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Décisions

Cass. 3e civ., 28 février 2018, n° 16-26.682

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Avocats :

Me Le Prado, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel

Lyon, du 6 septembre 2016

6 septembre 2016

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 6 septembre 2016), que la société Les Grandes terres, maître de l'ouvrage, a confié la construction d'un immeuble de huit logements à la société Antona, entrepreneur principal, laquelle a commandé des prédalles destinées à ce chantier à la société Guiraud frères, sous-traitant ; que, la société Antona ayant été placée en liquidation judiciaire, la société Guiraud frères, qui n'avait pas été intégralement payée, a déclaré sa créance, puis assigné le maître de l'ouvrage en réparation de son préjudice ;

Attendu la société Les Grandes Terres fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande ;

Mais attendu, d'une part, que le maître de l'ouvrage est tenu des obligations instituées par l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 dès qu'il a connaissance du sous-traitant, nonobstant son absence sur le chantier et l'achèvement de ses travaux ; qu'ayant relevé, par motifs adoptés et non critiqués, que la société Guiraud frères, qui avait fabriqué sur mesure des prédalles spécifiques, avait agi en qualité de sous-traitant, la cour d'appel, qui a retenu, à bon droit, que l'absence de la société Guiraud frères sur le chantier n'était pas de nature à lui faire perdre le bénéfice de cette qualité et qui a constaté que la société Les Grandes terres avait eu connaissance en cours d'exécution du chantier confié à la société Antona de l'intervention en qualité de sous-traitant de la société Guiraud frères, laquelle l'en avait avisé par lettre du 11 mai 2011, en a exactement déduit, sans se contredire, que la société Les Grandes terres était tenue, en sa qualité de maître de l'ouvrage, de mettre en demeure la société Antona de s'acquitter de ses obligations envers le sous-traitant, quand bien même elle n'avait eu connaissance de l'intervention de celui-ci qu'après l'exécution des travaux qui lui avaient étaient confiés ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant souverainement relevé que si, par lettre du 17 novembre 2011, la société Les Grandes Terres contestait devoir une quelconque somme à la société Antona, invoquant en tant que besoin la compensation entre les créances réciproques des parties, elle n'établissait pas qu'au moment où elle avait été avisée de l'intervention de la société Guiraud frères, elle avait payé, fût-ce par compensation, la somme de 6 005,74 euros due à la société Antona, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Les Grandes Terres aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Les Grandes Terres et la condamne à payer à la société Guiraud frères la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit février deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Les Grandes Terres

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la société Les Grandes Terres avait commis une faute en omettant de mettre en demeure la société Antona conformément aux dispositions de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 et d'AVOIR en conséquence condamné la société Les Grandes Terres à payer à la société Guiraud frères la somme de 6 005,74 euros à titre de dommages et intérêts outre intérêts au taux légal à compter du jugement déféré ;

AUX MOTIFS QUE « Sur le fondement de l'action de la société Guiraud frères : la société Guiraud frères n'ayant pas été acceptée en qualité de sous-traitant par la société Les Grandes Terres, elle ne bénéficiait pas de l'action directe instaurée par la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 et aucun manquement à ce titre ne peut lui être imputé ; qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner si les conditions de mise en oeuvre de cette action ont été respectées 4 par la société Guiraud frères qui fonde son action sur l'article 14-1 de la loi 31 décembre 1975 qui dispose : « Pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics : le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations. Ces dispositions s'appliquent aux marchés publics et privés ; si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage doit exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution. (...) Les dispositions du deuxième alinéa s'appliquent également au contrat de sous-traitance industrielle lorsque le maître de l'ouvrage connaît son existence, nonobstant l'absence du sous-traitant sur le chantier. Les dispositions du troisième alinéa s'appliquent également au contrat de sous-traitance industrielle » ; que le fait que la société Guiraud frères ne soit pas présente sur le chantier n'est pas de nature à faire perdre à la société Guiraud frères le bénéfice de sa qualité de sous-traitant ; qu'il convient d'examiner si la société Les Grandes Terres a eu connaissance de l'intervention de la société Guiraud frères en qualité de sous-traitant de la société Antona ; Sur la connaissance par la société Les Grandes Terres de l'intervention de la société Guiraud frères en qualité de sous-traitant : la situation n° 8 établie le 20 avril 2011 par l'entrepreneur principal fait état d'un montant global de travaux, en ce compris les travaux complémentaires de 290 578,40 euros TTC ramené à 280 854,38 euros TTC après déduction des honoraires d'ingénieur Y... et d'un solde à régler de 6 005,74 euros TTC compte tenu des règlements déjà effectués à hauteur de 274 848,64 euros ; qu'alors qu'à cette date, la société Antona faisait état d'un avancement des travaux à hauteur de 96%, la société Les Grandes Terres a été avisée, en cours d'exécution du chantier, par la société Guiraud frères de son intervention en qualité de sous-traitant par lettre du 11 mai 2014 lui rappelant expressément les obligations mises à sa charge aux termes de l'article 14-1 due la loi du 31 décembre 1975 ; qu'ainsi que l'a relevé le premier juge, ce courrier a été adressé à monsieur A... en sa qualité de dirigeant de la société Les Grandes Terres dont la réponse sur papier à entête de la SCI en sa qualité de gérant est sans ambiguïté sur le contenu de l'information qui lui a été transmise, même si elle conteste ses obligations à l'égard de la société Guiraud frères invoquant notamment, son absence d'information par la société Antona, l'achèvement du gros oeuvre, le caractère très avancé du second oeuvre et la livraison du bâtiment prévue dans les deux mois ; que la société Les Grandes Terres ayant eu connaissance en cours d'exécution du chantier confié à la société Antona de l'intervention de la société Guiraud frères en qualité de soustraitant, il lui appartenait en qualité de maître de l'ouvrage de mettre en demeure la société Antona de s'acquitter de ses obligations à l'encontre de son sous-traitant, même s'il n'a eu connaissance de l'intervention du sous-traitant qu'après l'exécution par celui-ci des travaux qui lui étaient confiés ; que ce non-respect par la société Les Grandes Terres de cette obligation qui lui avait été pourtant rappelée sans ambiguïté par la société Guiraud frères, constitue une faute ayant fait perdre à cette dernière la possibilité d'être agréée et une chance de bénéficier de l'action directe qu'elle tenait des dispositions des articles 12 et 13 de la loi du 31 décembre 1975 ; que le fait que la société Les Grandes Terres qui contestait le solde de la créance de la société Antona n'ait pas effectué de paiement postérieurement à cette information n'est pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité, dans la mesure où il n'est pas établi qu'elle avait payé à l'entrepreneur principal l'ensemble des sommes auxquelles elle était tenue en vertu du marché signé avec lui ; que par courrier du 25 octobre 2011, maître B... en qualité de mandataire judiciaire de la société Antona, a en effet mis en demeure la société Les Grandes Terres d'avoir à payer la somme de 6 244,94 euros TTC correspondant au solde de la facture 4223 du 20 avril 2011 ; que si par lettre de son conseil du 17 novembre 2011, la société Les Grandes Terres faisant état de sa propre créance déclarée à hauteur de 29 955,88 euros , contestait devoir toute somme à la société Antona, invoquant en tant que besoin la compensation entre les créances réciproques des parties, ces seuls éléments ne sont pas de nature à établir que la société Les Grandes Terres qui ne justifie pas des désordres, malfaçons et moins-values qu'elle invoque, avait au moment où elle a été avisée de l'intervention de la société la société Guiraud frères, payé, même par compensation, la somme de 6 005,74 euros TTC due à la société Antona » ;

ET AUX MOTIFS, REPUTES ADOPTES, QU' « aux termes de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 "pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics : le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations. Ces dispositions s'appliquent aux marchés publics et privés ; si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage doit exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution. Les dispositions ci-dessus concernant le maître de l'ouvrage ne s'appliquent pas à la personne physique construisant un logement pour l'occuper elle-même ou le faire occuper par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint. Les dispositions du deuxième alinéa s'appliquent également au contrat de sous-traitance industrielle lorsque le maître de l'ouvrage connaît son existence, nonobstant l'absence du sous-traitant sur le chantier. Les dispositions du troisième alinéa s'appliquent également au contrat de sous-traitance industrielle." ; qu'en l'espèce, il résulte des plans de préconisations de pose que la société Guiraud frère a fabriqué pour la société Antona des prédalles spécifiques pour chaque niveau de l'immeuble édifié sur le chantier de la société Les Grandes Terres ; que chaque prédalle est en effet d'une longueur, d'une largeur, d'une superficie et d'un poids spécifiques ; que ces matériaux sont totalement incompatibles avec une production de série et constituent des produits spécifiques fabriqués sur mesure spécialement pour le chantier de la société Les Grandes Terres, auxquels ne peuvent être substitué des produits équivalents ; que les courriers de la société Socotec (pièces 16 et 17), dont celle-ci est chargée de superviser périodiquement le contrôle qualité des fabrications des usines de la société Guiraud frère, mettent en lumière le fait que les prédalles sont fabriquées en vue d'une utilisation spécifique dans un chantier précis ; qu'elles nécessitent l'utilisation de plans ou fiches de fabrication réalisées avant fabrication qu'en conséquence, la nature des prestations de la société Guiraud frères doit s'analyser comme une activité de sous-traitance pour le compte de la société Antona, peu important que ces prestations ne l'aient pas conduite à se présenter sur le chantier ; que dès lors, la société Guiraud frère est bien fondée à solliciter le bénéfice dispositions de la loi du 31 décembre 1975 ; que pour sa part, la société Guiraud frères justifie de factures impayées (N° 283384 et 285283) d'un montant de 8 579,18 euros déduction faite des avoirs accordés ; qu'en exécution des conditions générales de vente, elle aurait été en droit d'exiger le règlement d'une clause pénale de 15 % de l'intégralité des sommes dues soit 1 286,88 euros ; qu'en conséquence, la société Les Grandes Terres sera condamnée à lui verser la somme de 9 866,06 euros outre intérêts au taux légal à compter du jugement conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du code civil » ;

ALORS, DE PREMIERE PART, QUE le maître de l'ouvrage doit mettre l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter des obligations définies à l'article 3 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, s'il a connaissance de la présence d'un sous-traitant sur le chantier ; que la présence du sous-traitant sur le chantier est donc une condition légale d'application des dispositions de l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ; que la cour d'appel, en jugeant que la société Les Grandes Terres avait commis une faute en omettant de mettre en demeure la société Antona conformément aux dispositions de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, alors qu'elle avait elle-même énoncé que la société Guiraud Frère n'était pas présente sur le chantier, n'a pas tiré les conséquences légales de ces propres constatations, en violation de l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

ALORS, DE DEUXIEME PART, QU'en affirmant, d'un côté, que la société Les Grandes Terres a eu connaissance en cours d'exécution du chantier confié à la société Antona de l'intervention de la société Guiraud frères en qualité de sous-traitant, tout en énonçant, de l'autre, que la maître de l'ouvrage, soit la société Les Grandes Terres, n'a eu connaissance de l'intervention du sous-traitant qu'après l'exécution par celui-ci des travaux qui lui étaient confiés, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contraction de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE le maître de l'ouvrage ne peut être condamné sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 qu'à la condition de ne pas avoir réglé à l'entrepreneur principal les sommes auxquelles il était tenu avant d'avoir connu l'intervention du sous-traitant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a estimé qu'il n'était pas établi que la société Les Grandes Terres avait payé à la société Antona l'ensemble des sommes auxquelles elle était tenue en vertu du marché signé avec elle, dès lors que, par une lettre du 25 octobre 2011, le mandataire judiciaire de la société Antona avait mis en demeure la société Les Grandes Terres d'avoir à payer la somme de 6 244,94 euros correspondant au solde de la facture 4223 du 20 avril 2011 ; mais que, par une lettre du 17 novembre 2011, la société Les Grandes Terres faisait état de sa propre créance à hauteur de 29 955,99 euros ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée par l'appelante, si l'absence d'action du mandataire judiciaire à la suite de la lettre du 17 novembre 2011, démontrait que la société Les Grandes Terres n'était pas tenue de verser la somme de 6 244,94 euros, de sorte qu'elle avait payé toutes les sommes auxquelles elle était tenue envers la société Antona dès le 20 avril 2011, soit avant d'être informée de l'existence du sous-traitant, le 11 mai 2011, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil.