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Décisions

CA Colmar, 3e ch. civ. A, 7 septembre 2020, n° 19/05152

COLMAR

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martino

Conseillers :

Mme Fabreguettes, Mme Arnold

Juge de l'exécution de Mulhouse, du 8 no…

8 novembre 2019

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Selon acte reçu par Maître B., notaire, en date du 27 novembre 2008, Monsieur Bruno M., né le 27 janvier 1921 et entre-temps décédé, a vendu à Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P. la nue-propriété d'une maison située [...], moyennant paiement d'un prix de 104'000 € constitué par l'obligation pour les acquéreurs de servir une rente viagère annuelle de 6000 €, payable à raison de 500 € mensuels au profit du vendeur jusqu'à son décès.

Par jugement du 3 avril 2012 entré en force de chose jugée, le tribunal de grande instance de Mulhouse a annulé la vente pour défaut de cause, considérant qu'il n'y avait pas d'aléa pour les débirentiers eu égard à l'âge avancé de Monsieur M. lors de la signature de l'acte de vente et a condamné Monsieur M. à restituer aux acquéreurs les montants perçus par lui au titre de la rente viagère jusqu'à la transcription dudit bien au Livre Foncier de Saint-Louis.

Par actes en date du 11 avril 2018, Monsieur Robert C., Monsieur Sylvano M., Madame Manuela C. et Madame Julia B., agissant en qualité d'héritiers de Monsieur Bruno M., ont assigné Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P. devant le juge de l'exécution délégué du tribunal d'instance de Mulhouse, aux fins notamment de voir acter le paiement de la rente viagère par les héritiers du vendeur au profit de Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P., dire que les autres créances et revendications qui pourraient le cas échéant être mises en avant par Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P. auprès de la succession de Monsieur M. feront l'objet d'une procédure à part entière, de voir ordonner la transcription de la propriété du bien immobilier [...] au nom de feu Monsieur Bruno M. et/ou de sa succession et qu'il sera précédemment procédé aux radiations des charges et droits qui y sont attachées et de voir condamner les défendeurs au paiement d'une somme de 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils ont fondé leurs demandes sur les dispositions des articles R. 121-1 et L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution.

Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P. ont conclu à l'irrecevabilité ou mal fondé des demandes et ont sollicité qu'il soit constaté que la succession reste devoir une somme principale de 6300 €, outre les intérêts, sur la rente viagère décomptée à 14'615,22 € au 5 mars 2019 et qu'il soit dit et jugé qu'ils n'ont aucune qualité pour procéder à la transcription. Ils ont demandé paiement d'une somme de 1500 € au titre des frais non compris dans les dépens.

Par jugement du 8 novembre 2019, le juge de l'exécution délégué du tribunal d'instance de Mulhouse a':

-dit que l'action de Monsieur Robert C., Monsieur Sylvano M., Madame Manuela C. et Madame Julia B. est recevable,

-dit qu'il doit être procédé auprès du Livre Foncier à la transcription du bien immobilier sis [...], section BI n° 7 au nom de la succession de Monsieur Bruno M.,

-condamné Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P. in solidum à payer à Monsieur Robert C., Monsieur Sylvano M., Madame Manuela C. et Madame Julia B. la somme globale de 800 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P. aux dépens,

-débouté les parties du surplus de leur demande,

-rappelé que la décision est exécutoire de plein droit.

Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P. ont interjeté appel de cette décision le 27 novembre 2019.

Par écritures notifiées le 6 février 2020, ils concluent à l'infirmation du jugement déféré et demandent à la cour de :

-débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

-les condamner, outre les frais et dépens, au paiement de la somme de 1500 € pour la première instance est de 2500 € pour l'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils maintiennent que la dette globale de restitution au titre de la rente viagère qu'ils ont versée étaient de 40'784,84 €, comprenant les intérêts courus au taux légal, sur laquelle seule une somme de 21'105,56 € a été effectivement réglée'; qu'il convient en effet de tenir compte d'un versement de 6000 € le 2 décembre 2008 et de 300 € le 29 septembre 2008 ; que les intérêts courent sur le principal à compter de la date du jugement le 3 avril 2012 ; que le premier juge a considéré à tort que le paiement du principal suffisait à considérer que l'obligation de restitution a été respectée ; qu'aucune transcription ne peut pourtant avoir lieu tant que la créance de restitution, principal et intérêts compris, n'a pas été réglée.

Par écritures notifiées le 5 mars 2020, Monsieur Robert C., Monsieur Sylvano M., Madame Manuela C. et Madame Julia B. ont conclu au rejet de l'appel et sollicitent confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions. Ils demandent condamnation des appelants aux dépens, ainsi qu'à leur payer la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel.

Ils ne contestent pas que la transcription de l'immeuble est conditionnée par la justification de la restitution du montant de la rente viagère à Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P., conformément au jugement définitif du 3 avril 2012. Ils relèvent que dans le cadre de cette procédure, les appelants n'ont jamais fait valoir qu'ils avaient versé des acomptes sur la rente ; que les 300 € versés en date du 29 septembre 2008 constituent en réalité un prêt d'argent qui a été accordé antérieurement à la vente du 27 novembre 2008 ; que la reconnaissance d'avance sur rente viagère de 6000 € signée le 27 novembre 2008 est contestée, la signature qui est apposée n'étant pas de la main de Monsieur M..

Ils font valoir par ailleurs que le jugement du 3 avril 2012 ne subordonne pas la question de la transcription de la propriété au Livre Foncier au paiement de la rente viagère augmentée des intérêts légaux, de sorte que seule la justification du paiement du principal doit permettre ladite transcription et ne contestent pas que les intérêts devront être effectivement calculés à compter du 3 avril 2012 jusqu'au virement effectué le 11 avril 2017, étant relevé que le calcul du décompte des intérêts ne relève pas de l'appréciation du juge de l'exécution.

Par ordonnance du 6 janvier 2020, l'affaire a été fixée pour plaidoirie au 25 mai 2020, conformément aux dispositions de l'article 905 du code de procédure civile.

Quinze jours au moins avant cette date, les avocats ont été avisés que l'affaire serait mise en délibéré sans audience à cette date en application de l'article 8 de l'ordonnance numéro 2020-304 du 25 mars 2020, sauf opposition de leur part dans ce délai.

Aucune opposition n'a été formulée.

MOTIFS

En vertu des dispositions de l'article L 213-6 du code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

L'article R 121-1 du code des procédures civiles d'exécution prévoit que le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution.

En l'espèce, le tribunal de grande instance de Mulhouse a par décision du 3 avril 2012 signifiée le 12 juillet 2012, dit notamment que l'acte de vente passée le 27 novembre 2008 entre les parties est nul pour défaut de cause, dit que le jugement vaut transfert de propriété de l'immeuble concerné au profit de Monsieur Bruno M., les frais de transcription étant à la charge des défendeurs, dit que Monsieur Bruno M. devra restituer à Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P. les montants perçus par lui au titre de la rente viagère jusqu'à la transcription dudit bien au Livre Foncier de Saint-Louis et l'a condamné à payer lesdits montants aux défendeurs.

Concernant le principal des rentes à restituer, les appelants soutiennent qu'il convient d'ajouter à la somme de 21'105,56 € admise et remboursée par les intimés, deux acomptes de 6000 € et 300 €.

Ils se prévalent d'une situation du compte de pension viagère établi par eux, faisant mention à la date du 29 septembre 2008 d'un chèque n° 1307260 d'un montant de 300 € qui aurait été versé sur le compte CCM de Monsieur M.. Il sera cependant constaté que ce paiement est antérieur à la vente de l'immeuble litigieux, qui est intervenue le 27 novembre 2008 et qu'il n'est, de ce fait, pas démontré que le versement de 300 €, dont le principe n'est pas contesté par les intimés, consistait en une avance sur rente viagère. Il n'y a donc pas lieu de prendre en considération ce montant.

Ils se prévalent par ailleurs d'une reconnaissance d'avance sur rente viagère dactylographiée, en date du 2 décembre 2008, par laquelle Monsieur Bruno M. reconnaît avoir reçu en main propre des époux P., en présence de Madame Maria S., une avance de rente viagère en espèces correspondant à une anticipation d'une année de rente d'un montant total de 6000 €, pour faire front à des dettes contractées auprès de sa famille et d'amis proches suite au décès de son épouse survenue le 25 septembre 2008.

La seule mention manuscrite consiste en une signature apposée pour Bruno M..

Les intimés versent aux débats un rapport d'expertise établi à la demande de Madame Manuela S. et Monsieur Sylvain M. le 20 octobre 2018 par Madame Laurence K.-E., graphologue, qui conclut que la signature apposée sur la reconnaissance de dette n'est pas spontanée, qu'elle a été imitée et qu'elle n'a pas été apposée de la main de Monsieur Bruno M..

Il sera relevé par ailleurs que Madame Maria S. est la fille de Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P. et qu'elle n'est dès lors pas un témoin neutre et fiable'; que par ailleurs, les appelants n'ont fait aucune mention de ce versement anticipé dans le cadre de la procédure ayant donné lieu au jugement du 3 avril 2012, de sorte que c'est à juste titre que le premier juge a retenu qu'ils ne pouvaient prétendre à l'imputation de cette somme, dont le versement n'est pas prouvé.

Le jugement du 3 avril 2012 ne précise pas si les sommes dues au titre de la restitution des termes de rente viagère portent intérêt.

Néanmoins, il est de jurisprudence constante et il résulte des dispositions de l'article 1352-6 du code civil, dans sa version issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que la restitution d'une somme d'argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées entre les mains de celui qui l'a reçue.

Dès lors, le débiteur se libère en versant le principal et les intérêts, de sorte que les intimés ne peuvent soutenir que le paiement du principal à hauteur de 21'105,56 €, qui représente le remboursement de la rente acquittée par Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P. entre le 14 octobre 2008 et le 3 avril 2012, les libère de leur obligation.

C'est ainsi à tort que le premier juge a ordonné la transcription nonobstant le non versement des intérêts, alors qu'il n'est pas contesté que cette transcription est conditionnée par la justification de la restitution du montant de la rente viagère à Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P..

Il convient d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de débouter les intimés de leur demande tendant à voir procéder à la transcription auprès du Livre Foncier du bien immobilier situé [...], cette demande ne pouvant prospérer que sur justification de l'extinction de la totalité de la dette intérêts compris.

Sur les frais et dépens :

Les dispositions du jugement déféré quant aux frais et dépens seront infirmées.

Succombant en la procédure, les intimés seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel et seront déboutés de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera en revanche fait droit à la demande sur le même fondement formé par Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P., à hauteur d'une somme globale de 1500 € pour les deux instances.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

DEBOUTE Monsieur Robert C., Monsieur Sylvano M., Madame Manuela C. et Madame Julia B. de leurs demandes,

Y ajoutant,

CONDAMNE Monsieur Robert C., Monsieur Sylvano M., Madame Manuela C. et Madame Julia B. à payer à Monsieur Antonino P. et Madame Antonina P. la somme de 1500 € (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur Robert C., Monsieur Sylvano M., Madame Manuela C. et Madame Julia B. aux dépens de première instance et d'appel.