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Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 13, 11 juin 2024, n° 21/05346

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/05346

11 juin 2024

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 11 JUIN 2024

(n° , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05346 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDKSQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Février 2021 -Tribunal judiciaire d'EVRY - RG n° 19/01373

APPELANTS :

Monsieur [L] [U]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Rémy BARADEZ de la SELARL BREMARD-BARADEZ & ASSOCIÉS, avocat au barreau D'ESSONNE, avocat postulant

Représenté par Me Benjamin ENGLISH, avocat au barreau de ST BRIEUC, avocat plaidant substitué par Me Joana DE JESUS, avocat au barreau de ST BRIEUC

S.E.L.A.R.L. AVOCAT LOIRE CONSEIL

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Rémy BARADEZ de la SELARL BREMARD-BARADEZ & ASSOCIÉS, avocat au barreau D'ESSONNE, avocat postulant

Représentée par Me Benjamin ENGLISH, avocat au barreau de ST BRIEUC, avocat plaidant substitué par Me Joana DE JESUS, avocat au barreau de ST BRIEUC

INTIMEE :

S.A.S. MAISONS PIERRE prise en la personne de son Président, domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056, avocat postulant

Représentée par Me Laurent LEVY assisté de Me Micha'l PIQUET-FRAYSSE, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidants substitué par Me Ilyes GHARBI, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente chargée du rapport, et Mme Estelle MOREAU, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 11 juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

La société par actions simplifiées Maisons pierre, qui exploite une activité de commercialisation et de construction de maisons individuelles, a fait assigner la SAS CT Val de Loire (CTVL) et sa société mère, la SAS [M] constructions, en concurrence déloyale et parasitisme devant le tribunal de commerce de Paris qui, par jugement assorti de l'exécution provisoire en date du 20 janvier 2012, a dit que les sociétés CTVL et [M] constructions ont commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l'encontre de la société Maisons pierre et les a condamnées solidairement à lui payer la somme de 1 540 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis outre 30 000 euros au titre des frais irrépétibles.

La Selarl Avocat Loire conseil, prise en la personne de son gérant, M. [L] [U], a assisté les sociétés CTVL et [M] constructions dans le cadre de cette procédure.

Par arrêt du 27 février 2013, la cour d'appel de Paris a infirmé ce jugement.

Par arrêt du 20 mai 2014, la Cour de cassation a partiellement cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 27 février 2013 en ce que celle-ci a rejeté les demandes formées par la société Maisons pierre au titre du parasitisme contre les sociétés CTVL et [M] constructions et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée, laquelle a été saisie le 31 juillet 2014.

En exécution de ces décisions, la société Maisons pierre a, par acte d'huissier du 26 juin 2014, procédé à une saisie-attribution entre les mains de la Selarl Hj Melun afin d'obtenir le recouvrement de la somme de 1 586 198,50 euros correspondant au montant de la condamnation prononcée par le tribunal de commerce de Paris augmentée des intérêts et frais.

Le 23 juillet 2014, les sociétés CTVL et [M] constructions ont assigné la société Maisons pierre devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Orléans aux fins notamment d'annulation de la procédure d'exécution.

Par ordonnance du 30 avril 2015, le premier président de la cour d'appel de Paris a refusé de suspendre l'exécution provisoire attachée au jugement du tribunal de commerce du 20 janvier 2012.

Par jugement du 5 janvier 2015 confirmé par un arrêt de la cour d'appel d'Orléans du 23 avril 2015, le juge de l'exécution a débouté les sociétés CTVL et [M] constructions de l'ensemble de leurs demandes et validé les saisies-attributions pratiquées par la société Maisons pierre le 26 juin 2014.

Par actes d'huissier de février et mars 2015, la société Maisons pierre a mis en place plusieurs saisies-attributions entre les mains de différents clients de la société CTVL ayant conclu auprès d'elle des contrats de construction de maisons individuelles.

Par jugement du 21 septembre 2015, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Orléans a notamment validé les saisies-attributions pratiquées à la requête de la société Maisons pierre les 12 mars, 14 mars et 31 mars 2015 entre les mains de M. [P] et Mme [R], de Mme [X] et M. [A] et de Mme [O] et M. [Y] et a débouté la société CTVL et la société [M] constructions de leur demande de délais de paiement.

Par ordonnance du 19 novembre 2015, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Paris a radié du rôle l'affaire sur renvoi de la Cour de cassation et dit qu'elle ne sera rétablie que sur justification de l'exécution de la décision attaquée.

Par jugement du tribunal de commerce du 19 mai 2016, la liquidation judiciaire des sociétés CTVL et [M] constructions a été ouverte.

Par ordonnance du 9 février 2017, le conseiller de la mise en état de la présente cour a rejeté la demande de rétablissement de l'affaire au rôle sollicitée par les liquidateurs judiciaires des sociétés CTVL et [M] constructions faute pour eux de justifier de l'exécution de la première décision.

Par différents courriers adressés aux tiers saisis en juillet 2015, la société CTVL a indiqué à ses clients en visant un courrier de son avocat, M. [U], que rien ne s'opposait au paiement directement entre ses mains des appels de fonds.

Après plusieurs sommations interpellatives réalisées auprès des tiers saisis, ces derniers ont expliqué avoir reçu le courrier de la société CTVL ainsi que la lettre de son conseil leur demandant de lui régler directement les appels de fonds et avoir ainsi réglé directement leurs appels de fonds auprès de la société CTVL.

C'est dans ces conditions que par exploit d'huissier du 19 février 2019, la société Maisons pierre a assigné M. [U] et la Selarl Avocat Loire conseil en réparation de ses préjudices devant le tribunal de grande instance d'Evry qui par jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 12 février 2021, rectifié le 28 mai suivant, a :

- dit que la responsabilité délictuelle de M. [U] est engagée à l'égard de la société Maisons pierre au titre d'un manquement à ses obligations contractuelles d'information et de conseil délivrées à l'égard des sociétés CTVL et [M] constructions,

- dit qu'en application de l'article 16 de la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990, la Selarl Avocat Loire conseil est solidairement responsable avec chaque associé au titre des actes professionnels qu'il accomplit,

- condamné la Selarl Avocat Loire conseil à payer la somme de 211 358,51 euros à titre de dommages et intérêts à la société Maisons pierre correspondant à la perte de chance de pouvoir bénéficier des effets des saisies-attributions notifiées aux consorts [Z], [E], [P]- [R], [V]-[D], [Y]-[O] et à la SCI Miranville- débouté la société Maisons pierre de sa demande au titre des frais de procédure et du préjudice moral,

- condamné la Selarl Avocat Loire conseil à payer à la société Maisons pierre la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles,

- condamné la Selarl Avocat Loire conseil aux dépens de l'instance.

Par déclaration du19 mars 2021, M. [U] et la Selarl Avocat Loire conseil ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 2 décembre 2021, M. [L] [U] et la Selarl Avocat Loire conseil demandent à la cour de :

- réformer le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Maisons pierre de sa demande au titre des frais de procédure et du préjudice moral,

à titre principal,

- débouter la société Maisons pierre de son appel 'reconventionnel',

- débouter purement et simplement la société Maisons pierre de l'ensemble de ses demandes dirigées à leur encontre,

à titre subsidiaire, si la cour devait reconnaître l'existence d'une faute sur un fondement délictuel et d'un préjudice actuel, direct et certain,

- dire et juger que le préjudice ne pourrait reposer que sur une perte de chance, dont l'appréciation sera laissée à la cour mais qui ne pourrait être que minime, voire purement symbolique, et en tous les cas bien plus faible que la proportion retenue par le jugement dont appel,

- dire et juger qu'eux-mêmes ou tout substituant ayant exécuté les condamnations proposées seront subrogés dans les droits de la société Maisons pierre, contre ses propres débiteurs et les débiteurs de ces derniers, à concurrence de ces condamnations,

en tout état de cause,

- condamner la société Maisons pierre à leur payer chacun la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société demanderesse aux entiers dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 6 septembre 2021, la SAS Maisons pierre demande à la cour de :

- la recevoir en son appel incident,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf sur le quantum du préjudice,

statuant à nouveau,

- condamner in solidum M. [U] et la Selarl Avocat Loire conseil à lui payer la somme de 257 663,34 euros de dommages et intérêts correspondant à la perte de chance de bénéficier des effets des saisies-attributions notifiées aux époux [Z], Mme [E], M. [P], Mme [R], M. [V], Mme [D], M. [Y], Mme [O], la SCI Miranville,

y ajoutant,

- condamner in solidum M. [U] et la société Selarl Avocat Loire conseil à lui payer la somme de 10 000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel, dont distraction, pour ceux la concernant au profit de maître Hardouin de la Selarl 2H Avocats et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 mars 2024.

SUR CE,

Sur la responsabilité de M. [U] et de la Selarl Avocat Loire conseil

Sur la faute

Le tribunal judiciaire a jugé que la responsabilité délictuelle de M. [U], en sa qualité d'avocat de M. [M] pour le groupe [M] constructions et sa filiale la société CTVL, est engagée à l'égard de la société Maisons pierre en ce que :

- en conseillant à son client de passer outre les mesures d'exécution forcées effectuées par la société Maisons pierre en se fondant sur une mauvaise application des textes et de la jurisprudence, il a manqué à ses obligations contractuelles de délivrer une information juridique exacte et à son devoir de conseil,

- le respect de ses obligations impose à l'avocat de ne pas donner des informations inexactes à son client afin de satisfaire le but recherché mais au contraire de lui rappeler le droit applicable, les risques encourus, de le conseiller et éventuellement l'assister dans le cadre de procédure à entreprendre pour défendre ses intérêts et à défaut de pouvoir dissuader son client de se retirer du dossier.

M. [U] et la Selarl Avocat Loire conseil soutiennent qu'ils n'ont commis aucune faute, en ce que :

- si la responsabilité de l'avocat a pu parfois être consacrée en jurisprudence sur un fondement délictuel ce n'est pas pour des fautes relatives à l'accomplissement d'obligations strictement attachées à l'exercice du mandat que sont l'obligation d'information et de conseil,

- la faute invoquée par le tiers à l'appui de son action en responsabilité délictuelle doit se distinguer de l'inexécution du contrat et revêtir une certaine spécificité par rapport à la faute contractuelle : elle doit être détachable ou indépendante du contrat,

- l'instance a pour particularité d'être engagée non pas par un ancien client mais par la société Maisons pierre, adversaire de ses clients, ce qui a une incidence quant au fondement juridique de l'action envisagée et à la teneur des obligations mises à leur charge puisque l'avocat ne saurait être tenu d'une obligation d'information et de conseil vis-à-vis d'un tiers, a fortiori certainement pas de l'adversaire de son client,

- aucun fondement juridique ne permet au tiers d'engager la responsabilité de l'avocat dans cette situation,

- même à imaginer qu'une telle action ait été intentée non pas par la société Maisons pierre mais par les clients destinataires des saisies-attributions, il en serait de même s'agissant de tiers au mandat confié à l'avocat, lesquels pouvaient aussi se faire assister ou conseiller,

- si la société CTVL, qui n'était pas tenue à la confidentialité des échanges entretenus avec son avocat, pouvait produire les courriers qui lui ont été adressés par son avocat, il ne faut pas 'perdre de vue' que le courrier analysé par la société Maison pierre et le tribunal n'a pas été rédigé pour être communiqué à des tiers et lu par les tiers saisis mais l'a été à la seule destination du client de l'avocat dans le cadre d'une relation contractuelle,

- l'avocat a soutenu une position permettant d'argumenter au soutien des intérêts de son client, laquelle pouvait être contestée le cas échéant devant une juridiction mais ne saurait servir à l'adversaire de son client se plaignant qu'elle ne lui plaît pas,

- la circonstance de ce que par la suite les sociétés ont déposé leur bilan est indépendante,

- enfin, les affirmations de la société Maisons pierre selon lesquelles l'avocat aurait tû certaines informations volontairement devant le juge de l'exécution pour ne pas déclencher l'alerte du commissaire aux comptes relèvent du procès d'intention voir d'une éventuelle faute déontologique, or le juge de la responsabilité civile n'est pas le juge disciplinaire.

La SAS Maisons pierre réplique que M. [U] et la Selarl Avocat Loire conseil ont engagé leur responsabilité, en ce que :

- les manquements contractuels d'une partie à un contrat sont susceptibles d'engager sa responsabilité délictuelle vis-à-vis des tiers si ce manquement leur cause un préjudice, sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute délictuelle distincte,

- la thèse de l'autonomie de la faute extracontractuelle développée par les appelants s'oppose à la doctrine de l'assimilation selon laquelle tout manquement contractuel constitue en lui-même une faute extracontractuelle à l'égard des tiers, consacrée par deux arrêts de la Cour de cassation (Ass. Plén. 6 octobre 2006 n°05-13.255, Ass. Plén. 13 janvier 2020 n°17-19.963),

- le moyen relatif à la notion de faute détachable est inopérant en ce que la jurisprudence cantonne son application aux dirigeants et aux préposés, ce que n'est pas un avocat,

- l'avocat est tenu d'une obligation de conseil et de prudence tout au long de la mission qu'il mène pour le compte de son client ou au bénéfice de son client,

- dans son courrier du 13 février 2015, M. [U] a commis une faute en omettant de préciser d'une part qu'en l'absence de contestation à l'issue du délai d'un mois et en cas de rejet de la contestation, les tiers saisis avaient l'obligation de procéder au paiement des appels de fonds auprès de l'huissier instrumentaire, d'autre part que l'effet attributif des saisies-attributions fait passer, dès leur notification, la créance à exécution successive, dont est titulaire le débiteur saisi à l'encontre du tiers saisi, immédiatement de son patrimoine à celui du créancier,

- les premiers juges ont omis de relever qu'à la date de ce courrier, la société CTVL n'avait introduit aucun recours pour contester les saisies de sorte que M. [U] tirait des conséquences d'une contestation devant le juge de l'exécution qui ne sera introduite que trois mois plus tard et que sur les six tiers saisis deux seulement ont réellement fait l'objet d'une contestation devant le juge de l'exécution, ce dont il peut être déduit que l'argument de M. [U] était inopérant pour les quatre autres,

- le juge de l'exécution a rejeté l'ensemble des contestations de la société CTVL, de sorte qu'il était faux de prétendre comme l'a fait M. [U] sans la moindre réserve que 'le paiement ne constitue qu'une faculté mais certainement pas une obligation',

- M. [U] a en outre délivré une information incomplète en écrivant que 'vos clients... ne peuvent craindre aucune poursuite personnellement',

- s'agissant du courrier du 30 juin 2015, en affirmant que la société CTVL pouvait 'parfaitement solliciter les appels de fonds' auprès de ses clients, 'l'huissier ne pouvant être attributaire des sommes', M. [U] a délivré une information erronée et manqué à son obligation de conseil

en ce que pour les créances à exécution successive, l'effet attributif s'étend aux sommes échues en vertu de cette créance depuis la signification de l'acte de saisie et ce jusqu'à ce que le créancier saisissant soit rempli de ses droits et dans la limite de ce qu'il doit au débiteur en tant que tiers saisi,

- ses droits portaient sur l'intégralité des créances détenues par la société CTVL sur ses clients tiers saisis, peu important que celles-ci ne soient pas totalement échues au jour des saisies- attributions,

- l'affirmation de M. [U] selon laquelle la responsabilité des clients saisis ne pourra pas être recherchée en cas de paiement des nouveaux appels de fonds entre les mains de la société CTVL est également juridiquement erronée car le débiteur qui ne se libère pas auprès du bon créancier n'est pas libéré de sa dette et devra s'en acquitter une seconde fois et sa responsabilité pénale peut être engagée dès lors qu'il se rend complice du délit de détournement de saisie réprimé par l'article 314-6 du code pénal,

- M. [U], qui dans sa consultation n'a donné aucune référence textuelle ou jurisprudentielle à l'appui de ses allégations, a également manqué à son devoir de conseil et de prudence en ne cherchant pas à se renseigner sur les règles de droit applicables en dépit des demandes renouvelées de l'huissier et des questionnements des tiers saisis,

- il est indifférent que les courriers litigieux n'aient pas été rédigés en vue d'être communiqués à des tiers dès lors que c'est la faute de l'avocat vis-à-vis de ses clients qui est en cause et que M. [U] ne pouvait ignorer que sa cliente était susceptible de se prévaloir de son courrier vis-à-vis de tiers,

- en se félicitant d'avoir oeuvré au soutien des intérêts de leur cliente en tenant en échec les mesures d'exécution qu'elle avait mises en oeuvre, les appelants reconnaissent avoir volontairement et en toute conscience cherché à faire échec aux saisies-attributions en conseillant à leur cliente de les violer,

- enfin les déclarations de M. [U] lors de l'audience du juge de l'exécution d'Orléans du 15 juin 2015 montrent que les lettres litigieuses s'inscrivent dans un contexte généralisé de fraude puisqu'il a reconnu savoir que ses clientes avaient sciemment caché à leurs commissaires aux comptes l'état de leur véritable situation financière pour éviter qu'ils n'informent le procureur de la République et le président du tribunal de commerce des difficultés auxquelles elles faisaient face.

L'engagement de la responsabilité de l'avocat, sur le fondement de l'article 1240 du code civil nécessite la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.

Le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu'il subit n'est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi-délictuelle distincte de ce manquement.

L'avocat, tenu à une obligation d'information et à un devoir de conseil, doit donner à son client une information complète, loyale et sans réserve sur l'étendue de ses droits, l'éclairer sur les options s'offrant à lui et leurs conséquences juridiques.

Son devoir de conseil s'apprécie in concreto au regard de l'état du droit, actuel ou prévisible, à la date de sa consultation.

De même, l'article 3 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 mentionne au titre des principes essentiels de la profession d'avocat que celui-ci doit faire preuve de prudence à l'égard de son client.

Ainsi contrairement à ce qui est soutenu par les appelants, leur responsabilité délictuelle peut être engagée s'il est démontré par la société Maison pierre que M. [U] a manqué à ses obligations contractuelles envers ses clients, et non pas envers des tiers, et qu'elle subit de ce fait un préjudice en lien avec ce manquement.

L'article L.211-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose que 'L'acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation.'

Selon l'article L.211-5 du même code 'En cas de contestation, le paiement est différé sauf si le juge autorise le paiement pour la somme qu'il détermine.'

Aux termes de l'article R.211-6 du même code, 'Le tiers saisi procède au paiement sur la présentation d'un certificat délivré par le greffe ou établi par l'huissier de justice qui a procédé à la saisie attestant qu'aucune contestation n'a été formée dans le mois suivant la dénonciation de la saisie. Le paiement peut intervenir avant l'expiration de ce délai si le débiteur a déclaré ne pas contester la saisie. Cette déclaration est constatée par écrit.'

Il se déduit de ces textes que l'acte de saisie-attribution emporte attribution immédiate au profit du créancier saisissant et que seul le paiement est différé en cas de contestation devant le juge de l'exécution.

Il est établi que par courrier en date du 13 février 2015, M. [U] a écrit à M. [C] [M], dirigeant de [M] constructions, en ces termes :

' Je fais suite à l'entretien que nous avons eu ce jour, au cours duquel nous avons évoqué les procédures d'exécution que la société Maisons pierre a engagées à l'encontre de vos clients pour obtenir le règlement d'une dette que par ailleurs nous contestons devant la cour d'appel de Paris. Je vous confirme en effet que les clients de la société CTVL n'ont aucune obligation de reconnaître quelque dette que ce soit envers votre société et/ou d'en remettre le montant entre les mains de l'huissier instrumentaire. En effet les dispositions de l'article R.211-6 du code des procédures civiles d'exécution disposent [...]. Il résulte de l'analyse de cet article que le paiement ne constitue qu'une faculté mais certainement pas une obligation, surtout dans l'hypothèse d'une dette qui ne se révèle pas définitive et qui est au demeurant contestée devant le juge de l'exécution. Au demeurant, le tiers saisi peut parfaitement contester la saisie et en cas de contestation, l'affaire se révèle portée devant le juge de l'exécution. En d'autres termes et en l'état, vos clients n'ont aucune obligation d'exécution au profit de la société Maisons pierre et bien entendu ne peuvent craindre aucune poursuite personnellement.»

Il n'est pas contesté que les saisies-attributions réalisées courant 2015 à la demande de la société Maisons pierre portaient sur des créances à exécution successive résultant des contrats de construction conclus entre la société CTVL et ses clients, contrat dans lequel le maître d'ouvrage paye le constructeur au fur et à mesure de l'avancement des travaux.

A la date du 13 février 2015 aucune contestation n'avait encore été élevée par la société CTVL ou les tiers saisis puisque ce n'est que le 15 avril 2015 que la société CTVL a fait assigner la société Maisons pierre en main-levée de certaines saisies-attributions.

Ainsi, en écrivant dans ce courrier que les clients de la société CTVL n'avaient aucune obligation de remettre le montant de l'appel de fonds entre les mains de l'huissier instrumentaire tout en omettant de préciser d'une part qu'en l'absence de contestation à l'issue du délai d'un mois et en cas de rejet d'une éventuelle contestation, les tiers saisis avaient l'obligation de procéder au paiement des appels de fonds auprès de l'huissier de justice et d'autre part que l'effet attributif des saisies-attributions faisait passer, dès leur notification, la créance du patrimoine du débiteur saisi à celui du créancier saisissant, M. [U] a donné des informations inexactes et incomplètes à son client et a, par suite, manqué à son obligation d'information et à ses devoirs de conseil et de prudence.

En indiquant également que les clients de la société CTVL n'avaient pas à craindre d'être poursuivis personnellement, il a là encore délivré une information juridique erronée puisque conformément aux dispositions de l'article L.211-2 susvisé le tiers saisi qui s'opposerait au paiement sans avoir élevé de contestation dans le délai légal, ou en l'absence de contestation formée par le débiteur saisi ou en cas de rejet de la contestation serait reconnu personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation.

Le 30 juin 2015, M. [U] a adressé un second courrier à la SAS [M] constructions dans lequel il lui indiquait : 'Je [...] vous confirme que les saisies-attributions pratiquées à l'initiative de la société Maisons pierre à l'encontre de la société CTVL ne valent que pour les sommes dues au jour de la saisie-attribution, à l'exclusion de toute somme versée postérieurement. En d'autres termes, cela signifie que les appels de fonds présentés après la saisie entre les mains de vos clients ne peuvent être bloqués, de sorte que l'établissement financier ne pourra s'opposer au règlement, l'huissier ne pouvant être attributaire des sommes. Ainsi, seules les sommes présentes sur le compte au jour de la saisie font l'objet d'un transfert au profit du créancier. Vous pouvez donc parfaitement solliciter les appels de fonds postérieurs aux saisies auprès de vos clients. Ces derniers ne pourront en aucun cas être inquiétés dès lors qu'ils signent les demandes de règlement. Il s'agit là de l'application des règles de procédure civile.'

Or lorsqu'une saisie porte sur une créance à exécution successive, son effet attributif s'étend aux sommes échues en vertu de cette créance depuis la signification de l'acte de saisie, et ce jusqu'à ce que le créancier saisissant soit rempli de ses droits et dans la limite de ce qu'il doit au débiteur en tant que tiers saisi.

Par conséquent, les saisies-attributions ne concernaient pas que les sommes dues au jour des saisies mais valaient également pour les sommes postérieures dues par les tiers saisis à la société CTVL, de sorte que M. [U] a de nouveau dans ce courrier donné une information juridiquement inexacte à sa cliente.

Par ailleurs l'indication de l'absence de conséquences pour les clients de la société quant à un défaut de paiement à l'huissier de justice était également erronée conformément aux dispositions déjà rappelées de l'article L.211-2 du code des procédures civiles d'exécution mais également des poursuites susceptibles d'être engagées en application de l'article 314-6 du code pénal qui sanctionnent le fait, par le saisi, de détruire ou de détourner un objet saisi entre ses mains en garantie des droits d'un créancier et confié à sa garde ou à celle d'un tiers d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende.

En délivrant ces informations incomplètes et juridiquement inexactes à ses clientes, alors qu'il aurait dû au contraire tenter de les dissuader de poursuivre le paiement direct des appels de fonds auprès des maîtres d'ouvrage, M. [U] a manqué à son obligation contractuelle d'information et à son devoir de conseil, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, et ce peu important qu'il ait agi ainsi pour mettre en échec les mesures d'exécution engagées contre son client.

Sur le lien de causalité et le préjudice

Le tribunal a jugé que les conseils de M. [U] et de la Selarl Avocat Loire conseil sont la conséquence directe du préjudice subi par la société Maisons pierre, en ce que :

- la somme globale de 285 619,61 euros, qui a été réglée directement à la société CTVL par six tiers-saisis postérieurement à la signification des procès-verbaux de saisie-attribution, constitue le préjudice subi par la société Maisons pierre,

- au vu des sommes déjà saisies, et du fait que les sommes non réglées par les tiers saisis au titre des appels de fonds intervenus postérieurement aux saisies-attributions ont été réglées au débiteur et non au créancier saisissant, la société Maisons pierre démontre que les manquements de M. [U] à ses obligations de délivrer une information exacte et des conseils juridiquement justes lui ont directement fait perdre une chance réelle et sérieuse de bénéficier des effets des saisies-attributions réalisées auprès des époux [Z], de Mme [E], M. et Mme [G], la SCI Miranville, de M. [V] et de Mme [D], M. [Y] et Mme [O], et M. [P] et Mme [R],

- il ne peut être utilement soutenu que le préjudice est incertain dans la mesure où la chance que la société Maison pierre soit désintéressée est très faible,

- au vu des motifs retenus pour chaque tiers saisis concernés, tenant entre autres à la peur de voir les travaux s'arrêter ou la maison ne pas être livrée, le pourcentage de perte de chance que les tiers-saisis concernés aient procédé au paiement des appels de fonds directement auprès de l'huissier instrumentaire peut être évalué à 74%,

- la société Maisons pierre établit suffisamment le lien de causalité existant entre les manquements commis par M. [U] et la perte de chance qu'elle a subie, dès lors que les tiers saisis ont reçu un courrier du constructeur accompagné de celui de son conseil comportant les informations erronées,

- la société Maisons pierre ne démontre pas que les frais d'huissier, les honoraires de son avocat pour être assistée dans la mise en oeuvre des mesures d'exécution et les frais découlant du suivi de ces mesures ont été supportés en vain et qu'ils n'auraient pas été engagés en l'absence de fautes commises par M. [U], ces frais constituant uniquement les dépens d'exécution liés à l'absence de paiement volontaire des condamnations,

- la société Maisons pierre ne justifie ni de l'existence de son préjudice moral, lequel repose sur ses seules affirmations, ni d'un lien avec les manquements reprochés à M. [U], ni du quantum de sa demande.

M. [U] et la Selarl Avocat Loire conseil soutiennent que :

- le préjudice revendiqué est loin d'être actuel, direct et certain, en ce que la condamnation que la société Maisons pierre prétend ne pas avoir pu faire exécuter ne résulte pas d'une décision définitive, l'intimée affirmant sans le démontrer que l'instance est périmée d'une part, que le simple fait qu'une procédure collective soit ouverte ne suppose pas ipso facto que les instances ne puissent pas être reprises et financées d'autre part, et qu'il n'est pas justifié de l'irrecouvrabilité de la créance vis à vis de la société CTVL et de sa holding de troisième part,

- aucun préjudice n'est indemnisable car si le liquidateur judiciaire de l'une ou l'autre des sociétés venait à désintéresser la société Maisons pierre il y aurait un double paiement inacceptable,

- à défaut, en cas de condamnation, il faudrait alors que la cour prévoie que l'avocat et son cabinet ou tout autre payeur seraient subrogés dans les droits de la société Maisons pierre en qualité de créancier,

- les éléments justificatifs du préjudice ne sont pas probants, la preuve de celui-ci ne pouvant pas reposer sur des moyennes qui ne tiennent pas compte des différents dossiers et de leur réalité économique,

- la perspective manquée d'obtenir l'exécution des décisions ne tient pas à l'action ou à l'inaction de l'avocat mais en premier lieu au dépôt de bilan des deux sociétés et en second lieu au fait que la société Maisons pierre ne dispose pas de droits préférentiels ou de garanties, en sorte que le préjudice allégué ne présente pas de lien direct de causalité avec un manquement de l'avocat,

- la faute de la victime est une cause d'exonération de la responsabilité civile professionnelle or la société Maisons pierre n'a engagé aucune action contre les clients saisis alors pourtant que si le client paye son créancier au mépris des droits de l'auteur de la saisie, il s'expose à voir son paiement déclaré inopposable et à payer une seconde fois,

- l'origine du préjudice dont se prévaut la société Maisons pierre provient principalement de l'appréciation très légère voire d'un manque de considération vis-à-vis des mentions figurant sur les actes remis aux tiers saisis, en sorte que c'est cette négligence qui joue un rôle causal dans le préjudice allégué,

- l'éventuelle perte de chance ne pourrait reposer que sur la chance perdue d'avoir pu recouvrer auprès de tiers une partie des sommes éventuellement dues par la société CTVL ou sa holding,

- la perte de chance ne peut pas être fixée à 250 000 euros alors que la liste des clients fait état d'un potentiel de 173 000 euros et doit prendre en considération les contestations qui auraient pu être soulevées par les sociétés [M] constructions et CTVL ou les clients saisis,

- une telle perte de chance ne pourrait qu'être symbolique,

- le pourcentage retenu de 74% est surestimé et devra le cas échéant être réduit,

- les frais administratifs sollicités par la société Maisons pierre font doublon avec sa demande de frais irrépétibles, et il n'a pas été interjeté appel de cette demande rejetée en première instance,

- le préjudice moral invoqué n'est étayé par aucun élément probant et il n'en a pas plus été interjeté appel.

La société Maisons pierre réplique que :

- les informations contenues dans les sommations interpellatives et les témoignages permettent d'établir que son préjudice s'élève à la somme totale de 286 292,60 euros se décomposant en versements indus des tiers saisis entre les mains de la société CTVL plutôt qu'entre les mains de l'huissier instrumentaire,

- son préjudice s'analyse en une perte de chance de bénéficier des saisies-attributions pratiquées avant l'envoi des courriers litigieux qui ont contribué à cette perte,

- par leurs conseils juridiques erronés, les appelants lui ont fait perdre le bénéfice d'un droit acquis, celui de recouvrer les sommes qui avaient été saisies entre les mains de tiers,

- les tiers saisis, profanes en droit, n'avaient aucune raison de ne pas croire M. [U], avocat et bâtonnier du barreau d'Orléans comme le rappelle le papier à en-tête des courriers litigieux,

- pour évaluer la probabilité de perte de chance, le tribunal a tenu compte de facteurs plus ou moins pertinents car la crainte de voir les travaux s'arrêter ou la maison ne pas être livrée est d'ordre abstrait et irrationnelle et ne peut caractériser une réelle motivation de violation de la saisie par les tiers, pas plus que l'absence de compréhension de la procédure d'exécution et ses incidences,

- la probabilité de percevoir les sommes saisies ne peut être évaluée à un pourcentage inférieur à 90%, de sorte que son préjudice peut raisonnablement être fixé à 257 663, 34 euros,

- son préjudice est certain car l'affaire au fond est périmée, sa créance irrécouvrable indépendamment des procédures collectives des sociétés qui sont sans lien avec les saisies, et car la responsabilité d'un avocat n'ayant pas de caractère subsidiaire, il est inutile de démontrer avoir épuisé toutes les voies de droit avant d'engager sa responsabilité, précisant en tout état de cause qu'une action contre les tiers saisis aurait été vouée à l'échec puisqu'en invoquant la lettre de M. [U], ils auraient pu se prévaloir d'un motif légitime exonératoire,

- si M. [U] avait été diligent et avait fait connaître à sa cliente les dispositions légales et les règles jurisprudentielles réellement applicables, la société CTVL n'aurait jamais pensé pouvoir passer outre les mesures d'exécution et les tiers saisis auraient respecté les demandes de règlement de l'huissier de justice en sorte que le paiement des appels de fonds lui revenant entre les mains de CTVL découle directement des informations erronées contenues dans le courrier de M. [U],

- la Selarl Avocat Loire conseil est responsable des actes professionnels accomplis par ses associés en application de l'article 16, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1990 et doit donc être condamnée solidairement.

L'avocat ayant commis des manquements à son obligation d'information, et à ses devoirs de conseil et de prudence est tenu de réparer le préjudice direct, certain et actuel en relation de causalité avec les manquements commis.

Le préjudice dont se prévaut une partie en raison du manquement par l'avocat à son obligation de conseil ne peut consister qu'en une perte de chance. Ce préjudice doit être réel et certain.

Il incombe à celui qui entend obtenir réparation d'une perte de chance de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue en établissant que la survenance de l'événement dont il a été privé était certaine avant la survenance du fait dommageable, le caractère hypothétique d'une telle perte de chance excluant toute indemnisation.

La responsabilité des professionnels du droit ne présente pas de caractère subsidiaire de sorte que la mise en jeu de la responsabilité d'un avocat n'est pas subordonnée au succès de poursuites préalables contre un autre débiteur et qu'est certain le dommage subi par sa faute quand bien même la victime disposerait contre un tiers d'une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice.

Le préjudice invoqué par la société Maisons pierre consiste en une perte de chance de pouvoir bénéficier des effets des saisies-attributions pratiquées envers six tiers saisis.

Il est justifié par la société Maisons pierre qu'elle a fait délivrer par huissier de justice des procès-verbaux de saisie-attribution pour une somme globale de 1 615 471,93 euros, visant les différentes décisions judiciaires rendues en sa faveur, à M. et Mme [Z] le 16 février 2015, M. [V] et Mme [D] le 13 février 2015, Mme [E] le 5 juin 2015, Mme [P]-[R] le 12 mars 2015, Mme [O] et M. [Y] le 31 mars 2015 et à la SCI Miranville le 9 mars 2015 portant sur les sommes dues par ceux-ci à la société CTVL puis des sommations interpellatives.

Il résulte des pièces produites que, postérieurement à ces saisies :

- M. et Mme [Z] ont reconnu avoir réglé directement le 12 juillet 2015 à la société CTVL l'appel de fonds reçu le 7 juillet 2015, soit 22 753,28 euros, mais avoir conservé la somme de 30 337,69 euros correspondant à l'appel de fonds du 21 juillet 2015. Ils ont précisé avoir été informés par le groupe [M] le 7 juillet 2015 que 'la saisie-attribution n'était plus valable' et avoir reçu une lettre de CTVL, à laquelle était joint un courrier de leur avocat, indiquant que 'vos clients n'ont aucune obligation à exécution au profit de Maisons pierre' ;

- M. [V] et Mme [D] ont reconnu avoir réglé directement les 20 juillet et 5 octobre 2015 à la société CTVL les sommes de 42 510,73 euros et 24 291,85 euros pour obtenir livraison de leur maison. Ils ont indiqué avoir été informés par le groupe [M] que 'le dossier était réglé avec Maisons pierre, que les procédures étaient levées' ou 'suspendues', avoir reçu des appels de fonds de la société CTVL et la lettre de leur avocat du 13 février 2015 ;

- Mme [O] et M. [Y] ont reconnu avoir réglé directement en juillet 2015 à sa demande à la société CTVL la somme de 64 450,55 euros, précisant ne pas avoir reçu de lettre de son avocat ;

- la gérante de la SCI Miranville a reconnu avoir réglé directement le 16 juillet 2015 à la société CTVL la somme de 35 234,96 euros, précisant avoir subi des pressions pour cela de la part de cette dernière qui lui aurait indiqué qu'à défaut la construction de sa maison serait arrêtée et avoir reçu une lettre de son avocat selon laquelle elle n'avait pas l'obligation de remettre les sommes à l'huissier instrumentaire ;

- M. [P] et Mme [R] ont reconnu avoir réglé directement à la société CTVL les sommes de 12 624,55 euros le 13 octobre 2015, 9 749,70 euros le 6 janvier 2016, 14 624,55 euros le 28 janvier 2016, et de 19 499,40 euros le 24 février 2016, précisant avoir reçu un courrier de la société CTVL et de son avocat 'nous disant la non obligation de verser les sommes dues à la société';

- Mme [E] a reconnu avoir réglé directement à la société CTVL les sommes de 16 048,44 euros le 12 juin 2015 et de 24 504,59 euros le 19 octobre 2015, expliquant avoir reçu le 13 février 2015 un courrier de la société [M] construction auquel était joint un courrier de leur avocat 'm'indiquant que si j'avais la visite d'un huissier il ne fallait pas en tenir compte', des visites de la société CTVL lui demandant de lui verser l'appel de fonds 'leur avocat se chargeant personnellement de régler cette l'affaire' et avoir eu M. [U] au téléphone lequel lui a ' affirmé de ne pas tenir compte des courriers de l'huissier, de ne pas m'inquiéter et que l'huissier ne pourra rien contre moi'.

Une somme globale de 286 292,60 euros a donc été versée par les tiers saisis à la société CTVL postérieurement à la signification des saisies-attributions réalisées par la société Maisons pierre à effet d'obtenir paiement de la somme qui lui est due.

Selon le décompte adressé à la société Maisons pierre le 28 octobre 2016, l'huissier de justice a reçu les sommes suivantes de la part de :

- M. et Mme [Z] : 30 337,69 euros et 22 753,28 le 10 décembre 2015, 31 382,70 euros et 7 181,06 euros le 5 février 2016,

- la SCI Miranville : 47 923,16 euros le 11 décembre 2015,

- M. [V] et Mme [D] : 6 072,96 euros le 21 décembre 2015,

- Mme [E] : 6 126,15 euros le 5 janvier 2016, 1 099,22 euros et 10 euros le 13 janvier 2016,

- Mme [O] et M. [Y] : 28 929,02 euros le 11 février 2016.

Ces éléments montrent également que les époux [Z], M. [Y] et Mme [O], la SCI Miranville et Mme [E] ont cessé de procéder à des versements à la société CTVL après les sommations interpellatives qui leur ont été adressées respectivement les 27 novembre 2015 et 10 novembre 2015 pour les deux premiers et à leurs demandes de renseignements durant l'été 2015 pour les deux dernières.

La preuve est ainsi rapportée par la société Maisons pierre de l'existence d'une perte de chance très sérieuse de bénéficier des effets des saisies-attributions réalisées auprès de ces six tiers saisis.

Contrairement à ce qui est vainement soutenu par les appelants ce préjudice est certain.

En effet, d'une part l'arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2014 a redonné force exécutoire au jugement du 21 janvier 2012 du tribunal de commerce de Paris à l'égard duquel la demande d'arrêt de l'exécution provisoire a été rejetée par ordonnance du 30 avril 2015. D'autre part, il est justifié que l'instance devant la cour d'appel de renvoi a été radiée par décision du 19 novembre 2015 et que la demande de réinscription formée par les liquidateurs judiciaires des sociétés CTVL et [M] constructions a été rejetée le 9 février 2017 faute d'exécution, soit depuis plus de deux ans, sans que la preuve d'une nouvelle demande de réinscription ou d'une cause ayant suspendu ou interrompu la péremption ne soit rapportée.

Le reproche formulé sur l'absence de preuve du caractère irrécouvrable de la créance manque également de pertinence en ce que la chance perdue ne concerne par le recouvrement de la créance du fait de la liquidation judiciaire des sociétés CTVL et [M] constructions mais les effets des saisies-attributions réalisées avant l'envoi des courriers de M. [U] et l'ouverture des procédures collectives.

Enfin, il ne peut être fait grief aux appelants de ne pas avoir recouvré leur créance à l'égard des tiers débiteurs de la société CTVL dès lors que la mise en jeu de la responsabilité d'un avocat n'est pas subordonnée au succès de poursuites préalables contre un autre débiteur.

Eu égard à l'absence d'incident de paiement des appels de fonds antérieurs aux saisies-attributions, tous les contrats de construction des maisons étant garantis par un prêt bancaire, à l'absence d'incidents allégués par les tiers saisis sur les chantiers, au comportement des époux [Z], de M. [Y] et Mme [O], de M. [V] et Mme [D], de la SCI Miranville, de Mme [E], qui ont repris les paiements envers l'huissier de justice dès le rappel de leurs obligations par sommation, seuls M. [P] et Mme [R] ne l'ayant pas fait, mais également à la crainte que la société CTVL a fait naître quant à l'arrêt des travaux à défaut de paiement en s'appuyant sur les arguments inexacts de M. [U], la chance perdue pour la société Maisons pierre d'obtenir le bénéfice des saisies attribution doit être évaluée à 80%.

L'assiette du préjudice étant de 286 292,60 euros, le préjudice de perte de chance est de 229 034,08 euros.

Ce préjudice de perte de chance est en lien causal avec la faute de l'avocat dès lors qu'il ressort très clairement des sommations interpellatives des 10 et 27 novembre, 4 décembre 2015 et 26 juin 2017, des lettres de la gérante de la SCI Miranville du 7 août 2015 et de M. [P] et Mme [R] (non datée) et des attestation et lettre datées du 22 octobre 2016 de Mme [E], que tous les tiers saisis ont reçu postérieurement aux saisies-attributions des demandes d'appels de fonds sous forme de lettres et de visites de la part de la société CTVL outre le ou les courriers de M. [U] des 13 février et 30 juin 2015, à l'exception pour ces derniers, de Mme [O] et M. [Y], et que ceux sont les informations incomplètes et erronées de M. [U], utilisées par la société CTVL, qui ont convaincu les tiers saisis qu'ils pouvaient passer outre les instructions de l'huissier instrumentaire sans risquer d'être inquiétés.

Il convient en conséquence de condamner M. [U] au paiement de la somme de 229 034,08 euros, en infirmation du jugement.

La Selarl Avocat Loire conseil étant responsable des actes professionnels accomplis par son associé doit être condamnée solidairement avec lui en application de l'article 16 de la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990.

Enfin, il y a lieu de débouter les appelants de leur demande tendant à ce qu'en cas de condamnation eux-mêmes ou tout autre payeur soient subrogés dans les droits de la société Maisons pierre en qualité de créancier, les conditions de la subrogation n'étant pas réunies.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la Selarl Avocat conseil au paiement à la SAS Maisons pierre de la somme de 211 358,51 euros à titre de dommages et intérêts,

Statuant de ce chef et y ajoutant,

Condamne solidairement M. [L] [U] et la Selarl Avocat conseil à payer à la SAS Maisons pierre la somme de 229 034,08 euros à titre de dommages et intérêts,

Déboute M. [L] [U] et la Selarl Avocat conseil de leur demande tendant à ce qu'eux-mêmes ou tout autre payeur soient subrogés dans les droits de la société Maisons pierre en qualité de créancier,

Condamne solidairement M. [L] [U] et la Selarl Avocat conseil aux dépens d'appel avec droit de recouvrement au profit de maître Hardouin, avocat, pour les frais dont il aurait fait l'avance, conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne solidairement M. [L] [U] et la Selarl Avocat conseil à payer à la SAS Maisons pierre la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE