Décisions
CA Paris, Pôle 4 - ch. 1, 12 juillet 2024, n° 21/14540
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 1
ARRÊT DU 12 JUILLET 2024
(n° , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/14540 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEF2O
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Avril 2021 - Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 19/00399
APPELANTS
Madame [A] [W] divorcée [U] née le 18 Août 1980 à [Localité 10]
[Adresse 4]
[Localité 8]
Monsieur [G] [U] né le 06 Février 1981 à [Localité 12]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Tous deux représentés et assistés de par Me Béranger BOUDIGNON, avocat au barreau de PARIS, toque : D1704
INTIMÉS
Monsieur [H] [F] né le 18 Mai 2021 à [Localité 10]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Madame [Z] [N] épouse [F] née le 04 Septembre 1981 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Tous deux représentés et assistés de Me David-emmanuel PICARD de l'AARPI ADWOKAT & PICARD, avocat au barreau de PARIS, toque : G0697
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 janvier 2024 , en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame. Marie-Ange SENTUCQ, présidente de chambre , chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Marie-Ange SENTUCQ , présidente de chambre
Nathalie BRET, conseillère
Catherine GIRARD- ALEXANDRE, conseillère
Greffier, lors des débats : Marylène BOGAERS.
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour initialement prévue le 29 mars 2024 prorogée au 14 juin 2024 puis au 12 juillet 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Ange SENTUCQ , présidente de chambre et par Marylène BOGAERS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCEDURE
Par acte notarié du 5 et 6 avril 2011, M. [G] [U] et Mme [A] [W] divorcée [U] ont acquis un bien immobilier, cadastré section EK n°[Cadastre 7], sis [Adresse 3] à [Localité 11] moyennant le prix de 615.000,00 € comprenant un appartement et un parking.
Monsieur [U] et Madame [W] ont revendu ce bien selon acte authentique du 13 avril 2016 au prix de 730 000 euros incluant la valeur du mobilier estimé à 20 000 euros, à Monsieur [H] [F] et son épouse, Madame [Z] [N], l'acte de vente précisant que les époux [F] ont assisté à l'assemblée générale des copropriétaires tenue le 15 mars 2016.
Monsieur et Madame [F] ont à leur tour cédé ce bien, selon acte authentique du 6 mai 2021, au prix de 950 000 euros.
Le 24 juillet 2017, Monsieur [F] a déposé une main courante dénonçant le comportement anormal de son voisin Monsieur [L].
Le 24 mars 2018, Monsieur [F] a déposé une nouvelle main courante contre Monsieur [L].
Par courriel du 8 mai 2015, les époux [F] ont demandé des explications à leurs vendeurs sur leur silence lors de la vente concernant le comportement de Monsieur [L].
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 septembre 2018, le conseil des époux [F] a mis en demeure Monsieur [U] et Madame [W] d'avoir à fournir des explications sur leur silence lors des pourparlers et de la régularisation de la vente.
Par actes d'huissier du 8 novembre 2018, les époux [F] ont assigné Monsieur [G] [U] et [A] [W] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'indemnisation de leurs préjudices, financier et moral, à raison du comportement erratique de l'occupant voisin de leur appartement, Monsieur [L], suivi au plan psychiatrique, rendant toute cohabitation impossible du fait notamment des coups frappés par lui sur les murs, des insultes proférées contre ses voisins, de son intrusion armé d'un pistolet lacrymogène dans leur appartement menaçant Madame [F], comportement dont les vendeurs avaient pu prendre toute la mesure antérieurement à la vente pour en avoir eux-mêmes été victimes et qu'ils ont délibérément choisi de taire, dissimulant une information qu'ils savaient déterminante du consentement des acquéreurs, pour parvenir à la vente.
Par jugement du 29 avril 2021, le tribunal judiciaire de Paris a statué ainsi :
- Condamne in solidum [G] [U] et [A] [W] à verser aux époux [F] les indemnités suivantes :
106.500 euros au titre de leur préjudice financier,
7.205 euros au titre des droits de mutation et des émoluments assis sur un prix excessif,
8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Les déboute de leur demande tendant à condamner [G] [U] et [A] [W] à leur verser une indemnité de 30.000 euros pour leur préjudice moral ;
- Déboute [A] [W] de ses demandes tendant à:
condamner solidairement les époux [F] à lui verser une somme de 2.000 euros pour procédure abusive, une somme de 5.000 euros pour son préjudice moral et une somme de 2.400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- Déboute [G] [U] de ses demandes tendant à:
ordonner une expertise afin d'estimer le préjudice financier subi,
condamner solidairement les époux [F] à lui verser une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- Condamne in solidum [G] [U] et [A] [W] aux dépens ;
- Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision
M. [U] et Mme [W] ont relevée appel de ce jugement par déclaration d'appel remise au greffe le 26 juillet 2021.
La procédure devant la cour a été clôturée le 21 décembre 2023.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 1er novembre 2023, Mme [W] et M. [U] demandent à la cour de :
Vu les dispositions précitées,
Vu les pièces produites,
Vu les conclusions aux fins d'incident aux fins de voir déclarer les conclusions et pièces des intimés irrecevables ;
A TITRE PRINCIPAL
- DECLARER que la réticence dolosive n'est ni établie, ni constituée ;
- D'INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté les époux [F] de leur demande tendant à les voir condamner à leur verser une indemnité de 30 000€ pour leur préjudice moral ;
Et statuant à nouveau de :
- DEBOUTER les époux [F] de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions ;
- CONDAMNER les époux [F] à verser à Monsieur [G] [U] et Mme [A] [W], pour chacun d'entre eux, la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance, ainsi qu'en cause d'appel ;
- CONDAMNER les époux [F] aux entiers dépens dont distraction pour ceux les concernant, au profit de Maître Béranger BOUDIGNON, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
A TITRE SUBSIDIAIRE
- LIMITER le quantum de l'indemnisation du préjudice financier résultant de la perte de chance dans une fourchette comprise entre 1% et 2% du prix d'acquisition, soit entre 7 300€ et 14 600€.
EN TOUT ETAT DE CAUSE
- DEBOUTER les époux [F] de l'ensemble de leurs autres demandes.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 1er novembre 2023, les époux [F] invitent la cour à :
Vu l'article 1137 du code civil,
Vu l'article 1240 du même code,
Il est demandé à la Cour d'appel de PARIS de :
- CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de PARIS en date du 29 avril 2021 en toutes ses dispositions ;
- DEBOUTER Monsieur [U] et Madame [W] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
- CONDAMNER solidairement Monsieur [U] et Madame [W] à verser aux époux [F] la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre leur condamnation aux entiers dépens ;
SUR CE,
La COUR
1-Sur la réticence dolosive
Le tribunal a retenu que le comportement insupportable et effrayant de [G] [L] occupant l'appartement voisin du bien vendu était connu des vendeurs qui en avaient eux-mêmes souffert ceux-ci ayant déposé plainte à plusieurs reprises contre leur voisin dans le courant de l'année 2015 pour dégradation de leur véhicule, menace de mort et alors que son interpellation par les services de police au mois d'octobre 2015 l'avait trouvé porteur d'armes. La promesse de vente ayant été conclue le 16 février 2016 le tribunal retient que dans un tel délai les vendeurs ne pouvaient raisonnablement penser que [G] [L] était définitivement stabilisé et s'abstenir de bonne foi d'informer leur cocontractant des difficultés rencontrées et ont volontairement dissimulé une information qu'ils savaient de nature à influer sur la formation du contrat.
Monsieur [U] et Madame [W] font grief au jugement d'avoir procédé à une interprétation inexacte des faits au regard des dispositions de l'article 1112-1 du Code civil qui exigent la communication d'une information déterminante du consentement de l'autre partie laquelle, si elle avait été transmise, l'aurait amenée à contracter dans des conditions moins favorables. Ils observent que les acquéreurs ont pu rencontrer les membres de la copropriété et le syndic, que les personnes qu'ils ont hébergées témoignent toutes du calme de l'appartement et que dans le temps de leur occupation de 5 ans et 20 jours, ils n'ont connu qu'une seule période difficile liée au comportement de leur voisin [G] [L] du 23 mai 2015 au 14 octobre 2015 représentant 144 jours. Ils soulignent avoir eux-mêmes surréagi au comportement étrange de leur voisin qu'ils ont dépeint sous un jour plus grave qu'il n'était dans la réalité, comportement qui n'a jamais été porté à l'ordre du jour des assemblées générales de copropriété. Ils soulignent que la vraie question juridique porte sur la réalité du dolus malus c'est-à-dire l'intention coupable or, le dernier épisode marquant le comportement anormal de leur voisin remonte à plus de quatre mois de la signature de la promesse et 6 mois de celle de l'acte authentique, de sorte qu'ils ont pu légitimement croire que l'habitabilité du bien n'était pas atteinte à l'époque de la vente, laquelle était uniquement liée à la naissance de leur troisième enfant le 17 novembre 2015.
Monsieur et Madame [F] concluent à la confirmation du jugement qui a retenu le dol imputable aux vendeurs pour leur avoir dissimulé l'information connue d'eux et déterminante du consentement des acquéreurs tenant à la dangerosité du comportement de leur voisin Monsieur [G] [L].
Réponse de la cour
Selon l'article 1116 du code civil, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'Ordonnance du 10 février 2016, applicable aux faits de l'espèce: « Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man'uvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces man'uvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
Il ne se présume pas et doit être prouvé. »
La jurisprudence en a inféré que le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait, qui s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter ou aurait influé sur les conditions de formation du contrat.
Il est en l'espèce établi par les pièces produites par les intimés et au demeurant non utilement contredites par les appelants que :
le 23 mai 2015, Monsieur [U] et Madame [W] ont déposé une main courante à l'encontre de leur voisin de palier Monsieur [G] [L] lui reprochant notamment d'avoir insulté Madame [W]
dans un courriel adressé aux copropriétaires et au syndic du 28 mai 2015 Madame [W] a fait part des errements de Monsieur [L] se plaignant de l'insécurité de sa famille dans l'immeuble et de l'impossibilité pour son fils de sortir seul de l'appartement
le 22 septembre 2015, Monsieur [U] a porté plainte contre X pour dégradation de véhicule. Le 27 septembre 2015, Monsieur [U] a déposé plainte contre Monsieur [L] pour dégradation volontaire à la suite de la crevaison des pneus de son véhicule.
le 14 octobre 2015, Madame [W] a déposé une main courante à l'encontre de Monsieur [L] pour menaces de mort. Interpellé, ce dernier s'est débattu et a commis des violences contre un policier ayant été trouvé porteur de cartouche de type grenaille, d'un canon d'arme démonté avec deux cartouches engagées et d'une arme à impulsion électrique.
Ces faits exactement énoncés par le jugement, mettent en cause la sécurité, l'habitabilité et la jouissance du logement dues par les vendeur au titre de leur obligation de délivrance et, en ce sens, constituent une information déterminante du consentement des acquéreurs du bien mis en vente.
Les informations données par les procès-verbaux des assemblées générales des copropriétaires tenues en 2013, 2014 et 2015 communiquées par Madame [W] et Monsieur [U] antérieurement à la signature de la promesse de vente conclue le 16 février 2016, ne font aucune référence aux troubles occasionnés par Monsieur [L] au sein de la copropriété ce dont le tribunal a justement déduit que les vendeurs ne démontraient pas avoir satisfait par cette communication à leur obligation d'information.
Les attestations nombreuses produites par les appelants émanant de personnes qu'ils ont hébergées en 2013 et 2014 dans leur appartement dans le cadre de locations saisonnières portent sur une occupation antérieure à l'époque litigieuse en 2015, et sont impuissantes à remettre en cause les faits dont la chronologie vient d'être rappelée.
Les attestations des employées à domicile chargées de garder les enfants du couple en 2014 et 2015, qui témoignent du calme de l'immeuble ont une force probante affaiblie par le lien de subordination les liant aux appelants.
La cour relève au demeurant que les appelants reconnaissent eux-mêmes en page 30 et 31 de leurs conclusions les faits qui les ont amenés à procéder à plusieurs dépôts de plainte et à solliciter l'intervention de la police et ne peuvent sérieusement soutenir, au regard de l'extrême gravité des conséquences du comportement de leur voisin telle qu'elle résulte des plaintes pénales qu'ils ont initiées avoir « surréagi » au comportement simplement « anormal » de leur voisin suivi au plan psychiatrique.
Monsieur et Madame [F] établissent eux-mêmes avoir été victimes du comportement totalement incontrôlable de Monsieur [L] par le dépôt de plainte du 27 janvier 2020 à la suite de l'attaque de Madame [F] par celui-ci qui, ayant sonné à la porte de l'appartement, lui a braqué sur la tempe un pistolet chargé d'un gel rouge vif piquant, provoquant les hurlements de Madame [F] et l'intervention de son époux qui a mis en fuite Monsieur [L], tous deux ayant dû être hospitalisés par les pompiers intervenus en urgence, les deux victimes étant en état de choc.
C'est donc par une exacte analyse des faits que le tribunal a retenu que la dissimulation par les vendeurs des troubles de voisinage liés au comportant erratique, menaçant et dangereux de leur voisin est constitutive d'un dol puisque ceux-ci avaient pris l'exacte mesure de sa gravité pour en avoir eux-mêmes été victimes antérieurement à la signature de la promesse de vente et que si cette information, qu'ils ont choisi de taire, avait été donnée aux acquéreurs, ceux-ci n'auraient pas acquis le bien aux mêmes conditions de prix.
Du chef du dol imputable à Monsieur [U] et Madame [W], le jugement sera donc confirmé.
Sur la demande de dommages et intérêts
Le tribunal a jugé que tout acquéreur avisé des désordres causés par le comportement anormal et menaçant du voisin Monsieur [G] [L] et de l'aléa représenté par la persistance de sa présence au vu des troubles psychiatriques affectant son comportement, aurait acquis l'appartement à un prix moindre si cette information avait été connue de lui. Il a estimé la décote à 15 % de 710 000 euros soit 106 500 euros outre l'incidence des droits de mutation évaluée au prorata à 7 205 euros. Il a écarté la demande formée au titre du préjudice moral estimant que la réparation du préjudice financier place les époux [F] dans la situation qui aurait été la leur s'ils avaient été informés du comportement de leur voisin.
Monsieur [U] et Madame [W] font valoir subsidiairement au débouté, que le préjudice financier ne pourrait être évalué que par rapport à la perte de chance éventuelle de l'acquéreur de pouvoir obtenir une décote du prix or selon les appelants celle-ci est bien moindre que celle retenue par le tribunal puisqu'au moment de la revente, [G] [L] n'habitait plus dans l'immeuble et que le trouble anormal de voisinage n'a pas vocation dans un état de droit à affecter durablement la valeur du bien immobilier. Se référant à la base de données BIENS utilisée par les notaires, ils observent qu'en 2016 à l'époque de l'acquisition des époux [F], les appartements d'une superficie entre 70 et 95 m2 situés dans un rayon de 100 mètres autour de l'adresse du bien ont été vendus au prix moyen de 8 250 euros au m2 quand les époux [F] ont acquis au prix moyen de 8 178 euros le m2 et réalisé une plus-value de 160 500 euros hors prix des meubles, en le revendant au prix de 10 819 euros le m2. Très subsidiairement ils font valoir que l'indemnisation résultant de la perte de chance ne peut excéder une fourchette comprise entre 1% et 2% du prix d'acquisition.
Monsieur et Madame [F] concluent à la justification de la décote opérée par le tribunal et à la confirmation intégrale du jugement du chef des préjudices en ce compris le préjudice moral dont ils ont été déboutés.
Réponse de la cour
La motivation précitée établit que contrairement à ce qui est affirmé par les appelants, Monsieur [L] habitait dans les lieux au moment de la signature de la promesse et de la vente, les périodes de répit n'étant dues qu'à ses hospitalisations en milieu psychiatriques dont les pièces produites établissent qu'elles ont été sollicitées auprès du maire d'arrondissement à plusieurs reprises.
La circonstance que le maire d'arrondissement soit affilié au même parti politique que Monsieur [F] et que ce dernier occupe ou ait occupé des fonctions de sénateur est inopérante à remettre en cause les troubles imputables au voisin des intimés amplement étayés par les pièces produites.
Les attestations produites en pièces 18-1,18-2 et 18-3 par les appelants comme émanant d'agents immobiliers dont celle de Madame [R], agent commercial, ne s'appuient pas sur des données répertoriées relatives à des ventes intervenues dans ce secteur lors de l'achat par les époux [F] en 2016 mais font état, en des termes généraux, de l'absence d'impact du voisinage sur la valeur d'un bien immobilier, les voisins étant « interchangeables ». Elles ne peuvent donc contredire utilement la décote retenue par le tribunal.
En outre la revente de l'appartement au prix de 950 000 euros par les époux [F] intervenue postérieurement au jugement le 6 mai 2021 ne remet pas en cause cette décote, qui doit être analysée à l'aune de l'année de leur acquisition en 2016 et du prix qu'ils auraient été amenés à négocier s'ils avaient été informés des troubles causés par leur voisin au sein de la copropriété.
Ainsi le préjudice dont il est demandé réparation correspond à la dépréciation de la valeur de l'appartement lors de son acquisition en 2016 du fait de l'insécurité liée à son voisin et non à une perte de chance de l'acquérir à un moindre prix.
Cette décote a été justement évaluée par le jugement à 15 % du prix d'acquisition de 730 000 euros soit un excédent de prix de 106 500 euros et 7 205 euros au titre des droits de mutation et émoluments assis sur le prix excessif.
De ces chefs également le jugement sera confirmé et tant Monsieur [U] que Madame [W] déboutés de leurs demandes.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement qui a condamné in solidum aux dépens Monsieur [G] [U] et Madame [I] [W] aux dépens ainsi qu'au règlement aux époux [F] d'une somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles sera confirmé.
Y ajoutant Monsieur [G] [U] et Madame [I] [W] seront condamnés in solidum aux dépens de l'appel ainsi qu'à régler à Monsieur et Madame [F] une somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La COUR,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement ;
Y ajoutant,
CONDAMNE in solidum Monsieur [G] [U] et Madame [I] [W] aux dépens de l'appel ainsi qu'au règlement d'une somme de 3 500 euros à Monsieur [H] [F] et à Madame [Z] [N] épouse [F] au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
LE GREFFIER,
LA PRÉSIDENTE,
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 1
ARRÊT DU 12 JUILLET 2024
(n° , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/14540 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEF2O
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Avril 2021 - Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 19/00399
APPELANTS
Madame [A] [W] divorcée [U] née le 18 Août 1980 à [Localité 10]
[Adresse 4]
[Localité 8]
Monsieur [G] [U] né le 06 Février 1981 à [Localité 12]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Tous deux représentés et assistés de par Me Béranger BOUDIGNON, avocat au barreau de PARIS, toque : D1704
INTIMÉS
Monsieur [H] [F] né le 18 Mai 2021 à [Localité 10]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Madame [Z] [N] épouse [F] née le 04 Septembre 1981 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Tous deux représentés et assistés de Me David-emmanuel PICARD de l'AARPI ADWOKAT & PICARD, avocat au barreau de PARIS, toque : G0697
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 janvier 2024 , en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame. Marie-Ange SENTUCQ, présidente de chambre , chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Marie-Ange SENTUCQ , présidente de chambre
Nathalie BRET, conseillère
Catherine GIRARD- ALEXANDRE, conseillère
Greffier, lors des débats : Marylène BOGAERS.
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour initialement prévue le 29 mars 2024 prorogée au 14 juin 2024 puis au 12 juillet 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Ange SENTUCQ , présidente de chambre et par Marylène BOGAERS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCEDURE
Par acte notarié du 5 et 6 avril 2011, M. [G] [U] et Mme [A] [W] divorcée [U] ont acquis un bien immobilier, cadastré section EK n°[Cadastre 7], sis [Adresse 3] à [Localité 11] moyennant le prix de 615.000,00 € comprenant un appartement et un parking.
Monsieur [U] et Madame [W] ont revendu ce bien selon acte authentique du 13 avril 2016 au prix de 730 000 euros incluant la valeur du mobilier estimé à 20 000 euros, à Monsieur [H] [F] et son épouse, Madame [Z] [N], l'acte de vente précisant que les époux [F] ont assisté à l'assemblée générale des copropriétaires tenue le 15 mars 2016.
Monsieur et Madame [F] ont à leur tour cédé ce bien, selon acte authentique du 6 mai 2021, au prix de 950 000 euros.
Le 24 juillet 2017, Monsieur [F] a déposé une main courante dénonçant le comportement anormal de son voisin Monsieur [L].
Le 24 mars 2018, Monsieur [F] a déposé une nouvelle main courante contre Monsieur [L].
Par courriel du 8 mai 2015, les époux [F] ont demandé des explications à leurs vendeurs sur leur silence lors de la vente concernant le comportement de Monsieur [L].
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 septembre 2018, le conseil des époux [F] a mis en demeure Monsieur [U] et Madame [W] d'avoir à fournir des explications sur leur silence lors des pourparlers et de la régularisation de la vente.
Par actes d'huissier du 8 novembre 2018, les époux [F] ont assigné Monsieur [G] [U] et [A] [W] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'indemnisation de leurs préjudices, financier et moral, à raison du comportement erratique de l'occupant voisin de leur appartement, Monsieur [L], suivi au plan psychiatrique, rendant toute cohabitation impossible du fait notamment des coups frappés par lui sur les murs, des insultes proférées contre ses voisins, de son intrusion armé d'un pistolet lacrymogène dans leur appartement menaçant Madame [F], comportement dont les vendeurs avaient pu prendre toute la mesure antérieurement à la vente pour en avoir eux-mêmes été victimes et qu'ils ont délibérément choisi de taire, dissimulant une information qu'ils savaient déterminante du consentement des acquéreurs, pour parvenir à la vente.
Par jugement du 29 avril 2021, le tribunal judiciaire de Paris a statué ainsi :
- Condamne in solidum [G] [U] et [A] [W] à verser aux époux [F] les indemnités suivantes :
106.500 euros au titre de leur préjudice financier,
7.205 euros au titre des droits de mutation et des émoluments assis sur un prix excessif,
8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Les déboute de leur demande tendant à condamner [G] [U] et [A] [W] à leur verser une indemnité de 30.000 euros pour leur préjudice moral ;
- Déboute [A] [W] de ses demandes tendant à:
condamner solidairement les époux [F] à lui verser une somme de 2.000 euros pour procédure abusive, une somme de 5.000 euros pour son préjudice moral et une somme de 2.400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- Déboute [G] [U] de ses demandes tendant à:
ordonner une expertise afin d'estimer le préjudice financier subi,
condamner solidairement les époux [F] à lui verser une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- Condamne in solidum [G] [U] et [A] [W] aux dépens ;
- Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision
M. [U] et Mme [W] ont relevée appel de ce jugement par déclaration d'appel remise au greffe le 26 juillet 2021.
La procédure devant la cour a été clôturée le 21 décembre 2023.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 1er novembre 2023, Mme [W] et M. [U] demandent à la cour de :
Vu les dispositions précitées,
Vu les pièces produites,
Vu les conclusions aux fins d'incident aux fins de voir déclarer les conclusions et pièces des intimés irrecevables ;
A TITRE PRINCIPAL
- DECLARER que la réticence dolosive n'est ni établie, ni constituée ;
- D'INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté les époux [F] de leur demande tendant à les voir condamner à leur verser une indemnité de 30 000€ pour leur préjudice moral ;
Et statuant à nouveau de :
- DEBOUTER les époux [F] de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions ;
- CONDAMNER les époux [F] à verser à Monsieur [G] [U] et Mme [A] [W], pour chacun d'entre eux, la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance, ainsi qu'en cause d'appel ;
- CONDAMNER les époux [F] aux entiers dépens dont distraction pour ceux les concernant, au profit de Maître Béranger BOUDIGNON, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
A TITRE SUBSIDIAIRE
- LIMITER le quantum de l'indemnisation du préjudice financier résultant de la perte de chance dans une fourchette comprise entre 1% et 2% du prix d'acquisition, soit entre 7 300€ et 14 600€.
EN TOUT ETAT DE CAUSE
- DEBOUTER les époux [F] de l'ensemble de leurs autres demandes.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 1er novembre 2023, les époux [F] invitent la cour à :
Vu l'article 1137 du code civil,
Vu l'article 1240 du même code,
Il est demandé à la Cour d'appel de PARIS de :
- CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de PARIS en date du 29 avril 2021 en toutes ses dispositions ;
- DEBOUTER Monsieur [U] et Madame [W] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
- CONDAMNER solidairement Monsieur [U] et Madame [W] à verser aux époux [F] la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre leur condamnation aux entiers dépens ;
SUR CE,
La COUR
1-Sur la réticence dolosive
Le tribunal a retenu que le comportement insupportable et effrayant de [G] [L] occupant l'appartement voisin du bien vendu était connu des vendeurs qui en avaient eux-mêmes souffert ceux-ci ayant déposé plainte à plusieurs reprises contre leur voisin dans le courant de l'année 2015 pour dégradation de leur véhicule, menace de mort et alors que son interpellation par les services de police au mois d'octobre 2015 l'avait trouvé porteur d'armes. La promesse de vente ayant été conclue le 16 février 2016 le tribunal retient que dans un tel délai les vendeurs ne pouvaient raisonnablement penser que [G] [L] était définitivement stabilisé et s'abstenir de bonne foi d'informer leur cocontractant des difficultés rencontrées et ont volontairement dissimulé une information qu'ils savaient de nature à influer sur la formation du contrat.
Monsieur [U] et Madame [W] font grief au jugement d'avoir procédé à une interprétation inexacte des faits au regard des dispositions de l'article 1112-1 du Code civil qui exigent la communication d'une information déterminante du consentement de l'autre partie laquelle, si elle avait été transmise, l'aurait amenée à contracter dans des conditions moins favorables. Ils observent que les acquéreurs ont pu rencontrer les membres de la copropriété et le syndic, que les personnes qu'ils ont hébergées témoignent toutes du calme de l'appartement et que dans le temps de leur occupation de 5 ans et 20 jours, ils n'ont connu qu'une seule période difficile liée au comportement de leur voisin [G] [L] du 23 mai 2015 au 14 octobre 2015 représentant 144 jours. Ils soulignent avoir eux-mêmes surréagi au comportement étrange de leur voisin qu'ils ont dépeint sous un jour plus grave qu'il n'était dans la réalité, comportement qui n'a jamais été porté à l'ordre du jour des assemblées générales de copropriété. Ils soulignent que la vraie question juridique porte sur la réalité du dolus malus c'est-à-dire l'intention coupable or, le dernier épisode marquant le comportement anormal de leur voisin remonte à plus de quatre mois de la signature de la promesse et 6 mois de celle de l'acte authentique, de sorte qu'ils ont pu légitimement croire que l'habitabilité du bien n'était pas atteinte à l'époque de la vente, laquelle était uniquement liée à la naissance de leur troisième enfant le 17 novembre 2015.
Monsieur et Madame [F] concluent à la confirmation du jugement qui a retenu le dol imputable aux vendeurs pour leur avoir dissimulé l'information connue d'eux et déterminante du consentement des acquéreurs tenant à la dangerosité du comportement de leur voisin Monsieur [G] [L].
Réponse de la cour
Selon l'article 1116 du code civil, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'Ordonnance du 10 février 2016, applicable aux faits de l'espèce: « Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man'uvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces man'uvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
Il ne se présume pas et doit être prouvé. »
La jurisprudence en a inféré que le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait, qui s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter ou aurait influé sur les conditions de formation du contrat.
Il est en l'espèce établi par les pièces produites par les intimés et au demeurant non utilement contredites par les appelants que :
le 23 mai 2015, Monsieur [U] et Madame [W] ont déposé une main courante à l'encontre de leur voisin de palier Monsieur [G] [L] lui reprochant notamment d'avoir insulté Madame [W]
dans un courriel adressé aux copropriétaires et au syndic du 28 mai 2015 Madame [W] a fait part des errements de Monsieur [L] se plaignant de l'insécurité de sa famille dans l'immeuble et de l'impossibilité pour son fils de sortir seul de l'appartement
le 22 septembre 2015, Monsieur [U] a porté plainte contre X pour dégradation de véhicule. Le 27 septembre 2015, Monsieur [U] a déposé plainte contre Monsieur [L] pour dégradation volontaire à la suite de la crevaison des pneus de son véhicule.
le 14 octobre 2015, Madame [W] a déposé une main courante à l'encontre de Monsieur [L] pour menaces de mort. Interpellé, ce dernier s'est débattu et a commis des violences contre un policier ayant été trouvé porteur de cartouche de type grenaille, d'un canon d'arme démonté avec deux cartouches engagées et d'une arme à impulsion électrique.
Ces faits exactement énoncés par le jugement, mettent en cause la sécurité, l'habitabilité et la jouissance du logement dues par les vendeur au titre de leur obligation de délivrance et, en ce sens, constituent une information déterminante du consentement des acquéreurs du bien mis en vente.
Les informations données par les procès-verbaux des assemblées générales des copropriétaires tenues en 2013, 2014 et 2015 communiquées par Madame [W] et Monsieur [U] antérieurement à la signature de la promesse de vente conclue le 16 février 2016, ne font aucune référence aux troubles occasionnés par Monsieur [L] au sein de la copropriété ce dont le tribunal a justement déduit que les vendeurs ne démontraient pas avoir satisfait par cette communication à leur obligation d'information.
Les attestations nombreuses produites par les appelants émanant de personnes qu'ils ont hébergées en 2013 et 2014 dans leur appartement dans le cadre de locations saisonnières portent sur une occupation antérieure à l'époque litigieuse en 2015, et sont impuissantes à remettre en cause les faits dont la chronologie vient d'être rappelée.
Les attestations des employées à domicile chargées de garder les enfants du couple en 2014 et 2015, qui témoignent du calme de l'immeuble ont une force probante affaiblie par le lien de subordination les liant aux appelants.
La cour relève au demeurant que les appelants reconnaissent eux-mêmes en page 30 et 31 de leurs conclusions les faits qui les ont amenés à procéder à plusieurs dépôts de plainte et à solliciter l'intervention de la police et ne peuvent sérieusement soutenir, au regard de l'extrême gravité des conséquences du comportement de leur voisin telle qu'elle résulte des plaintes pénales qu'ils ont initiées avoir « surréagi » au comportement simplement « anormal » de leur voisin suivi au plan psychiatrique.
Monsieur et Madame [F] établissent eux-mêmes avoir été victimes du comportement totalement incontrôlable de Monsieur [L] par le dépôt de plainte du 27 janvier 2020 à la suite de l'attaque de Madame [F] par celui-ci qui, ayant sonné à la porte de l'appartement, lui a braqué sur la tempe un pistolet chargé d'un gel rouge vif piquant, provoquant les hurlements de Madame [F] et l'intervention de son époux qui a mis en fuite Monsieur [L], tous deux ayant dû être hospitalisés par les pompiers intervenus en urgence, les deux victimes étant en état de choc.
C'est donc par une exacte analyse des faits que le tribunal a retenu que la dissimulation par les vendeurs des troubles de voisinage liés au comportant erratique, menaçant et dangereux de leur voisin est constitutive d'un dol puisque ceux-ci avaient pris l'exacte mesure de sa gravité pour en avoir eux-mêmes été victimes antérieurement à la signature de la promesse de vente et que si cette information, qu'ils ont choisi de taire, avait été donnée aux acquéreurs, ceux-ci n'auraient pas acquis le bien aux mêmes conditions de prix.
Du chef du dol imputable à Monsieur [U] et Madame [W], le jugement sera donc confirmé.
Sur la demande de dommages et intérêts
Le tribunal a jugé que tout acquéreur avisé des désordres causés par le comportement anormal et menaçant du voisin Monsieur [G] [L] et de l'aléa représenté par la persistance de sa présence au vu des troubles psychiatriques affectant son comportement, aurait acquis l'appartement à un prix moindre si cette information avait été connue de lui. Il a estimé la décote à 15 % de 710 000 euros soit 106 500 euros outre l'incidence des droits de mutation évaluée au prorata à 7 205 euros. Il a écarté la demande formée au titre du préjudice moral estimant que la réparation du préjudice financier place les époux [F] dans la situation qui aurait été la leur s'ils avaient été informés du comportement de leur voisin.
Monsieur [U] et Madame [W] font valoir subsidiairement au débouté, que le préjudice financier ne pourrait être évalué que par rapport à la perte de chance éventuelle de l'acquéreur de pouvoir obtenir une décote du prix or selon les appelants celle-ci est bien moindre que celle retenue par le tribunal puisqu'au moment de la revente, [G] [L] n'habitait plus dans l'immeuble et que le trouble anormal de voisinage n'a pas vocation dans un état de droit à affecter durablement la valeur du bien immobilier. Se référant à la base de données BIENS utilisée par les notaires, ils observent qu'en 2016 à l'époque de l'acquisition des époux [F], les appartements d'une superficie entre 70 et 95 m2 situés dans un rayon de 100 mètres autour de l'adresse du bien ont été vendus au prix moyen de 8 250 euros au m2 quand les époux [F] ont acquis au prix moyen de 8 178 euros le m2 et réalisé une plus-value de 160 500 euros hors prix des meubles, en le revendant au prix de 10 819 euros le m2. Très subsidiairement ils font valoir que l'indemnisation résultant de la perte de chance ne peut excéder une fourchette comprise entre 1% et 2% du prix d'acquisition.
Monsieur et Madame [F] concluent à la justification de la décote opérée par le tribunal et à la confirmation intégrale du jugement du chef des préjudices en ce compris le préjudice moral dont ils ont été déboutés.
Réponse de la cour
La motivation précitée établit que contrairement à ce qui est affirmé par les appelants, Monsieur [L] habitait dans les lieux au moment de la signature de la promesse et de la vente, les périodes de répit n'étant dues qu'à ses hospitalisations en milieu psychiatriques dont les pièces produites établissent qu'elles ont été sollicitées auprès du maire d'arrondissement à plusieurs reprises.
La circonstance que le maire d'arrondissement soit affilié au même parti politique que Monsieur [F] et que ce dernier occupe ou ait occupé des fonctions de sénateur est inopérante à remettre en cause les troubles imputables au voisin des intimés amplement étayés par les pièces produites.
Les attestations produites en pièces 18-1,18-2 et 18-3 par les appelants comme émanant d'agents immobiliers dont celle de Madame [R], agent commercial, ne s'appuient pas sur des données répertoriées relatives à des ventes intervenues dans ce secteur lors de l'achat par les époux [F] en 2016 mais font état, en des termes généraux, de l'absence d'impact du voisinage sur la valeur d'un bien immobilier, les voisins étant « interchangeables ». Elles ne peuvent donc contredire utilement la décote retenue par le tribunal.
En outre la revente de l'appartement au prix de 950 000 euros par les époux [F] intervenue postérieurement au jugement le 6 mai 2021 ne remet pas en cause cette décote, qui doit être analysée à l'aune de l'année de leur acquisition en 2016 et du prix qu'ils auraient été amenés à négocier s'ils avaient été informés des troubles causés par leur voisin au sein de la copropriété.
Ainsi le préjudice dont il est demandé réparation correspond à la dépréciation de la valeur de l'appartement lors de son acquisition en 2016 du fait de l'insécurité liée à son voisin et non à une perte de chance de l'acquérir à un moindre prix.
Cette décote a été justement évaluée par le jugement à 15 % du prix d'acquisition de 730 000 euros soit un excédent de prix de 106 500 euros et 7 205 euros au titre des droits de mutation et émoluments assis sur le prix excessif.
De ces chefs également le jugement sera confirmé et tant Monsieur [U] que Madame [W] déboutés de leurs demandes.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement qui a condamné in solidum aux dépens Monsieur [G] [U] et Madame [I] [W] aux dépens ainsi qu'au règlement aux époux [F] d'une somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles sera confirmé.
Y ajoutant Monsieur [G] [U] et Madame [I] [W] seront condamnés in solidum aux dépens de l'appel ainsi qu'à régler à Monsieur et Madame [F] une somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La COUR,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement ;
Y ajoutant,
CONDAMNE in solidum Monsieur [G] [U] et Madame [I] [W] aux dépens de l'appel ainsi qu'au règlement d'une somme de 3 500 euros à Monsieur [H] [F] et à Madame [Z] [N] épouse [F] au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
LE GREFFIER,
LA PRÉSIDENTE,