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Décisions

CA Aix-en-Provence, 3e ch. B, 16 novembre 2017, n° 15/18288

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Sotrapim (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bancal

Conseillers :

Mme Tournier, Mme Leydier

TGI Toulon, du 22 sept. 2015, n° 10/0055…

22 septembre 2015

Exposé du litige :

Le 14 janvier 2005, Jean-Claude S. et Evelyne T. ont conclu avec la S.A.R.L. SOTRAPIM un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans concernant l'édification d'une maison d'habitation sur un terrain du [...], pour un coût total de 165'995€.

La déclaration réglementaire d'ouverture de chantier est du 9 novembre 2006.

Les appels de fonds numéros 1 à 4 ont été honorés.

Le 20 juillet 2007, la S.A.R.L. SOTRAPIM a adressé un appel de fonds numéro 5 d'un montant de 24'899,25 € que les maîtres d'ouvrage ont refusé d'honorer faisant état du caractère anticipé de cette demande et alléguant des désordres.

Suite à assignation délivrée à la requête de la S.A.R.L. SOTRAPIM, le président du tribunal de grande instance de Toulon a, par ordonnance de référé rendue le 26 février 2008, débouté cette société de sa demande de provision, autorisé celle-ci à arrêter le chantier des défendeurs, ordonné la consignation par Jean-Claude S. et Evelyne T. du montant de la situation numéro 5 (soit 24'899,25 €), et dit que la S.A.R.L.SOTRAPIM devra reprendre le chantier, dès lors que cette consignation aura été effectuée et que la justification de cette démarche lui sera produite.

La consignation de la somme en question est intervenue le 26 mars 2008, mais les travaux n'ont pas repris.

Jean-Claude S. et Evelyne T. ont fait assigner en référé la S.A.R.L.SOTRAPIM aux fins de condamnation à reprendre l'exécution du chantier.

Par ordonnance du 25 novembre 2008, le président du tribunal de grande instance de Toulon, statuant en référé, a enjoint sous astreinte à la S.A.R.L. SOTRAPIM de reprendre le chantier de Jean-Claude S. et Evelyne T..

Suite à assignation délivrée à la requête de la S.A.R.L.SOTRAPIM, le président du tribunal de grande instance de Toulon, par ordonnance du 7 avril 2009, a ordonné une mesure de constatation ayant pour objet de dire si les travaux, objet de la situation numéro 5 ont été bien réalisés.

Par actes des 21 et 22 décembre 2009, Jean-Claude S. et Evelyne T. ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Toulon la S.A.R.L. SOTRAPIM et le garant d'achèvement afin que soit prononcée la nullité du contrat de construction de maison individuelle.

Par jugement du 5 septembre 2011, le tribunal de grande instance de Toulon a prononcé la nullité du contrat de construction de maison individuelle du 14 janvier 2005, ordonné une expertise et commis pour y procéder Gérard S. avec pour mission d'examiner les travaux réalisés par la S.A.R.L. SOTRAPIM, de les chiffrer compte tenu de l'état dans lequel ils se trouvent et de faire les comptes entre les parties.

Par ordonnance du 25 novembre 2014, le juge de la mise en état a condamné la S.A.R.L. SOTRAPIM à payer à Jean-Claude S. et Evelyne T. une provision de

4438,25 € à valoir sur le remboursement du trop versé à l'entreprise et la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'expert a clôturé son rapport le 31 juillet 2013.

Par jugement du 22 septembre 2015, le tribunal de grande instance de Toulon a :

' condamné la S.A.R.L. SOTRAPIM à payer à Jean-Claude S. et Evelyne T. au titre des comptes entre les parties issus de l'arrêt des travaux en cours d'exécution au [...], la somme de 76'387,50 €, dont il convient de déduire celle de 4438,25€ versée à titre provisionnel, avec intérêts au taux légal à compter du 22 décembre

2009 et anatocisme,

' dit que l'intégralité de la condamnation doit être indexée sur l'indice BT 01 en vigueur à la date du 22 décembre 2009 date de l'acte introductif d'instance,

' au titre de l'exécution de cette condamnation, ordonné le déblocage des fonds consignés entre les mains du président de la CARPA pour un montant de

24'899,25€ au profit de Jean-Claude S. et Evelyne T.,

' condamné la S.A.R.L. SOTRAPIM à payer à Jean-Claude S. et Evelyne T. :

** 45'000 € au titre de la perte de revenus locatifs pendant la durée de 20 mois écoulée entre le 26 mars 2008 et le 22 décembre 2009,

** 15'000 € en réparation de leur préjudice moral,

** 2500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' rejeté tout autre demande,

' ordonné l'exécution provisoire,

' condamné la S.A.R.L.SOTRAPIM aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire.

Le 16 octobre 2015, la S.A.R.L.SOTRAPIM interjetait appel.

Vu les conclusions de la S.A.R.L.SOTRAPIM avec bordereau de communication de pièces notifiées par le R.P.V.A. le 16 janvier 2016,

Vu les conclusions de Jean-Claude S. et Evelyne T. avec bordereau de communication de pièces notifiées par le R.P.V.A. le 14 mars 2016,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 12 septembre 2017,

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur les demandes d'indemnisation de Jean-Claude S. et Evelyne T. et les comptes entre parties :

L'annulation d'un contrat de construction de maison individuelle n'a pas pour effet de permettre au maître de l'ouvrage d'invoquer les dispositions de l'article 555 du Code civil, cet article n'est en effet pas applicable lorsque les travaux ont été effectués en vertu d'une convention.

Par contre, la nullité de ce contrat, imputable au constructeur, n'est pas de nature à faire disparaître les préjudices subis par les maîtres d'ouvrage, qui peuvent, sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10.2.2016 applicable au litige, demander réparation des différents préjudices subis par eux et résultant directement de l'attitude fautive du constructeur.

Comme l'a indiqué à juste titre le premier juge, alors que l'expert judiciaire a accompli un travail sérieux et approfondi, qu'il a procédé à une analyse objective des données de la cause, que les parties ont été en mesure de lui soumettre plusieurs dires auxquels il a répondu, ses recherches doivent être prises en considération pour statuer sur les demandes des parties.

Au surplus, si l'appelante formule un certain nombre de contestations relativement à son travail, elle ne produit aucun rapport émanant d'un professionnel de la construction ayant analysé le travail de l'expert et ses conclusions qui fonderait ses contestations.

Aucune discussion n'existe quant au constat des travaux réalisés et interrompus.

Alors que la S.A.R.L.SOTRAPIM n'a pas été en mesure de communiquer au technicien commis les modalités de l'estimation des travaux, ni l'évaluation détaillée du prix de la construction à réaliser, c'est avec raison, qu'en exécution de la mission qui lui avait été confiée, le technicien commis a procédé à une évaluation poste par poste des travaux réalisés, dont il convient de retenir le montant TTC tel que fixé par l'expert, soit 86'759€, sans qu'il soit donc question, comme le réclame l'appelante sans aucune justification, de procéder à une actualisation.

Contrairement à ce qu'a pu considérer l'expert, la consignation du montant de la situation de travaux numéro 5 entre les mains d'un tiers, ne constitue pas un règlement effectué entre les mains du constructeur.

Les seuls règlements effectués par le maître d'ouvrage correspondent à un montant total non discuté de 91'297,25 €.

Compte tenu du montant des travaux ainsi réalisés, il existe donc un trop perçu de :

91'297,25 € - 86'759 € = 4538,25 €.

Les ouvrages réalisés par le constructeur ayant subi des dégradations en raison des intempéries, puisque non terminés et non protégés, c'est à juste titre que l'expert a indiqué que pour les seuls travaux réalisés, il est nécessaire de procéder à des travaux de reprise pour un montant total de 14'046 € en valeur 2005, soit 18'260 € en 2013 après actualisation.

Au surplus, alors qu'il a été relevé une non-conformité au permis de construire nécessitant la reprise de la couverture, qu'en outre il est nécessaire d'exposer des frais de dépose et d'évacuation, d'y ajouter divers aléas de chantier, le maître de l'ouvrage est fondé à réclamer au constructeur l'indemnisation de ces travaux de reprise pour un montant total de 28'690 € (page 95 du rapport de l'expert).

Le montant total des travaux de reprise que Jean-Claude S. et Evelyne T. sont donc fondés à réclamer au constructeur s'élève à :

18'260 €+28'690 €= 46'950€.

Par contre, ils ne justifient pas de l'exigibilité d'autres sommes :

' soit au titre de travaux à effectuer, l'expert judiciaire ayant notamment relevé que les frais de terrassement et de réalisation d'un chemin d'accès, de bornage, des branchements en eau et en électricité ne sont pas dus par le constructeur, mais incombent aux propriétaires, étant précisé au surplus que le contrat n'a pas mis à la charge du constructeur le coût des travaux de soutènement ou de réalisation de remblai (page 97 du rapport de l'expert), ' soit au titre de ce qu'ils appellent un « surcoût de construction », demandes que le premier juge a écartées par de justes motifs.

Alors que le chantier a débuté en 2006, qu'il a été interrompu mais que les travaux n'ont pas repris malgré consignation de l'appel de fonds litigieux et décisions du juge des référés, que le maître de l'ouvrage était en droit d'espérer une fin de travaux en 2008 pour mettre en location l'habitation comportant trois logements dont deux studios, comme l'expert judiciaire l'a relevé, qu'il n'a pu louer en raison de l'attitude fautive du constructeur, il a perdu la chance de percevoir des revenus locatifs sur une période qu'il convient de fixer à 20 mois, comme justement apprécié par le premier juge, à hauteur d'un loyer qui doit, compte tenu des seuls éléments produits, être fixé à 2000 € par mois, soit un préjudice d'un montant total de 40'000€.

Cependant, compte tenu des circonstances de la cause et notamment des choix opérés par les maîtres de l'ouvrage, cette indemnisation de perte de chance doit correspondre à 50 % du montant de cette somme, soit 20'000 €, le jugement déféré étant ici partiellement réformé.

En indiquant que le constructeur a délibérément décidé de ne pas reprendre le chantier malgré décisions de référé et l'assurance d'être payé par la consignation de fonds, que les maîtres de l'ouvrage ont fait toutes diligences pour la reprise de chantier, qu'ils ont subi une piètre qualité de travaux, que les constatations de l'expert judiciaire n'eurent lieu qu'en 2012, 4 ans après l'abandon de chantier, et en évaluant à 15'000 € l'indemnisation de leur préjudice moral, le premier juge a fait une juste appréciation des données de la cause. Sa décision doit ici être confirmée.

Comme l'a indiqué également avec raison le premier juge, la provision allouée par le juge de la mise en état s'imputera à due concurrence et il doit être donné mainlevée de la consignation opérée au profit des maîtres de l'ouvrage.

Le constructeur doit donc régler à Jean-Claude S. et Evelyne T. :

' trop perçu sur travaux : ..........................................................................................4 538,25 €

' travaux de reprise :..................................................................................................46'950,00€

soit un total de ...........................................................................................................51'488,25 €

' préjudice locatif : ...................................................................................................20'000,00 €

' préjudice moral : ................................................................................................. 15 000,00€

Sur l'exécution provisoire :

Dans le cadre de l'instance d'appel, il n'appartient pas à la cour, statuant au fond et en dernier ressort, d''ordonner l'exécution provisoire'.

Cette demande formée en appel par la S.A.R.L.SOTRAPIM est donc irrecevable.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :

Succombant, l'appelante supportera les dépens.

Si, en première instance, l'équité commandait d'allouer à Jean-Claude S. et à Evelyne T. une indemnité de 2500€ au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, il en est de même en appel et il convient de leur allouer une indemnité complémentaire de même montant.

PAR CES MOTIFS

LA COUR:

Statuant publiquement,

Contradictoirement,

DECLARE irrecevable la demande d'exécution provisoire formée en appel par la S.A.R.L.SOTRAPIM,

REFORME partiellement le jugement déféré en ce que le premier juge a :

1°/ condamné la S.A.R.L.SOTRAPIM à payer à Jean-Claude S. et Evelyne T. au titre des comptes entre les parties issus de l'arrêt des travaux en cours d'exécution au [...], la somme de 76'387,50 €, dont il convient de déduire celle de 4438,25€ versés à titre provisionnel, avec intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2009 et anatocisme,

2°/ dit que l'intégralité de la condamnation doit être indexée sur l'indice BT 01 en vigueur à la date du 22 décembre 2009 date de l'acte introductif d'instance,

3°/ condamné la S.A.R.L. SOTRAPIM à payer à Jean-Claude S. et Evelyne T. 45'000 € au titre de la perte de revenus locatifs pendant la durée de 20 mois écoulés entre le 26 mars 2008 et le 22 décembre 2009,

ET STATUANT A NOUVEAU

CONDAMNE la S.A.R.L.SOTRAPIM à payer à Jean-Claude S. et Evelyne T.:

1°/ 51'488,25 € avec intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2009 et capitalisation des intérêts au titre des conséquences de la nullité du contrat de construction de maison individuelle relativement aux comptes entre parties et aux travaux réalisés et à reprendre,

2°/ 20'000 € à titre de dommages-intérêts au titre de l'indemnisation de la perte de chance de percevoir des revenus locatifs,

Dit que la provision de 4438,25 € allouée par le juge de la mise en état du tribunal de grande somme de Toulon, par ordonnance du 25 novembre 2014, s'imputera à due concurrence,

AJOUTANT au jugement déféré,

CONDAMNE la S.A.R.L.SOTRAPIM à payer à Jean-Claude S. et Evelyne T. 2500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la S.A.R.L.SOTRAPIM de ses demandes en paiement d'un solde de travaux et d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que le greffe communiquera à l'expert Gérard S. une copie du présent arrêt,

CONDAMNE la S.A.R.L.SOTRAPIM aux dépens d'appel et en ordonne la distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.