Cass. 3e civ., 18 décembre 2002, n° 01-11.189
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Weber
Rapporteur :
Mme Stéphan
Avocat général :
M. Guérin
Avocats :
SCP Delaporte et Briard, Me Blondel
Sur les deux moyens, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 7 mars 2001 ), que Mme de X... a donné à bail, en 1981, à la société Château de la Chapelle aux Filtzméens, aux droits de laquelle se trouve la société Domaine de la Chapelle aux Filtzméens, aujourd'hui en redressement judiciaire, les salons du rez-de-chaussée, la cour d'honneur et les jardins du château dont elle était propriétaire ; que, par acte du 5 octobre 1992, elle lui a donné congé pour le 1er février 1993, avec refus de renouvellement du bail sans indemnité ; qu'un jugement du 10 novembre 1993, non frappé d'appel, a dit que le congé avait ouvert droit au profit de la locataire à indemnité d'éviction et a désigné un expert avec mission de recueillir tous éléments permettant de chiffrer cette indemnité ; que cette expertise n'a pas été mise en oeuvre ;
que, les époux Y... étant devenus adjudicataires des biens donnés à bail, la locataire les a assignés pour les faire déclarer débiteurs de l'indemnité d'éviction ; que, par arrêt devenu irrévocable du 29 mai 1996, la locataire a été déboutée de cette demande ; que, par acte du 21 décembre 1999, les époux Y... ont assigné Mme de X... et la locataire ainsi que les organes à son redressement judiciaire pour demander la fixation de l'indemnité d'éviction à 20 000 francs et l'autorisation de la verser entre les mains d'un séquestre afin de pouvoir reprendre possession de leurs biens ;
Attendu que la société Domaine de la Chapelle aux Filtzméens et les organes à son redressement judiciaire font grief à l'arrêt de déclarer prescrite leur action en payement d'une indemnité d'éviction dirigée à l'encontre de Mme de X..., alors, selon le moyen :
1 ) que l'exécution d'un jugement se prescrit par le délai de droit commun de 30 ans ;
que la courte prescription biennale de l'article 33 du décret du 30 septembre 1953, devenu l'article L. 145-60 du Code de commerce, s'applique à la demande tendant à faire reconnaître le droit à indemnité d'éviction, mais non à la demande tendant à faire fixer le montant de cette indemnité lorsqu'un jugement irrévocable et passé en force de chose jugée a reconnu le droit du locataire au paiement de celle-ci ; que la cour d'appel a constaté qu'en reconnaissant le droit du locataire à l'indemnité d'éviction et en ordonnant une expertise, le jugement du 10 novembre 1993 avait épuisé la saisine du tribunal ; que, dès lors l'exécution de ce jugement n'était soumise qu'à la prescription trentenaire ; qu'en déclarant prescrite l'action de la SARL Domaine de la Chapelle aux Filtzméens qui ne tendait qu'à l'exécution du jugement du 10 novembre 1993, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 33 du décret du 30 septembre 1953, devenu l'article L. 145-60 du Code de commerce et, par refus d'application, l'article 2262 du Code civil ;
2 ) que l'expulsion était demandée non pas par Mme de X..., qui s'était prévalue de la prescription de l'action en paiement de l'indemnité d'éviction, mais par les époux Y... qui, loin de se prévaloir de la prescription, demandaient à la cour d'appel de la mettre à la charge de Mme de X..., de la fixer à la somme de 20 000 francs, de les autoriser à verser cette indemnité dans les mains d'un séquestre et d'ordonner la libération des lieux dès le règlement effectué ; que, dès lors, en ordonnant l'expulsion de la locataire en dehors des conditions dont les époux Y... avaient assorti cette demande, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant constaté que l'expertise, ordonnée par le jugement du 10 novembre 1993 sur le montant de l'indemnité d'éviction à laquelle pouvait prétendre la locataire, n'avait pas été mise en oeuvre et qu'un délai d'une durée supérieure à deux ans s'était écoulé entre l'arrêt devenu irrévocable du 29 mai 1996, déboutant la locataire de sa demande en paiement de l'indemnité dirigée contre les époux Y..., et ses conclusions devant le tribunal du 29 février 2000 demandant une nouvelle expertise sur le montant de cette indemnité, la cour d'appel, qui en a exactement déduit que l'action en paiement de l'indemnité d'éviction se trouvait prescrite par application de l'article L. 145-60 du Code du commerce et qui n'a pas modifié l'objet du litige, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.