ;
Mais attendu qu'en l'absence d'autorisation de l'inspecteur du travail, le transfert du contrat de travail d'un salarié protégé est nul et ouvre droit, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail à une indemnité au moins égale aux salaires des six derniers mois à la charge de l'entreprise cédante ; qu'il en résulte qu'en ayant limité, par une appréciation souveraine du préjudice subi par le salarié, la condamnation de la société Sodero au paiement d'une indemnité correspondant à six mois de salaire, la cour d'appel n'encourt pas les griefs du moyen ; Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi de M. Y... et du syndicat CFDT et sur la seconde branche du moyen unique de la société B... F... qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ; Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé et signé par M. X..., président, et M. Huglo, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, conformément à l'article 452 du code de procédure civile, en l'audience publique du vingt-trois mars deux mille dix-sept.