CA Nîmes, 4e ch. com., 6 septembre 2024, n° 22/01698
NÎMES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
C2I Promotion (SARL)
Défendeur :
ICR France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Codol
Conseillers :
Mme Ougier, Mme Vareilles
Avocats :
Me de Palma, Me Chabadel, Me Savouret
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 16 mai 2022 par 'la SARL C2I Promotion à l'encontre du jugement rendu le 15 avril 2022 par le tribunal de 'commerce d'Avignon dans l'instance n° RG 2021 000267 ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 2 août 2022 par l'appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 10 octobre 2022 par la SARL ICR (Ingénieurs Conseils Réunis) France, intimée et appelante à titre incident, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu l'ordonnance de clôture de la procédure du 21 août 2023 à effet différé au 30 mai 2024 ;
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Par contrat du 10 février 2019, la société C2I Promotion a confié le lot «'maçonnerie'» dans la construction de 32 logements à [Localité 4] à la SASU SGES, pour un montant total de 825.000,00 euros HT.
Par contrat du 15 mars 2019, la société SGES a délégué la réalisation des études d'exécution de ces travaux au bureau d'études ICR France, moyennant des honoraires de 27.000 euros HT.
La société SGES a été placée en redressement judiciaire le 16 septembre 2020, et la société ICR a déclaré sa créance auprès du mandataire judiciaire au titre des factures suivantes':
- Facture n° 19-03177 du 28 octobre 2019, d'un montant de 3.375,00 euros HT soit 4.050,00 euros TTC,
- Facture n° 19-03220 du 19 décembre 2019, d'un montant de 6.750,00 euros HT soit 8.100,00 euros TTC,
- Facture n° 20-03024 du 30 janvier 2020, d'un montant de 4.050,00 euros HT soit 4.860,00 euros TTC, soit un total de 17.010 euros TTC.
Par exploit du 17 décembre 2020, la société ICR France a fait assigner en paiement la société C2I Promotion devant le tribunal de commerce d'Avignon, en vertu de l'action directe dont dispose le sous-traitant à l'encontre du maitre d'ouvrage.
Par jugement du 15 avril 2022, le tribunal de commerce d'Avignon
«'-condamne la société C2I Promotion à payer à la société ICR France la somme de 17.010,00 euros TTC avec intérêts au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage ainsi qu'une somme de 120,00 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement prévue par les articles L441-10 et D441-5 du code de commerce,
-condamne la société C2I Promotion à payer à la société ICR France la somme de 2.000,00 euros, à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamne la société C2I Promotion aux dépens dont ceux de greffe, liquidés à la somme de 69,59 euros TTC,
-rappelle que l'exécution de cette décision est de droit ».
La société C2I Promotion a interjeté appel de ce jugement pour le voir infirmer en toutes ses dispositions.
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Dans ses dernières conclusions, la société C2I Promotion, appelante, demande à la cour, au visa de la loi du 31 décembre 1975 et des dispositions des articles 1341-3 et 1353 du code civil, de
«'-Débouter la société ICR France de toutes ses demandes, fins et conclusions,
-Dire et juger irrecevable l'action directe engagée par la société ICR France à l'encontre de la société C2I Promotion,
-Réformer purement et simplement le jugement dont appel de ce chef,
-Débouter la société ICR France de sa demande tendant à la condamnation de la société C2I Promotion au paiement de la somme de 17.010 euros aux titres des factures échues et non réglées par la société SGES,
-Réformer purement et simplement le jugement dont appel de ce chef,
-Débouter la société ICR France de sa demande tendant à la condamnation de la société C2I Promotion au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
-Réformer purement et simplement le jugement dont appel de ce chef,
Débouter la société ICR France de sa demande tendant à la condamnation de la société C2I Promotion au paiement de la somme de 200 euros à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement,
-Réformer purement et simplement le jugement dont appel de ce chef,
-Condamner la société ICR France au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ».
L'appelante fait tout d'abord valoir que les sous-traitants n'ont une action directe contre le maître d'ouvrage par application de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975 que si celui-ci a accepté chaque sous-traitant et agréé les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance.
Elle ajoute qu'une acceptation tacite ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté du maitre d'ouvrage d'accepter ce sous-traitant, la preuve en incombant à ce dernier.
Or elle soutient n'avoir pour sa part jamais validé, même tacitement, le contrat de sous-traitance conclu entre la société SGES et la société ICR, et n'avoir pas davantage agréé les conditions de paiement fixées à ce contrat.
A titre subsidiaire, l'appelante fait valoir que l'action directe exercée à son encontre ne peut prospérer dès lors qu'elle avait déjà effectué paiement des sommes dues auprès de la société SGES antérieurement à la date de réception de la copie de la déclaration de créance et s'était ainsi libérée de toute obligation à son égard.
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Dans ses dernières conclusions, la société ICR France, intimée, forme appel incident et demande à la cour, au visa de l'article 12 du code de procédure civile, de la loi n° 75-1334 du 10 décembre 1975 relative à la sous-traitance, et des articles 1240 et suivants du code civil, de
«'Statuer ce que de droit quant à la recevabilité de l'appel interjeté par la société C2I Promotion,
Au principal,
-Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- déclaré l'action directe intentée par la SARL ICR France recevable et ses demandes bien fondées,
- condamné la société C2I Promotion à payer à la SARL ICR France la somme de 17.010,00 euros TTC au titre des factures échues et non réglées, somme portant intérêts au taux tel que défini à l'article L. 441-10 du code de commerce, correspondant au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 points ce, à compter de la date d'échéance de chaque facture,
- condamné la société C2I Promotion à payer à la SARL ICR France la somme de 120,00 euros à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement,
- condamné la société C2I Promotion à payer à la SARL ICR France la somme de 2.000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers frais et dépens,
En conséquence,
-Débouter la société C2I Promotion de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
Subsidiairement,
-Recevoir la SARL ICR France en son appel incident,
Et, statuant de nouveau,
-Constater que la société C2I Promotion ne conteste pas avoir eu connaissance de la présence de la société ICR France sur le chantier,
Constater que la société C2I Promotion ne s'est pas conformée aux dispositions de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975,
En conséquence,
-Dire et juger que la société C2I Promotion a commis une faute engageant sa responsabilité envers la société ICR France,
-Condamner la SARL C2I Promotion à payer à la SARL ICR France la somme de 17.010,00 euros TTC à titre de dommages et intérêts, correspondant aux soldes des factures échues et non réglées par la société SGES, somme portant intérêts au taux tel que défini à l'article L. 441-10 du code de commerce, correspondant au taux appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 points ce, à compter de la date d'échéance de chaque facture,
En tout état de cause,
-Condamner la SARL C2I Promotion à payer à la SARL ICR France la somme de 6.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la SARL C2I Promotion aux entiers frais et dépens'».
L'intimée rappelle que la déclaration de créance vaut mise en demeure à l'entrepreneur principal au sens de l'article 12 de la loi du 10 décembre 1975, et qu'elle a adressé aux mêmes fins copie de cette déclaration au maître d'ouvrage la société C2I Promotions le 14 octobre 2020.
Elle soutient que l'acceptation du sous-traitant par le maitre d'ouvrage peut être tacite et que la société C2I Promotion était parfaitement informée des missions confiées à ICR comme l'attestent les plans de construction établis par elle ainsi que les échanges de courriels, mais également les comptes rendus de visites de chantier auxquelles participaient tant la société ICR que la société C2I Promotion. Cette dernière n'a jamais émis la moindre contestation ni quant à son intervention ni quant aux conditions de paiement convenues, de sorte que son acceptation tacite est acquise et l'agrément des conditions de paiement également, comme l'ont justement retenu les premiers juges.
L'intimée ajoute que la société C2I Promotion ne justifie pas valablement s'être acquittée des sommes dues, le rapport d'expertise produit en ce sens n'y suffisant pas.
A titre subsidiaire, elle fait valoir que la responsabilité de la société C2I Promotion est en tout état de cause engagée sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 puisque, ayant connaissance de sa présence sur le chantier, elle n'a pas mis l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter de ses obligations. Elle doit en conséquence réparer le préjudice résultant de son manquement fautif à hauteur des factures restées impayées.
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Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur le fond':
L'article 12 de la loi n°75-1334 du 10 décembre 1975 relative à la sous-traitance dispose que «'le sous-traitant a une action directe contre le maître de l'ouvrage si l'entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance ; copie de cette mise en demeure est adressée au maître de l'ouvrage.
Toute renonciation à l'action directe est réputée non écrite.
Cette action directe subsiste même si l'entrepreneur principal est en état de liquidation des biens, de règlement judiciaire ou de suspension provisoire des poursuites'».
Il est acquis que la déclaration de créance régulièrement opérée par un créancier vaut mise en demeure de la société (Com 19 décembre 2006 n°02-21.333).
En l'espèce, la société ICR France a déclaré sa créance au titre des factures restées impayées pour 17.010 euros TTC auprès du mandataire judiciaire désigné au redressement judiciaire de la SAS SGES par courrier recommandé du 6 octobre 2020, et adressé copie de cette déclaration à la SARL C2I Promotion par courrier recommandé du 14 octobre 2020 (pièces 8 et 9 de l'intimée).
Il n'est pas contesté qu'aucun paiement n'est intervenu dans le mois de cette mise en demeure.
Selon l'article 3 de la même loi, «'l'entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage ; l'entrepreneur principal est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître de l'ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande.
Lorsque le sous-traitant n'aura pas été accepté ni les conditions de paiement agréées par le maître de l'ouvrage dans les conditions prévues à l'alinéa précédent, l'entrepreneur principal sera néanmoins tenu envers le sous-traitant mais ne pourra invoquer le contrat de sous-traitance à l'encontre du sous-traitant.'»
La jurisprudence déduit de ce texte que l'action directe du sous-traitant à l'égard du maitre d'ouvrage suppose cette double acceptation par ce dernier et du sous-traitant et des conditions de paiement du contrat de sous-traitance.
Pour autant, cette double acceptation peut être non seulement postérieure à la conclusion du marché de sous-traitance, mais encore tacite (Com. 12 mai 1987 n° 85-10.063).
L'attitude passive du maître de l'ouvrage ou son absence d'opposition à la délivrance de la mise en demeure notifiée, ne suffisent toutefois pas à caractériser une telle acceptation tacite, des actes manifestant sans équivoque la volonté du maitre d'ouvrage d'accepter le sous-traitant et d'agréer les conditions de paiement du contrat devant être démontrés (Com. 14 juin 1988 n° 86-18.010, 27 février 1990 n° 88-16.907 et Civ.3è 3 mars 1999 n° 97-14.715).
En l'espèce tous les plans de construction établis par la société ICR pour le contrat confié par la société SGES mentionnent qu'elle en est l'auteur (pièce 10).
Le compte rendu établi le 16 juillet 2019 pour la visite de chantier réalisée le 26 juin 2019, dont l'authenticité n'est pas contestée par l'appelante, indique qu'il est adressé à la société C2I Promotion en la personne de [...], et désigne, comme «'BET Gros 'uvre': ICR'», parmi tous les autres intervenants cités (pièce 12).
Et le 4 septembre 2019, lorsque le maitre d''uvre [...] fait savoir à la société ICR («'[...]'») et à la société SGES («'[...]'; [...]'») qu'elle a «'besoin des plans bétons en format DWG, concernant l'affaire 32 logements à [Localité 4]'» et qu'il faut les lui
«'envoyer rapidement'», Monsieur [I] [B] -représentant de C2I Promotion comme il résulte du compte rendu précité ainsi que de l'expertise produite par l'appelante- est en copie.
Il résulte de ces éléments complémentaires et concordants que, non seulement le maître d'ouvrage C2I Promotion avait connaissance de la présence sur le chantier du cabinet d'études techniques ICR, mais qu'en outre elle savait que le chantier se réalisait sur les plans établis par ses soins, et que les travaux confiés à la société SGES avaient été délégués, sous-traités, à cette société pour cette partie d'études techniques. La société C2I Promotion avait complètement et en pleine connaissance de cause intégré ce sous-traitant à la réalisation du chantier, sa participation active étant connue et acceptée par le maitre d'ouvrage tant dans l'avancement des travaux par la production nécessaire de ses plans que par sa collaboration aux réunions sur site et aux échanges par courriels. Est ainsi suffisamment caractérisée de sa part une acceptation tacite dépourvue de toute équivoque tant de ce sous-traitant que des conditions de son paiement.
Selon l'article 13 de la loi du 31 décembre 1975, «'l'action directe ne peut viser que le paiement correspondant aux prestations prévues par le contrat de sous-traitance et dont le maître de l'ouvrage est effectivement bénéficiaire.
Les obligations du maître de l'ouvrage sont limitées à ce qu'il doit encore à l'entrepreneur principal à la date de la réception de la copie de la mise en demeure prévue à l'article précédent.'».
Il n'est pas contesté que la société C2I Promotion soit effectivement bénéficiaire des prestations réalisées par la société ICR France et il appartient à l'appelante qui prétend échapper à l'action directe de ce sous-traitant engagée à son encontre, de démontrer, comme elle le soutient, qu'elle s'était d'ores et déjà acquittée de toutes les sommes dues par elle à l'entrepreneur principal lorsqu'elle a reçu copie le 16 octobre 2020 de la déclaration de créance valant mise en demeure.
Pour ce faire, l'appelante ne produit aucune pièce comptable ni justificatif de règlement, ou facture acquittée qui démontrerait le paiement de l'intégralité des sommes convenues au marché conclu avec la société SGES, mais seulement un rapport d'expertise daté du 25 mars 2020.
Ce rapport est établi à la demande de la société C2I Promotion et l'expert missionné par ses soins (page 4), ce qui affecte son objectivité et donc sa valeur probante. Bien plus, s'il fait état des sommes qui auraient été acquittées dans le cadre de ce chantier, l'expert ne joint en annexe aucun justificatif d'un quelconque règlement.
L'appelante échoue donc à démontrer qu'elle s'est acquittée des sommes dues auprès de l'entreprise principale et qu'elle l'a fait avant le 16 octobre 2020.
L'action directe exercée par la société ICR France à son encontre est ainsi bien fondée et le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les frais de l'instance':
L'appelante, qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance d'appel et payer à l'intimée une somme équitablement arbitrée à 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS':
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions';
Y ajoutant,
Dit que la SARL C2I Promotion supportera les dépens d'appel et payera à la SARL ICR France une somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.