Cass. 3e civ., 10 octobre 2012, n° 11-17.627
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Terrier
Avocats :
Me Le Prado, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Delvolvé, SCP Odent et Poulet
Joint les pourvois n° N 11-17. 627 et n° W 11-17. 796 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 23 février 2011), que la société civile immobilière Bellevue (la SCI), ayant pour associés et cogérants MM. X...et C..., a acquis un immeuble, divisé en lots de copropriété, vendus entre 1993 et 1999 ; qu'avec l'accord des premiers acquéreurs, la SCI a fait réaliser des terrasses avec le concours de la société Etablissements Gance et fils, chargée du lot menuiseries et charpentes, assurée en responsabilité décennale par la société GAN, de la société Coppe, chargée de l'étanchéité extérieure, placée en liquidation judiciaire, assurée par la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP) ; que des désordres étant apparus, le syndicat des copropriétaires de la résidence Bellevue (le syndicat) et les copropriétaires ont assigné en indemnisation la SCI, ses associés, les entreprises et leurs assureurs, ainsi que M. Y..., notaire rédacteur des actes ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° N 11-17. 627 de la SMABTP :
Attendu que la SMABTP fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande du syndicat des copropriétaires, alors, selon le moyen :
1°/ que le syndicat des copropriétaires n'a qualité pour agir en justice en réparation de désordres que pour autant que ceux-ci constituent un préjudice collectif ; qu'il n'en est pas ainsi de préjudices affectant les parties privatives d'une copropriété, la multiplication de ces préjudices ne suffisant pas à constituer un préjudice collectif ; qu'en l'espèce, pour écarter l'irrecevabilité de l'action du syndicat des copropriétaires, la cour d'appel a retenu que dès lors que les désordres étaient généralisés à l'ensemble des balcons et terrasses, ils affectaient nécessairement les parties communes ; qu'en se déterminant ainsi, quand les balcons litigieux, selon ses propres constatations, constituaient des parties privatives de l'immeuble, ce qui interdisait au syndicat de poursuivre la réparation des dommages qui les affectaient, fût-ce sous réserve d'une ventilation ultérieure des sommes relevant de la réparation des parties communes et des parties privatives, la cour d'appel a violé l'article 15 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
2°/ que pour déclarer recevable l'action du syndicat des copropriétaires à agir en justice pour obtenir réparation des dommages, après avoir pourtant constaté que ces balcons constituaient des parties privatives, la cour d'appel a retenu que ces désordres étant généralisés à tous les balcons et terrasses, cela affectait nécessairement des parties communes ; qu'en se déterminant ainsi, sans que le syndicat de copropriété ait justifié d'un préjudice collectif ni qu'ait été déterminée l'existence de désordres affectant les parties communes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 15 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
3°/ que la cour d'appel a elle-même relevé dans sa motivation que « faute de modification établie de la consistance des lots et des parties communes, les balcons et terrasses sont demeurés des parties privatives » et que « le syndicat n'est recevable à réclamer réparation que des désordres intéressant les parties communes » ; qu'il s'ensuivait que la cour d'appel ne pouvait, comme elle l'a fait, déclarer recevable l'action du syndicat, sous réserve d'une ventilation ultérieure entre les réparations concernant les parties communes et celles concernant les parties privatives, dès lors qu'il n'existait aucune constatation relative à la survenance de dommages spécifiques affectant les parties communes ; qu'en se déterminant dès lors comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a derechef violé l'article 15 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les désordres étaient généralisés à l'ensemble des balcons et des terrasses et affectaient les éléments de gros-oeuvre sur lesquels ils avaient été fixés, parties communes, la cour d'appel a retenu à bon droit que ces troubles étaient collectifs, que le syndicat était recevable à agir en justice pour leur réparation et qu'il convenait d'opérer une ventilation des sommes demandées, lot par lot et pour les parties communes ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi n° N 11-17. 627 de la SMABTP, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé que les travaux d'étanchéité des terrasses extérieures et l'application d'un revêtement bitumineux, réalisés par la société Coppe, étaient inadaptés et avaient contribué au pourrissement des balcons, que les experts avaient constaté que l'affaissement de l'ensemble des structures des balcons était en lien avec le pourrissement des bois, imputable au caractère inadapté du traitement d'étanchéité mis en oeuvre, ayant contribué à la surcharge des structures, la cour d'appel, qui a pu en déduire que la société Coppe avait une part de responsabilité dans les désordres des balcons, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° W 11-17. 796 de la SCI et de ses associés, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé que la SCI avait obtenu en 1993 l'accord des premiers acquéreurs des lots pour la création de terrasses moyennant un prix global, collecté les acomptes, pris contact avec les entreprises, passé les marchés, coordonné les travaux et qu'après l'apparition des premiers désordres, elle avait préconisé et fait mettre en oeuvre la pose du carrelage, la cour d'appel a pu en déduire que la SCI avait accompli en qualité de mandataire des propriétaires de l'ouvrage une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage et qu'elle était tenue à leur égard de la responsabilité décennale ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi n° W 11-17. 796 de la SCI et de ses associés, et le moyen unique du pourvoi incident du syndicat et des copropriétaires, réunis, ci-après annexés :
Attendu qu'ayant retenu que le notaire avait manqué à son devoir de conseil et commis une faute à l'égard des acquéreurs des lots, en ayant omis de vérifier si la SCI avait souscrit les assurances obligatoires au titre des garanties dommages-ouvrage et décennale et en ayant manqué d'attirer l'attention des acquéreurs sur cette carence mais retenu que cette faute n'était pas en relation de causalité avec la reprise des travaux intéressant les terrasses et balcons, les préjudices de jouissance ou la dépréciation des lots, qu'aucune demande n'était formée au titre de la perte d'une chance de renoncer à l'acquisition projetée à cause des risques liés à l'absence d'assurances et que la perte d'une chance d'être indemnisé des désordres décennaux n'était pas démontrée dès lors que la garantie des assureurs des autres constructeurs pouvait être mise en oeuvre, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Mais sur le troisième moyen du pourvoi n° W 11-17. 796 de la SCI et de ses associés :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que pour faire supporter à la SCI la charge finale des condamnations à concurrence de 60 %, l'arrêt retient que sa faute est caractérisée par le fait qu'elle avait engagé une opération de rénovation importante en se dispensant de maîtrise d'oeuvre et d'assurances obligatoires, dans le souci de minimiser ses charges ;
Qu'en statuant ainsi sans constater que la SCI avait fait réaliser à moindre coût les travaux litigieux au risque de provoquer l'apparition de désordres, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fait supporter à la SCI Bellevue la charge finale des condamnations à concurrence de 60 %, l'arrêt rendu le 23 février 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen, autrement composée ;
Condamne la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) aux dépens du pourvoi n° N 11-17. 627 ;
Condamne la société Gance et fils, la société GAN incendie accidents et la SMABTP aux dépens du pourvoi n° W 11-17. 796 ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille douze.