CA Bordeaux, 5e ch. civ., 3 octobre 2012, n° 11/7438
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
NOUHET IMMOBILIER (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. MIORI
Conseillers :
M. ORS, Mme SALLABERRY
Avocats :
Me KERDONCUFF, Me MARTY
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
OBJET DU LITIGE ET PROCÉDURE
Madame X... est propriétaire d'un appartement situé à Bordeaux 30 allée Haussmann. A la fin de l'année 2009, elle a décidé de le mettre en vente et à cette fin a confié des mandats à plusieurs agences immobilières.
Elle a notamment signé avec la Sarl Nouhet Immobilier exerçant sous l'enseigne ERA, (la société Nouhet) le 6 janvier 2011, un mandat de vente sans exclusivité pour une durée de 12 mois avec période irrévocable de 3 mois, pour un prix de vente de 199.000 €, la rémunération du mandataire étant fixée à 14.000 €.
La société Nouhet Immobilier lui a proposé un acquéreur au prix convenu le 25 mars 2011, Madame X... n'a pas donné suite à cette offre et ce malgré deux mises en demeure par courriers des 31 mars et 14 avril 2011.
Par acte d'huissier du 6 juillet 2011, la société Nouhet Immobilier a fait assigner Madame.Amélia X... devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux, aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 14.000 € correspondant au montant de la clause pénale prévue dans le mandat de vente conclu entre les parties.
Par ordonnance en date du 28 novembre 2011, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a :
Débouté Madame X... de son exception de nullité,
- Condamné Madame X... à payer à la société Nouhet Immobilier une provision de 14.000 € à valoir sur la clause pénale prévue au contrat.
- Débouté Madame X... de sa demande de délais,
- Condamné Madame X... à payer à la société Nouhet Immobilier la somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens >>.
Par déclaration en date du 9 décembre 2011, Madame X... a relevé appel de cette décision. Dans ses dernières conclusions déposées le 7 mars 2012, elle demande à la cour de :
Infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée,
In limine litis ,
- Constater l'absence de fondement textuel de l'acte introductif d'instance et en conséquence constater la nullité de l'assignation.
Au fond ,
- A titre principal constater la résiliation du mandat antérieurement à l'émission de l'offre d'achat,
- Dire que l'appréciation de la légitimité de la résiliation du mandat antérieurement à l'émission de l'offre d'achat relève de la compétence du juge du fond,
- Constater l'existence d'une contestation sérieuse faisant obstacle aux demandes de la société Nouhet Immobilier,
- En conséquence débouter la société Nouhet Immobilier de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire , si la Cour n'entendait pas constater l'existence d'une contestation sérieuse,
- réduire à de justes proportions l'indemnité provisionnelle, la clause pénale étant manifestement disproportionnée.
A titre infiniment subsidiaire ,
- lui accorder les plus larges délais de paiement sur le fondement de l'article 1244-1 du Code Civil ,
- Condamner la société Nouhet Immobilier à lui payer la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens >>.
Dans ses dernières conclusions déposées le 10 avril 2012, la société Nouhet Immobilier demande à la cour de :
Confirmer l'ordonnance déférée,
Y ajoutant
- Condamner Madame X... à lui payer la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en faisant application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile >>.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 juin 2012.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'exception de nullité soulevée par Madame X...
Madame X... demande la nullité de l'assignation au motif que la société Nouhet n'y a pas précisé le fondement juridique de la saisine du juge des référés, et n'a pas indiqué notamment qu'elle demandait une provision, se limitant à solliciter sa condamnation au paiement d'une somme, ce qui selon elle relève du juge du fond.
La société Nouhet réplique qu'elle a précisé le fondement de sa demande, soit les articles 1142, 1147 et 1152 et suivants du code civil en application desquels elle l'entend voir condamner et qu'au regard de l'objet du litige Mme X... ne peut ignorer que devant le juge des référés la demande est fondée sur les dispositions de l'article 809 al 2 du code de
procédure civile. Elle indique que de toute façon l'appelante n'établit pas que l'omission du visa de cet article lui ait causé un grief.
L'assignation a été délivrée à Madame X... devant le président du tribunal de grande instance de Bordeaux statuant en référé, le fondement juridique invoqué pour fonder la demande de paiement de la clause pénale figure dans le dispositif de l'assignation par le visa des articles précités. Si les dispositions du code de procédure civile fondant la compétence du juge des référés ne sont pas strictement mentionnées, il s'agit d'une irrégularité de forme. Madame X... n'a pas indiqué en quoi l'absence de visa des articles 808 et 809 du code de procédure civile lui a fait grief. Elle a été en mesure de se défendre devant le juge des référés et ne démontre aucune violation des droits de la défense.
C'est donc à juste titre que le premier juge a écarté l'exception de nullité.
Sur la demande de la société Nouhet
Madame X... fait valoir qu'elle a résilié le mandat de vente antérieurement à l'offre d'achat, verbalement par téléphone fin février 2011 comme elle l'a fait avec toutes les autres agences auxquelles elle avait confié le soin de vendre son appartement. Elle reconnaît ne pas avoir résilié le mandat dans les formes prévues au contrat mais estime que sa résiliation est valable, que l'agence Nouhet ERA en a été informée avant le 25 mars 2011 et que l'appréciation de la validité de la résiliation du contrat relève de l'examen du juge du fond et constitue une contestation sérieuse à la demande. Elle explique avoir traversé une période difficile en février 2011 subissant successivement un licenciement puis une rupture de son couple. Ces événements l'ont conduite à renoncer à vendre son appartement. Elle indique avoir été victime de la part de la société Nouhet d'un véritable harcèlement pour faire pression sur elle, son entourage ayant été contacté à plusieurs reprises dans ce but.
La société Nouhet Immobilier soutient que malgré ses différentes relances Madame X... a gardé le silence le plus complet, bien qu'elle lui ait rappelé par deux mises en demeure en date des 31 mars et 14 avril 2011, les dispositions de l'article 4 du mandat selon lequel De convention expresse et à titre de condition essentielle sans laquelle le mandataire n'aurait pas accepté la présente mission, le mandant : a - S'engage à signer aux prix, charges et conditions convenues toute promesse de vente ou tout compromis de vente, éventuellement assorti d'une demande de prêt immobilier, avec tout acquéreur présenté par le mandataire>>. Une autre mise en demeure du 9 mai 2011, n'a même pas été réclamée par Mme X.... Elle apporte la preuve qu'elle a présenté à cette dernière un acquéreur qui a fait une proposition conforme au mandat de vente le 25 mars 2011. Elle affirme que Mme X... ne s'est pas manifestée et n'a jamais dénoncé le mandat dans les formes prévues au contrat, les attestations de personnes indiquant qu'elle avait procédé à une résiliation verbale ne pouvant en aucun cas la dispenser de cette formalité en l'absence de preuve que l'agence a accepté cette résiliation non conforme aux règles convenues dans le contrat.
SUR CE
Il est établi que la société Nouhet a proposé à Madame X... le candidat acquéreur qu'elle avait trouvé pour l'appartement dont la vente lui avait été confiée, celui-ci ayant fait par écrit une offre conforme au prix et conditions du mandat le 25 mars 2011.
Il n'est pas contesté qu'à cette date Madame X... n'avait pas dénoncé le mandat de vente la liant à la société Nouhet dans les formes prévues au contrat. Il est également établi qu'elle n'a pas répondu par courrier aux deux lettres recommandées que lui a adressé la société Nouhet pour la mettre en demeure de signer le compromis de vente avec cet acquéreur.
Cependant le mandat même stipulé irrévocable de rechercher un acquéreur en vue de la vente d'un bien ne prive pas le mandant de renoncer à l'opération sous réserve de sa responsabilité envers le mandataire. La renonciation à la vente d'un bien et la révocation du mandat qui en découle prive d'effet la clause pénale prévue par le contrat. Cela suppose, que le mandataire n'ait pas trouvé un candidat acquéreur avant que la renonciation ait été portée à sa connaissance.
Madame X... affirme avoir informé l'agence ERA par téléphone fin février 2011, de sa décision d'interrompre le mandat comme elle l'a fait avec toutes les autres agences qu'elle avait mandatées.
Il résulte des attestations qu'elle a produites que, fin février 2011, alors qu'elle venait de perdre son emploi, la rupture avec son compagnon l'a déterminée à renoncer à vendre son appartement et l'a conduite à prévenir par téléphone les agences immobilières de ce que son appartement n'était plus à vendre.
Ainsi, Monsieur Jacques, agent immobilier, atteste que le 28 février 2011, Madame X... l'a informé téléphoniquement que pour des raisons personnelles elle ne souhaitait plus vendre son appartement. Il précise avoir pris acte de sa position et cessé aussitôt les publicités sur cet appartement qu'il a retiré des ventes de son agence.
Monsieur X... Jean Manuel père de l'appelante atteste avoir reçu plusieurs appels de l'agence ERA concernant la vente de l'appartement de sa fille et avoir confirmé début mars 2011 à son interlocuteur que sa fille dans une situation de rupture conjugale ne souhaitait plus vendre son appartement. Il ajoute n'avoir pas compris l'insistance de cette agence alors que, dès leur premier appel, il a clairement exposé la situation difficile dans laquelle se trouvait sa fille.
Mademoiselle Bricout atteste quant à elle avoir assisté à la conversation téléphonique entre Madame X... et l'agence ERA, début mars 2011, au cours de laquelle son amie a clairement confirmé à l'agent immobilier sa décision de ne plus vendre son appartement.
L'appelante a versé en outre au dossier de nombreuses autres attestations dans le même sens, rapportant tant les événements de sa situation personnelle à l'époque que sa décision de ne plus mettre son appartement en vente.
L'ensemble de ces éléments tend à établir que la volonté de Madame X... d'interrompre le mandat de vente de la société Nouhet ERA a été portée à la connaissance de celle-ci à partir du 28 février 2011, en tous cas avant le 25 mars 2011. L'appréciation de la validité de cette résiliation ainsi que celle des motifs et des circonstances de la résiliation et de la responsabilité du mandant qui en découle, caractérisent l'existence d'une contestation sérieuse qui s'oppose à l'application automatique de la clause pénale figurant au contrat et qui échappant à la compétence du juge des référés ne peut être tranchée que par le juge du fond.
En conséquence, il n'y a pas lieu à référé, la décision déférée sera donc infirmée dans toutes ses dispositions.
Il sera fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Madame X....
La société Nouhet qui succombe en ses demandes sera condamnée à supporter les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- Confirme l'ordonnance déférée, en ce qu'elle a rejeté l'exception de nullité de la citation soulevée par Madame X...,
- Constate l'existence d'une contestation sérieuse faisant obstacle aux demandes de la société Nouhet Immobilier,
- Infirme la décision déférée en toutes ses autres dispositions,
Statuant à nouveau
- Dit n'y avoir lieu à référé,
- Condamne la société Nouhet immobilier à payer à Madame Amelia X... la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,
- Condamne la société Nouhet immobilier à supporter les entiers dépens, ceux d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile .