Livv
Décisions

Cass. soc., 4 mars 2020, n° 18-10.636

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cathala

Rapporteur :

Mme Monge

Avocat général :

M. Liffran

Avocats :

SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Paris, du 15 nov. 2017

15 novembre 2017

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 novembre 2017), que Mme E... a été engagée, le 11 juin 2004, en qualité d'agent de service par la société Proprotel JNS suivant contrat à durée indéterminée soumis à la convention collective nationale des entreprises de propreté, ultérieurement transféré à la société Française de services groupe (la société FSG), son lieu d'affectation étant alors l'hôtel Park Hyatt Vendôme, exploité par la sas Immobilière hôtelière (la Sasih) ; que licenciée le 16 janvier 2013 pour faute grave, elle a, le 2 mai 2013, avec les syndicats CGT des hôtels de prestige et économiques et CNT du nettoyage (les syndicats), saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir de la société FSG paiement de rappels de primes et de salaire, d'indemnités et de dommages-intérêts ; qu'en cours de procédure, la société FSG, devenue la société Global facility services, a fait l'objet d'une liquidation judiciaire, M. J... étant désigné en qualité de liquidateur ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, et sur le quatrième moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Attendu que la salariée et les syndicats font grief à l'arrêt de rejeter les demandes de la salariée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'un rappel de primes, alors, selon le moyen, que lorsque la faute grave est écartée, l'employeur qui a licencié à tort le salarié sans préavis, est nécessairement débiteur de l'indemnité compensatrice de préavis sans qu'il y ait lieu de vérifier si ce dernier pouvait ou non l'exécuter dès lors que l'inexécution du préavis résulte dans ce cas de la seule décision de l'employeur de le priver du délai-congé ; qu'en déboutant la salariée de sa demande en paiement de l'indemnité compensatrice de préavis après avoir pourtant jugé que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail ;

Mais attendu, que le refus d'un salarié de poursuivre l'exécution de son contrat de travail en raison d'un simple changement des conditions de travail décidé par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction rend ce salarié responsable de l'inexécution du préavis qu'il refuse d'exécuter aux nouvelles conditions et le prive des indemnités compensatrices de préavis et de congés payés afférents ;

Et attendu qu'ayant retenu qu'en ne se présentant pas sur son nouveau lieu d'affectation, la salariée n'avait pas respecté la clause de mobilité stipulée à l'avenant de son contrat de travail, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elle ne pouvait prétendre à une indemnité compensatrice de préavis ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la salariée et les syndicats font grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société GFS diverses sommes et condamné in solidum la Sasih au paiement de dommages-intérêts pour marchandage et prêt de main-d'oeuvre illicite, et de rejeter les demandes de la salariée au titre de primes et de dommages-intérêts pour discrimination indirecte, alors, selon le moyen :

1°/ qu'est interdit tout marchandage défini comme une opération à but lucratif de fourniture de main d'oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application de dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail ; que le prêt de main d'oeuvre illicite est caractérisé si la convention a pour objet la fourniture de main d'oeuvre moyennant rémunération pour faire exécuter une tâche permanente de l'entreprise utilisatrice sans transmission d'un savoir-faire ou mise en oeuvre d'une technicité qui relève de la spécificité propre de l'entreprise prêteuse ; qu'en se bornant à relever, pour écarter le marchandage et le prêt de main d'oeuvre illicite, que l'activité de nettoyage était une activité support de celle de l'hôtellerie et que la société Sasih avait décidé d'externaliser cette activité spécifique en la confiant à la société FSG, spécialisée dans l'activité de nettoyage des hôtels de luxe et palaces sans rechercher d'une part si le poste occupé par la salariée en qualité de femme de chambre ne relevait pas de l'activité normale et permanente de l'hôtel et d'autre part si la prestation fournie relevait d'une technicité spécifique qui n'aurait pas pu être confiée à un salarié de l'entreprise utilisatrice, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail ;

2°/ qu' il appartient au juge saisi par un salarié d'une demande de dommages-intérêts pour marchandage et prêt illicite de main d'oeuvre de rechercher, par l'analyse des conditions factuelles dans lesquelles il a effectué sa prestation, la véritable nature de la convention intervenue entre l'entreprise prêteuse et l'entreprise utilisatrice ; qu'en se référant aux stipulations du contrat de prestation de services pour exclure l'existence d'un prêt de main d'oeuvre entre la société Sasih et la société FSG, la cour d'appel, à laquelle il incombait de rechercher si les conditions factuelles dans lesquelles la salariée a exécuté sa prestation relevait d'une opération de fourniture de main d'oeuvre constitutive du délit de marchandage, a statué par un motif inopérant et a violé les articles L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail ;

3°/ que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé l'existence de manuels, annexés au contrat de sous-traitance, établis par la société Sasih et destinés aux salariés de la société FSG contenant les consignes et directives à respecter, l'existence de plannings établis par la société Sasih en fonction de l'occupation des chambres à partir desquels les horaires des salariés de la société FSG étaient déterminés et d'un contrôle par la société Sasih de la qualité de la prestation effectuée par les salariée de la société FSG tenue d'une obligation de résultat ; qu'en estimant néanmoins que ces éléments ne permettaient nullement de caractériser un lien de subordination entre la salariée et la société Sasih, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 1221-1, L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail ;

4°/ que lorsqu'une entreprise se borne à prêter des salariés exécutant des travaux peu spécialisés à une autre entreprise, à laquelle il est facturé un coût de main d'oeuvre sans qu'elle ait à supporter les charges financières et sociales de l'emploi qui lui auraient incombé si elle avait employé ses propres salariés, l'opération s'analyse en un prêt illicite de main d'oeuvre ; qu'en se bornant à relever que la rémunération prévue au contrat de sous-traitance était forfaitaire à la chambre sans que soit pris en compte le nombre d'heures effectuées par les salariés mis à disposition sans rechercher si cette rémunération prenait en compte le coût de la main d'oeuvre sans les charges financières correspondant aux primes conventionnelles et charges sociales que la société Sasih aurait dû payer si elle avait employé directement des salariées en qualité de femme de chambre, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail ;

5°/ que le but lucratif du prêt de main d'oeuvre est caractérisé lorsque sous couvert de sous-traitance, l'entreprise utilisatrice cherche à bénéficier d'une meilleure flexibilité dans la gestion de son personnel ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté l'existence de plannings établis par la société Sasih en fonction de l'occupation des chambres à partir desquels les horaires des salariés de la société FSG étaient déterminés ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle était invitée à le faire, si le recours à la « sous-traitance » n'avait pas pour but de procurer à la société Sasih de la flexibilité dans la gestion de ses moyens humains, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail ;

6°/ que le préjudice causé aux salariés dans le cadre du délit de marchandage est constitué dès lors que les salariés mis illicitement à disposition ne bénéficient pas des garanties légales et des avantages conférés aux salariés permanents de l'entreprise où est exécutée la prestation de travail ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que contrairement aux salariés de la société Sasih, les salariés de la société FSG n'avaient pas accès aux 39 heures dont 4 heures majorées à 110% et avaient de ce fait une rémunération moins élevée, qu'ils ne bénéficiaient pas de l'intéressement allant jusqu'à 150 % d'un mois de salaire brut, ni de la prise en charge de la mutuelle ; qu'en jugeant que Mme E... ne subissait aucun préjudice, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard des articles L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la Sasih avait choisi de confier l'activité de nettoyage à la société FSG, spécialisée dans l'activité de nettoyage des hôtels de luxe et palaces et ayant un savoir-faire spécifique dans ce domaine, aux termes d'un contrat de prestations de service prévoyant que la prestataire s'engageait à fournir et exécuter les prestations de nettoyage des chambres et des lieux publics de l'hôtel par un personnel qualifié, en fournissant les produits et le matériel nécessaires, que le contrat précisait que le prestataire assurait une permanence d'encadrement et assumait l'entière responsabilité du recrutement et de l'administration de son personnel, ainsi que de manière générale, de toutes les obligations qui lui incombaient en qualité d'employeur et constaté qu'aucune pièce ne démontrait la réalité de l'existence d'un lien de subordination entre la salariée et la Sasih, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes ou qui ne lui étaient pas demandées, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que le deuxième moyen ayant fait l'objet d'un rejet, le moyen pris d'une cassation par voie de conséquence est sans portée ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.