CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 23 juin 2015, n° 15/05025
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Restaurants du Café de Paris (SA)
Défendeur :
Copera (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Girerd
Conseillers :
Mme Bodard-Hermant, Mme De Gromard
FAITS ET PROCEDURE
Suivant acte sous-seing privé en date du 26 janvier 2000 la SA Restaurants du Café de Paris a donné à bail à la SARL Copera des locaux à usage de bureaux commerciaux à Paris (75008) sis [...] pour une durée de 9 années entières commençant à courir à compter du 1er février 2000 pour se terminer le 31 janvier 2009.
Le bail venu à expiration le 31 janvier 2009 s'est poursuivi par tacite reconduction depuis cette date.
Par acte d'huissier de justice du 19 novembre 2014 la SA Restaurants du Café de Paris a notifié au preneur un congé pour le 30 juin 2015 comportant refus de renouvellement avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction.
Le 1er décembre 2014 la société bailleresse a fait délivrer à la SARL Copera une assignation à comparaître devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris aux fins de désignation d'un expert judiciaire chargé de déterminer le montant des indemnités d'éviction et d'occupation dues à compter du 1er juillet 2015.
Par ordonnance contradictoire du 3 février 2015 le juge des référés, aux motifs qu'au jour où il statuait le congé mettant fin au contrat de bail n'avait pas encore produit d'effet et que le droit du locataire à obtenir paiement d'une indemnité d'éviction n'était pas né et qu'en conséquence il n'était justifié d'aucun litige potentiel, a débouté la SA Restaurants du Café de Paris de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à la SARL Copera une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SA Restaurants du Café de Paris a interjeté appel de cette décision le 9 mars 2015.
Dans ses conclusions régulièrement transmises le 15 mai 2015, auxquelles il convient de se reporter, la SA Restaurants du Café de Paris demande à la cour :
- d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
- de désigner un expert judiciaire avec pour mission de rechercher tous éléments permettant de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction à laquelle pourrait prétendre la SARL Copera et le montant de l'indemnité d'occupation due par la société preneuse à compter du 1er juillet 2015 et jusqu'à la libération effective des lieux,
- de condamner la SARL Copera aux dépens et à lui verser une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions régulièrement transmises le 18 mai 2015 auxquelles il convient de se reporter, la SARL Copera demande à la cour, sur le fondement de l'article 145 et 526 du code de procédure civile :
- à titre principal, le retrait du rôle de la présente affaire dans l'attente de l'exécution de l'ordonnance de référé du 3 février 2015,
- à titre subsidiaire, la confirmation de l'ordonnance querellée,
- en tout état de cause, la condamnation de la SA Restaurants du Café de Paris aux dépens et au paiement d'une somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR,
Considérant que la SA Restaurants du Café de Paris, appelante, fait valoir à titre préalable que la SARL Copera est mal fondée en sa demande de radiation de l'appel laquelle ne peut être présentée que devant le premier président de la cour d'appel ou le juge de la mise en état ; qu'elle soutient sur le principal disposer d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile à solliciter une mesure d'expertise dès lors qu'il existe un litige potentiel entre les parties relatif au montant de l'indemnité d'éviction, peu important que cette mesure d'instruction soit demandée avant la date de prise d'effet du congé ; qu'elle relève que le droit à l'indemnité d'éviction du preneur a pris naissance au jour de la délivrance du congé ;
Considérant que la SARL Copera, preneur intimé, réplique à titre préalable que l'appelante n'ayant pas réglé l'indemnité prévue à l'article 700 du code de procédure civile à laquelle le premier juge l'a condamnée, la cour doit ordonner la radiation du rôle de l'affaire ; qu'elle fait valoir sur le principal que la SA Restaurants du Café de Paris est irrecevable à réclamer une mesure d'expertise qui est prématurée dès lors que le congé n'a pas encore pris effet ; qu'elle soutient que le droit à fixation d'indemnité d'éviction prendra naissance lorsque le congé aura pris effet ;
Sur la radiation de la procédure
Considérant que la SARL Copera fonde sa demande de radiation de la procédure sur l'article 526 du code de procédure civile aux termes duquel 'lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel' ;
Considérant que la procédure de référé n'emporte pas désignation d'un conseiller de la mise en état ; que la présente instance n'est pas suivie devant le premier président ; qu'il suit de là que la demande de radiation n'est pas recevable devant juridiction des référés ;
Sur le principal
Considérant qu'en application de l'article L. 145-14 du code de commerce 'Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur, doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.'
Considérant qu'aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ;
Que l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constaté qu'il existe un procès « en germe » possible, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui ;
Considérant que la demande d'expertise in futurum présentée en référé n'est recevable qu'autant qu'une juridiction du fond n'a pas encore été saisie du litige en vue duquel la mesure est sollicitée ; que cette condition s'apprécie au jour de la saisine du juge ;
Considérant que le 19 novembre 2014 la SA Restaurants du Café de Paris bailleresse a fait délivrer à la SARL Copera preneur un congé portant refus de renouvellement du bail et offre d'indemnité d'éviction, le congé étant fixé au 30 juin 2015 ;
Considérant que si la SARL Copera soutient que le recours à l'article 145 du code de procédure civile est exclu en matière de fixation d'indemnité d'éviction, aucun texte relatif au bail commercial ne s'oppose à l'exercice par le juge des référés des pouvoirs que lui confère cet article ;
Considérant qu'en l'espèce il est constant qu'aucun juge du fond n'est saisi de demandes concernant l'indemnité d'éviction dont la bailleresse s'est reconnue débitrice dans le congé qu'elle a délivré le 19 novembre 2014 sans la chiffrer ;
Que le montant de cette indemnité, qui a pour objet la réparation intégrale du préjudice subi par le locataire évincé, doit être déterminé à la date la plus proche possible du départ du locataire ; que ce montant est fixé par le juge, à défaut d'accord des parties, en considération des différents éléments du préjudice et repose donc sur la détermination et l'évaluation de ceux-ci, ce qui nécessite une recherche factuelle, et notamment la prise en considération de données qui ne sont pas accessibles au bailleur ;
Que l'appréciation des éléments à retenir et leur évaluation suppose des investigations et un débat contradictoire entre les parties qu'une mesure d'instruction est seule à même d'assurer ;
Qu'ainsi la solution du litige qui pourrait naître sur la fixation de l'indemnité d'éviction dépend de la preuve de faits qu'il est légitime pour le débiteur de cette indemnité de voir rechercher par une expertise ;
Considérant en l'espèce que le droit à indemnité d'éviction dû à la SARL Copera a pris naissance le jour de la délivrance du congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction qui lui a été délivré par la SA Restaurants du Café de Paris le 19 novembre 2014 ;
Que la société bailleresse dispose donc d'un intérêt légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile pour solliciter une expertise aux fins d'évaluation tant de l'indemnité d'éviction due au preneur que de l'indemnité d'occupation due par ce dernier dans l'hypothèse de son maintien dans les lieux postérieurement au 30 juin 2015 ;
Que dès lors, contrairement à ce que l'ordonnance querellée a jugé, le fait que la mesure d'expertise soit sollicitée avant la date de prise d'effet du congé est sans incidence dès lors que la créance d'indemnité d'éviction a son origine dans le congé délivré qui a révélé ainsi la potentialité d'un litige ;
Considérant enfin que cette mesure d'expertise n'est pas prématurée, contrairement à ce que soutient la SARL Copera dès lors que la valeur de l'indemnité d'éviction, qui doit être déterminée à la date la plus proche de la date effective à laquelle l'éviction intervient, pourra faire l'objet d'une actualisation par le tribunal saisi au fond ;
Qu'ainsi la cour relève qu'à la date à laquelle elle statue la SA Restaurants du Café de Paris justifie d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile ;
Considérant en conséquence qu'il y a lieu d'infirmer l'ordonnance querellée en toutes ses dispositions et d'ordonner l'expertise demandée ;
Sur l'indemnité de procédure et les dépens
Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande de la SA Restaurants du Café de Paris présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; que la SARL Copera est condamnée à lui verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision ;
Qu'il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions au profit de la SARL Copera ;
Considérant que la SARL Copera, qui succombe, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
Rejette la demande de radiation fondée sur l'article 526 du code de procédure civile formée par la SARL Copera,
Infirme l'ordonnance querellée en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Ordonne une expertise afin de déterminer l'indemnité d'éviction éventuellement due par la SA Restaurants du Café de Paris à la SARL Copera et l'indemnité d'occupation éventuellement due par la SARL Copera à la bailleresse à raison du congé donné pour le 30 juin 2015 pour le local commercial sis [...],
Commet pour y procéder M. Gaël LE V. demeurant [...] tél : 01.49.24.98.90, fax : 01.73.02.00.60, port. : 06.75.81.20.40, Email : [email protected],
avec pour mission de :
- se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission,
- visiter les lieux et les décrire,
- rechercher, en tenant compte de la nature de l'activité autorisée par le bail (usage exclusif de bureaux), de la situation et de l'état des locaux, en fournissant et justifiant de toutes ses références, tous éléments permettant de :
1. déterminer le montant de l'indemnité d'éviction à laquelle pourrait prétendre la société Copera par référence aux critères posés par l'article L. 145-14 du code de commerce,
2. déterminer le montant de l'indemnité d'occupation due par la société Copera pour l'occupation des locaux, objets du bail, à compter du 1er juillet 2015 et jusqu'à leur libération effective, ladite indemnité d'occupation devant être fixée à la valeur locative telle qu'elle est définie aux articles L.145-33 et suivants du code de commerce,
- communiquer aux parties un pré-rapport afin de recueillir leurs observations préalablement au dépôt du rapport final,
- dresser et déposer un rapport de ses constatations fournissant les éléments de nature à permettre de fixer l'indemnité d'éviction à laquelle pourrait prétendre la société Copera et l'indemnité d'occupation due par la société Copera pour l'occupation des locaux, objets du bail, à compter du 1er juillet 2015 et jusqu'à leur libération effective ;
Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile, qu'il devra justifier de ses références en distinguant les nouvelles locations, les renouvellements et les cessions intervenues dans le même périmètre et pour des locaux aux caractéristiques équivalentes à celles des locaux loués à la société Copera situés [...],
Dit que la SA Restaurants du Café de Paris devra consigner la somme de 3 000 euros à valoir sur les frais de l'expert au régisseur d'avances et de recettes du tribunal de grande instance de Paris , [...], avant le 30 août 2015,
Dit qu'à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque de plein droit en application de l'article 271 du code de procédure civile, un relevé de caducité ne pouvant être accordé par le magistrat chargé du contrôle de l'expertise que sur justification d'un motif légitime,
Dit que dans les deux mois de la notification de la consignation, l'expert indiquera le montant de la rémunération prévisible afin que soit éventuellement ordonné le versement d'une consignation complémentaire dans les conditions de l'article 280 du code de procédure civile et qu'à défaut d'une telle indication, le montant de la consignation initiale pourra constituer la rémunération définitive de l'expert,
Dit qu'en cas de difficulté, le magistrat chargé du contrôle des expertises pourra être saisi,
Dit que l'experts devra adresser tous courriers au magistrat chargé du contrôle des expertises, tribunal de grande instance de Paris , [...], en mentionnant le numéro du répertoire général,
Dit que l'expert devra déposer l'original de son rapport au service du contrôle des expertises du tribunal de grande instance de Paris avant le 31 janvier 2016 et remettre à chaque partie un exemplaire de son rapport,
Condamne la société Copera à verser à la société Restaurants du Café de Paris une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SARL Copera de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SARL Copera aux entiers dépens.