Cass. com., 7 février 2018, n° 16-18.140
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
Me Balat, SCP Foussard et Froger, SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, SCP Waquet, Farge et Hazan
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 27 décembre 2007 la société Manitowoc Crane Group a vendu une grue à la société Simat bâtiment (la Simat), en se réservant la propriété de l'appareil jusqu'à son complet paiement ; que la société Geodis Wilson France (la société Geodis) a accepté de procéder à l'enlèvement de la grue et à son transport jusqu'au port de Fort-de-France pour le compte de la Simat, en s'engageant à ne pas la dédouaner ni la remettre à l'acquéreur tant que le prix de vente ne serait pas entièrement réglé ; que la société de droit norvégien Hoegh Autoliners AS (la société Hoegh Norvège), ayant pour agent maritime la société de droit français Hoegh Autoliners SAS (la société Hoegh France), a chargé la grue au port du Havre et l'a transportée sur le navire Hoegh Trotter jusqu'à celui de Fort-de-France ; que la société SCT Martinique (la SCT), manutentionnaire, a procédé au déchargement de la grue et constaté l'existence d'avaries ; que la grue est restée à quai du 29 janvier au 18 novembre 2008 ; que le 19 novembre 2008, la Simat a fait procéder à l'enlèvement de la grue et a constaté divers dommages ; qu'une expertise a été ordonnée en référé ; que la Simat a assigné en réparation de son préjudice la société Hoegh France et la société Geodis, laquelle a appelé en garantie la société Hoegh Norvège et la SCT ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, le troisième moyen, pris en sa première branche, les cinquième et septième moyens du pourvoi principal n° Y 16-18.140, le premier moyen, pris en ses première, troisième, cinquième, sixième, septième et neuvième branches, le deuxième moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches, du pourvoi n° G 16-19.368, les premiers et deuxièmes moyens, ainsi que les troisièmes moyens, pris en leurs premières branches, des pourvois incidents, qui sont rédigés en termes identiques :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur les troisièmes moyens, pris en leurs secondes branches, des pourvois incidents, rédigés en termes identiques réunis, qui sont préalables :
Attendu que les sociétés Hoegh France et Hoegh Norvège font grief à l'arrêt d'écarter l'exception tirée de l'incompétence de la juridiction française pour connaître du litige, y compris dans les rapports entre les sociétés Geodis Wilson France et Hoegh Autoliners alors, selon le moyen, que la clause attributive de compétence produit ses effets à l'égard de ses signataires ; qu'en constatant qu'une « clause attributive de compétence à une juridiction norvégienne est stipulée dans le connaissement liant la SAS Hoegh Autoliners à la SA Geodis Wilson France », qui n'est « susceptible de jouer que dans les rapports entre la SA Geodis Wilson France et les sociétés Hoegh Autoliners », puis en s'estimant compétente pour statuer sur les rapports entre la société Geodis Wilson France et les sociétés Hoegh Autoliners aux motifs que « l'opération de transport a concerné une marchandise et des entreprises françaises », qu'il « n'est certainement pas d'une bonne administration de la justice de disjoindre la procédure opposant les deux sociétés » et qu'il « est important de considérer l'opération de transport dans sa globalité », la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l'article 48 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs adoptés, qu'il n'est pas prouvé que la société Geodis ait accepté la clause de compétence litigieuse, laquelle n'est pas, non plus, spécifiée de manière suffisamment apparente dans la convention liant la société Geodis et les sociétés Hoegh France et Hoegh Norvège ; que par ces motifs, abstraction faite de ceux, propres, critiqués, la cour d'appel a pu retenir que ces parties n'étaient pas convenues d'une clause de compétence conformément aux dispositions de l'article 48 du code de procédure civile, texte dont les sociétés Hoegh France et Hoegh Norvège se bornent à invoquer la violation ; qu'en l'état du moyen, celui-ci n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi principal n° Y 16-18.140 :
Attendu que la société Geodis fait grief à l'arrêt de retenir l'existence à sa charge d'une faute personnelle alors, selon le moyen :
1°/ que, sauf spécification contractuelle, le commissionnaire de transport n'a pas l'obligation de vérifier l'arrimage et le calage de la marchandise réalisés par ses substitués ; qu'en retenant cependant que le commissionnaire de transport avait commis une faute personnelle en s'abstenant de vérifier l'arrimage et le calage effectués par le transporteur maritime, la cour d'appel a violé les articles L. 132-4 et L. 132-5 du code de commerce ;
2°/ qu'à supposer que la cour d'appel ait retenu que la convention de commission de transport prévoyait une obligation spécifique de vérification de l'arrimage et du calage des marchandises par le commissionnaire de transport, elle aurait alors dénaturé la lettre de la société Geodis à la société Manitowoc du 2 janvier 2008 qui ne contenait aucune mention en ce sens, violant ainsi l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu qu'en dépit d'une motivation maladroite relative à l'obligation qu'aurait eue la société Geodis de veiller au bon arrimage et calage de la grue, la cour d'appel, en indiquant que ces deux opérations incombaient au transporteur maritime et que le commissionnaire de transport avait manqué à son obligation générale d'assurer le transport « sain et sauf » de l'appareil, n'a pas retenu l'existence d'une faute personnelle du commissionnaire, mais l'a déclaré, conformément aux dispositions des articles L. 132-5 et L. 132-6 du code de commerce, qu'elle cite, garant des dommages survenus pendant le transport du fait de son substitué ; que le moyen manque en fait en sa première branche et est inopérant en sa seconde ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches, du même pourvoi :
Attendu que la société Geodis fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société SCT Martinique, à payer à la société Simat bâtiment la somme de 76 038,08 euros HT en indemnisation du préjudice résultant de l'absence d'information de celle-ci sur les dommages affectant le bien transporté alors, selon le moyen :
1°/ que le commissionnaire de transport ne peut être tenu pour responsable de ne pas avoir averti le destinataire de dommages survenus en cours de transport dont il n'avait pas connaissance pour n'en avoir pas été informé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le manutentionnaire, qui avait procédé au débarquement de la grue au port d'arrivée et à son entreposage dans l'attente de la livraison au destinataire, avait manqué à son obligation d'informer le commissionnaire de transport des dommages qu'il avait constatés ; qu'en retenant cependant la faute du commissionnaire de transport pour ne pas avoir averti le destinataire de ces dommages, la cour d'appel a violé l'article L. 132-5 du code de commerce ;
2°/ qu'elle faisait valoir qu'elle n'avait pas été informée de l'existence de dommages lors du débarquement de la grue au port de destination, ce fait étant attesté tant par le rapport d'expertise judiciaire que par l'aveu de la société SCT Martinique ; qu'elle en déduisait qu'aucune faute ne pouvait être retenue à son encontre dès lors qu'il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir répercuté une information dont elle n'avait pas connaissance ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que, les obligations du commissionnaire de transport à l'égard de son commettant ne cessant, en principe, qu'à la livraison, le seul fait que la grue ait été débarquée par le manutentionnaire, sans que celui-ci ne l'informe de l'existence de dégâts, n'est pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité pour s'être désintéressé du sort de la grue après déchargement et entreposage sur le quai, lesquels ne suffisent pas à établir la livraison ; que le moyen, qui procède d'un postulat erroné, n'est pas fondé ;
Mais, sur les quatrièmes moyens des pourvois incidents, rédigés en termes identiques, réunis, qui sont recevables :
Vu les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Attendu que pour condamner la société Hoegh Autoliners SAS (France) à payer à la société Simat bâtiment la somme de 133 293,45 euros HT en indemnisation des différents préjudices subis du fait des dommages occasionnés à la grue au cours du transport, l'arrêt retient que les avaries ont eu lieu pendant la traversée de l'océan Atlantique, lorsque la grue se trouvait sur le navire de « la SAS Hoegh Autoliners », et que « les » sociétés Hoegh Autoliners doivent répondre des avaries survenues au matériel transporté sur « son » navire, se trouvant, en « leur » qualité de transporteur, tenues d'assurer l'arrimage et le calage efficaces de l'engin ;
Qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres, en ce qu'ils confondent la situation des deux sociétés Hoegh France et Hoegh Norvège, à établir que la société Hoegh France, qui faisait valoir qu'elle était agent maritime ou transitaire, avait aussi la qualité de transporteur maritime qu'elle lui a ainsi nécessairement attribuée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, et le troisième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal n° Y 16-18.140, et les cinquièmes moyens des pourvois incidents, rédigés en termes identiques, réunis :
Vu l'article 28 de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966 sur les contrats d'affrètement et de transport maritimes, devenu les articles L. 5422-13 et L. 5422-14 du code des transports ;
Attendu que, pour considérer que la société Geodis Wilson France a commis une faute inexcusable à l'égard de la Simat, écarter en conséquence la limitation de responsabilité et la condamner, in solidum avec la société Hoegh France, à payer à la Simat la somme de 133 293,45 euros HT en indemnisation des différents préjudices subis du fait des dommages occasionnés à la grue au cours du transport, l'arrêt relève d'abord que la chute de la grue est intervenue à la suite de l'insuffisance des dispositifs de calage et d'arrimage, tandis que le transporteur maritime était dans l'obligation d'y procéder de façon appropriée et soigneuse, et que cette faute doit être appréciée au regard de la qualité qu'elle revendique de professionnel spécialiste du transport maritime de ce type d'engins, puis que ce transporteur ne pouvait ignorer que le trajet à effectuer supposait la traversée de l'océan Atlantique et ne pouvait donc davantage ignorer que la marchandise serait confrontée à des vents et courants violents ; qu'il retient ensuite, de ce fait, une désinvolture certaine s'agissant d'opérations élémentaires de calage de la part de professionnels spécialisés ;
Qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que le transporteur maritime avait agi, non pas avec désinvolture, mais témérairement et avec conscience qu'un dommage en résulterait probablement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Sur le quatrième moyen du pourvoi principal n° Y 16-18.140 :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt condamne la société Geodis à payer, in solidum avec la SCT, une somme de 76 038,08 euros HT au titre du préjudice subi par la Simat du fait de leur carence dans l'information de celle-ci sur les dommages causés au bien transporté ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Geodis qui se prévalait d'une limitation personnelle de responsabilité stipulée dans les conditions générales du contrat conclu avec sa cliente en cas de faute personnelle mise à sa charge, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches, et le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal n° G 16-19.368, réunis :
Vu les articles 52 de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966, devenu l'article L. 5422-20 du code des transports, et L. 132-8 du code de commerce ;
Attendu que l'entrepreneur de manutention opère pour le compte de la personne qui a requis ses services et sa responsabilité n'est engagée qu'envers cette personne qui seule peut agir contre lui ;
Attendu que pour déclarer recevables l'action diligentée par la Simat à l'encontre de la SCT et l'appel en garantie formé contre cette dernière par la société Geodis, l'arrêt retient que, si la SCT allègue être le mandataire de la société Hogeh et n'avoir aucun lien contractuel avec les sociétés Simat et Geodis, il est cependant démontré, au regard des dispositions de l'article L. 132-8 du code de commerce, que la SCT est partie à la convention de transport liant l'ensemble des parties, s'étant chargée de la manutention sur le port de Fort-de-France et du stationnement à quai de la grue ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le fait que la SCT avait été chargée de la manutention de la grue au port de Fort-de-France ne suffisait pas à établir que ses services avaient été requis par la Simat ou la société Geodis, seul cas où ces sociétés pouvaient agir contractuellement contre elle, et qu'elle ne pouvait davantage déduire cette possibilité de l'article L. 132-8 du code de commerce, en l'interprétant faussement comme conférant à l'entrepreneur de manutention la qualité de partie au contrat de transport maritime, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Sur les troisième et quatrième moyens du même pourvoi :
Vu l'article 624 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation prononcée sur le premier moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches, de ce pourvoi entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif de l'arrêt qui condamnent la SCT à payer 76 000 euros à la Simat et rejette les appels en garantie formés par la SCT contre les sociétés Geodis et Hoegh ;
Et, sur le sixième moyen du pourvoi principal n° Y 16-18.140 :
Vu l'article 624 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation prononcée sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° G 16-19.368 entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif de l'arrêt qui rejette l'appel en garantie de la société Geodis contre la SCT ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette l'exception d'incompétence formulée par les sociétés Hoegh Autoliners (France) et Hoegh Autoliners (Norvège), retient la compétence de la juridiction pour statuer sur le litige, rejette les différentes fins de non-recevoir opposées par les parties défenderesses, déclare recevable l'action de la société Simat bâtiment contre les sociétés Geodis Wilson France et Hoegh (France), déclare recevable l'action en intervention forcée de la société Geodis Wilson France contre les sociétés Hoegh Autoliners (France) et Hoegh Autoliners (Norvège), l'arrêt rendu le 22 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre.