Le Droit de la concurrence, premier tome du Traité de droit économique, expose, en deux livres (Tome 1/2. Droit européen ; Tome 2/2. Droit français) l’ensemble des règles de concurrence : ententes et abus de domination, procédure de concurrence, concentrations, aides d’État, négociation commerciale, et concurrence déloyale.

Droit français de la concurrence

Aux termes du nouvel article L. 481-1 du Code de commerce, tout comportement constitutif d'une violation du droit européen ou interne de la concurrence caractérise une faute. La France a choisi de ne pas limiter le champ de l'action aux ententes et abus de position dominante  : les victimes peuvent demander réparation des préjudices causés par un abus de dépendance économique , une pratique de prix abusivement bas, une exclusivité d'importation dans les collectivités d'outre-mer ou une exclusivité obtenue par une centrale de réservation au détriment d'une entreprise de transport de personnes au moyen de véhicules légers. 

Hormis le cas plus rare en pratique de la stand alone action, qui impose au plaignant de démontrer par ses propres moyens l'existence d'une faute concurrentielle , il convient de déterminer l'incidence de la décision rendue dans le cadre de la procédure de concurrence sur la caractérisation de la faute. Trois cas doivent être distingués, selon que la procédure de concurrence a donné lieu à des engagements, à une transaction ou à une condamnation pure et simple  sans recours à la procédure d'engagements ou de transaction.

Lorsque l'entreprise poursuivie, conformément à l'article L. 464-2, I, du Code de commerce, accepte d'entrer dans une procédure d'engagements, elle ne reconnaît pas avoir commis une pratique anticoncurrentielle . Si l'évaluation préliminaire qui permet le contrôle du caractère approprié des engagements ne constitue pas un acte d'accusation au sens de l'article 6, paragraphe 1, CEDH, une décision d'engagements ne met pas pour autant l'entreprise à l'abri de poursuites judiciaires devant le juge de droit commun . La partie qui s'estime lésée par le comportement en cause n'est pas privée de son intérêt à agir en réparation de son préjudice, puisque la procédure intervient sans constat d'infraction ou d'absence d'infraction , mais devra supporter seule la totalité de la charge de la preuve de la faute devant le juge de l'indemnisation . Le juge civil pourra toutefois tenir compte des éléments contenus dans la décision d'engagements et les considérer comme un indice ou un commencement de preuve afin d'apprécier le caractère anticoncurrentiel des pratiques en cause . 

Traditionnellement, une non-contestation des griefs, qui conduisait à une sanction pécuniaire réduite, était considérée comme une simple mesure de coopération à la procédure n'emportant pas juridiquement reconnaissance de culpabilité . Toutefois, un arrêt de la Cour de cassation assez ambigu du 29 mars 2011  avait semblé remettre en cause cette solution. Selon la Cour, la non-contestation des griefs par certaines parties limitait le champ de la discussion pour les autres à la seule question de leur participation à l'entente poursuivie, ce qui, implicitement, tendait à identifier la non-contestation à une reconnaissance de l'infraction. La Cour d'appel de Paris a adopté une solution médiane : tout en admettant que la procédure de non-contestation de griefs ne constitue ni un aveu ni une reconnaissance de culpabilité, elle estime que l'arrêt confirmatif de la Cour d'appel de Paris, qui retient la mise en oeuvre d'une entente illicite, établit l'existence d'une faute civile commise par l'entreprise condamnée . La loi Macron du 6 août 2015 a depuis lors substitué à la procédure non-contestation des griefs une procédure de transaction. Le nouveau mécanisme, qui repose comme par le passé sur la non-contestation des griefs, ne devrait pas affecter les solutions anciennes. Il est donc vraisemblable que des victimes d'infractions seront conduites à invoquer l'arrêt de la Cour de cassation pour faire valoir qu'une non-contestation des griefs vaut reconnaissance de l'infraction, et donc de la faute, lorsqu'elles engageront une action en responsabilité.

Pendant très longtemps, la France, contrairement à d'autres pays , n'a pas admis pas que la condamnation dans une procédure de concurrence suffise à établir la faute dans une action civile . La Cour de cassation considérait en effet les décisions de l'Autorité de la concurrence comme des décisions administratives ne liant pas le juge : celui-ci pouvait décider de ne pas condamner une entreprise pour des pratiques qualifiées d'entente par l'Autorité de la concurrence . En pratique, les juges du fond estimaient toutefois dans la majeure partie des cas que la condamnation par l'Autorité de la concurrence caractérisait ou, au moins, faisait présumer la faute, ou constituait une faute civile au sens de l'article 1240 du Code civil . La jurisprudence administrative déduisait plus volontiers de la condamnation administrative l'existence d'une faute . Ces règles ont changé avec la transposition de la directive 2014/104 du 26 novembre 2014 par l'ordonnance du 9 mars 2017. En vertu du nouvel article L. 481-2 du Code de commerce, les décisions définitives d'une autorité nationale de concurrence qui constatent une infraction constituent une preuve irréfragable de l'existence de l'infraction devant une juridiction du même État membre . Le juge peut ainsi condamner une entreprise à indemniser les victimes d'une pratique anticoncurrentielle en s'appuyant sur la décision définitive de l'autorité nationale de concurrence, sans avoir à prouver à nouveau la faute, mais en interprétant simplement l'article 1240 du Code civil à la lumière de la directive 2014/104/UE qui établit une présomption irréfragable de faute . Cependant, si la décision est invoquée devant la juridiction d'un autre État membre, elle ne constituera qu'un moyen de preuve de l'infraction. Enfin, les juridictions nationales ne peuvent adopter une solution qui irait à l'encontre d'une décision de condamnation prononcée par la Commission . Aussi, une aide d'Etat déclarée incompatible par la Commission présente-t-elle nécessairement le caractère d'une faute civile en droit interne . Cette solution s'appliquait déjà dans le cadre de l'action de groupe. La loi Hamon du 17 mars 2014 a en effet prévu dans ce cas que les décisions constatant les manquements au droit de la concurrence, une fois devenues définitives, valent présomption irréfragable de la preuve de l'existence des manquements du professionnel . 

Cass. com., 13 septembre 2017, LawLex201700001428JBJ, retenant qu'une pratique anticoncurrentielle telle qu'un abus de position dominante constitue une faute civile à l'égard de sa victime. - Dans le même sens, V. Cass. com., 14 octobre 2020, LawLex202000002440JBJ.

V. not., Paris, 8 février 2019, LawLex201900000182JBJ.

Cass. com., 29 mars 2011, LawLex201100000708JBJ, RJDA 2011, n° 841.

Paris, 14 décembre 2016, LawLex201600002100JBJ, LD janvier 2017, 13, obs. BIANCONE, LPA 14 mars 2017, 11, obs. ARHEL ; RJ com. 2017, 181, obs. CHAGNY ; Concurrences 2/2017, 218, obs. AMARO.

Pour un exemple, la situation au Royaume-Uni : English Welsh & Scottish Railway Ltd v. Enron Coal Services Ltd [2009], EWCA CN. 647, per Pathen LJ, §28.

Cass. com., 27 février 2001, LawLex200200002677JBJ.

Cass. com., 17 juillet 2001, LawLex200200000095JBJ.

V. T. com. Paris, 26 avril 2013, LawLex201300001350JBJ, qui considère que devenue définitive, la décision de condamnation rendue par l'Autorité de la concurrence constitue la preuve de la faute de l'entreprise contrevenante et permet d'établie le lien de causalité entre la faute et le préjudice lorsqu'elle détermine les effets anticoncurrentiels de la pratique ; 18 décembre 2017, LawLex201800000057JBJ, confirmé par Paris, 17 juin 2020, LawLex202000000538JBJ, AJ Contrat 2020, 389, obs. CHAIEHLOUDJ ; Contrats Conc. Consom. 2020, n° 129, obs. BOSCO ; LEDICO septembre 2020, 4, obs. CELAYA ; LPA 2 avril 2021, 18, obs. ARHEL ; JCP E 2021, n° 1247, n° 52, obs. JAUNET ; Procédures juin 2021, Chron. 5, n° 8 et 11, obs. MAZET, SERRANO, LEROY. - V. égal. Paris, 11 avril 2018, LawLex201800000924JBJ ; TGI Paris, 7 octobre 2019, LawLex201900001280JBJ, LEDICO janvier 2020, 5, obs. AMARO ; T. com. Paris, 4 novembre 2019, LawLex202100000253JBJ, confirmé par Paris, 5 janvier 2022, LawLex202200000106JBJ, LEDICO février 2022, 1, obs. AMARO ; Contrats Conc. Consom. 2022, n° 52, obs. BOSCO ; Procédures 2023, Chron. 4, n° 9, obs. LEROY, MAZET, SERRANO ; LawLex202100002628JBJ20 février 2020, LawLex202000000275JBJ, RJDA 7/2020, 467, obs. REDON et LORIEUL ; LEDICO avril 2020, 6, obs. CELAYA ; Procédures juin 2021, Chron. 5, n° 9, obs. MAZET, SERRANO, LEROY ; T. com. Lille, 29 avril 2021, LawLex202100002628JBJ ; Paris, 23 février 2022, LawLex202200001185JBJ, Procédures 2023, Chron. 4, n° 13 s., obs. LEROY, MAZET, SERRANO ; T. com. Lyon, 27 octobre 2022, LawLex202200010136JBJ, LD janvier 2023, 11, obs. BIANCONE ; Procédures 2023, Chron. 4, n° 16, obs. LEROY, MAZET, SERRANO ; Concurrences 2/2023, 245, obs. IDRI ; LEDICO octobre 2023, 6, obs. BEHAR-TOUCHAIS ; Paris, 17 mai 2023, LawLex202300007182JBJ, LEDICO juillet 2023, 5, obs. CELAYA.

CAA Paris, 22 avril 2004, LawLex200400001951JBJ, RLC 2005/1, n° 81, obs. CHAGNY estimant que l'accord, qualifié d'anticoncurrentiel par le Conseil de la concurrence, ayant conduit le maître d'ouvrage à accepter des conditions plus onéreuses que celles qu'il aurait dû normalement souscrire caractérise ipso facto un dol justifiant l'octroi de dommages-intérêts ; CAA Nantes, 2 février 2016, LawLex201600001676JBJ ; TA Paris, 31 mai 2016, LawLex201700001005JBJ ; TA Caen, 6 avril 2017, LawLex201700000692JBJ, LawLex201700000693JBJ et LawLex201700000694JBJ, LEDICO juin 2017, 4, obs. DIENY ; CAA Nantes, 10 mai 2017, LawLex201700002012JBJ et LawLex201700002016JBJ ; CAA Douai, 22 février 2018, LawLex201800000906JBJ, Contrats Conc. Consom. juin 2018, Chron. 3, n° 6, obs. AYACHE : des marchés publics sont convenus à des conditions dolosives lorsqu'ils ont été conclus au cours de la période infractionnelle définie par l'Autorité de la concurrence dans sa décision de condamnation ; CAA Nantes, 6 mars 2020, LawLex202000000352JBJ ; 22 janvier 2021, LawLex202100000236JBJ, LEDICO mars 2021, 6, obs. CELAYA.

Sur l'application de ce texte dans le temps, V. T. com. Paris, 23 septembre 2019,  LawLex201900001326JBJ, qui retient que si l'article L. 481-2 du Code de commerce ne s'applique pas aux faits antérieurs à son entrée en vigueur, une décision de l'Autorité de la concurrence constitue a minima une présomption simple qui doit être renversée par l'entreprise défenderesse à l'action ; 25 novembre 2024, LawLex202400009170JBJ, estimant que la présomption irréfragable d’infraction aux règles de concurrence issue d'une décision rendue par une autorité nationale de concurrence n'est pas applicable ratione temporis à une action en réparation introduite à la suite d'une décision qui n'était pas encore définitive, pour avoir fait l'objet d'un recours, à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104. - V. aussi Paris, 6 avril 2023, LawLex202300005053JBJ, estimant qu'une décision de l'Autorité de la concurrence qui caractérise et sanctionne les pratiques anticoncurrentielles des sociétés cibles, établit, en vertu de l'article L. 481-2 du Code de commerce, la preuve du dol commis  par la société cédante, qui a attesté dans l'acte de cession que ses filiales respectaient le droit de la concurrence ; T. com. Bordeaux, 15 décembre 2023, LawLex202300014830JBJ, soulignant que les constats opérés par une décision de l'Autorité de la concurrence constituent des éléments probants de l'existence d'une faute civile dans le cadre de l'appréciation de la responsabilité qui en découle et non de simples présomptions ; TA Lyon, 18 juillet 2024, LawLex202400005694JBJ.

Cass. com., 19 mars 2025, LawLex202500002041JBJ, Contrats Conc. Consom. mai 2025, 25, obs. BOSCO ; T. des activités économiques de Paris, 13 octobre 2025, LawLex202500010241JBJ.

Cass. com., 6 octobre 2015, LawLex201500001230JBJ, LD novembre 2015, 7, obs. VERTUT ; AJCA 2015, 526, obs. SAINT-ESTEBEN ; RJ com. 2015, 558, obs. CHAGNY ; Concurrences 1/2006, 253, obs. AMARO ; Contrats Conc. Consom. 2016, n° 18, obs. DECOCQ ; LPA 14 juin 2016, 14, obs. ARHEL ; Europe juillet 2016, Chron. 2, n° 3, obs. MOLLARD ; RJDA 2016, n° 323, retenant que le juge national peut apprécier la faute de filiales visées dans la décision de constatation d'infraction, mais non sanctionnées par la Commission, au regard de la décision de cette dernière. - V. aussi Cons. d'Et., 12 octobre 2020, LawLex202000002480JBJ, estimant que la décision de la Commission qui constate l'infraction, maintenue par le  juge de l'Union, suffit à établir l'existence de manoeuvres dolosives de  la part des entreprises soumissionnaires à un marché.

Cass. com., 14 octobre 2020, LawLex202000002440JBJ.

Paris, 18 septembre 2024, LawLex202400006724JBJ.

Comp., soulignant qu'un rejet de saisine faute d'éléments suffisamment probants ne peut être source d'aucune présomption, irréfragable ou non, d'absence de pratique anticoncurrentielle, Cass. com., 25 septembre 2024, LawLex202400006902JBJ.

Décision Cons. conc. n° 06-D-20 du 13 juillet 2006, LawLex200600001680JBJ. - Adde : RAMEAU, Le contentieux indemnitaire après des engagements en matière de concurrence : quelle valeur probatoire accorder à la décision de la Commission ou de l'Autorité de la concurrence, RLC 2019, n° 3596.

TGI Paris, 22 février 2018, LawLex201800000459JBJ, entérinant la position de la Cour de justice dans l’arrêt Gasorba, CJUE, 23 novembre 2017, LawLex201700001923JBJ.

Paris, 24 septembre 2014, LawLex201400000991JBJ, JCP E, 2014, n° 1575, obs. d'ALÈS et CONSTANS ; AJCA 2014, 385, obs. CONSTANTIN ; RJDA 2014, chron., 843, obs. CONSTANTIN ; RJDA 2014, n° 941 ; RLC 2015, n° 2739, obs. CHOLET. - V. égal. Paris, 9 mars 2022, LawLex202200001532JBJ, soulignant que l'entreprise qui agit en réparation de son dommage concurrentiel ne peut, pour établir la position dominante de l'auteur des pratiques, se fonder sur une décision d'acceptation d'engagements qui ne retient à aucun moment l'existence d'une telle position mais qui, tout au plus, ne l'exclut pas sur un marché secondaire.

Paris, 20 décembre 2017, LawLex201700002135JBJ.

TGI Paris, 22 février 2018, LawLex201800000459JBJ, Contrats Conc. Consom. 2018, n° 93, obs. DECOCQ, confirmé par Paris, 12 septembre 2018, LawLex201800001771JBJ.

Rapport du Conseil de la concurrence pour 2005 ; Paris, 29 janvier 2008, LawLex200800000165JBJ, Contrats Conc. Consom., 2008, n° 83, obs. DECOCQ ; RDC, 2008, 795, obs. IDOT et PRIETO : “la non-contestation des griefs, qui fait partie intégrante de la procédure devant l'Autorité, ne constitue en soi, ni un aveu, ni une reconnaissance de responsabilité”.

581. Faute