CJUE, 3e ch., 14 juillet 2016, n° C-406/14
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Wrocław – Miasto na prawach powiatu
Défendeur :
Minister Infrastruktury i Rozwoju
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Bay Larsen
Juges :
M. Šváby (rapporteur), M. Malenovský, M. Safjan, M. Vilaras
Avocat général :
Mme Sharpston
Avocat :
Me Szuster
LA COUR (troisième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 25 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114, et rectificatif JO 2004, L 351, p. 44), telle que modifiée par le règlement (CE) no 2083/2005 de la Commission, du 19 décembre 2005 (JO 2005, L 333, p. 28) (ci-après la « directive 2004/18 »), ainsi que de l’article 98 du règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil, du 11 juillet 2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) no 1260/1999 (JO 2006, L 210, p. 25).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Wrocław – Miasto na prawach powiatu (ville de Wrocław, Pologne) au Minister Infrastruktury i Rozwoju (ministre des Infrastructures et du Développement) au sujet d’une décision infligeant à celle-ci une correction financière en raison de la prétendue violation de la directive 2004/18 dans le cadre de la passation d’un marché public portant sur des travaux cofinancés par des fonds de l’Union européenne.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2004/18
3 Conformément à l’article 7, sous c), de la directive 2004/18, celle-ci était applicable, au moment des faits en cause au principal, aux marchés publics de travaux non exclus dont la valeur estimée hors taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est égale ou supérieure à 5 278 000 euros.
4 La possibilité qu’un soumissionnaire envisage de sous-traiter une part du marché à des tiers est évoquée, notamment, à l’article 25 de cette directive dans les termes suivants :
« Dans le cahier des charges, le pouvoir adjudicateur peut demander ou peut être obligé par un État membre de demander au soumissionnaire d’indiquer, dans son offre, la part du marché qu’il a éventuellement l’intention de sous-traiter à des tiers ainsi que les sous-traitants proposés.
Cette communication ne préjuge pas la question de la responsabilité de l’opérateur économique principal. »
5 Intitulé « Conditions d’exécution du marché », l’article 26 de la directive 2004/18 dispose :
« Les pouvoirs adjudicateurs peuvent exiger des conditions particulières concernant l’exécution du marché pour autant qu’elles soient compatibles avec le droit communautaire et qu’elles soient indiquées dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges. Les conditions dans lesquelles un marché est exécuté peuvent notamment viser des considérations sociales et environnementales. »
6 Cette disposition est explicitée par le considérant 33 de cette directive, lequel énonce que les conditions d’exécution d’un marché sont compatibles avec ladite directive « pour autant qu’elles ne soient pas directement ou indirectement discriminatoires et qu’elles soient annoncées dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges. Elles peuvent, notamment, avoir pour objet de favoriser la formation professionnelle sur chantier, l’emploi de personnes rencontrant des difficultés particulières d’insertion, de lutter contre le chômage ou de protéger l’environnement. À titre d’exemple, on peut citer, entre autres, les obligations – applicables à l’exécution du marché – de recruter des chômeurs de longue durée ou de mettre en œuvre des actions de formation pour les chômeurs ou les jeunes, de respecter en substance les dispositions des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) dans l’hypothèse où celles-ci n’auraient pas été mises en œuvre dans le droit national, de recruter un nombre de personnes handicapées qui irait au-delà de ce qui est exigé par la législation nationale ».
7 La directive 2004/18 fixe également des critères de sélection qualitative permettant de déterminer les candidats admis à participer à la procédure d’adjudication d’un marché public. L’article 48 de cette directive, relatif aux capacités techniques et professionnelles, est libellé comme suit :
« […]
2. Les capacités techniques des opérateurs économiques peuvent être justifiées d’une ou de plusieurs des façons suivantes, selon la nature, la quantité ou l’importance, et l’utilisation des travaux, des fournitures ou des services :
[…]
b) l’indication des techniciens ou des organismes techniques, qu’ils soient ou non intégrés à l’entreprise de l’opérateur économique, en particulier de ceux qui sont responsables du contrôle de la qualité et, lorsqu’il s’agit de marchés publics de travaux, dont l’entrepreneur disposera pour l’exécution de l’ouvrage ;
[…]
i) l’indication de la part du marché que le prestataire de services a éventuellement l’intention de sous-traiter ;
[…]
3. Un opérateur économique peut, le cas échéant et pour un marché déterminé, faire valoir les capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre lui-même et ces entités. Il doit, dans ce cas, prouver au pouvoir adjudicateur que, pour l’exécution du marché, il disposera des moyens nécessaires, par exemple, par la production de l’engagement de ces entités de mettre à la disposition de l’opérateur économique les moyens nécessaires.
[…]
5. Dans les procédures de passation des marchés publics ayant pour objet des fournitures nécessitant des travaux de pose ou d’installation, la prestation de services et/ou l’exécution de travaux, la capacité des opérateurs économiques de fournir les services ou d’exécuter l’installation ou les travaux peut être évaluée en vertu notamment de leur savoir-faire, de leur efficacité, de leur expérience et de leur fiabilité.
6. Le pouvoir adjudicateur précise, dans l’avis ou dans l’invitation à soumissionner, celles des références visées au paragraphe 2 qu’il entend obtenir. »
Le règlement no 1083/2006
8 Aux termes du considérant 66 du règlement no 1083/2006 :
« Il est nécessaire de spécifier les obligations des États membres en ce qui concerne les systèmes de gestion et de contrôle, la certification des dépenses et la prévention, la détection et la correction des irrégularités et des infractions au droit communautaire afin de garantir une mise en œuvre efficace et régulière des programmes opérationnels. […] »
9 L’article 1er de ce règlement dispose :
« Le présent règlement établit les règles générales régissant le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fonds social européen (FSE) (ci-après dénommés : “les Fonds structurels”), ainsi que le Fonds de cohésion […]
[…]
À cette fin, le présent règlement fixe les principes, les règles de partenariat, de programmation, d’évaluation, de gestion, y compris financière, de suivi et de contrôle sur la base d’un partage de responsabilités entre les États membres et la Commission. »
10 L’article 2, point 7, dudit règlement définit la notion d’« irrégularité » comme « toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général de l’Union européenne par l’imputation au budget général d’une dépense indue ».
11 Conformément à l’article 9, paragraphe 5, du règlement no 1083/2006, les opérations financées par les Fonds structurels et le Fonds de cohésion doivent être conformes notamment aux dispositions des actes de droit dérivé.
12 Intitulé « Corrections financières par les États membres », l’article 98 de ce règlement prévoit :
« 1. Il incombe en premier lieu aux États membres de rechercher les irrégularités, d’agir lorsque est constaté un changement important affectant la nature ou les conditions de mise en œuvre ou de contrôle des opérations ou des programmes opérationnels, et de procéder aux corrections financières nécessaires.
2. Les États membres procèdent aux corrections financières requises en rapport avec les irrégularités individuelles ou systémiques détectées dans les opérations ou les programmes opérationnels. Les corrections auxquelles procèdent les États membres consistent à annuler tout ou partie de la participation publique pour le programme opérationnel. Les États membres tiennent compte de la nature et de la gravité des irrégularités et de la perte financière qui en résulte pour le Fonds.
[…] »
Le droit polonais
13 Il résulte de la décision de renvoi que l’article 36, paragraphe 5, de l’ustawa – Prawo zamόwień publicznych (loi sur le droit des marchés publics), du 29 janvier 2004 (ci-après la « p.z.p. »), dans sa version applicable à la date des faits au principal, était rédigé comme suit :
« Le pouvoir adjudicateur peut définir dans le cahier des charges la part du marché qui ne peut pas être confiée à un sous-traitant. »
14 Ultérieurement, cette disposition a été modifiée en ce sens qu’un opérateur économique peut confier à des sous-traitants l’exécution d’un marché public qui lui a été adjugé sauf lorsque, en raison des spécificités de ce marché, le pouvoir adjudicateur précise dans le cahier des charges que ledit marché ne peut, en tout ou en partie, être confié à des sous-traitants.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 Le 18 mai 2007, le service compétent de la ville de Wrocław a engagé une procédure restreinte de passation de marché public portant sur la construction partielle d’une voie de contournement. Ce projet, dont le coût correspondait à 65 millions d’euros environ, a bénéficié d’une aide financière de l’Union en application du programme opérationnel d’aide communautaire à la République de Pologne en matière d’infrastructures et d’environnement, dans le cadre de l’objectif « Convergence », cofinancé par le Fonds de cohésion et le FEDER.
16 Sur les sept opérateurs économiques ayant demandé à participer à cette procédure, cinq ont été invités à soumettre une offre. Le cahier des charges adressé à ces cinq opérateurs contenait une clause libellée comme suit :
« L’opérateur économique est tenu de réaliser par ses propres moyens au moins 25 % des travaux faisant l’objet du marché. »
17 Le 1er août 2008, la ville de Wrocław a conclu un marché public avec l’opérateur qu’elle avait retenu.
18 À la suite d’une procédure administrative postérieure à l’exécution de ce marché, engagée par les autorités nationales chargées du contrôle de la régularité de certaines actions cofinancées par l’Union, la ville de Wrocław s’est vu réclamer une correction financière de 8 600 473,38 zlotys polonais (PLN) (environ 1 960 000 euros) en principal, correspondant à 5 % du montant des coûts faisant l’objet de financements publics, en raison de l’irrégularité alléguée de ladite clause au regard de la directive 2004/18, applicable au marché concerné eu égard à la valeur de celui-ci.
19 Selon la décision de renvoi, l’autorité compétente au dernier stade de cette procédure administrative a justifié cette correction financière, d’une part, par le fait que la clause litigieuse aurait limité le recours à des sous-traitants sans respecter l’article 36, paragraphe 5, de la p.z.p. En effet, l’objectif de cette disposition serait d’assurer que les parties d’un marché nécessitant des connaissances et des compétences spécifiques, et dont la qualité d’exécution dépend donc des aptitudes particulières de l’exécutant, soient effectivement réalisées par l’opérateur économique dont la capacité a été évaluée dans le cadre de la procédure de passation du marché. Cet objectif aurait revêtu une importance particulière dès lors que les dispositions du droit national applicables à la date des faits au principal ne permettaient pas aux opérateurs économiques de se prévaloir des capacités de tiers pour justifier qu’ils remplissaient les critères de capacité requis pour la participation à la procédure d’attribution d’un marché public.
20 Selon cette autorité, le pouvoir adjudicateur faisant application de l’article 36, paragraphe 5, de la p.z.p. était dès lors tenu de préciser concrètement quelles parties du marché concerné devraient obligatoirement être exécutées personnellement par l’adjudicataire. Or, une clause telle que celle en cause au principal, se bornant à fixer implicitement un pourcentage des travaux correspondant à la partie de ceux-ci devant être réalisée par l’adjudicataire, ne permettrait pas de déterminer, en violation de l’objectif de l’article 36, paragraphe 5, de la p.z.p., si la restriction du recours à la sous-traitance concerne des travaux dont l’exécution nécessite des compétences particulières. Cette violation du droit national constituerait également une violation de l’article 25 de la directive 2004/18, ladite autorité faisant, à cet égard, référence à l’arrêt du 18 mars 2004, Siemens et ARGE Telekom (C‑314/01, EU:C:2004:159).
21 D’autre part, malgré l’absence d’incidence de la violation prétendue du droit de l’Union sur l’attribution du marché en cause au principal, la limitation du recours à la sous-traitance aurait une incidence préjudiciable sur le budget général de l’Union. En effet, cette limitation aurait entraîné un risque de perturbation de l’équilibre concurrentiel susceptible de se traduire par une majoration des prix proposés dans les offres, un tel risque suffisant à constituer une irrégularité au sens de l’article 2, point 7, du règlement no 1083/2006.
22 Il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que le taux de la correction financière appliquée en l’occurrence a été déterminé en recourant à un barème qu’utilise l’autorité compétente.
23 La ville de Wrocław a introduit un recours contre la décision portant correction financière devant la juridiction de renvoi, contestant le bien-fondé des deux axes de motivation sur lesquels cette décision est fondée. Quant à la licéité de la clause litigieuse du cahier des charges, elle fait valoir que l’article 36, paragraphe 5, de la p.z.p., dans sa version applicable à l’époque des faits au principal, contenait le principe selon lequel l’adjudicataire doit exécuter le marché par ses propres moyens, le recours à des sous‑traitants constituant une exception, et c’est à ce titre que le pouvoir adjudicateur pouvait l’autoriser, mais sans y être obligé. Cette interprétation de la disposition concernée semble partagée par la juridiction de renvoi.
24 Cette dernière estime nécessaire à la solution du litige dont elle est saisie d’obtenir de la Cour l’interprétation, premièrement, de l’article 25 de la directive 2004/18, en particulier les termes « part du marché », afin de déterminer si cette disposition s’oppose à ce qu’un pouvoir adjudicateur fixe un pourcentage maximal de la part de marché que le futur adjudicataire pourra sous-traiter. Cette juridiction s’interroge également quant au point de savoir si une telle limitation pourrait être concernée par l’article 26 de cette directive, en tant que condition d’exécution au sens de cette dernière disposition.
25 Ladite juridiction considère qu’il résulte de l’arrêt du 18 mars 2004, Siemens et ARGE Telekom (C‑314/01, EU:C:2004:159), que la directive 2004/18 permet de limiter le recours à la sous-traitance pour l’exécution de marchés publics à condition que cela n’ait pas pour effet d’empêcher des opérateurs économiques qui souhaitent recourir aux capacités techniques et économiques de sous-traitants de participer à une procédure d’appel d’offres. Toutefois, cet arrêt ne trancherait pas la question de savoir si un pouvoir adjudicateur est autorisé à exprimer sous forme de pourcentage le volume des travaux que l’adjudicataire doit exécuter personnellement.
26 Par ailleurs, la juridiction de renvoi se demande si une clause telle que celle en cause au principal, en restreignant la possibilité pour les petites et moyennes entreprises (PME) de prendre part à la réalisation de travaux faisant l’objet d’un marché public, n’est pas susceptible de violer le principe de l’ouverture des marchés publics à la concurrence non faussée, cette ouverture concernant toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, une attention particulière paraissant devoir être accordée à cet égard aux PME. Cette juridiction se réfère, sur ce point, à la jurisprudence de la Cour, notamment à l’arrêt du 10 octobre 2013, Swm Costruzioni 2 et Mannocchi Luigino (C‑94/12, EU:C:2013:646, point 33).
27 Deuxièmement, ladite juridiction estime également nécessaire d’obtenir des éclaircissements quant à la notion d’« irrégularité » au sens du règlement no 1083/2006, afin qu’elle puisse déterminer si, compte tenu des circonstances de l’affaire dont elle est saisie, l’importance de l’éventuelle violation du droit de l’Union ayant affecté la procédure de passation du marché concerné exige une correction financière.
28 À cet égard, elle se demande si toute méconnaissance du droit de l’Union en matière de marchés publics est de nature à constituer une telle irrégularité devant conduire à une correction financière ou s’il y a lieu de tenir compte des circonstances concrètes de chaque cas, notamment des effets de l’éventuelle méconnaissance de ce droit. Quant à ces circonstances concrètes, elle relève, en l’occurrence, que la loi applicable était interprétée comme n’excluant pas une clause telle que celle en cause au principal, que cette clause autorisait malgré tout le recours à la sous-traitance pour 75 % des travaux faisant l’objet du marché, qu’elle n’a pas suscité de contestation et que l’appel d’offres a donné lieu à une concurrence soutenue.
29 Dans ce contexte, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) À la lumière des dispositions de l’article 25 de la directive 2004/18, le pouvoir adjudicateur est-il autorisé à préciser, dans le cahier des charges d’un marché [public], que [l’adjudicataire sera] tenu d’exécuter par ses propres moyens au moins 25 % des travaux faisant l’objet du marché ?
2) Dans la négative, l’application de la condition décrite à la première question dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public conduit-elle à une violation des dispositions du droit de l’Union de nature à justifier la nécessité d’une correction financière en application de l’article 98 du règlement no 1083/2006 ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
30 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2004/18 doit être interprétée en ce sens qu’un pouvoir adjudicateur est autorisé à exiger, par une clause du cahier des charges d’un marché public de travaux, que le futur adjudicataire de ce marché exécute par ses propres moyens un certain pourcentage des travaux faisant l’objet dudit marché.
31 Aux termes de l’article 25, premier alinéa, de la directive 2004/18, le pouvoir adjudicateur peut demander ou peut être obligé par un État membre de demander au soumissionnaire d’indiquer, dans son offre, la part du marché qu’il a éventuellement l’intention de sous-traiter à des tiers ainsi que les sous-traitants proposés.
32 Ainsi que la Cour l’a constaté au point 31 de l’arrêt du 10 octobre 2013, Swm Costruzioni 2 et Mannocchi Luigino (C‑94/12, EU:C:2013:646), par cet article, la directive 2004/18 envisage le recours à des sous-traitants sans évoquer de limitation à cet égard.
33 Au contraire, l’article 48, paragraphe 3, de cette directive, en ce qu’il prévoit la possibilité, pour les soumissionnaires, de prouver qu’ils satisfont aux niveaux minimaux de capacités techniques et professionnelles fixés par le pouvoir adjudicateur en recourant aux capacités d’entités tierces, pour autant qu’ils établissent qu’ils disposeront effectivement des moyens nécessaires à l’exécution du marché qui ne leur appartiennent pas en propre si celui-ci leur est attribué, consacre la possibilité, pour les soumissionnaires, de recourir à la sous-traitance pour l’exécution d’un marché, et ce de façon, en principe, non limitée.
34 Néanmoins, lorsque les documents du marché imposent aux soumissionnaires d’indiquer, dans leurs offres, la part du marché qu’ils ont éventuellement l’intention de sous-traiter et les sous-traitants proposés, conformément à l’article 25, premier alinéa, de la directive 2004/18, le pouvoir adjudicateur est en droit d’interdire le recours à des sous-traitants dont il n’a pas pu vérifier les capacités au stade de l’examen des offres et de la sélection de l’adjudicataire, pour l’exécution de parties essentielles du marché (voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2004, Siemens et ARGE Telekom, C‑314/01, EU:C:2004:159, point 45).
35 Telle n’est toutefois pas la portée d’une clause telle que celle en cause au principal, qui impose des limitations au recours à des sous‑traitants pour une part du marché fixée de manière abstraite à un certain pourcentage de celui-ci, et ce indépendamment de la possibilité de vérifier les capacités des éventuels sous-traitants et sans aucune mention relative au caractère essentiel de tâches qui seraient concernées. À tous ces égards, une telle clause se révèle incompatible avec la directive 2004/18, pertinente dans le cadre du litige au principal.
36 Par ailleurs, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 41 de ses conclusions, une telle clause, à supposer qu’elle constitue une condition d’exécution du marché au sens de l’article 26 de la directive 2004/18, ne saurait être admise au titre de cet article, en vertu des termes mêmes de celui-ci, dès lors qu’elle est contraire à l’article 48, paragraphe 3, de cette directive, et donc au droit de l’Union.
37 Partant, il convient de répondre à la première question que la directive 2004/18 doit être interprétée en ce sens qu’un pouvoir adjudicateur n’est pas autorisé à exiger, par une clause du cahier des charges d’un marché public de travaux, que le futur adjudicataire de ce marché exécute par ses propres moyens un certain pourcentage des travaux faisant l’objet dudit marché.
Sur la seconde question
38 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 98 du règlement no 1083/2006, lu en combinaison avec l’article 2, point 7, de ce règlement, doit être interprété en ce sens que le fait, pour un pouvoir adjudicateur, d’avoir imposé, dans le cadre d’un marché public de travaux relatifs à un projet bénéficiant d’une aide financière de l’Union, que le futur adjudicataire exécute par ses propres moyens au moins 25 % de ces travaux, en méconnaissance de la directive 2004/18, constitue, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, une « irrégularité » au sens dudit article 2, point 7, justifiant la nécessité d’appliquer une correction financière en vertu dudit article 98.
39 S’agissant des circonstances concrètes de cette affaire, la juridiction de renvoi relève que la loi nationale applicable était interprétée comme n’interdisant pas une clause telle que celle en cause au principal, que cette clause autorisait malgré tout le recours à la sous-traitance pour 75 % des travaux faisant l’objet du marché, qu’elle n’a pas suscité de contestation de la part des candidats ayant été invités à présenter une offre, qui seuls en ont eu connaissance, et que l’appel d’offres a donné lieu à une concurrence soutenue.
40 La question posée présente ainsi deux aspects, relatifs, l’un, à la notion d’« irrégularité » au sens de l’article 2, point 7, du règlement no 1083/2006 et, l’autre, au mécanisme de correction financière à mettre en œuvre par les autorités nationales en cas d’irrégularité, en application de l’article 98 de ce règlement.
41 En premier lieu, s’agissant de ladite notion d’« irrégularité », celle-ci vise, conformément à l’article 2, point 7, du règlement no 1083/2006, toute violation d’une disposition du droit de l’Union résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général de l’Union par l’imputation au budget général d’une dépense indue.
42 Il convient de constater que c’est la dernière partie de cette définition qui suscite les doutes de la juridiction de renvoi, étant donné que, en l’occurrence, la clause qui doit être considérée comme contraire au droit de l’Union eu égard à la réponse apportée à la première question lui paraît n’avoir pas eu de conséquence concrète.
43 À cet égard, il y a lieu de relever que, certes, comme Mme l’avocat général l’a relevé aux points 53 à 55 de ses conclusions, en se référant notamment à l’article 9, paragraphe 5, du règlement no 1083/2006 ainsi que, par analogie, à l’arrêt du 21 décembre 2011, Chambre de commerce et d’industrie de l’Indre (C‑465/10, EU:C:2011:867, points 46 et 47), l’Union n’a vocation à financer, par les Fonds structurels et le Fonds de cohésion, que des actions menées en complète conformité avec le droit de l’Union.
44 Cependant, il résulte de la définition figurant à l’article 2, point 7, de ce règlement qu’une violation du droit de l’Union ne constitue une irrégularité au sens de cette disposition que si elle a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général de l’Union par l’imputation à ce budget d’une dépense indue. Partant, une telle violation doit être considérée comme une irrégularité pour autant qu’elle soit susceptible, en tant que telle, d’avoir une incidence budgétaire. En revanche, il n’est pas requis que l’existence d’une incidence financière précise soit démontrée (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2011, Chambre de commerce et d’industrie de l’Indre, C‑465/10, EU:C:2011:867, point 47).
45 En conséquence, il y a lieu de considérer qu’un manquement aux règles de passation des marchés publics constitue une irrégularité au sens de l’article 2, point 7, du règlement no 1083/2006 pour autant que la possibilité que ce manquement ait eu une incidence sur le budget du Fonds concerné ne puisse pas être exclue.
46 En second lieu, s’agissant du mécanisme de correction financière prévu à l’article 98 du règlement no 1083/2006, il convient de constater que, conformément à ses paragraphes 1 et 2, cet article impose aux États membres de procéder à une correction financière dès lors qu’une irrégularité a été constatée.
47 Cependant, le paragraphe 2, premier alinéa, de cet article impose également à l’autorité nationale compétente de déterminer le montant de la correction à appliquer en tenant compte de trois critères, à savoir la nature de l’irrégularité constatée, sa gravité et la perte financière qui en a résulté pour le Fonds concerné.
48 Lorsqu’il s’agit, comme dans l’affaire au principal, d’une irrégularité ponctuelle, et non systémique, cette dernière exigence implique nécessairement un examen au cas par cas, en tenant compte de toutes les circonstances de chaque espèce pertinentes au regard de l’un de ces trois critères.
49 Dès lors, si, comme l’a souligné Mme l’avocat général au point 60 de ses conclusions, cela n’exclut pas qu’une première approche puisse être réalisée sur la base d’un barème respectueux du principe de proportionnalité, il n’en demeure pas moins que la détermination du montant final de la correction à appliquer doit tenir compte de toutes les particularités qui caractérisent l’irrégularité constatée par rapport aux éléments pris en considération pour l’établissement de ce barème, qui peuvent justifier l’application d’une correction plus importante ou, au contraire, réduite.
50 Ainsi, des circonstances telles que la conformité par rapport à la loi nationale d’une clause telle que celle en cause au principal, l’obligation de réaliser par des moyens propres une part limitée du marché et le fait que seul soit établi un risque, éventuellement faible, d’incidence financière sont de nature à influer sur le montant final de la correction financière à appliquer.
51 Il y a dès lors lieu de répondre à la seconde question que l’article 98 du règlement no 1083/2006, lu en combinaison avec l’article 2, point 7, de ce règlement, doit être interprété en ce sens que le fait, pour un pouvoir adjudicateur, d’avoir imposé, dans le cadre d’un marché public de travaux relatifs à un projet bénéficiant d’une aide financière de l’Union, que le futur adjudicataire exécute par ses propres moyens au moins 25 % de ces travaux, en méconnaissance de la directive 2004/18, constitue une « irrégularité » au sens dudit article 2, point 7, justifiant la nécessité d’appliquer une correction financière en vertu dudit article 98, pour autant que la possibilité que ce manquement ait eu une incidence sur le budget du Fonds concerné ne puisse pas être exclue. Le montant de cette correction doit être déterminé en tenant compte de toutes les circonstances concrètes qui sont pertinentes au regard des critères mentionnés au paragraphe 2, premier alinéa, de l’article 98 dudit règlement, à savoir la nature de l’irrégularité constatée, sa gravité et la perte financière qui en a résulté pour le Fonds concerné.
Sur les dépens
52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
1) La directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, telle que modifiée par le règlement (CE) no 2083/2005 de la Commission, du 19 décembre 2005, doit être interprétée en ce sens qu’un pouvoir adjudicateur n’est pas autorisé à exiger, par une clause du cahier des charges d’un marché public de travaux, que le futur adjudicataire de ce marché exécute par ses propres moyens un certain pourcentage des travaux faisant l’objet dudit marché.
2) L’article 98 du règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil, du 11 juillet 2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) no 1260/1999, lu en combinaison avec l’article 2, point 7, de ce règlement, doit être interprété en ce sens que le fait, pour un pouvoir adjudicateur, d’avoir imposé, dans le cadre d’un marché public de travaux relatifs à un projet bénéficiant d’une aide financière de l’Union, que le futur adjudicataire exécute par ses propres moyens au moins 25 % de ces travaux, en méconnaissance de la directive 2004/18, constitue une « irrégularité » au sens dudit article 2, point 7, justifiant la nécessité d’appliquer une correction financière en vertu dudit article 98, pour autant que la possibilité que ce manquement ait eu une incidence sur le budget du Fonds concerné ne puisse pas être exclue. Le montant de cette correction doit être déterminé en tenant compte de toutes les circonstances concrètes qui sont pertinentes au regard des critères mentionnés au paragraphe 2, premier alinéa, de l’article 98 dudit règlement, à savoir la nature de l’irrégularité constatée, sa gravité et la perte financière qui en a résulté pour le Fonds concerné.