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Décisions

CA Rennes, 9e ch., 29 mars 2017, n° 15/03747

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Utilisation du Cheval Breton (Association)

Défendeur :

Mutuelle Sociale Agricole d’Armorique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lerner

Conseillers :

M. Pedron, Mme Le Quellec

TASS Saint-Brieuc, du 9 avr. 2015

9 avril 2015

FAITS ET PROCÉDURE :

Le 14 avril 2011, Mme R., salariée de l'association Utilisation du Cheval Breton (l'employeur) en qualité de palefrenière, dresseuse, entraîneuse, selon un contrat d'accompagnement dans l'emploi (CAE) à durée déterminée, a été victime d'un accident du travail déclaré le 15 avril 2011, l'employeur mentionnant que « lors d'un débourrage qui se fait en travail aux longues guides, Mlle R. a voulu aller devant le cheval le contrôler car celui-ci bougeait et quand elle est passée derrière, celui-ci lui a envoyé un coup de pied dans la tête. A ce moment-là elle était accompagnée de M. T. qui tenait les rênes du cheval », étant précisé que cette opération de débourrage était effectuée sur la voie publique. Le certificat médical initial en date du 22 avril 2011 mentionne « ecchymose péri orbitaire bilatérale ; pas de rhinorrhée ; 'dème zone gauche avec diminution de la sensibilité ; strabisme 'il gauche divergeant ; hypoacousie oreille gauche ».

Par un courrier en date du 17 mai 2011, la caisse de mutualité sociale agricole d'Armorique (la caisse) a informé la salariée de la prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle.

Après une vaine tentative de conciliation, le 27 juin 2014, Mme R. a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Côtes d'Armor afin de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur.

Par un jugement du 09 avril 2015, le tribunal des affaires de sécurité sociale a :

- reconnu la faute inexcusable de l'employeur ;

- fixé en conséquence au maximum prévu par la loi la majoration de la rente accident du travail servi à Mme R. ;

- rappelé que cette majoration sera payée par la caisse qui en récupérera le montant auprès de l'employeur conformément aux dispositions des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale ;

- alloué à Mme R. une provision de 3.000 euros à valoir sur son préjudice avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- dit que la caisse pourra récupérer auprès de l'employeur l'intégralité des conséquences financières imputables à la reconnaissance de la faute inexcusable et dont elle devra faire l'avance ;

- dit que ces sommes seront productives d'intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la première demande de remboursement et jusqu'à paiement effectif ;

- ordonné une expertise médicale afin d'évaluer le préjudice subi par Mme R. ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- condamné l'association Utilisation du Cheval Breton à payer à Mme R. la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Pour statuer ainsi, le tribunal retient que l'employeur aurait dû avoir conscience de la nécessité d'évaluer les risques spécifiques liés aux opérations de débourrage et des conséquences possibles de sa défaillance à établir un document unique d'évaluation des risques, qu'en l'absence de prévention et d'organisation des opérations de débourrage, cause nécessaire de la survenue de l'accident, la faute inexcusable de l'employeur doit être retenue.

L'employeur, auquel le jugement a été notifié le 18 avril 2015 en a interjeté appel le 12 mai 2015.

Une expertise médicale, dont le rapport a été dressé le 31 août 2015, a été effectuée par le Docteur L.. En tenant compte de la date de consolidation fixée au 30 avril 2013 et du taux d'incapacité fixé à 20%, le docteur L. :

- détermine le déficit fonctionnel temporaire total à 100% du 14 avril 2011 au 22 avril 2011 ;

- détermine le déficit fonctionnel temporaire partiel classe II pendant 3 semaines ;

- détermine le déficit fonctionnel temporaire partiel classe I jusqu'au 30 avril 2013 ;

- estime le préjudice des souffrances endurées à 3/7 pour le traumatisme violent, les fractures au niveau facial, et le traumatisme psychologique ;

- estime le préjudice esthétique temporaire à 3,5/7 pendant trois semaines, du fait de multiples hématomes et des fractures faciales ;

- estime le préjudice esthétique permanent à 2,5/7 ;

- estime qu'il n'existe pas de préjudice sexuel ;

- dit qu'il existe un préjudice d'agrément temporaire avant consolidation concernant la piscine, le cheval et les rencontres avec les professionnels du milieu hippique ;

- estime qu'il n'existe pas de préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ;

-dit que « l'état de santé de Mme R. peut encore évoluer (cicatrices frontales de 1,2cm X 1 cm creusée), et un strabisme divergent nécessitant un avis ophtalmologique. »

-dit que l'état de santé de Mme R. a nécessité l'assistance d'une tierce personne environ 1h30 par jour pendant trois semaines, après son hospitalisation ;

-dit que l'état de santé de Mme R. n'a pas nécessité et ne nécessite pas d'aménagement, ni du domicile, ni du véhicule.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Par des observations orales développées par son représentant légal, M. G., l'association Utilisation du Cheval Breton a demandé à la cour d'infirmer le jugement déféré.

L'employeur fait valoir en substance que Mme R. était une salariée imprévisible et qui « n'avait pas le sens du cheval ». Il soutient qu'en passant trop près du cheval, sans garder de contact visuel avec lui, la salariée a commis une erreur qui est à l'origine de l'accident.

Par ses écritures, auxquelles s'est référé, qu'a développées et complétées son conseil lors de l'audience, Mme R. demande à la cour de confirmer le jugement déféré.

A l'audience, le conseil de Mme R. sollicite en outre le paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 en cause d'appel.

Mme R. reprenant ses conclusions de première instance, soutient qu'elle a été engagée à compter du 02 août 2010, à l'âge de 19 ans, en qualité de palefrenière, dresseuse, entraîneuse dans le cadre d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi, contrat à durée déterminée qui implique une obligation de formation à la sécurité renforcée, obligation que l'employeur n'a pas remplie. Elle invoque ainsi la présomption de la faute inexcusable.

Elle soulève également que le rapport de l'inspection du travail, établi suite à son accident, a conclu à l'absence de document unique d'évaluation des risques professionnels, infraction prévue et réprimée par l'article R.4741-1 du code du travail. Elle se prévaut de plus de l'absence d'équipement de protection individuel.

Dès lors, elle soutient que tous ces éléments révèlent la faute inexcusable de l'employeur qui n'a pas respecté son obligation légale de sécurité de résultat, cause nécessaire de l'accident.

Par ses conclusions, auxquelles s'est référé et qu'a développées son représentant à l'audience, la caisse s'en remet à prudence de justice sur le principe de la faute inexcusable et demande à la cour de confirmer le jugement déféré en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

MOTIFS DE LA DECISION :

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de résultat. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

L'article L.4154-3 du Code du travail dispose que « La faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale est présumée établie pour les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ils n'auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l'article L.4154-2. ».

Il résulte de cet article que l'employeur a l'obligation de délivrer une formation à la sécurité renforcée à ses salariés engagés en contrat à durée déterminée affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé et leur sécurité, qu'en l'absence d'une telle formation, et en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle, la faute inexcusable de l'employeur est présumée.

En l'espèce, Mme R. a été engagée dans le cadre d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi, contrat à durée déterminée, et a été victime d'un accident du travail lors d'une opération de débourrage sur la voie publique, opération qui présentait des risques particuliers pour sa santé et sa sécurité. Pour autant, il ressort des pièces du dossier que la salariée n'a pas reçu de formation à la sécurité renforcée à l'initiative de l'employeur, Mme R. ayant par ailleurs indiqué qu'elle n'avait reçu qu'une seule heure de formation en la matière au cours de sa scolarité.

Il résulte de ces éléments que la faute inexcusable doit être ici présumée.

Au surplus, en l'absence de document unique d'évaluation des risques professionnels, l'employeur ne s'est pas mis en situation d'organiser les opérations de débourrage sur voie publique, qui constituent un risque pour les salariés, et en conséquence d'organiser le travail de la salariée, de manière à assurer sa sécurité. Il n'a pas plus fourni l'équipement de protection individuel nécessaire, l'employeur reconnaissant lui-même qu'il ne savait pas si Mme R. portait une bombe le jour de l'accident.

Par ailleurs, la faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable, seule une faute inexcusable de la victime, au sens de l'article L.453-1 du Code de la sécurité sociale peut permettre de réduire la majoration de sa rente. Présente un tel caractère la faute volontaire de la victime d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience.

En l'espèce, l'association n'apporte aucunement la preuve que l'accident est dû aux erreurs d'appréciation de la salariée au moment de l'accident, comme elle le fait valoir. Au contraire l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de sécurité de résultat en laissant une salariée, qu'il considérait incompétente et imprévisible, sans encadrement pour une opération aussi délicate que le débourrage.

Il y a donc lieu de reconnaître la faute inexcusable de l'employeur et de fixer au maximum prévu par la loi la majoration de la rente accident du travail servi à Mme R., et au vu des éléments médicaux produits de confirmer la provision allouée.

L'association succombant en son recours sera condamnée à payer la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant contradictoirement par arrêt mis à disposition au greffe ;

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

CONDAMNE l'association Utilisation du Cheval Breton à verser à Mme R. la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.