Cass. 3e civ., 25 novembre 1998, n° 97-11.395
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauvois
Rapporteur :
M. Villien
Avocat général :
M. Sodini
Avocats :
SCP Philippe et François-Régis Boulloche, Me Capron, Me Choucroy, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Nicolay et de Lanouvelle
Sur le moyen unique du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident de l'UAP, pris en sa première branche, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 novembre 1996), qu'en 1989, le syndicat des copropriétaires du ... a fait procéder à des travaux de ravalement et de réfection d'étanchéité des carrelages des terrasses de l'immeuble, sous la maîtrise d'oeuvre de M. Martin, architecte, la société Couverture étanchéité toiture terrasse (CETT), depuis lors en liquidation judiciaire, étant chargée de l'exécution des travaux, qui ont été sous-traités à la société Graton pour la pose des carrelages ; que ceux-ci ont été fournis par la société Agreb, aux droits de laquelle vient la société ABK France ;
que le maître de l'ouvrage a souscrit auprès de la compagnie Union des assurances de Paris (UAP) une police d'assurance "dommages-ouvrage" ; que des désordres ayant été constatés, le syndicat des copropriétaires a sollicité la réparation de son préjudice ;
Attendu que M. Martin et l'UAP font grief à l'arrêt d'accueillir cette demande, alors, selon le moyen, "1 / qu'en application de l'article 1792 du Code civil, applicable à l'architecte en vertu de l'article 1792.1 du même Code, le constructeur d'un ouvrage n'est responsable de plein droit envers le maître de l'ouvrage que des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ces éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; que la cour d'appel, qui constate que "la cause des désordres réside bien dans une porosité différentielle des carreaux", que "la porosité différentielle des carreaux a rendu impropre à sa destination le revêtement d'étanchéité", que "les désordres rendent impropre à sa destination le revêtement d'étanchéité, que "le préjudice n'est pas qu'esthétique, le dommage rendant le revêtement d'étanchéité impropre à sa destination", mais qui n'a pas constaté que l'immeuble aurait été, par l'effet dudit désordre, lui-même rendu impropre à sa destination ou affecté dans sa solidité, n'a pas donné de base légale, au regard des articles 1792 et suivants du Code civil, à sa décision infirmative retenant la garantie décennale de l'architecte ;
2 / que les dommages qui relèvent d'une garantie légale ne peuvent donner lieu contre les personnes tenues à cette garantie à une action en responsabilité pour manquement à l'obligation de conseil, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, comme de l'article 1792-1 du Code civil ; qu'ainsi, la responsabilité de l'architecte ne pouvait être mise en jeu pour n'avoir veillé à ce que les carreaux posés ne soient pas affectés par un vice de fabrication, "même s'il n'était pas décelable à l'époque de la construction", dès lors qu'il n'était ni le fabriquant, ni le vendeur ; qu'ainsi, l'arrêt attaqué a violé l'article 1792-1 du Code civil ; 3 / que la garantie décennale n'a lieu que si le désordre en cause est de nature à rendre l'immeuble impropre à sa destination ; qu'en l'occurrence, l'arrêt attaqué se borne à énoncer que l'humidité anormale qui émerge à la surface du carrelage a pour effet d'empêcher le revêtement d'étanchéité de remplir sa fonction sans constater la présence effective d'infiltration à l'intérieur des appartements ni même constater l'existence d'un tel risque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant souverainement retenu que les défauts affectant les carreaux rendaient l'ouvrage impropre à sa destination, ces carreaux, indissociables du couvert de l'immeuble, faisant corps avec le revêtement d'étanchéité qui ne remplissait plus sa fonction, la cour d'appel, qui n'a pas fondé la condamnation sur un manquement de l'architecte à son obligation de conseil, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident de l'UAP, pris en sa seconde branche :
Attendu que l'UAP fait grief à l'arrêt de la condamner in solidum avec M. Martin, la société CETT et la société ABK France, à payer des sommes au syndicat des copropriétaires, alors, selon le moyen, "que la condamnation in solidum suppose que l'obligation de chacun des débiteurs soit identique à celle des autres, ce qui n'est pas le cas de l'assureur "dommage ouvrage" du maître de l'ouvrage engagé vis-à-vis de son assuré par un contrat d'assurance et dont l'obligation diverge de celle des locateurs d'ouvrage responsables des désordres sur le fondement de l'article 1792 du Code civil ; qu'en condamnant néanmoins l'UAP, in solidum avec M. Martin à supporter in solidum avec la SARL ABK France et la société CETT les condamnations prononcées contre elles, la cour d'appel a violé les articles 1202 et 1792 du Code civil" ;
Mais attendu que la condamnation de l'UAP, et celles des locateurs d'ouvrage et du fournisseur des matériaux, bien que fondées sur des causes juridiques distinctes, tendant à la réparation du même préjudice, le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi provoqué de la société ABK France :
Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que dans son dispositif l'arrêt décide que la cour d'appel n'a pas été saisie de l'appel formé par la société ABK France contre la société Graton ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé, dans les motifs de la décision, qu'elle était valablement saisie de cet appel, la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen du pourvoi provoqué de la société ABK France :
Vu les articles 1792 et 1792-4 du Code civil ;
Attendu que pour déclarer la société ABK France, dont la responsabilité était recherchée sur le fondement de l'article 1792-4 du Code civil, responsable des désordres affectant les carreaux fournis par elle, l'arrêt retient que leur porosité a rendu le revêtement d'étanchéité impropre à sa destination, et que la société ABK France, qui n'a pas autrement contesté la garantie décennale des constructeurs par application des articles 1792 et suivants du Code civil, est responsable sur ce fondement ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'article 1792 du Code civil n'est pas applicable au fournisseur et au fabricant, et sans relever que le revêtement d'étanchéité constituait un ouvrage, une partie d'ouvrage ou un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a prononcé des condamnations à l'encontre de la société ABK France et en ce qu'il a dit la cour d'appel non-saisie de l'appel de la société ABK France contre la société Graton, l'arrêt rendu le 15 novembre 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.