Livv
Décisions

Cass. soc., 8 juillet 2014, n° 13-15.470

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Rapporteur :

M. Chauvet

Avocat général :

M. Lalande

Avocats :

SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Laugier et Caston, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Pau, du 7 févr. 2013

7 février 2013

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société D..., qui a pour activité la fabrication de sièges, a fait l'objet en 2005, d'une restructuration avec la fermeture de son site de Chaumont entraînant la suppression de 166 emplois ; que le 22 janvier 2008, les titres de la société ont été cédés à la société Sofarec, filiale créée par la société GMS investissements, son actionnaire unique ; que le 4 mai 2009, la société D... a bénéficié d'une procédure de redressement judiciaire et M. DDD... a été désigné en qualité de mandataire judiciaire et MM. L... et M... en qualité d'administrateurs ; que le 20 juillet 2009, les administrateurs judiciaires, dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, ont notifié leur licenciement pour motif économique à 166 salariés ; que le 19 avril 2010, la société D... a été placée en liquidation judiciaire, M. DDD... étant désigné en qualité de liquidateur ; que Mme X... et un certain nombre de salariés ont saisi la juridiction prud'homale ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les salariés font grief à l'arrêt de dire régulière la procédure d'information consultation du comité d'entreprise et de les débouter de leurs demandes de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ que la présence aux côtés de l'employeur, lors d'une réunion du comité de l'entreprise, de deux personnes n'appartenant pas à l'entreprise constitue une irrégularité de la procédure d'information-consultation justifiant l'indemnisation du préjudice en résultant ; qu'en considérant que la procédure d'information-consultation du comité d'entreprise était régulière, après avoir constaté la présence aux côtés de l'employeur de personnes étrangères à l'entreprise, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 2324-1 et L. 2325-1 du code du travail ;

2°/ que même en cas de procédure collective, le comité d'entreprise doit être présidé par l'employeur ; qu'en considérant que la procédure d'information-consultation du comité d'entreprise était régulière, après avoir constaté qu'il avait été présidé par l'administrateur judiciaire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé, ensemble, les articles L. 2324-1 et L. 2325-1 du code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que la présence de personnes étrangères à l'entreprise avait été acceptée par les membres du comité d'entreprise, qui les avaient d'ailleurs interrogées, et que cette présence n'avait pas porté atteinte à l'équilibre de la procédure consultative, a pu en déduire que l'irrégularité invoquée n'était pas constituée ;

Attendu, ensuite, que la cour d'appel a également constaté la présence à ces réunions du président du directoire, aux côtés de l'administrateur judiciaire qui avait reçu mission de l'assister ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les salariés font grief à l'arrêt de rejeter les moyens tirés de l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi de 2009 et de les débouter de leurs demandes indemnitaires, alors, selon le moyen :
1°/ que dès sa première présentation au comité d'entreprise, le plan de sauvegarde de l'emploi doit comporter des mesures concrètes et précises en vue de favoriser le reclassement des salariés et notamment indiquer le nombre, la nature et le lieu des postes susceptibles d'être offerts pour leur reclassement ; qu'en l'espèce, statuant sur la pertinence du plan de sauvegarde de l'emploi de la société D..., la cour d'appel a constaté que sur le reclassement interne, le plan de sauvegarde de l'emploi indiquait seulement qu'il n'existait qu'un poste disponible à pourvoir susceptible de faire l'objet d'une proposition de reclassement et que le poste de directeur des achats qu'il était envisagé de créer ne pouvait être proposé à aucun des salariés concernés par le projet de licenciement, avant de relever en contradiction avec ce qui précède que 30 propositions de reclassement avaient cependant été faites, dont plusieurs ont été acceptées par des salariés qui ont ensuite été licenciés dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi 2009 ; qu'en considérant que le plan de sauvegarde de l'emploi était suffisant, alors qu'il résultait de ses constatations qu'il ne comportait aucune indication sur le nombre, la nature et le lieu des postes qui ont pu être offerts pour le reclassement de plusieurs salariés, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-61 et L. 1233-62 du code du travail ;

2°/ qu'en application des articles L. 1233-61 et L. 1233-62 du code du travail, l'employeur doit établir un plan de sauvegarde de l'emploi comportant des mesures concrètes et précises, en recherchant à cet effet toutes les possibilités de reclassement qui existent dans l'entreprise et, lorsque celle-ci appartient à un groupe, dans les entreprises du même groupe dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ; qu'en l'espèce, les salariés avaient fait valoir que la société D... faisait partie d'un groupe incluant une société Optimum, située à Agen qui exerçait dans le même secteur d'activité et partageait un dirigeant commun (M. E...), au sein de laquelle il existait des postes à pourvoir qui auraient dû leur être proposés ; que la cour d'appel, qui a relevé que les salariés invoquaient l'existence d'un groupe, la possibilité d'assurer leur reclassement au sein de la société Optimum et les carences du plan qui ne mentionnait pas cette dernière, a estimé que les sociétés in bonis en cause (SAS Financière GMS ¿ GMS Investissement, Sarl GMS participation et SAS Sofarec) ne remplissaient pas les conditions suffisantes pour pouvoir être considérées comme constituant avec la société D... un groupe de reclassement au sens du droit social, permettant la permutation de tout ou partie du personnel ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si la société Optimum ne pouvait pas être considérée comme une entreprise appartenant au même groupe que la société D... et dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettaient d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, et s'il n'existait pas au sein de celle-ci des possibilités de reclassement qui n'avaient pas été mentionnées dans le plan de sauvegarde de l'emploi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1233-61 et L. 1233-62 du code du travail ;

3°/ que la pertinence du plan de sauvegarde de l'emploi doit s'apprécier au regard des moyens du groupe dont fait partie l'entreprise ; qu'en considérant que les mesures du plan de sauvegarde de l'emploi de la société D... étaient suffisantes au regard des seuls moyens de cette entreprise, alors qu'elle avait constaté qu'elle faisait partie d'un groupe avec la SAS Sofarec et la Sarl GMSI, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-10 du code du travail ;

4°/ que la pertinence du plan de sauvegarde de l'emploi doit s'apprécier au regard des moyens du groupe dont fait partie l'entreprise, qu'en confondant la notion de moyens du groupe avec celle de groupe de reclassement, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 1235-10 du code du travail ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que le plan de sauvegarde de l'emploi finalement arrêté, comportait des mesures concrètes et précises pour faciliter le reclassement du personnel dans l'entreprise et constaté l'absence de possibilités de reclassement dans les sociétés du groupe, la cour d'appel a pu décider que le plan de sauvegarde de l'emploi était en rapport avec la situation de l'entreprise et du groupe ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les troisième et quatrième moyens :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens qui ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le cinquième moyen :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que pour débouter 51 salariés de leur demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de formation et d'information, l'arrêt retient qu'à l'examen des justificatifs produits, il est également possible de constater que plusieurs salariés ont suivi plusieurs de ces formations ; que cependant, de l'examen des documents produits, il est constaté que 117 salariés parmi les appelants n'ont fait l'objet d'aucune formation pendant plusieurs années, soit, au moins, de 2004 à 2009 ; qu'en effet, il ressort des pièces produites que 19 des salariés compris dans les 136 cités par les appelants, et non 139 comme indiqué par erreur dans leurs conclusions, ont suivi au moins une formation entre 2006 et 2009, que le fait que ces salariés n'ont bénéficié d'aucune formation professionnelle continue pendant plusieurs années dans l'entreprise caractérise un manquement de l'employeur à son obligation de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi qui entraîne nécessairement pour eux un préjudice qu'il convient de réparer en fixant pour chacun la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs ne permettant pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur les motifs de rejet des demandes de 51 salariés, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le sixième moyen :

Vu les articles 1382 et 1383 du code civil ;

Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes de dommages-intérêts de vingt salariés à l'encontre des sociétés Sofarec, Financière GMS et GMS Participation, la cour d'appel retient que les différents actes et interventions, réalisés à l'initiative et au profit soit de l'actionnaire unique, la société Sofarec, soit de la société Financière GMS qui intervenait au nom et pour le compte de l'actionnaire unique de Sofarec, sans démonstration de l'intérêt pour la société D... qui les a financées ou en a supporté seule les conséquences, sont des négligences ou des légèretés blâmables qui ont privé l'employeur de moyens de financement du plan de sauvegarde de l'emploi et donc au détriment des salariés qui ont été privés de mesures susceptibles de favoriser leur reclassement ou leur reconversion, leur causant ainsi, par cette perte de chance, un préjudice distinct de celui éprouvé par l'ensemble des créanciers de la procédure collective et qui doit être réparé, que le montant des dommages-intérêts sera donc fixé à la somme de 3 000 euros pour chacun des 143 salariés appelants, après exclusion des 20 salariés qui ont bénéficié de la convention d'allocations spéciales du fonds national pour l'emploi (ASFNE) qui leur interdit de remettre en discussion la régularité et la légitimité de la rupture de leur contrat de travail ;

Qu'en statuant ainsi, alors que si l'adhésion des salariés à la convention passée entre l'employeur et l'Etat les prive, sauf fraude ou vice du consentement, de la possibilité de discuter la régularité, la légitimité ou la validité de leur licenciement en raison de leur classement dans la catégorie des salariés ne pouvant faire l'objet d'un reclassement et du versement d'une allocation spéciale jusqu'au jour de la retraite, elle ne rend pas irrecevable une action en responsabilité extra-contractuelle dirigée contre un tiers auquel sont imputées des fautes ayant concouru à la déconfiture de l'entreprise et, par là, à la perte des emplois dès lors que ces fautes se distinguent des manquements qui pourraient être reprochés à l'employeur en ce qui concerne le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ou de l'obligation de reclassement, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le septième moyen :

Vu les articles L. 4121-3 et R. 4121-1 du code du travail ;

Attendu que pour rejeter la demande des salariés en paiement de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation d'établir le document unique d'évaluation des risques, la cour d'appel retient que ce dernier n'était pas tenu d'une telle obligation en l'absence d'indication et de précision et a fortiori à défaut de preuve sur les substances ou préparations chimiques utilisées au sein de l'entreprise D... ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte des textes susvisés, que l'employeur est tenu d'évaluer dans son entreprise les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et de transcrire les résultats dans un document unique, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté les salariés de leur demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation d'établir le document unique d'évaluation des risques, en ce qu'il a débouté Mmes et MM. X..., F..., G..., H..., I..., J..., K... N..., OOO..., PPP..., Thi-Moine O..., P..., Q..., Q..., R..., S..., T..., U..., Y..., V..., W..., XX..., YY..., ZZ..., AA..., BB..., CC..., DD... EE..., FF..., RRR..., GG..., HH..., MM..., NN... SSS..., OO..., PP..., QQ..., RR... CCC..., SS..., TT..., UU..., VV..., WW... de leur demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de formation et d'adaptation et en ce qu'il a déclaré irrecevables Mmes et M. YYY..., ZZZ..., AAA..., BBB..., EEE..., FFF..., Y..., GGG..., Evelyne HHH..., Solange HHH..., CC..., III..., FF..., JJJ..., KKK..., JJ..., LLL..., MMM... PP... et NNN... en leurs demandes de dommages-intérêts dirigées à l'encontre des sociétés Sofarec, Financière GMS et GMS Participation, l'arrêt rendu le 7 février 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.