CE, 5e et 4e sous sect. réunies, 12 décembre 2014, n° 363372
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Annulation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
Mme Gautier-Melleray
Rapporteur public :
Mme Lambolez
Avocat :
SCP Thouin-Palat, Boucard
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Omnium de Gestion Immobilière d'Ile de France (OGIF) a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 202,09 euros en réparation des préjudices subis du fait du refus du préfet du Val-de-Marne de lui octroyer le concours de la force publique pour l'exécution du jugement du 31 janvier 2006 du tribunal d'instance d'Ivry ordonnant l'expulsion des occupants d'un logement situé 29 rue Constant Coquelin à Vitry-sur-Seine. Par un jugement n°0907259/4 du 12 juillet 2012, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa requête.
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 15 octobre 2012 et 15 janvier 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société OGIF demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement n° 0907259/4 du 12 juillet 2012 du tribunal administratif de Melun ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la loi n°91-650 du 9 juillet 1991 ;
-le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de la société Omnium de Gestion Immobilière d'Ile de France (OGIF) ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution : " Si l'expulsion porte sur un local affecté à l'habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu, sans préjudice des dispositions des articles L. 613-1 à L. 613-5 du code de la construction et de l'habitation, qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement. Toutefois, par décision spéciale et motivée, le juge peut, notamment lorsque les personnes dont l'expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait ou lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l'article L. 442-4-1 du code de la construction et de l'habitation n'a pas été suivie d'effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai " ; qu'aux termes de l'alinéa 4 du même article : " Dès le commandement d'avoir à libérer les locaux à peine de suspension du délai avant l'expiration duquel l'expulsion ne peut avoir lieu, l'huissier de justice chargé de l'exécution de la mesure d'expulsion doit en informer le représentant de l'Etat dans le département en vue de la prise en compte de la demande de relogement de l'occupant dans le cadre du plan départemental visé à l'alinéa précédent " ;
2. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que les occupants d'un local d'habitation disposent normalement, pour quitter les lieux en exécution d'un jugement d'expulsion, d'un délai de deux mois qui court à compter de la date à laquelle l'huissier a notifié au préfet le commandement de quitter les lieux qu'il leur a préalablement signifié ; que, toutefois, ce délai peut, dans certains cas, être réduit ou supprimé par le juge qui ordonne l'expulsion ;
3. Considérant qu'il appartient, dans tous les cas, à l'huissier qui poursuit l'exécution du jugement d'expulsion d'un local à usage d'habitation de notifier au préfet le commandement de quitter les lieux ; que lorsque les occupants disposent, pour quitter les lieux, soit du délai de deux mois prévu par la loi, soit d'un délai réduit fixé par le juge, une réquisition de la force publique présentée avant l'expiration du délai applicable, déclenché par la notification du commandement au préfet, revêt un caractère prématuré ; qu'en revanche, lorsque le juge a supprimé le délai pour quitter les lieux, la notification du commandement et la réquisition de la force publique peuvent être simultanées ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du 31 janvier 2006, le tribunal d'instance d'Ivry a, à la demande de la société OGIF, propriétaire des locaux, ordonné l'expulsion de M. et MmeA..., occupants sans droit ni titre d'un logement situé 29 rue Constant Coquelin à Vitry-sur-Seine, en leur accordant un délai jusqu'au 30 juin 2006 pour quitter les lieux mais en supprimant le délai de deux mois à compter de la signification du commandement de quitter les lieux prévu au premier alinéa de l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991 ; que, le 5 juillet 2006, l'huissier mandaté par la société a demandé au préfet de lui accorder le concours de la force publique en vue de l'exécution du jugement, en joignant à sa réquisition une copie du commandement de quitter les lieux qu'il avait préalablement signifié aux occupants ; que, le préfet n'ayant pas donné suite à cette demande, la société a recherché la responsabilité de l'Etat ; que, par le jugement attaqué du 12 juillet 2012, le tribunal administratif de Melun a rejeté son recours indemnitaire au motif que le commandement de quitter les lieux n'avait pas été notifié au préfet deux mois au moins avant la réquisition de la force publique ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que le tribunal d'instance avait supprimé le délai prévu au premier alinéa de l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ; que son jugement doit, par suite, être annulé ;
5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à la société OGIF, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 12 juillet 2012 du tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Melun.
Article 3 : L'Etat versera à la société OGIF une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Omnium de Gestion Immobilière d'Ile de France (OGIF) et au ministre de l'intérieur.