CA Grenoble, ch. com., 21 mars 2024, n° 22/03290
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Épargne Foncière (SCPI), La Française Real Estate Managers (SAS)
Défendeur :
Decathlon France (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Figuet
Conseillers :
M. Bruno, Mme Faivre
Avocats :
Me Grimaud, Me Boucheron, Me Dumoulin, Me Chauvel
Faits et procédure :
1. Suivant un acte sous seing privé du 30 juin 2003, la société Galasud a donné à bail commercial à la Sa Décathlon, aux droits de laquelle a succédé la Sas Décathlon France, un immeuble à usage commercial, situé dans la zone d'activités Les couleurs, [Adresse 6] à [Localité 8], pour une durée de neuf années à compter du 30 juin 2003. Le bail a été tacitement reconduit le 30 juin 2012. La société civile à placement immobilier (SCPI) Epargne Foncière est intervenue aux droits du bailleur initial.
2. Par acte d'huissier du 17 novembre 2014, la bailleresse a fait délivrer à la Sas Décathlon France un congé avec offre de renouvellement à effet au 1er juillet 2015, proposant un loyer annuel de 350.000 euros HT et hors charges. A la date d'effet du congé, le loyer annuel s'élevait à la somme de 345.420 euros HT et hors charges.
3. Selon un courrier du 2 juin 2015 signifié par voie d'huissier le 11 juin 2015, la société locataire a accepté le principe du renouvellement à compter du 1er juillet 2015, mais a contesté le montant du loyer proposé, considérant que celui-ci était supérieur à la valeur locative des lieux loués.
4. En l'absence d'accord, le juge des loyers commerciaux a été saisi et par jugement du 12 octobre 2017, une expertise judiciaire a été confiée à madame [D]. Pendant le cours de cette instance et avant le prononcé du jugement, la Sas Décathlon France a fait signifier à la SCPI Epargne Foncière le 26 septembre 2017 l'exercice de son droit d'option ouvert par l'article L145-57 du code de commerce et sa renonciation au renouvellement du bail en précisant que les lieux seraient définitivement fermés au public le 30 novembre 2017.
5. L'expert judiciaire a déposé son rapport le 6 août 2018, fixant la valeur locative des locaux donnés à bail commercial à la somme de 220.617 euros au 1er juillet 2015, après déduction de la taxe foncière pour un montant annuel de 25.037 euros.
6. Par assignation délivrée le 30 juin 2020, la Sas Décathlon France a demandé au tribunal judiciaire de Valence de dire notamment que par l'effet de son droit d'option, le bail est venu à expiration sans renouvellement, et qu'elle est tenue d'une indemnité d'occupation courant du 1er juillet 2015 au 30 novembre 2017, pour un montant de 593.663,25 euros HT correspondant à la valeur locative évaluée par l'expert.
7. Par jugement du 12 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Valence a :
- dit que la Sas Décathlon France a valablement exercé son droit d'option ;
- fixé l'indemnité d'occupation due par la Sas Décathlon France au titre de la période s'étant écoulée du 1er juillet 2015 au 30 novembre 2017 à la somme de 314.466,69 euros TTC par an ;
- condamné la SCPI Epargne Foncière à payer à la Sas Décathlon France, au titre du compte des parties, la somme de 371.853,65 euros TTC, avec intérêts légaux à compter de l'assignation ;
- ordonné la capitalisation des intérêts selon les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil ;
- débouté la SCPI Epargne Foncière de sa demande en dommages-intérêts ;
- condamné la SCPI Epargne Foncière à payer à la Sas Décathlon France la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la SCPI Epargne Foncière de sa demande présentée à ce titre ;
- rappelé que le jugement est de droit exécutoire à titre provisoire ;
- condamné la SCPI Epargne Foncière aux entiers dépens.
8. La société Epargne Foncière a interjeté appel de cette décision le 5 septembre 2022 en toutes ses dispositions reprises dans son acte d'appel.
L'instruction de cette procédure a été clôturée le 7 décembre 2023.
Prétentions et moyens de la société Epargne Foncière :
9. Selon ses conclusions remises le 8 juin 2023, elle demande à la cour, au visa des articles L.145-33, R.145-2, L.145-57 du code de commerce, des articles 1104, 1240 et 1241 du code civil, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que la société Décathlon France a valablement exercé son droit d'option ; en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation due par la Sas Décathlon France au titre de la période s'étant écoulée du 1er juillet 2015 au 30 novembre 2017 à la somme de 314.466,69 euros TTC par an; en ce qu'il a condamné la concluante à payer à la Sas Décathlon France, au titre du compte des parties, la somme de 371.853,65 euros TTC avec intérêts légaux à compter de l'assignation; en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts selon les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil; en ce qu'il a débouté la concluante de sa demande en dommages-intérêts; en ce qu'il a condamné la concluante à payer à la Sas Décathlon France la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile; en ce qu'il a débouté la concluante de sa demande présentée à ce titre; en ce qu'il a rappelé que le jugement est de droit exécutoire à titre provisoire; en ce qu'il a condamné la concluante aux entiers dépens.
10. Elle sollicite de la cour, statuant à nouveau :
- de dire et juger que la société Décathlon est tenue d'une indemnité d'occupation statutaire correspondant à la valeur locative qu'il conviendra de fixer à la somme de 329.907,20 euros HT / an entre le 1er juillet 2015 (date d'expiration du bail) et le 30 novembre 2017 (date de restitution des locaux) ;
- en conséquence, de fixer le montant de cette indemnité d'occupation due par la société Décathlon à la concluante à la somme de 1.047.955,48 euros TTC pour la période comprise entre le 1er juillet 2015 et le 30 novembre 2017 ;
- de constater que la société Décathlon a versé à la concluante, pour la période comprise entre le 1er juillet 2015 et le 30 novembre 2017, une somme globale de 1.087.281,15 euros TTC ;
- de condamner la société Décathlon à rembourser à la concluante les frais de procédure engagés par cette dernière dans le cadre de la procédure en fixation du loyer à hauteur de 7.139,34 euros TTC ;
- en conséquence, de limiter la condamnation de la concluante à la somme de 32.186,33 euros TTC à l'égard de la société Décathlon au titre des sommes trop versées par cette dernière sans que cette somme ne soit assortie des intérêts au taux légal eu égard à la mauvaise foi du preneur ;
- à titre reconventionnel, de condamner, à titre principal, la société Décathlon à verser à la concluante une indemnité de 197.944,32 euros TTC à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi eu égard à l'exercice abusif et de mauvaise foi par le preneur de son droit d'option ;
- si par extraordinaire, la cour devait retenir le montant de la valeur locative retenue par les premiers juges, soit la somme de 314.466,69 euros TTC, de condamner, à titre subsidiaire, la société Décathlon à verser à la concluante une indemnité de 157.233,34 euros TTC à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi eu égard à l'exercice abusif et de mauvaise foi par le preneur de son droit d'option ;
- en tout état de cause, de débouter la société Décathlon de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- de prononcer la compensation judiciaire entre les créances respectives des parties ;
- de condamner la société Décathlon à payer à la concluante une somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner la société Décathlon aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés par maître Estelle Goubard représentant la Selarl Estelle Goubard, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'appelante expose :
11. - concernant le montant de la valeur locative retenu par le tribunal judiciaire, que le jugement entrepris et le rapport de l'expert sont contestables puisque le bail est particulièrement favorable au preneur, permettant l'exploitation de quasiment tous commerces, mettant à la charge du bailleur les grosses réparations prévues par l'article 606 du code civil et les travaux de réfection du parking, permettant au preneur de céder tout ou partie du bail sans que le bailleur puisse s'y opposer ou prétendre à une indemnité pourvu que la destination soit respectée, interdisant au bailleur en cas de sous-location de solliciter une augmentation du loyer si celui de la sous-location est supérieur à celui de la location principale, autorisant la location-gérance, accordant au preneur un droit de préférence en cas de vente des murs, prévoyant un droit d'accession interdisant au bailleur de tirer un bénéfice des aménagements réalisés par le preneur dans le cadre du calcul de la valeur locative ;
12. - que le fait que le bailleur bénéficie de certaines clauses comme un intéressement ou un droit de préférence en cas de cession du droit au bail, ne contrebalance pas les avantages concédés au preneur ; que si le bail a ainsi prévu qu'en cas de cession à une autre société que celle du bailleur, le preneur s'engage à partager avec le bailleur par moitié la différence existant entre les 300.000 euros versés par le preneur sous forme de droit d'entrée et le montant du droit au bail demandé par le preneur lors de la cession, l'expert n'a pas pris en compte que la probabilité que le preneur cède son droit au bail est très faible, ce qui prive cette clause d'effet, alors qu'il a été stipulé que rien ne sera dû au bailleur si le droit au bail est inférieur ou égal à 300.000 euros ; que le droit de préférence est anéanti par la très large destination contractuelle du bail alors que dans un tel cas, le bailleur s'interdit pendant cinq ans d'exercer une activité de vente d'articles de sport ;
13. - que le preneur est mal fondé à soutenir que les clauses qui lui étaient favorables ont pris fin avec le bail, par l'exercice de son droit d'option, de sorte que le bailleur ne peut prétendre à une majoration de la valeur locative du fait de clauses devenues inapplicables ; qu'en effet, l'indemnité d'occupation due par le preneur lors de l'exercice de son droit d'option est statutaire et s'établit au montant de la valeur locative en renouvellement ;
14. - en conséquence, que la valeur locative à retenir doit inclure les avantages accordés au preneur ;
15. - concernant la valeur locative par mètre carré, que la commercialité du plateau des couleurs n'a fait que se confirmer au détriment du centre-ville de [Localité 8] ; que si le tribunal a retenu le prix de 128 euros / m² contre celui de 120 euros arrêté par l'expert, cette valeur est encore sous-estimée et doit être fixée à 140 euros/m², s'agissant de la plus grande zone commerciale du département de la Drôme et impliquant une partie de l'Ardèche, la zone de chalandise étant estimée à 320.000 habitants répartis dans un rayon de 30 km autour de [Localité 8], avec une centaines d'enseignes; que les locaux sont en bon état d'entretien et disposent d'une très bonne visibilité ; que la valeur retenue par l'expert est inférieure à la moyenne basse constatée de 123 euros, alors que la valeur haute est de 187 euros ; que l'expert mandaté par la concluante a retenu une fourchette comprise entre 130 et 140 euros ;
16. - concernant les correctifs à appliquer à la valeur retenue, qu'il convient d'appliquer une majoration de 5 % en présence d'une clause autorisant l'exercice de tous commerces; qu'une majoration de 8 % doit être appliquée au
titre de la clause permettant au preneur de sous-louer les lieux sans que le bailleur puisse demander une augmentation de loyer de la location principale si le loyer de la sous-location est supérieur ;
17. - que le preneur est mal fondé à demander le remboursement de la taxe foncière et de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, puisque rien ne permet de justifier que le preneur ne soit pas redevable des charge même dites exorbitantes liées à l'occupation des lieux ; que l'indemnité d'occupation due par le preneur après l'exercice de son droit d'option a une double nature : statutaire entre la date d'expiration du bail et la notification de l'option, puis de droit commun entre la date de la notification de l'option et la libération des lieux ; que l'intimée ne peut être qualifiée d'occupante sans droit ni titre entre le 1er juillet 2015 et le 30 novembre 2017 et reste ainsi tenue du paiement des taxes et accessoires dus au titre du bail ; que la somme totale de 91.224,60 euros TTC doit ainsi rester à la charge du preneur au titre des taxes 2015 à 2017 ;
18. - qu'il appartient au preneur de supporter les frais de la procédure, puisque l'article L145-57 du code de commerce dispose que la partie qui a manifesté son désaccord supporte tous les frais ; que cela comprend l'intégralité des frais de l'instance, y compris non taxables, dont les honoraires d'avocat en sus de ceux alloués sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; que l'ensemble des frais exposés par la concluante représente 7.139,34 euros TTC ;
19. - que le décompte produit par l'intimée est ainsi erroné ; qu'il ne tient pas compte de l'avoir établi par la concluante de 34.917,65 euros TTC accordé en novembre 2017 (remboursement du loyer et des charges pour le mois de décembre 2017) ou une erreur concernant le taux de la TVA ; que la concluante n'est ainsi redevable que de 32.186,33 euros TTC (V.Tableau page 31 des conclusions) ;
20. - concernant la demande reconventionnelle reposant sur le comportement fautif du preneur dans l'exercice de son droit de rétractation, que la possibilité offerte au preneur ne peut être utilisée de manière dolosive sans dégénérer en abus de droit : que l'intimée a exercé son droit d'option alors que des négociations étaient en cours sur le montant du loyer de renouvellement ; qu'elle n'a pas fait part à la concluante de l'existence d'un projet de construction d'un magasin situé à 1,5 km des lieux loués en parallèle avec les négociations, bien que les travaux aient débuté en octobre 2016 ; que l'intimée avait ainsi pris sa décision de longue date, préalablement à la saisie du juge des loyers commerciaux ; qu'il n'est pas établi que ce projet était alors de notoriété publique et que le bailleur en avait connaissance ; que l'intimée a notifié son option seulement deux mois avant son départ effectif ; qu'elle a déjà usé de ce stratagème ainsi qu'il résulte d'un arrêt de la cour d'appel de Rennes du 23 janvier 2019 ; que la concluante doit ainsi recevoir une indemnité équivalente à six mois de loyers puisqu'elle n'a pu bénéficier d'un préavis suffisant pour se réorganiser et éviter une telle perte.
Prétentions et moyens de la Sas Décathlon France :
21. Selon ses conclusions remises le 22 novembre 2023, elle demande à la cour, au visa des articles L. 145-33, R.145-2 et suivants, L145-57 du code du commerce :
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
- y ajoutant, de condamner l'appelante à verser à la concluante la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de la condamner aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Selas Gallizia, Dumoulin, Alvinerie.
Elle soutient :
22. - concernant la valeur locative unitaire, que l'appelante ne démontre pas que le tribunal a commis une erreur, alors qu'il a motivé sa décision et a majoré l'estimation de l'expert judiciaire ;
23. - concernant le remboursement de la taxe foncière et de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, qu'elles ne sont pas dues par le preneur ainsi que retenu par le premier juge ; que l'exercice du droit d'option du preneur a pour effet de faire disparaître l'offre de renouvellement avec toutes ses conséquences, laissant subsister le congé et ne faisant pas revivre le bail ; ainsi, que le preneur devient occupant sans droit ni titre rétroactivement à la date d'effet du congé ; en conséquence, que l'indemnité d'occupation doit être fixée à la valeur locative définie par les articles R145-2 et suivants du code de commerce ; que la clause dérogatoire mettant à la charge du preneur la taxe foncière a disparu rétroactivement avec le bail ;
24. - que le tribunal a exactement retenu que les clauses exorbitantes doivent venir en déduction de cette valeur locative, ce qui est le cas de la taxe foncière justifiant une diminution de la valeur locative ;
25. - que si l'appelante ne conteste pas le principe de cette déduction, mais souhaite la voir limitée à l'année 2015, au motif que c'est la valeur 2015 qui a été retenue par l'expert, cependant la déduction de la taxe foncière ne résulte pas de la détermination d'une valeur locative dans le cadre d'un renouvellement du bail, mais de la détermination de l'indemnité d'occupation suite à l'exercice du droit d'option ;
26. - concernant les frais de l'instance, que si l'exercice de l'option contraint son auteur à supporter les frais de l'instance éteinte, cela ne concerne pas une instance nouvelle initiée postérieurement par le bailleur, ce qu'a retenu le tribunal ;
27. - que la confirmation du jugement déféré entraîne celle du décompte produit par la concluante et le paiement des intérêts moratoires ;
28. - concernant la demande de dommages et intérêts de l'appelante, que le tribunal l'a écartée avec raison, puisque l'exercice du droit d'option est par principe libre et sans condition ; qu'il n'a pas à être motivé ou justifié, ni encadré par un délai de préavis ;
29. - que l'appelante connaissait le projet de la concluante, produisant elle-même un article de presse antérieur à l'exercice de l'option ; que le projet de réimplantation de la concluante était de notoriété publique alors que le bail ne mettait à la charge du preneur aucune obligation d'information du bailleur.
*****
30. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
1) concernant le montant de l'indemnité d'occupation :
31. Concernant la nature de l'indemnité d'occupation, il résulte de l'arrêt de la Cour de Cassation du 5 février 2023 (n°01-16.882) que pour la période comprise entre la fin du bail et l'exercice du droit d'option, l'indemnité trouve son origine dans l'application de l'article L145-57 du code de commerce. Il en résulte que le tribunal judiciaire a exactement retenu, concernant la demande en paiement de la Sas Décathlon France, qu'en cas d'exercice par le preneur de son droit d'option, celui-ci est tenu au paiement d'une indemnité d'occupation correspondant à la valeur locative du bien, laquelle est déterminée dans les conditions fixées par l'article L145-33 du code de commerce.
32. La présente juridiction constate d'ailleurs que les parties ne contestent pas la nature de l'indemnité d'occupation, reposant sur un fondement statutaire. Il n'est en outre pas contesté par le preneur qu'il reste redevable de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Suite au courrier du preneur signifié le 11 juin 2015, par lequel il a accepté le principe du renouvellement du bail à compter du 1er juillet 2015, le bail a été renouvelé pour une durée de trois ans, seul le prix du loyer du bail renouvelé étant à déterminer.
33. La cour ne peut que confirmer l'analyse faite par le tribunal concernant le rapport d'expertise destiné à déterminer le montant de la valeur locative. L'expert a exposé que le tènement loué est constitué par un bâtiment construit dans les années 1980, de forme irrégulière, en façade sur le chemin des couleurs et la [Adresse 6] (parking), la [Adresse 6], le [Adresse 5] et la route de [Localité 7]; qu'il s'agit d'un bâtiment en bon état d'entretien ; que les locaux sont aménagés exclusivement en rez-de-chaussée selon un espace de vente accessible par deux sociétés, des réserves et des locaux d'accompagnement (bureaux, salle de repos...), le tout constituant une surface utile de 2.533 m² et une surface pondérée de 2.104,20 m² . Il précise que le local dispose grâce à sa façade sur l'axe principal, d'une très bonne visibilité, tout en relevant cependant que son accès est peu commode pour ne pas être direct depuis la route de [Localité 7], et que les places de stationnement sont également limitées et la circulation sur le parking contraignante. Au titre des éléments défavorables, l'expert a relevé que le local se situe dans la partie la plus ancienne de la zone commerciale des couleurs où les bâtiments ont été édifiés sans recherche d'homogénéité.
34. S'agissant de la destination des lieux, ainsi que constaté par le tribunal, l'expert a noté que le bail permet l'exercice de tous commerces à l'exception de toute activité à caractère alimentaire ou de jardinerie, et autorise une cession du droit au bail dans le respect de la clause de destination, sans que le bailleur ne puisse s'y opposer ou prétendre à une quelconque indemnité. L'expert ajoute que le preneur reste cependant responsable pendant une période de trois années à compter de la réalisation de cette cession de l'exécution par le cessionnaire de l'ensemble des clauses et conditions du bail, et qu'en cas de cession à une société autre que celle du bailleur, le preneur s'engage à procéder au partage, avec le bailleur, à hauteur de moitié chacun du montant dudit droit au bail correspondant au delta entre les 300.000 euros HT initialement versés par le preneur au bailleur sous forme de droit d'entrée, et le montant du droit au bail demandé par le preneur en cas de cession de bail, aucune somme n'étant toutefois due au bailleur si le droit au bail est inférieur ou égal à 300.000 euros HT.
35. Par ailleurs, l'expert rappelle l'autorisation de sous-louer les locaux, dans le respect de la clause de destination, sans que le bailleur ne puisse s'y opposer ou prétendre à une quelconque indemnité, et indique, au vu de l'ensemble de ces éléments, que les clauses du bail, favorables au preneur, sont en réalité contrebalancées par l'intéressement du bailleur dans le cadre de la cession du droit au bail, lequel peut être assimilé à une indemnité de déspécialisation, de sorte que l'on ne peut considérer que les clauses du bail bénéficient au preneur essentiellement. L'expert observe encore que si le preneur bénéficie d'un pacte de préférence en cas de vente des murs par le bailleur, ce dernier bénéficie pour sa part d'un pacte de préférence en cas de cession du bail, ce qui rééquilibre les avantages accordés à chaque partie. Enfin, l'expert estime, au vu de ces éléments, qu'il n'y a pas lieu en conséquence de majorer ou minorer la valeur locative du bien.
36. La cour ne peut que confirmer les appréciations de l'expert, aucun élément pertinent ne permettant de les remettre en cause. Si l'appelante soutient que la probabilité d'un partage par moitié de la différence existant entre les 300.000 euros versés par le preneur sous forme de droit d'entrée est faible, cet argument n'est pas fondé. Comme énoncé par le tribunal judiciaire, l'appréciation tenant aux caractéristiques du local doit être retenue dès lors que les éléments favorables relevés par l'expert apparaissent contrebalancés par des éléments plus défavorables. Il a justement considéré qu'il n'existe pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, tels qu'ils résultent du bail . Il a exactement indiqué qu'il n'est pas illégitime que le bail ait prévu que le partage ne s'opérerait que pour la partie supérieure à 300.000 euros dès lors que le bailleur a perçu cette somme lors de la conclusion du bail initial et que le preneur est fondé, à l'occasion d'une cession de bail, à récupérer celle-ci.
37. La cour ne peut également que confirmer l'analyse du premier juge concernant la clause relative au droit de préférence du bailleur, laquelle conserve son utilité malgré la large destination contractuelle et le fait que ce droit demeure limité afin d'éviter une concurrence. Comme indiqué par le tribunal, cette clause est contrebalancée par celle instaurant au profit du preneur un pacte de préférence en cas de vente des murs. Enfin, il a justement noté que la clause d'accession prévu au bail n'est pas défavorable au bailleur, le fait qu'il ne puisse tirer bénéfice des aménagements financés par le preneur dans le calcul de la valeur locative étant compensé par l'acquisition de la propriété des aménagements à la sortie du bail, alors que la clause prévoyant que le bailleur conservera à sa charge les grosses réparations de l'article 606 du code civil n'est nullement exorbitante du droit commun, de même que les clauses relatives à la sous-location et la location-gérance.
38. Ainsi que conclu par le premier juge, l'analyse de l'expert selon laquelle il existe un équilibre des droits et obligations des parties, excluant toute majoration ou minoration de la valeur locative, est fondée.
39. S'agissant des facteurs locaux de commercialité prévus à l'article R. 143-6 du code de commerce, le tribunal a énoncé que l'expert expose que la commercialité du plateau des couleurs n'a fait que se confirmer ces dernières années au détriment du centre ville de [Localité 8], que cette zone en périphérie de [Localité 8] accueille la majeure partie des enseignes nationales ; que l'enseigne Décathlon était la locomotive de cette zone, mais que cette zone s'est ensuite développée en une autre direction, de sorte que le local n'a pas connu d'évolution significative. La cour ne peut que confirmer cette appréciation qu'aucun élément ne contredit.
40. Selon le rapport d'expertise, les locations situées sur le plateau des couleurs font apparaître des loyers allant de 123 euros/m² à 187 euros/m². L'expert a ainsi proposé une valeur locative de l'ordre de 120 euros le m2 / HT et hors charges, en raison notamment du positionnement géographique du local avec une desserte peu évidente, de l'environnement peu valorisant des enseignes présentes autour de ce local, du nombre de places de stationnement limité, de la surface conséquente du local (la valeur locative diminuant en fonction de l'augmentation de la surface considérée).
41. Cependant, comme retenu par le tribunal, cette valeur de 120 euros le m², inférieure à la valeur basse de 123 euros, ne rend pas compte, alors même que le local est bien entretenu et jouit, malgré une desserte moyenne, d'une excellente visibilité depuis l'axe principal, contrairement à d'autres enseignes situées plus en retrait de cet axe, de la valeur locative du bien. La cour, adoptant cette position, confirmera ainsi la décision de première instance fixant la valeur locative à la somme de 128 euros le m².
42. Il en résulte, ainsi qu'énoncé dans le jugement déféré, que l'indemnité due sera fixée, après indexation selon les indices retenus par l'expert, à 262.055,58 euros HT et hors charges par an, soit 314.466,69 euros TTC ( au taux de 20 %) par an.
2) S'agissant de la taxe foncière et de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères:
43. Concernant le remboursement de la taxe foncière et de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, le tribunal a considéré que c'est par référence aux dispositions de l'article L 145-33 du code de commerce que l'indemnité d'occupation doit être fixée, le fait que le preneur ait exercé son droit d'option étant à cet égard sans incidence, et que par application de l'article R 145-8 du même code relatif à la détermination de la valeur locative, le juge doit tenir compte des obligations respectives des parties, notamment celles incombant normalement au bailleur et dont celui-ci s'est déchargé sur le preneur sans contrepartie, pour fixer le loyer à la valeur locative, laquelle doit être minorée, soit en procédant à un abattement forfaitaire, soit en déduisant le montant des charges de la valeur brute.
44. Il a noté que la taxe foncière, dont le remboursement est à la charge définitive du preneur, doit donner lieu à remboursement par le bailleur à hauteur de la somme de 78.285 euros TTC au titre des années 2015 (prorata), 2016 et 2017. Le tribunal a dit qu'il n'y a pas lieu en revanche au remboursement de la taxe concernant les ordures ménagères dont la charge incombe nécessairement à l'occupant des lieux.
45. La cour rappelle qu'en raison de l'acceptation de l'offre de renouvellement du bail, l'indemnité d'occupation a une cause statutaire et doit être calculée en fonction du prix du bail et de ses accessoires. L'expert a d'ailleurs déduit la taxe foncière du calcul prix du bail hors charges.
46. Il est constant que le bail a prévu que le preneur rembourse au bailleur la taxe foncière, en plus du paiement des loyers. Il en résulte que l'indemnité d'occupation, en raison de son fondement statutaire, doit intégrer la charge de la taxe foncière.
47. En conséquence, comme soutenu par l'appelante, l'intimée reste tenue de la somme totale de 91.224,60 euros au titre des taxes.
3) Sur les frais de l'instance :
48. Les frais visés à l'article L145-57 du code de commerce sont exclusivement les frais exposés avant l'exercice du droit d'option et non ceux engagés postérieurement. Confirmant le jugement déféré sur ce point au regard de la rédaction de l'alinéa 2 de cet article, la cour confirmera cette décision en ce qu'elle a dit que les frais ne pourront être retenus qu'à hauteur de la somme de 5.640 euros TTC.
4) Concernant le compte entre les parties :
49. Le premier juge a constaté qu'elles s'accordent pour dire qu'un avoir d'un montant de 34.917,65 euros TTC a été établi le 6 novembre 2017 par le bailleur en remboursement du loyer et des charges dus pour la période du 1er décembre au 31 décembre 2017 et que le compte s'établit en conséquence comme suit :
* sommes dues par la Sas Décathlon France: 314.466,69 euros TTC / 12 x 29 mois = 759.961,16 euros ; 759.961,16 euros - 78.285 euros = 681.676,16 euros ;
* soit 1.087.281,15 euros TTC (somme versée par la Sas Décathlon France après déduction de l'avoir de 34.917,65 euros) - 681.676,16 euros = 405.604,99 euros ;
* 405.604,99 euros - 5.640 euros = 399.964,99 euros.
50. Le tribunal en a conclu que dans la limite de la demande, le bailleur sera condamné à payer à la Sas Décathlon France la somme de 371.853,65 euros TTC, avec intérêts légaux à compter de l'assignation, conformément à l'article 1231-6 du code civil.
51. La cour, en raison de ce qui a été indiqué plus haut au titre des taxes foncières et d'enlèvement des ordures ménagères, constate que le total des sommes dues par l'intimée est de 856.825,76 euros (759.961,16 + 91.224,60 euros au titre des taxes + 5.640 euros au titre des frais concernant la fixation du prix du bail renouvelé). Il n'est pas contesté qu'elle a réglé 1.087.281,15 euros TTC. Le solde de sa créance à l'égard du bailleur est ainsi de 230.455,39 euros TTC. Le jugement déféré sera donc infirmé concernant le montant de la somme que l'appelante devra restituer. Statuant à nouveau, la cour condamnera l'appelante à payer cette somme à la société Decathlon France.
5) Concernant la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour exercice abusif du droit d'option :
52. Le tribunal a énoncé que, comme avancé par la Sas Décathlon France, le droit d'option n'impose aucune condition préalable d'information à la charge du locataire et l'exercice de ce droit n'a pas à être motivé par ce dernier. Il a observé que le projet de réimplantation d'un magasin Décathlon pouvait être connu de tous, comme le démontre l'article de France Bleu du 4 septembre 2017, et que la liberté qui s'attache à l'exercice de ce droit contrevient à l'affirmation selon laquelle celui-ci devrait être exercé de manière exceptionnelle, étant observé que l'exercice de ce droit par le locataire n'entraîne pas la révocation légale d'un engagement, mais comme le souligne la Sas Décathlon France, entraîne la renonciation du droit au renouvellement. Enfin, il a noté qu'aucun délai de préavis n'est prévu par l'article L145-57 du code de commerce, de sorte qu'aucun grief ne peut être formulé de ce chef à l'encontre de la Sas Décathlon France qui a notifié l'exercice de son droit d'option deux mois avant la restitution des locaux. Le tribunal en a retiré qu'aucun abus dans l'exercice du droit d'option n'est caractérisé.
53. La cour ne peut qu'approuver cette motivation, conforme aux dispositions de l'article L145-57 du code de commerce, la preuve d'un abus de droit n'étant pas rapportée par l'appelante. Selon l'article du 4 septembre 2017, l'annonce a été faite concernant l'ouverture d'un nouveau magasin Décathlon de 4.000 m² le 8 novembre sur la zone de [Localité 8] 2, remplaçant le site du plateau des couleurs. L'extrait du site de la commune de [Localité 8] indique que les travaux concernant l'implantation du magasin ont débuté en octobre 2016. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté l'appelante de cette demande.
6) Sur les demandes accessoires :
54. Le tribunal a fait une exacte appréciation des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de la charge des dépens. Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.
55. Le sens du présent arrêt conduit à laisser à la charge de chacune des parties les frais qu'elle a exposés en application de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour, outre les dépens exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu les articles L145-1 et suivants du code de commerce ;
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SCPI Epargne Foncière à payer à la Sas Décathlon France, au titre du compte des parties, la somme de 371.853,65 euros TTC, avec intérêts légaux à compter de l'assignation ;
Confirme le jugement déféré en ses autres dispositions soumises à la cour ;
statuant à nouveau ;
Condamne la SCPI Epargne Foncière à payer à la Sas Décathlon France, au titre du compte des parties, la somme de 230.455,39 euros TTC, avec intérêts légaux à compter de l'assignation ;
y ajoutant ;
Laisse à la charge de chacune des parties les frais qu'elle a exposés en application de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour, outre les dépens exposés en cause d'appel, dont distraction au profit de maître Estelle Goubard, représentant la Selarl Estelle Goubard, et au profit de la Selas Gallizia, Dumoulin, Alvinerie, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.