Cass. 1re civ., 13 décembre 2012, n° 11-26.019
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charruault
Avocats :
SCP Ancel, Couturier-Heller et Meier-Bourdeau, SCP Delaporte, Briard et Trichet
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... et M. Y..., ci-après les époux Y..., qui ont travaillé à la réalisation d'un catalogue raisonné de l'oeuvre du peintre Edouard Vuillard, à la demande d'Antoine A..., ont conclu avec ce dernier un accord aux termes duquel ils sont convenus qu'en cas de refus de leurs textes par Antoine A..., ils auraient le droit de les publier sous une forme qui ne ressemble pas à un catalogue raisonné, et de les illustrer de photographies ou de documents provenant du fonds d'archives d'Antoine A..., sans qu'ils aient à en supporter les droits ; que leurs textes n'ayant pas été acceptés et après avoir réclamé en vain à Antoine A..., en exécution de leur accord, la communication de cent quatre-vingts documents, ils ont assigné ce dernier pour le voir condamné à remettre, sous astreinte, les documents litigieux ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que Mme B..., veuve d'Antoine A..., fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation du protocole litigieux et de la condamner à remettre aux époux Y... les oeuvres de Vuillardréférencées dans leurs conclusions, alors, selon le moyen :
1°/ que la validité du contrat est subordonnée à l'existence d'un objet de l'obligation déterminé ou déterminable par référence à la volonté des parties ; que dans ses conclusions d'appel, Mme A... soutenait que le protocole litigieux ne comportait aucune désignation des « photographies » ou des « documents » pouvant être exigés par les époux Y... pour la réalisation de leur publication sur le peintre Edouard Vuillardau sein du fonds documentaire d'Antoine A..., en sorte que l'exécution de l'obligation dépendait de la liste des documents établie par les époux Y... ; qu'en ne se bornant qu'à rechercher si l'obligation portait sur des documents ou photographies originales ou sur des copies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1129 du code civil ;
2°/ que n'est pas déterminé ou déterminable au sens de l'article 1129 du code civil l'objet de l'obligation qui dépend de la volonté unilatérale de son créancier ; que pour considérer que l'objet de l'obligation de communication des photographies ou des documents provenant du fonds d'archives d'Antoine A... était déterminé, l'arrêt relève qu'Antoine A... aurait accepté de communiquer les documents contenus dans la liste établie par les époux Y... après la conclusion de l'accord litigieux ; qu'en se prononçant par ces motifs impropres à exclure que la détermination du contenu de l'obligation de communication ne dépendait pas de la volonté des seuls créanciers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1129 du code civil ;
3°/ qu'en se bornant à affirmer que l'objet de l'obligation de communication était déterminée puisque les parties n'avaient aucun doute sur son contenu, sans préciser cependant comment l'objet de l'obligation litigieuse était déterminée ou déterminable au sens et pour l'application de l'article 1129 du code civil, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;
Mais attendu que la cour d'appel, appréciant souverainement la portée que les époux Y...et Antoine A... ont entendu donner à l'article 6 de l'accord aux termes duquel Antoine A... s'était engagé, en cas de refus de leurs textes, à autoriser les époux Y... à illustrer leurs études sur le peintre Vuillardde photographies ou de documents provenant de son fonds, a estimé qu'aucun doute n'avait jamais existé entre les parties, qui travaillaient alors conjointement à l'établissement d'un catalogue raisonné de l'oeuvre de Vuillard, sur l'objet de l'obligation dont le contenu était déterminable, comme le démontrait les lettres des 23 septembre et 8 octobre 1996 qu'Antoine A... avait fait adresser aux époux Y... en réponse à leur demande de communication de photographies ; que par ces seuls motifs, l'arrêt est légalement justifié de ce chef ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que Mme A... reproche à l'arrêt de la condamner à remettre les documents litigieux et de la débouter de ses demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que le débiteur d'une obligation de faire ne peut être condamné à exécuter un engagement qui se heurte à un obstacle juridique, provenant, notamment, de la préservation des droits des tiers ; que le propriétaire de l'objet matériel n'est investi d'aucune des prérogatives de l'auteur sur l'oeuvre dont l'objet matériel est le support ; que Mme A... faisait valoir que certaines des oeuvres réclamées par époux Y... étaient des oeuvres originales d'autres auteurs et qu'en conséquence, il était impossible de communiquer ces oeuvres sans l'accord des titulaires des droits d'auteur, en application de l'article 6 du protocole d'accord ; qu'en condamnant Mme A... à communiquer indistinctement les oeuvres demandées par les époux Y..., au motif erroné que Mme A... ne pourrait se prévaloir des droits des tiers, la cour d'appel a violé l'article 1142 du code civil, ensemble les articles L. 111-1, L. 111-3, L. 121-1 et L. 122-1, L. 122-4 et L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ qu'en reprochant à Mme A... de ne pas préciser de qui ou de quelles oeuvres elle ne serait pas titulaire des droits d'auteur, sans examiner les écritures de première instance des époux Y... invoquées par Mme A... faisant état des trente et un travaux d'artistes autres que Vuillard, de vingt-huit photographies prises par d'autres photographes que Vuillardet de huit estampes japonaises et de huit cartes postales dont les époux Y... demandaient la communication en application du protocole d'accord litigieux, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en affirmant que Mme A... n'apportait aucune précision sur les oeuvres de la liste sollicitées qui ont été publiées ou non, sans inviter les parties à s'expliquer sur l'absence au dossier de la « liste des oeuvres déjà publiées demandées par les époux Y... établie par le conseil de Mme A... » figurant sur le bordereau de pièces annexé aux dernières conclusions d'appel signifiées le 7 juin 2011 aux époux Y... et dont la communication n'avait pas été contestée, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
4°/ que n'appartient pas au titulaire du droit moral de prouver que l'oeuvre n'a pas été divulguée ; que Mme A... soutenait que le droit de divulgation, attribut du droit moral, et, partant, incessible, faisait obstacle à l'exécution de l'article 6 du protocole d'accord litigieux en ce qui concerne les oeuvres de Vuillardqui n'avaient pas fait l'objet d'une divulgation et qu'exécuter l'obligation qui découle de ce protocole reviendrait à conférer à leur bénéficiaire le pouvoir discrétionnaire de divulguer une oeuvre au lieu et place de leur auteur ou de son ayant droit ; que pour condamner Mme A... à communiquer aux époux Y... indistinctement les oeuvres de Vuillardlistées par eux, la cour d'appel estime que Mme A... n'apporte pas la preuve de l'atteinte à son droit moral ; qu'en exigeant ainsi de la part de Mme A..., titulaire des droits sur les oeuvres de Vuillard, la preuve de ce que les oeuvres litigieuses n'avaient pas été divulguées, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du code civil et L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu d'abord, que relevant que Antoine A... était investi des prérogatives du droit moral sur l'oeuvre du peintre Vuillard, la cour d'appel a, dans l'exercice de son pouvoir souverain, dit qu'Antoine A... s'était engagé à autoriser les époux Y... à publier les documents dont ils lui demanderaient la communication, en sorte qu'il était indifférent que puissent figurer parmi les documents demandés des oeuvres qui n'auraient pas été divulguées ; qu'ensuite, l'arrêt retient exactement que Mme A... ne pouvait se prévaloir de prétendus droits détenus par des tiers non identifiés sur certains des documents demandés, pour se soustraire à l'obligation de les communiquer qu'avait souscrite Antoine A... ; que le moyen, qui n'est pas fondé en sa première branche, est inopérant pour le surplus ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que Mme A... reproche à l'arrêt de la condamner à verser la somme de 10 000 francs (1 500 euros) à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que la résistance abusive à une action en justice suppose la caractérisation d'une mauvaise foi ou d'une légèreté blâmable du justiciable ; que l'arrêt attaqué énonce que Mme A... s'est méprise sur l'étendue de ses droits sans aucune malignité de sa part, excluant ainsi que lui soit imputable un abus du droit d'ester en justice ; qu'en confirmant cependant le jugement qui a alloué aux époux Y... la somme de 10 000 francs (1 500 euros) pour le retard apporté par Antoine A... dans l'exécution du protocole litigieux, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations, a violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que c'est sans encourir le grief du moyen que la cour d'appel a, d'une part, confirmé la condamnation prononcée par les premiers juges au paiement de dommages-intérêts en réparation du retard mis par Antoine A... dans l'exécution de son obligation de communication, d'autre part, considéré que Mme A... n'avait pas abusé de son droit d'ester en justice ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article 34 de la loi du 9 juillet 1991 ;
Attendu que pour assortir d'une astreinte de 1 500 euros par jour de retard la condamnation de Mme A... à remettre aux époux Y... les oeuvres litigieuses, l'arrêt retient que le préjudice subi par ceux-ci du fait des atermoiements de l'intéressée, sera suffisamment réparé par l'octroi de l'astreinte demandée ;
Qu'en statuant ainsi alors que le montant de l'astreinte, n'ayant pas vocation à réparer un préjudice, ne pouvait être fixé en considération de celui qu'alléguaient les époux Y..., la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition relative à l'astreinte, l'arrêt rendu le 13 septembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.