Tout le droit des sociétés : droit commun des sociétés et régime propre aux différents types de sociétés

Droit des sociétés

A défaut de détention de 5 % du capital social, ou de volonté d'interrogation préalable du dirigeant, les actionnaires qui ne peuvent demander une expertise de gestion peuvent recourir aux mesures d'instruction in futurum, prévues à l'article 145 du Code de procédure civile. Selon ce texte, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Contrairement à l'expertise de gestion qui est une mesure d'information propre au droit des sociétés, ouverte aux associés des sociétés par actions  et des sociétés à responsabilité limitée , l'expertise in futurum constitue une mesure probatoire ouverte à toute personne. Elle ne peut intervenir que dans le but de préparer un procès à venir et n'a lieu d'être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge . Il appartient dès lors à l'associé de SAS qui demande une expertise in futurum d'établir l'existence d'un litige plausible, crédible, bien qu'éventuel et futur, dont le contenu et le fondement sont cernés, approximativement au moins, et sur lequel pourra influer le résultat de la mesure à ordonner, sans toutefois devoir prouver que le fondement et les limites d'une action, par hypothèse incertaine, sont déjà fixées . A contrario, un associé de SAS ne justifie pas d'un motif légitime à l'obtention d'une mesure d'expertise in futurum, dès lors qu'aucun des documents produits par ce dernier n'apporte la moindre consistance à ses soupçons de fautes de gestion à l'égard du dirigeant, d'intention malveillante contre la SAS et ses associés et d'abus de biens sociaux, que celui-ci ne procède que par déductions et affirmations, qui ne reposent sur aucun fait précis, objectif et vérifiable, et qu'il ne démontre pas l'existence d'un litige plausible et crédible . De même, un associé de SAS ne peut demander une mesure d'expertise fondée sur l'article 145 du Code de procédure civile, dès lors qu'il ne produit pas d'indices laissant présumer l'existence d'actes de concurrence déloyale réalisés au préjudice de la société par son directeur général démissionnaire  ou rendant plausibles les griefs qu'il formule contre la société concernant la non-rétribution d'un travail qu'il aurait effectué .

Un autre élément de distinction entre l'expertise in futurum et l'expertise de gestion réside dans le fait que la première n'est soumise à aucune procédure préalable, et peut porter sur toute question, puisqu'elle n'est pas limitée aux seules opérations de gestion, mais s'applique à des actes et des opérations de toute nature . Un associé de SAS apparaît ainsi légitime à demander une expertise in futurum, dès lors qu'il s'interroge sur l'utilité et les conséquences financières de baux consentis à la société, qui, auparavant, ne disposait que d'une simple domiciliation à l'adresse de l'ancien domicile personnel de son président, dès lors qu'elle ne reçoit ni clients, ni fournisseurs, n'emploie qu'une salariée à mi-temps et ne dispose pas de stocks à entreposer . 

Pour autant, le fait que l'expertise in futurum ne soit pas limitée à l'examen d'opérations de gestion déterminées, comme l'expertise de gestion, ne permet pas de la détourner de sa fonction pour en faire une mesure d'investigation générale. Un associé de SAS ne peut pas demander une expertise in futurum dès lors que, par la généralité même de la mission visée dans le dispositif de ses conclusions, il requiert une reconstitution globale des bilans de la société et démontre qu'il veut, en réalité, faire procéder à une recherche systématique d'informations qui a pour seul but de découvrir un fondement juridique pour une action potentielle dont l'objet n'est pas déterminé . Constitue également une mesure d'investigation générale qui excède les prévisions de l'article 145 du Code de procédure civile, la mesure d'instruction qui a pour objet de vérifier le respect ou non des obligations légales en matière de tenue des assemblées générales ordinaires et d'approbation des comptes d'une SAS, de contrôler la gestion d'un actionnaire et, de manière générale, d'examiner le respect ou non de ses obligations légales par la société . 

La mesure demandée doit également présenter une utilité pour le requérant. Or, une demande d'expertise apparaît inutile dès lors que ce dernier est en mesure de savoir s'il a, ou non, été régulièrement convoqué aux assemblées générales de la société et si les obligations légales ont, ou non, été respectées, et qu'il dispose du procès-verbal établi lors d'une assemblée, dont il soutient qu'il s'agit d'un faux au motif qu'il n'a jamais été convoqué, contrairement aux indications y figurant, ainsi que des factures dont il demande l'examen .  De même, une expertise n'apparaît pas nécessaire au regard de la modestie des investigations réelles à réaliser, dès lors que les flux financiers dénoncés entre la SAS et une autre société relèvent des conventions réglementées, et sont examinées par le commissaire aux comptes, avant de faire l'objet d'une information en assemblée générale aux actionnaires, que la facturation des prestations réalisées dans le cadre du pilotage de projet est connue et que les dettes fournisseurs et charges exceptionnelles doivent être justifiées dans la comptabilité de la société .

En revanche, le fait qu'une expertise de gestion ait préalablement été ordonnée sur le fondement de l’article L. 225-231 du Code de commerce n’exclut pas la présentation, par la suite, d'une demande d'expertise sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile . En effet, les deux expertises ne sont pas, par principe, exclusives l'une de l'autre, de sorte que l'expertise probatoire ne revêt aucun caractère subsidiaire par rapport à l'expertise de gestion . 

En vue de l'expertise in futurum, il n'est désigné qu'une seule personne à titre d'expert à moins que le juge n'estime nécessaire d'en nommer plusieurs . La décision qui ordonne l'expertise doit notamment exposer les circonstances qui rendent nécessaire l'expertise et, s'il y a lieu, la nomination de plusieurs experts, nommer l'expert ou les experts, énoncer les chefs de la mission de l'expert et impartir le délai dans lequel celui-ci devra donner son avis . Conformément à l'article 282 du Code de procédure civile, à l'issue de l'expertise, si l'avis de l'expert n'exige pas de développements écrits, le juge peut autoriser celui-ci à l'exposer oralement à l'audience ; il en est dressé procès-verbal. La rédaction du procès-verbal peut cependant être suppléée par une mention dans le jugement si l'affaire est immédiatement jugée en dernier ressort. Dans les autres cas, l'expert doit déposer un rapport au greffe de la juridiction. Il n'est rédigé qu'un seul rapport, même s'il y a plusieurs experts ; en cas de divergence, chacun indique son opinion. Si l'expert a recueilli l'avis d'un autre technicien dans une spécialité distincte de la sienne, cet avis est joint, selon le cas, au rapport, au procès-verbal d'audience ou au dossier. Lorsque l'expert s'est fait assister dans l'accomplissement de sa mission par la personne de son choix qui intervient sous son contrôle et sa responsabilité, le rapport doit mentionner les noms et qualités des personnes qui ont prêté leur concours. Le dépôt par l'expert de son rapport est accompagné de sa demande de rémunération, dont il adresse un exemplaire aux parties par tout moyen permettant d'en établir la réception. S'il y a lieu, celles-ci adressent à l'expert et à la juridiction ou, le cas échéant, au juge chargé de contrôler les mesures d'instruction, leurs observations écrites sur cette demande dans un délai de quinze jours à compter de sa réception.

Paris, 22 avril 2022, LawLex202300009442JBJ.

Chambéry, 13 juin 2023, LawLex202300010001JBJ.

Cass. com., 15 septembre 2015, LawLex202300004116JBJ ; V. par analogie, Cass. com., 24 juin 2020, LawLex202200005607JBJ, concernant une société anonyme.

Versailles, 23 octobre 2014, LawLex202300009921JBJ ; Toulouse, 11 juillet 2019, LawLex202300010168JBJ, précisant que l'actionnaire qui a demandé une expertise de gestion avant d'y renoncer peut solliciter une mesure d’expertise in futurum, dès lors que les deux procédures ne sont pas exclusives l'une de l'autre.

Toulouse, 11 juillet 2019, LawLex202300010168JBJ, précit.

Cass. 2e civ., 10 décembre 2020, LawLex202300002294JBJ.

Cass. com., 17 mars 2021, LawLex202100000794JBJ.

Versailles, 3 mars 2022, LawLex202300009434JBJ.

Versailles, 23 octobre 2014, LawLex202300009921JBJ.

Grenoble, 16 septembre 2010, LawLex202300009991JBJ ; Caen, 29 juin 2017, LawLex202300009383JBJ.

Expertise probatoire

URBAIN-PARLEANI, L'expertise de gestion et l'expertise in futurum, Rev. sociétés 2003, 223.

608. Expertise probatoire