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Décisions

Cass. com., 10 février 2015, n° 13-19.502

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Delvolvé, SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Marc Lévis, SCP Monod, Colin et Stoclet, SCP Ortscheidt, SCP Piwnica et Molinié

Saint-Denis de la Réunion, du 14 déc. 20…

14 décembre 2012

Joint les pourvois n° S 13-19. 502 et n° R 13-20. 605 qui attaquent le même arrêt ;

Statuant tant sur les pourvois principaux formés par la société d'aménagement salinoise que sur les pourvois incidents relevés par Mme V...;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 14 décembre 2012), que Mme V...a utilisé des chèques de la Société d'aménagement salinoise dont elle était salariée pour acquérir des bijoux ; qu'après avoir découvert ces agissements, la société a assigné en responsabilité délictuelle Mme V..., ainsi que les sociétés Astrid, Nathalie Y..., C...et Philippe Z..., cette dernière étant désormais représentée par son liquidateur judiciaire, Mme A...et Marie-Thérèse F..., depuis décédée, aux droits de laquelle vient M. F...(les bijoutiers) ;

Sur la recevabilité des pourvois principal et incident n° S 13-19. 502, examinée d'office, après avertissement délivré aux parties :

Vu les articles 550, 613 et 614 du code de procédure civile ;

Attendu qu'il résulte du deuxième texte, dans sa rédaction alors applicable, que le délai de pourvoi en cassation ne courait à l'égard des décisions rendues par défaut, même pour les parties qui avaient comparu devant les juges du fond, qu'à compter du jour où l'opposition n'était plus recevable ;

Et attendu que l'irrecevabilité du pourvoi principal entraîne celle du pourvoi incident lorsque ce dernier a été formé après l'expiration du délai pour agir à titre principal ;

Attendu que la société d'aménagement salinoise s'est pourvue en cassation le 13 juin 2013 contre un arrêt rendu par défaut, susceptible d'opposition, et qu'il n'est pas justifié de l'expiration du délai d'opposition à la date de ce pourvoi ; que l'arrêt attaqué a été signifié le 4 juin 2013 à Mme A..., au mandataire judiciaire de la société Philippe Z... et à la société Nathalie Y..., qui n'avaient pas comparu devant la cour d'appel ; que le pourvoi incident a été formé le 4 février 2014, après expiration du délai de deux mois prévu courant à compter de l'expiration du délai d'opposition d'un mois ;

D'où il suit que les pourvois principal et incident sont irrecevables ;

Sur les pourvois principal et incident n° R 13-20. 605 :

Sur la recevabilité du pourvoi incident, en ce qu'il critique la condamnation de Mme V...à verser diverses sommes à Mme A...et à la société Nathalie Y..., examinée d'office, après avertissement délivré aux parties :

Vu les articles 455, 605 et 606 du code de procédure civile ;

Attendu qu'après avoir relevé qu'a été déclarée caduque la déclaration d'appel de Mme V...formé contre la société Nathalie Y...et Mme A..., l'arrêt retient que le jugement est définitif en ce qu'il l'a condamnée à leur verser, respectivement, les sommes de 60 450 euros et 2 873 euros ; qu'en ce qu'il reproche à l'arrêt d'avoir condamné Mme V...à payer ces sommes à ces dernières, le moyen de ce pourvoi ne concerne aucune partie du dispositif de l'arrêt de la cour d'appel, qui n'était plus saisie de ces demandes ; qu'ainsi, le pourvoi est irrecevable ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, en ce qu'il critique la condamnation de Mme V...à payer diverses sommes à la Société d'aménagement salinoise, à la société Astrid, à la société C...et à M. F..., pris en ses sixième, septième et huitième branches, rédigés pour partie en termes identiques, réunis :

Attendu que la Société d'aménagement salinoise et Mme V...font grief à l'arrêt, la première, de rejeter sa demande de dommages-intérêts et, la seconde, de la condamner à payer diverses sommes à la Société d'aménagement salinoise, à la société Astrid, à la société C...et à M. F...alors, selon le moyen :

1°/ que la prudence impose à tout commerçant qui reçoit un chèque d'exiger une pièce d'identité du signataire du chèque ; que si une comparaison sommaire des documents fait apparaître une différence flagrante de signatures, le commerçant commet une faute en encaissant le chèque en l'état ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé, tant par motifs propres que par motifs adoptés, que sur une partie des chèques libellés au nom de la société au profit de certains bijoutiers, Mme V...(signataire du chèque) n'avait pas apposé sa propre signature, mais avait imité la signature du gérant de la société (son frère) ; qu'elle a encore admis que les commerçants n'avaient pas sollicité la présentation d'une pièce d'identité de l'émettrice du chèque ; qu'en excluant cependant toute faute des commerçants de ce chef au prétexte qu'il n'appartenait pas aux commerçants de procéder à une vérification de la signature figurant sur les chèques, lorsque l'omission de vérifier la pièce d'identité constituait une faute d'imprudence, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, ensemble l'article L. 131-15 du code monétaire et financier ;

2°/ que le preneur du chèque doit vérifier les pouvoirs d'un salarié qui émet un chèque au nom de la personne morale qui l'emploie, sauf à ce que des circonstances particulières puissent légitimement l'en dispenser ; qu'en l'état d'actes d'acquisition manifestement sans rapport avec l'objet social de la société, les seules circonstances que le salarié exerce des fonctions comptables, qu'il ait des liens familiaux avec le gérant de la personne morale et que cette dernière ne soit que tardivement manifestée ne sauraient autoriser le cocontractant à ne pas vérifier la réalité des pouvoirs du signataire du chèque ; que la circonstance que des chèques émis par cette personne aient déjà été débités ne saurait davantage l'y autoriser ; qu'en l'espèce, la société soulignait qu'eu égard à son activité de BTP (expressément constatée par la cour d'appel), l'acquisition répétée par une secrétaire de direction, dépourvue de tout mandat social, de bijoux pour des montants considérables étaient manifestement sans rapport avec son objet social et obligeait les bijoutiers preneurs des chèques litigieux à vérifier les pouvoirs de la salariée ; qu'en affirmant que les commerçants n'avaient pas à « s'immiscer » dans le fonctionnement de la personne morale, que la salariée était bien « secrétaire de direction, avec des fonctions comptables », qu'elle était « en outre la soeur du gérant » et que la société ne s'était pas opposée aux paiements pendant plusieurs mois, d'une part, et que les premiers chèques avaient été débités, d'autre part, pour en déduire que les bijoutiers avaient pu légitiment croire à la qualité de mandataire sociale de la salariée, lorsqu'aucune de ces circonstances ne pouvait dispenser les bijoutiers de vérifier les pouvoirs de la salariée pour émettre des chèques au nom de la personne morale, la cour d'appel a violé l'article 1998 du code civil ;

3°/ que toute faute qui a concouru, fût-ce pour partie, à la production du dommage oblige son auteur à le réparer en totalité ; qu'en affirmant que le dommage de la société avait pour cause première et exclusive les détournements commis par la salariée, lorsque la manoeuvre frauduleuse commise par cette dernière n'avait pu prospérer qu'en raison de l'incurie de commerçants dont la faute d'imprudence (distincte de la vente de bijoux elle-même) avait bien concouru à la production du dommage et engageait en conséquence leur responsabilité in solidum sur le fondement de leur faute personnelle, sans qu'il fût question de les rendre responsables du fait de la salariée, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

4°/ que les juges du fond doivent répondre aux moyens des parties ; qu'en l'espèce, la société faisait valoir, non seulement, que les bijoutiers avaient fait preuve de négligence, mais plus encore qu'ils avaient conclu de mauvaise foi des ventes à caractère frauduleux avec la salariée ; qu'à l'appui de ce moyen, la demanderesse faisait valoir que les bijoutiers avaient entendu conclure des ventes occultes avec l'appui de la salariée, ce que corroborait l'absence persistante de production, de leur part, des factures de ventes des bijoux, de toute liste exhaustive des bijoux vendus, et de livre de police (exigé par l'article 537 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable) ; qu'en écartant toute faute causale de négligence des bijoutiers, sans répondre au moyen péremptoire qui invoquait le concours délibéré et frauduleux des bijoutiers apporté aux manoeuvres de la salariée, la cour d'appel a manqué aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que la connaissance tardive qu'acquiert une personne morale du détournement de ses fonds réalisés au moyen de chèques falsifiés ne saurait, en elle-même, constituer une faute de sa part susceptible de réduire son droit à indemnisation lorsque les fonctions comptables étaient précisément dévolues à l'auteur des détournements lui-même, une telle circonstance expliquant que la vigilance de l'employeur ait été trompée ; qu'en reprochant à la société d'avoir tardivement vérifié ses comptes, pour lui imputer les conséquences préjudiciables des détournements, sans s'interroger sur le point de savoir si la vigilance de l'employeur n'avait pas été trompée du fait que la salariée auteur des détournements était justement chargée des fonctions comptables dans cette entreprise familiale et qu'elle était au surplus la propre soeur du gérant, la cour d'appel a violé 1382 du code civil ;

6°/ que la faute de la victime n'exonère le responsable du dommage que si elle est la cause exclusive du dommage ; que l'éventuel retard mis par une personne à découvrir les falsifications répétées de ses chèques ne saurait être la cause exclusive de son préjudice, les premiers détournements ayant en toute hypothèse légitimement échappé à son attention ; qu'en affirmant que le défaut de vérification par la société de ses comptes et son inaction étaient la clause exclusive du préjudice subi, lorsque ces prétendues carences n'excluaient nullement le rôle causal des fautes commises par les commerçants preneurs des chèques litigieux pour une partie au moins des détournements, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que, sur les chèques émis au nom de la Société d'aménagement salinoise, Mme V...signait soit avec sa propre signature soit en imitant la signature du gérant, la cour d'appel a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la première branche, pu retenir qu'était sans effet le fait que les bijoutiers ne lui aient pas demandé la production d'une pièce d'identité ;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir constaté que Mme V...était secrétaire de direction de la Société d'aménagement salinoise, exerçant des fonctions comptables, et soeur du gérant, l'arrêt relève que les chèques, correspondant aux nombreuses ventes qui se sont déroulées sur plusieurs années, ont été débités sans réaction de la part de la société ; que de ces constatations et appréciations, qui rendent inopérants les griefs des troisième, cinquième et sixième branches, la cour d'appel, qui n'était pas saisie du moyen invoqué à la quatrième branche, a pu déduire que les bijoutiers, qui n'avaient pas à vérifier la conformité des achats à l'objet social, n'avaient pas commis de faute ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, en ce qu'il reproche à l'arrêt de déclarer Mme V...responsable du préjudice subi par la Société d'aménagement salinoise :

Attendu que, les motifs critiqués n'étant pas le soutien du chef du dispositif attaqué, le moyen est inopérant ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, en ce qu'il critique la condamnation de Mme V...à payer diverses sommes à la Société d'aménagement salinoise, à la société Astrid, à la société C...et à M. F..., pris en sa cinquième branche :

Attendu que Mme V...fait grief à l'arrêt de la condamner à payer diverses sommes à la Société d'aménagement salinoise, à la société Astrid, à la société C...et à M. F...alors, selon le moyen, que la faute de la victime réduit son droit à indemnisation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la société avait commis une faute à l'origine de son préjudice en surveillant insuffisamment son employée et ses chèques et/ ou comptes, et qu'une surveillance régulière aurait mis fin aux détournements dont elle était victime ; qu'en condamnant Mme V...à indemniser la société de l'intégralité du préjudice subi, cependant qu'elle avait considéré que cette société avait commis une faute ayant contribué à la réalisation du dommage à l'origine de son préjudice, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions que Mme V...ait soutenu que la Société d'aménagement salinoise avait commis une faute à son égard de nature à conduire à un partage de responsabilité ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit et, partant, irrecevable ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches :

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les autres griefs du pourvoi incident, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

Déclare irrecevable les pourvois principal et incident n° S 13-19. 502 ;

Déclare irrecevable le pourvoi incident n° R 13-20. 605 en tant qu'il critique la condamnation de Mme V...à payer la somme de 60 450 euros à la société Nathalie Y...et celle de 2 873 euros à Mme A...;

Rejette les pourvois principal et incident n° R 13-20. 605.