Tout le droit des sociétés : droit commun des sociétés et régime propre aux différents types de sociétés

Droit des sociétés

Pour pallier les difficultés rencontrées au sein de la société et afin d'éviter une dissolution, les associés peuvent décider de recourir à l'intervention de gestionnaires de crises.

Dans certaines hypothèses particulières, la désignation du mandataire ad hoc est prévue par la loi. Dans d'autres, en revanche, c'est l'urgence de la situation qui rend son intervention indispensable. En effet, l'article 872 du Code de procédure civile prévoit que dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. Ces dispositions s'appliquent incontestablement aux situations de conflits entre associés qui sont susceptibles d'entraîner une dissolution. Mais d'autres circonstances peuvent justifier son intervention comme un manquement du gérant à ses devoirs  ou toute situation constitutive d'un trouble à l'ordre social. Cependant, le seul fait que la tenue d'une assemblée générale portant sur la révocation du président de la SAS s'annonce houleuse ne justifie pas la désignation d'un mandataire ad hoc dès lors qu'aucune circonstance particulière n'empêche le fonctionnement régulier de la société . De même, des associés qui n'établissent pas que leur demande de désignation d'un mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée générale avec pour ordre du jour la désignation d'un nouveau gérant se justifie au regard de la préservation de l'intérêt social de la société mais qui, au contraire, procèdent à pareille demande en vue de servir des intérêts propres à la suite d'un conflit les opposant sur la distribution des bénéfices de la société, doivent être déboutés . En l'absence de carence grave de l'organe de direction, en particulier dans l'exécution de ses obligations légales et statutaires en matière d'information des associés ou des actionnaires, et alors que les pièces produites aux débats ne trahissent, par elles-mêmes, aucune suspicion d'anomalie de gestion, la demande de désignation d'un mandataire ad hoc apparaît infondée . Pour autant, la jurisprudence n'exige pas la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d'un péril imminent mais uniquement celle d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite . 

Une fois nommé, le mandataire pourra tenter de régler les potentiels conflits et mettre ainsi fin aux risques susceptibles de conduire à la dissolution de la société. Lorsqu'un mandataire ad hoc est désigné afin de représenter une société dans le cadre d'une procédure en cours entre ses deux co-gérants, lui seul a le pouvoir d'introduire un recours et non ces derniers, qui n'ont plus qualité pour agir en justice au nom de la société . La jurisprudence précise cependant qu'un mandataire ad hoc n'a vocation à se substituer ni à un associé pour exercer, en ses lieu et place, les droits que celui-ci tient au titre du droit de communication préalable ou permanent, ni à un expert judiciaire en procédant à des investigations techniques sur les comptes sociaux dont la tenue, le dépôt et l'approbation ont été soumis aux assemblées générales successives par l'organe de direction, sans qu'il soit allégué à l'encontre de celui-ci une carence dans l'accomplissement des formalités légales et statutaires . 

Les frais inhérents à la désignation d'un mandataire ad hoc pour assurer le fonctionnement d'une société au sein de laquelle les relations entre associés sont délétères ne peuvent être mis en totalité à la charge de celui qui en assure la gérance, dès lors que les difficultés en cause procèdent tant du comportement de ce dernier que de l'absence d'utilisation, par les associés majoritaires, des dispositions statutaires qui leur auraient permis de reprendre le contrôle de la société . 

La désignation d'un expert de gestion n'est envisageable que dans certains types de société, à savoir les SA , les SARL  et les SAS . Il est nommé par le juge des référés sur demande d'un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital social pour la SARL et d'un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social dans le cas de la SA. C'est le juge qui détermine l'étendue de ses missions ainsi que les opérations sur lesquelles doit porter son investigation. En général, une demande de désignation d'un expert de gestion est formulée lorsque les associés se montrent hostiles ou suspicieux face à la gestion sociale du gérant. L'expert est chargé d'analyser les éléments soumis à son expertise et de fournir un rapport adressé au demandeur, aux dirigeants, au ministère public, au comité social et économique et le cas échéant à l'Autorité des marchés financiers. Il est ensuite joint au rapport du commissaire aux comptes puis soumis à l'assemblée des associés.

Pour que le juge accède à la demande de désignation de l'expert, il faut que celle-ci émane des personnes désignées par la loi. En outre, le demandeur doit démontrer que la demande présente un intérêt pour lui. La demande doit en effet être rejetée dès lors qu'il n'établit pas avoir épuisé les voies de recours internes, telle une demande d'explication au gérant par exemple. De plus, l'expertise ne peut porter que sur une ou des opérations de gestion déterminées, comme une convention de compte courant . A contrario, lorsque la décision de céder un bien immobilier appartenant à une SARL relève, en application des statuts, des attributions de l'assemblée des associés, elle ne constitue pas une opération de gestion, susceptible de faire l'objet d'une expertise de gestion portant sur l’opportunité d’un tel projet au regard de l’intérêt social . De même, l'affectation des bénéfices d’une SARL et l'opportunité de leur mise en réserve systématique ne constituent pas des opérations de gestion susceptibles d'être contrôlées au moyen d'une expertise de gestion .

Enfin, le demandeur doit démontrer que l'opération en cause est affectée d'une présomption d'irrégularité ou est susceptible de porter atteinte à l'intérêt social. En effet, l’expertise de gestion, mesure judiciaire grave qui diminue le crédit de la société par le doute qu’elle fait planer sur une opération sociale, ne peut être ordonnée que si sont caractérisées des présomptions d’irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées, qui ne peuvent se déduire de critiques d’ordre général .

La demande d'une expertise de gestion faite à temps peut permettre d'éviter la dissolution de la société en redressant rapidement les actes de gestion apparus comme non-conformes.

La loi est quasiment muette au sujet de l'administrateur provisoire, qui constitue une création prétorienne . La demande en justice de désignation d'un administrateur provisoire est effectuée à titre de mesure conservatoire par toute personne qui atteste d'un intérêt légitime lorsque la société est en péril. Le juge n'accède à la demande que lorsqu'est démontré  un péril certain et imminent, susceptible d'engendrer la paralysie des organes sociaux. Une telle situation ne peut résulter de la seule absence de tenue d’une assemblée générale et d’inscription à l’ordre du jour d’une résolution concernant la nomination d’un nouveau gérant , ni de l’existence de graves dissensions entre les actionnaires . Pour désigner l'administrateur, le juge se réfère à la liste des administrateurs judiciaires. Comme pour l'expert de gestion, c'est également lui qui délimite l'étendue de la mission d'administration ainsi que sa rémunération . La nature des missions confiées à l'administrateur est susceptible d'affecter les organes sociaux déjà en place. De fait, la désignation de l'administrateur, qui se substitue à l'équipe dirigeante en place peut emporter leur dessaisissement, ce qui peut permettre de remettre la société en péril en bon état.

Caen, 29 septembre 2016, LawLex202300007304JBJ, considérant que la désignation d'un mandataire ad hoc s'impose en vue de la convocation d'une assemblée générale portant sur la révocation du président de la SAS, lorsque le refus de ce dernier de réunir cette assemblée, alors qu’il est seul détenteur ce ce pouvoir, nuit au bon fonctionnement de la société et crée une situation de blocage qui rend impossible la prise d'une décision collective statutairement prévue.

Douai, 6 juin 2008, LawLex202300009032JBJ.

Cass. com., 21 avril 2022, LawLex202200003955JBJ, Procédures décembre 2022, chron. 6, n° 4 et 6, obs. MESSAI-BAHRI ; JCP E 2022, n° 1276, obs. DONDERO ; Paris, 5 novembre 1999, LawLex202300005222JBJ, considérant que la décision du gérant d’une SARL de conclure un contrat de gérance avec une société dont il détient 99 % des parts sociales constitue, en l’absence de tout vote de l’assemblée générale des associés, un acte de gestion suspect, de nature à faire craindre un transfert indirect du principal actif de la SARL, qui justifie qu’une expertise de gestion soit ordonnée.

Cass. com., 13 septembre 2017, LawLex202300005118JBJ.

Toulouse, 14 octobre 1992, LawLex202300005124JBJ.

BOLARD, Administration provisoire et mandat ad hoc, JCP E 1995, I, 509 ; LECOURT, Questions autour de l'administrateur provisoire, JCP E 2016, 1384.

Fort-de-France, 2 février 2016, LawLex202200008641JBJ, estimant que la société qui ne démontre pas se trouver dans une situation de crise rendant impossible son fonctionnement normal de la société et la menaçant d'un péril, est irrecevable en sa demande de nomination d'un administrateur provisoire.

Cass. 3e civ., 12 octobre 2022, LawLex202300002338JBJ, RJDA 2023, n° 81.

Cass. com., 6 février 2007, LawLex202300002194JBJ, considérant que la désignation judiciaire d'un administrateur provisoire constitue une mesure exceptionnelle qui suppose que soit apportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent, lesquelles ne peuvent se réduire à l’existence de graves dissensions entre les actionnaires.

Cass. com., 24 janvier 2024, LawLex202400000678JBJ, RJDA 2024, n° 286, soulignant qu'en dépit de l'effet rétroactif attaché à la rétractation de l'ordonnance ayant désigné, sur requête, un administrateur provisoire, celui-ci est bien fondé à solliciter une rémunération pour ses diligences, mise à la charge de la société.

Aix-en-Provence, 27 juin 2024, LawLex202400004920JBJ.

Cass. com., 21 septembre 2022, LawLex202200009696JBJ, Procédures décembre 2022, chon. 6, n° 7, obs. BOILLOT ; Gaz. Pal. 14 mars 2023, 62, obs. LAROCHE ; JCP E 2022, n° 1387, obs. DONDERO ; Cass. 3e civ., 21 juin 2018, LawLex202300002193JBJ ; Aix-en-Provence, 28 mars 2024, LawLex202400002818JBJ ; 27 juin 2024, LawLex202400004920JBJ, retenant que la demande de nomination d'un mandataire ad hoc ne s'impose pas lorsque, en dépit du non-respect de certaines de ses obligations par le gérant, aucun dysfonctionnement grave de la société n'est à déplorer.

Aix-en-Provence, 28 mars 2024, LawLex202400002818JBJ.

Pau, 4 mars 2024, LawLex202400002127JBJ. - Rappr. Nancy, 19 juin 2024, LawLex202400004695JBJ, estimant que dans la mesure où les associés ne sont pas d'accord quant à la dissolution anticipée de la société, il n'y a pas lieu d'étendre la mission de gestion comptable initiale du mandataire ad hoc à des opérations sociales plus poussées.

Paris, 4 avril 2024, LawLex202400003020JBJ.

Crises au sein d'une société

LE FEVRE et BOURGON-FARRAN, La prévention des conflits entre associés dans les principales sociétés de capitaux, D. 2022, 1974.

329. Crises au sein d'une société