CAA Nantes, 3e ch., 30 mai 2002, n° 97NT00166
NANTES
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
M. Margueron
Commissaire du gouvernement :
M. Millet
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 4 février 1997, présentée pour M. Alain X..., par Me Christian COUANON, avocat au barreau de Morlaix ;
M. X... demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 93-1118 du 5 décembre 1996 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à lui verser, outre intérêts, une indemnité de 69 975,52 F, qu'il estime insuffisante, en réparation du préjudice qu'il a subi du fait du retard mis à lui accorder le concours de la force publique pour l'expulsion des occupants de sa propriété située au lieudit "Le Moulin du Bréon" à Plouigneau ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 139 507,41 F, avec intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 1992 et capitalisation desdits intérêts année par année à compter de la date d'enregistrement de la présente requête ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la construction et de l'habitation ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 mai 2002 :
- le rapport de M. MARGUERON, président,
- et les conclusions de M. MILLET, commissaire du gouvernement ;
Considérant, en premier lieu, que la requête de M. X... tend à l'augmentation du montant de l'indemnité qui lui a été allouée par le jugement attaqué du Tribunal administratif de Rennes en réparation du préjudice né du retard mis à accorder le concours de la force publique pour l'expulsion des occupants de l'ensemble immobilier, dénommé "Moulin du Bréon", dont il est propriétaire à Plouigneau ; que le moyen tiré de ce que ce serait à tort que le premier juge, qui a retenu la responsabilité de l'Etat à l'égard de M. X... sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques, a estimé que ce retard n'avait pas eu un caractère fautif est sans influence sur la solution du litige ainsi soumis à la Cour ; qu'il doit, par suite, être écarté comme inopérant ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L.613-3 du code de la construction et de l'habitation, dont les dispositions concernent les occupants de locaux d'habitation visés à l'article L.613-1 du même code : "Nonobstant toute décision d'expulsion passée en force de chose jugée et malgré l'expiration des délais accordés en vertu des articles précédents, il doit être sursis à toute mesure d'expulsion non exécutée à la date du 1er novembre de chaque année jusqu'au 15 mars de l'année suivante ..." ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que si le "Moulin du Bréon" et des terres attenantes avaient été loués à la société "Parc de la vallée enchantée" par un bail commercial, dont les stipulations excluaient une occupation des lieux pour l'habitation, et que l'ordonnance d'expulsion du juge des référés du Tribunal de grande instance de Morlaix visait cette seule société, l'ensemble immobilier comprenait une ancienne maison de meunier qui, aurait-elle été en mauvais état d'habitabilité, était effectivement occupée à usage d'habitation par M. Y..., gérant de la société, et Mlle Z... à la date, le 14 octobre 1992, de la réquisition de la force publique ; que les dispositions susmentionnées de l'article L.613-3 du code de la construction et de l'habitation faisaient dès lors obstacle, contrairement à ce que soutient M. X..., à l'expulsion de ces deux occupants pendant la période qu'elles mentionnent ; que, compte tenu de ces dispositions, dont l'application ne peut être regardée comme de nature à faire naître à l'égard des propriétaires concernés un préjudice de caractère spécial et exceptionnel de nature à engager, dans le silence de la loi, la responsabilité sans faute de l'Etat, et aussi du délai dont l'administration doit normalement disposer pour agir, le point de départ de la période de responsabilité de l'Etat à l'égard de M. X... doit être fixé, ainsi que l'a jugé le Tribunal administratif, au 16 mars 1993 ;
Considérant, en troisième lieu, que M. X... demande que l'indemnité qui lui a été allouée par le Tribunal administratif de Rennes soit majorée du montant des taxes foncières au titre de 1992 et 1993 qu'il incombait à la société "Parc de la vallée enchantée" de lui rembourser en vertu des stipulations du bail ; que, toutefois, dès lors que la période de responsabilité de l'Etat à son égard ne s'étend que du 16 mars 1993 au 27 août 1993, date à laquelle il a été procédé à l'expulsion, il ne peut prétendre à la prise en compte de la taxe foncière due au titre de l'année 1992 ; que, s'agissant de la taxe foncière due au titre de l'année 1993, il y a lieu de faire droit à sa demande à raison seulement de la durée de la période de responsabilité de l'Etat ci-dessus indiquée, soit à concurrence de la somme de 289,35 euros (1 897,83 F) ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X... est seulement fondé à demander que l'indemnité de 69 975,52 F (10 667,70 euros) que l'Etat a été condamné à lui verser par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes soit portée à 10 957,05 euros ; qu'il y a lieu de subordonner le versement de cette somme à la subrogation de l'Etat, dans la limite de ladite somme, dans les droits que détient M. X... sur la société "Parc de la vallée enchantée" ou toute personne du chef de cette dernière ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que M. X..., qui n'a adressé à l'administration une demande préalable d'indemnisation que le 24 février 1993, n'est pas fondé à demander que le point de départ des intérêts sur la somme de 10 957,05 euros précitée soit fixé au 14 octobre 1992, date de réquisition de la force publique ; qu'il y a lieu, en revanche, de fixer ce point de départ, non au 23 mars 1993 comme l'a décidé le Tribunal administratif, mais au 25 février 1993, date de réception par l'administration de la demande préalable d'indemnisation ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée dans la requête, à compter de la date d'enregistrement de celle-ci, le 4 février 1997, et "année par année" ensuite, ainsi que le 2 novembre 1999, également à cette date et "année par année" ensuite ; que M. X... ne peut prétendre à ce que les intérêts échus chaque année depuis chacune de ces deux demandes de capitalisation soient successivement capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts, dans la mesure où il n'a pas formulé une telle demande à chacune des échéances concernées ; qu'en revanche, dès lors que tant le 4 février 1997 que le 2 novembre 1999, à concurrence de la somme de 69 975, 52 F au cas où le jugement attaqué n'aurait pas été encore exécuté, il était dû au moins une année d'intérêts, il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, de faire droit aux demandes présentées à chacune de ces dates ;
Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à verser à M. X... une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par celui-ci et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La somme de 69 975,52 F (soixante neuf mille neuf cent soixante quinze francs et cinquante- deux centimes) que l'Etat a été condamné à verser à M. X... par le jugement du Tribunal administratif de Rennes du 5 décembre 1996 est portée à 10 957,05 euros (dix mille neuf cent cinquante sept euros et cinq centimes). Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 25 février 1993. Les intérêts échus les 4 février 1997 et 2 novembre 1999 de la somme de 289,35 euros (deux cent quatre vingt neuf euros et trente cinq centimes) et, au cas où le jugement attaqué n'aurait pas encore été exécuté, de la somme de 69 975,52 F (soixante neuf mille neuf cent soixante quinze francs et cinquante-deux centimes), seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le paiement de la somme de 10 957,05 euros (dix mille neuf cent cinquante sept euros et cinq centimes) mentionnée à l'article 1er ci-dessus est subordonnée à la subrogation de l'Etat, dans la limite de ladite somme, dans les droits que détient M. X... sur la société "Parc de la vallée enchantée" ou toute personne du chef de cette dernière.
Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Rennes du 5 décembre 1996 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er et 2 ci-dessus.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X... est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à M. X... une somme de 1 000 euros (mille euros) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Alain X... et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.