Le droit européen et français applicable aux réseaux de distribution.
Le Droit de la distribution, deuxième tome du Traité de droit économique, expose, dans une perspective comparative, l’ensemble des règles européennes et françaises : approvisionnement et fourniture exclusifs, distribution exclusive, distribution sélective, distribution automobile.

Droit français de la distribution

Les distributeurs indépendants réclament régulièrement un statut protecteur à l'égal de celui des distributeurs dépendants, et notamment le droit, lors de la résiliation de leur contrat, à une indemnité substantielle de fin de contrat, à l'instar de celle accordée aux agents commerciaux. Récurrent, le débat est alimenté par les tenants de la thèse du solidarisme contractuel et a récemment suscité un regain d'intérêt lors des discussions suscitées par la réforme du règlement 1400/2002. Les distributeurs et réparateurs indépendants souhaitent que la fin du statut protecteur résultant du passage de la distribution automobile sous le régime général des restrictions verticales s'accompagne d'une extension à tous les distributeurs de la protection dont bénéficient les agents commerciaux, comme l'admettent d'ores et déjà certains droits nationaux. En réalité, il ne nous apparaît pas opportun de renforcer la protection des distributeurs indépendants que ce soit au niveau européen ou français. Une telle revendication ne repose sur aucun fondement juridique convaincant et limiterait en revanche considérablement l'efficience des systèmes de distribution en élevant les coûts de distribution au détriment des consommateurs et de l'activité économique, et, in fine, des distributeurs eux-mêmes.

Les termes du débat.

V. en faveur de l'instauration d'un statut des distributeurs, en l'occurrence des distributeurs automobiles : BOURGEON, La distribution automobile entre droits, Jur. auto., octobre 2013, 20. Contra : J. VOGEL, Par les mérites, la qualité, les prix et l'intérêt du consommateur, Jur. auto., octobre 2013, 20. Plusieurs amendements au projet de loi Hamon sur le droit de la consommation en faveur d'un statut des concessionnaires automobiles avaient été déposés devant le Parlement en 2013, mais ont été retirés ou rejetés dans le cours des débats. Pour un exposé plus complet, V. infra, n° 16.

Depuis plusieurs années s'est développé en France un courant doctrinal que d'aucuns ont dénommé “solidarisme contractuel” . Selon ses partisans , le solidarisme contractuel consiste en une exigence de civisme, qui se traduit, pour chaque contractant, par la prise en considération des intérêts légitimes de son cocontractant et qui repose sur les idées d'altruisme, de décence, de cohérence et de coopération. Ce devoir imposé aux contractants d'exercer les droits et les pouvoirs que leur confèrent la loi ou le contrat dans le respect de l'intérêt légitime d'autrui a essentiellement vocation à se déployer dans les relations contractuelles de dépendance, marquées par l'inégalité entre les parties. De telles situations peuvent dériver du pouvoir accordé au contractant dominant de fixer unilatéralement le contenu du contrat ou du fait que les relations entre les parties s'inscrivent dans la durée, donnent naissance à une communauté de clientèle et s'appuient sur une clause d'exclusivité.

Les tenants du solidarisme considèrent que les contrats de distribution, selon eux profondément inégalitaires, s'inscrivent dans des relations de dépendance. En conséquence, l'obligation d'appliquer la loi ou le contrat dans le respect de l'intérêt légitime d'autrui les conduit à recommander que le juge interprète et applique les règles légales et les stipulations contractuelles en protégeant systématiquement le distributeur, et au-delà, que la loi soit modifiée pour qu'un ordre public de protection des contractants soit véritablement instauré. Sous couvert de solidarisme, il s'agit en réalité surtout d'accroître la protection de la partie présumée faible dans la relation contractuelle.

La doctrine a, à juste titre, critiqué la thèse solidariste, et souligné les risques de dirigisme judiciaire qu'elle engendre, le juge devenant partie au contrat et défendant mieux que les parties elles-mêmes leur intérêt . Un commentateur a souligné qu'en appliquant cette théorie, et tout particulièrement son courant le plus social, “la logique des règles cède devant les considérations d'opportunité, la motivation des jugements s'appuie sur des considérations vagues, l'application du “droit” devient fort peu prévisible, alimentant une judiciarisation accrue de la vie sociale” . 

L'application du solidarisme contractuel conduit en réalité à l'égoïsme contractuel et porte en germe la négation même de la règle de droit. Les droits de la partie supposée forte sont systématiquement sacrifiés à ceux de la partie présumée faible. Ce traitement inégalitaire est d'autant plus injuste que la situation de dépendance et d'inégalité flagrante entre les parties dans la conclusion et l'exécution des contrats de distribution, qui est alléguée pour le justifier, ne correspond pas toujours à la réalité et évolue à tout moment dans le temps. La tentation solidariste traduit surtout un réflexe de repli et de protectionnisme caractéristique d'une société vieillissante ou en déclin qui sacrifie systématiquement les nouveaux entrants, plus jeunes et plus dynamiques, aux opérateurs en place.

Le solidarisme contractuel apparaît en définitive très peu solidaire : la solidarité qu'il prône fonctionne à sens unique. Dans la conception solidariste, le fournisseur débiteur d'obligations multiples vis-à-vis de son distributeur, devrait l'informer, éviter qu'il ne pâtisse des différentiels de prix entre les différents pays européens, l'indemniser en fin de contrat, l'aider à se reconvertir, l'assister, sans pouvoir s'opposer à la cession de son contrat ou de son entreprise à un tiers sans motif objectif, et enfin reprendre son personnel en fin de contrat. Le distributeur, lui, conserverait la totalité des profits et la clientèle, ne serait pas tenu à des objectifs de résultat et pourrait mettre fin au contrat sans indemnité ou le céder librement. Imposer, au nom d'un a priori idéologique, des obligations non prévues à l'un des cocontractants, au prétexte qu'il serait la partie forte au contrat, remet en cause le contrat lui-même.

Le solidarisme contractuel repose sur l'hypothèse d'un profond déséquilibre contractuel dans les relations individuelles entre le fournisseur, présumé fort, et chacun de ses distributeurs, parties faibles placées dans une situation de dépendance économique absolue par rapport au fournisseur. Or, contrairement au postulat du solidarisme contractuel, le contrat de distribution d'abord un contrat collectif, les relations entre concédant et concessionnaires ne se réduisant pas à des rapports individuels bipartites. Aujourd'hui, dans la plupart des cas, les contrats de distribution ne sont plus négociés entre un fournisseur omnipotent et un distributeur isolé. En réalité, le processus contractuel débute par des négociations entre le fournisseur et le groupement des distributeurs de la marque, dont le taux de représentativité est généralement extrêmement élevé : chaque négociation de contrat revêt un caractère collectif, que l'on retrouve tout au long de son exécution. Dans le cadre de cette négociation collective, qui détermine très largement le contenu de la relation contractuelle, les forces du fournisseur et de son réseau s'équilibrent.

Enfin, la nature de la relation entre fournisseur et distributeur s'est transformée. Aujourd'hui, les 100 premiers groupes de concession automobile français contrôlent plus de 50 % des immatriculations réalisées par les concessionnaires. Le premier groupe de concession pèse plus lourd que de nombreux concédants. Chaque groupe contrôlant une plaque régionale devient un partenaire incontournable pour son concédant, qui ne peut pas se passer de lui, sous peine de menacer le niveau de ses ventes et sa rentabilité. L'équilibre s'est modifié et des relations d'interdépendance réciproque se sont substituées aux rapports de dépendance économique. Le solidarisme contractuel retarde en réalité d'un cycle.

V. JAMIN, Plaidoyer pour le solidarisme contractuel, Études J. Ghestin, LGDJ, 2001, 411 s. ; MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle, Mélanges F. Terré, Dalloz, PUF; THIBIERGE-GUELFUCCI, Libres propos sur la transformation du droit des contrats, RTD civ., 1997, 357 ; GRYNBAUM et NICOD (sous la dir.), Le solidarisme contractuel, Economica, 2004 ; MAZEAUD, Un tout petit éclair solidariste dans le ciel de la rupture des contrats de distribution..., D., 2013, 2617 ; JAMIN, Notations sur un solidarisme contractuel, in Mélanges en l'honneur de François Collart Dutilleul, Dalloz, 2017, 433.

Cf. le résumé de la doctrine présenté par MAZEAUD sous Cass. com., 15 janvier 2002, LawLex200200005004JBJ, D., 2002, 2841, la Cour de cassation fait un tout petit pas vers la théorie du solidarisme contractuel. Adde : MAZEAUD, La bataille du solidarisme contractuel : du feu, des cendres, des braises, in Mélanges J. Hauser, LexisNexis, Dalloz, 2012, spéc. 905 s. ; Un tout petit éclair solidariste dans le ciel de la rupture des contrats de distribution..., D., 2013, 2617.

TERRÉ, SIMLER, LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, Dalloz, nos 41 s., spéc. n° 42 ; LEQUETTE, Bilan des solidarismes contractuels, in Mélanges P. Didier, Études de droit privé, 2008, 247 s. ; Retour sur le solidarisme : le rendez-vous manqué des solidaristes avec la dogmatique juridique, in Mélanges J. Hauser, LexisNexis, Dalloz, 2012, spéc. 879 s.

STOFFEL-MUNCK, sous Cass. com., 15 janvier 2002, D., 2002, 1974.

Critique du solidarisme contractuel.

Deux théories s'affrontent aujourd'hui en droit de la distribution : le solidarisme contractuel et l'efficience des réseaux. L'opposition entre ces deux doctrines s'illustre tant au niveau des principes qui les fondent que des solutions juridiques qu'elles préconisent.

La distribution par réseaux se caractérise aujourd'hui par l'interdépendance économique entre le fournisseur et ses distributeurs, et par un nouvel équilibre contractuel, lié au caractère collectif des contrats et à la concentration des distributeurs. Alors que la thèse solidariste identifie le distributeur en place à la partie faible, les tenants de la théorie de l'efficience des réseaux considèrent que les distributeurs installés bénéficient de barrières à l'entrée de nouveaux opérateurs qui représentent en réalité la vraie partie faible qu'il convient de protéger. Corrélativement, le rôle du juge diffère. Dans le solidarisme contractuel, le juge peut créer de nouvelles obligations au-delà des stipulations du contrat ou de la règle juridique applicable, en vue d'assurer la protection des distributeurs. Au contraire, selon la théorie de l'efficience des réseaux, en cas de nécessité d'interprétation, le juge statue en fonction de l'intérêt du réseau en tenant compte tant de la tête de réseau que de ses membres et se limite au contrôle des abus manifestes lorsqu'il apprécie une décision de gestion du chef d'entreprise.

Ces conceptions théoriques différentes conduisent à des solutions pratiques diamétralement opposées. L'opposition des solutions se vérifie à chaque étape de la vie contractuelle. Au stade de l'information précontractuelle, le solidarisme contractuel milite en faveur d'une sanction automatique du non-respect des exigences de la loi Doubin par la nullité du contrat ou la condamnation à des dommages-intérêts. De son côté, la jurisprudence fondée sur l'efficience des réseaux ne prononce ce type de sanction que si le défaut d'information a réellement vicié le consentement du cocontractant, une irrégularité formelle sans conséquence n'affectant pas l'efficacité du système de distribution. Les décisions inspirées par le solidarisme contractuel tendent à protéger le distributeur en termes de durée de préavis, de poursuite des relations, d'obligation de motivation et d'indemnité de fin de contrat. S'y rattache aussi l'interprétation selon laquelle des droits bénéficiant au distributeur pourraient naître directement des règlements d'exemption. La théorie de l'efficience des réseaux postule au contraire une nécessaire fluidité des entrées et sorties du réseau, afin que les opérateurs non performants cèdent plus facilement la place à de nouveaux entrants. Elle s'oppose à l'octroi de préavis de résiliation trop longs, puisque la perte de confiance entre les parties et la connaissance de l'échéance des relations conduit généralement à une démotivation du distributeur et à une chute des ventes préjudiciable aux intérêts des deux parties. De même, elle justifie l'absence d'obligation de motivation de la résiliation ou d'indemnisation de fin de contrat. La nécessité de réorganisation du réseau relève de la seule décision de la tête de réseau, la durée du préavis devant être réduite et le contrôle du juge limité à la fraude et à l'abus de droit, sans que son appréciation se substitue à celle du chef d'entreprise.

De la différence des conceptions à l'opposition des solutions.

La thèse du solidarisme contractuel a été rejetée de façon quasi systématique par la jurisprudence. La Cour de cassation a ainsi exigé que le défaut d'information précontractuelle résultant d'une inobservation formelle de la loi Doubin produise un effet sur le consentement du cocontractant pour entraîner la nullité du contrat . De plus, selon une jurisprudence constante, le contrat de concession à durée indéterminée peut être résilié librement, sans motivation ni indemnité, sous réserve que l'auteur de la résiliation respecte un préavis suffisant et ne commette aucun abus au moment de la rupture . De même, il a été jugé que le fournisseur qui respecte le préavis contractuel, propre à permettre au distributeur d'organiser sa reconversion, n'est pas tenu d'assister son distributeur dans cette dernière ni de lui verser une indemnité pour enrichissement sans cause à la suite de la rupture du contrat qui stipule une clause de non-concurrence postcontractuelle . Enfin, au cours des relations contractuelles, la jurisprudence privilégie généralement le fonctionnement efficient des réseaux :

- elle a mis fin à l'obligation de détermination du prix dans les contrats-cadres de distribution et autorisé le fournisseur à fixer le prix de vente à son réseau, sous réserve de l'abus de droit qu'elle interprète de façon restrictive  ; 

- elle a exclu la responsabilité du fournisseur eu égard aux différentiels de prix existant entre les différents États membres de l'Union européenne car elle considère que ceux-ci sont dus à de multiples facteurs dont les fournisseurs ne sont pas responsables . 

En retenant de manière générale que “si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et des obligations convenus entre les parties” , la jurisprudence prend clairement parti pour le respect du contrat et la sécurité juridique, contre la thèse du solidarisme contractuel.

Le droit de l'Union, après avoir paru influencé par les tenants de la protection de la partie faible dans le cadre de l'élaboration des règlements automobiles successifs, est revenu à une position de neutralité en soumettant la distribution automobile au régime général du règlement restrictions verticales.

La Commission a en effet constaté les effets pervers de la protection des distributeurs lors de l'évaluation des effets du règlement 1400/2002. Encore ne s'agissait-il que des effets d'un système incomplet de protection du distributeur qui prévoyait principalement une obligation de motivation des résiliations ordinaires, la liberté de cession des affaires au sein de chaque réseau et le droit de pratiquer le multimarquisme sur les lieux de vente, sans aller jusqu'à imposer une obligation générale d'indemnité de fin de contrat. Il est apparu que ces différentes mesures, qui ne trouvaient aucune justification économique, conduisaient en général à une réduction de la concurrence sur le marché. La motivation des résiliations avait pour but d'éviter qu'un distributeur ou un réparateur ne soit sanctionné par un fournisseur pour ses initiatives proconcurrentielles, par exemple en termes de prix. La Commission n'a, en pratique, constaté aucun cas d'utilisation d'une mesure de résiliation à des fins anticoncurrentielles. En revanche, l'obligation de motiver a conduit en pratique à la disparition des résiliations ordinaires qui a figé la structure des réseaux de distribution, en protégeant les distributeurs en place et en rendant plus difficile l'entrée de nouveaux opérateurs. La liberté de cession au sein du réseau avait pour objet de permettre les acquisitions transfrontalières et d'encourager le commerce entre États membres. De telles acquisitions n'ont quasiment jamais été réalisées. En revanche, la règle, mise en oeuvre au sein de chaque État membre, a encouragé la concentration des distributeurs au niveau local et régional, réduisant du même coup la concurrence entre distributeurs. Enfin, la Commission a constaté que l'imposition du multimarquisme était dépourvue de sens puisque les constructeurs, à l'époque où ils avaient la faculté d'imposer l'exclusivité de marque à leurs distributeurs, n'en faisaient pas usage lorsqu'elle n'était pas économiquement viable et autorisaient le multimarquisme dans les zones moins denses. En revanche, la crainte des fournisseurs de voir leurs distributeurs devenir multimarques, donc moins spécialisés et moins efficients dans la représentation de leur marque, corrélativement au risque de voir leurs investissements profiter à d'autres marques, les a incités à relever leurs standards de représentation et a entraîné une inflation des coûts de distribution. Finalement, aucune des mesures protectrices des distributeurs instituées par le règlement 1400/2002 n'a atteint son objectif et toutes ont été des facteurs d'inefficience et de réduction de la concurrence.

Cass. com., 14 janvier 2003, LawLex200300000687JBJ, Contrats Conc. Consom., 2003, n° 69, obs. LEVENEUR ; RJ com., 2004, 104, obs. LEBRETON-DERRIEN ; D., 2003, Somm. 2429, obs. FERRIER ; RTD civ., 2003, 498, obs. MESTRE et FAGÈS.

Il est désormais acquis que l'auteur de la rupture d'un contrat dans le respect du préavis qui s'imposait à lui n'a pas à fournir les motifs de la résiliation ou du non-renouvellement, l'indication de motifs inexacts ou fallacieux n'engageant pas sa responsabilité en l'absence d'obligation de motiver : Cass. com., 25 avril 2001, D., 2001, 3237, obs. MAZEAUD ; Contrats Conc. Consom., 2001, n° 223, obs. LEVENEUR.

Cass. com., 23 octobre 2012, D., 2012, 2862, obs. DISSAUX.

Cass. Ass. plén., 1er décembre 1995, LawLex200200004345JBJ, D., 1996, 13, concl. JÉOL et obs. AYNÈS ; JCP E, 1996, II, 776, obs. LEVENEUR ; JCP G, 1996, II, 22565, concl. JÉOL et obs. GHESTIN.

Cass. com., 20 février 2007, LawLex200700000227JBJ.

Cass. 3e civ., 26 mars 2013, Contats Conc. Consom., 2013, n° 128, obs. LEVENEUR ; Cass. com., 10 juillet 2007, Contrats Conc. Consom., 2007, n° 294, obs. LEVENEUR ; Cass. 3e civ., 9 décembre 2009, D., 2010, 476, obs. BILLEMONT.

La position des autorités de contrôle.

L'arrivée à échéance du règlement automobile a suscité un intense lobbying des distributeurs pour que soient reconduites les règles protectrices qu'il contenait. La Commission a néanmoins tranché en faveur d'un retour aux règles générales. Les distributeurs automobiles réclament aujourd'hui l'adoption d'un statut protecteur propre qui serait, selon eux, nécessaire et justifié, pour tenir compte des investissements effectués et de leur état de dépendance à l'égard des marques et assurer une meilleure sauvegarde de l'emploi. Le lobby des distributeurs tente ainsi de faire adopter par le législateur français une série de mesures reprenant les dispositions de l'ancien règlement automobile, voire allant au-delà, telles qu'une indemnité de fin de contrat ou l'obligation pour les marques de justifier les investissements demandés.

A l'appui de leurs demandes, les représentants des distributeurs font valoir que l'adoption d'un statut protecteur va dans le sens d'une harmonisation des systèmes juridiques, de nature à favoriser l'émergence d'un marché unique. En réalité, une minorité d'États membres accordent aux concessionnaires un statut protecteur, en leur appliquant le régime des agents commerciaux . La plupart de ces pays soumettent le bénéfice de l'indemnité à de multiples conditions et plafonnent son montant à la moitié de celle octroyée aux agents par le droit français. En l'absence de tendance majoritaire au sein des États membres, l'argument de l'harmonisation apparaît peu fondé.

Parmi de nombreuses autres mesures, les distributeurs automobiles réclament notamment l'obligation de recourir à un arbitre ou à un tiers expert. Or, ce recours facultatif est déjà prévu par le Code de bonne conduite adopté par l'ACEA  et la JAMA . Il semble donc inutile d'instaurer une obligation légale, la question relevant plutôt de l'autonomie de la volonté des parties ; il revient aux constructeurs et aux groupements de concessionnaires d'évaluer l'opportunité de recourir à ces procédures, qui sont couramment employées lorsqu'elles sont utiles, notamment pour fixer les objectifs. L'obligation de justifier des investissements demandés par les marques témoigne d'une défiance vis-à-vis du fournisseur et ne paraît pas plus justifiée ; il appartient à la tête de réseau, propriétaire de la marque et gardienne de son image, de décider des mesures propres à défendre son identité pour le plus grand bénéfice des concessionnaires qui sont ainsi protégés de la concurrence des revendeurs hors réseau.

Les distributeurs réclament en réalité un encadrement total de la fin des contrats de concession : durées minimales de préavis, obligation de motivation de la résiliation, indemnisation de fin de contrat. Or, ils bénéficient déjà d'une protection en cas de résiliation de leur contrat. L'article L. 442-1, II du Code de commerce impose en effet le respect d'un délai raisonnable de préavis en cas de rupture d'un contrat de distribution, auquel il ne peut être dérogé qu'à la condition que l'auteur de la rupture prouve une faute de son cocontractant. En outre, le Code de bonne conduite de l'ACEA et de la JAMA prévoit un engagement des constructeurs et importateurs automobiles de faire bénéficier leurs partenaires d'un préavis minimum de deux ans. Accepter ces demandes des distributeurs reviendrait à renoncer aux solutions nuancées du droit positif, qui visent à préserver un juste équilibre entre la protection des parties et l'interdiction des contrats perpétuels. Lorsqu'une indemnisation de fin de contrat est prévue, comme pour le contrat d'agent, le préavis est court : un préavis long ne se justifie qu'en l'absence d'indemnisation de fin de contrat. La rupture d'un contrat n'a jamais à être motivée. L'institution d'un cumul de protections rendrait très difficile, sinon impossible, toute rupture du contrat de distribution et irait à l'encontre d'un principe consacré par le Conseil constitutionnel, selon lequel “ si le contrat est la loi commune des parties, la liberté qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 justifie qu'un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement ” .

D'un point de vue économique, un tel encadrement susciterait de nombreux effets pervers. Les durées minimales de préavis s'opposent à la fluidité du marché et dressent autant de barrières à l'entrée. Instaurer une obligation de motivation de la résiliation, alors qu'il existe déjà des durées minimales de préavis, risque de figer encore un peu plus les relations commerciales, alors qu'en pratique le concessionnaire a tendance à moins vendre durant le préavis, ce qui représente un coût important pour la tête de réseau. A cela s'ajoute qu'apporter la preuve du motif de résiliation s'avère souvent très difficile dans les faits. Enfin, l'obligation de motivation entraînerait nécessairement la hausse du prix des affaires et pérenniserait les situations acquises aux dépens des nouveaux entrants et des consommateurs. 

À ces arguments, les concessionnaires opposent généralement le fait qu'ils réalisent des investissements et que les constructeurs peuvent bénéficier d'informations sur leur clientèle. Cependant, toute entreprise effectue des investissements pour conduire ses affaires, sans pour autant se voir octroyer un droit acquis à la poursuite des relations avec ses partenaires, clients et fournisseurs. Un avantage exorbitant du droit commun ne se justifie pas dans le cas des distributeurs automobiles. Les concessionnaires réalisent leurs investissements en contrepartie des droits de distribution et de la protection contre la concurrence des revendeurs hors réseau qui leur sont accordés. Ces investissements peuvent généralement être réutilisés en cas de changement de marque alors que les données clients sont le plus souvent fournies par les constructeurs qui les achètent à l'organisme de gestion des immatriculations automobiles, 3A.

Les distributeurs, qui sont libres de céder leurs affaires, revendiquent aujourd'hui le droit de céder aussi leurs contrats. Un tel droit n'existe pas en France, pour des raisons évidentes. Toute entreprise a le droit de choisir librement son partenaire commercial, conformément à ses intérêts. Réciproquement, elle ne peut se voir imposer d'entrer en relation avec quiconque. A fortiori, il a toujours été admis que le fournisseur pouvait agréer son distributeur dans le cadre d'une relation commerciale fondée sur la confiance personnelle du fournisseur envers le distributeur. Permettre au distributeur de céder son affaire en imposant un repreneur non agréé au fournisseur serait contraire tant aux règles juridiques applicables qu'au bon fonctionnement du réseau, qui requiert une totale confiance du fournisseur envers son distributeur.

Dans son rapport d'évaluation, la Commission a elle-même constaté les effets pernicieux qu'avait entraînés la liberté de cession dans le cadre du règlement 1400/2002 en renforçant la concentration de la distribution et en réduisant la concurrence intramarque, le contrôle des concentrations demeurant sans effet puisque les rachats de concession réalisant moins de 15 millions d'euro échappent à son empire. Au demeurant, même lorsque l'opération est soumise à contrôle, l'affaiblissement de la concurrence intramarque qui résulte du rachat de petits concessionnaires ne suffirait pas à faire interdire la concentration. 

Du point de vue de l'intérêt public et de l'efficience des réseaux, l'instauration d'un statut des concessionnaires automobiles n'apparaît donc ni nécessaire ni souhaitable. 

ACEA : European Automobile Manufacturers Association.

JAMA : Japan Automobile Manufacturers Association.

Décision Cons. constit. n° 99-419 du 9 novembre 1999, Recueil, 116 ; JORF du 16 novembre 1999, 16 962. V. plus généralement, sur la consécration de la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle, GHESTIN, obs. sous Cons. constit., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC, JO, 16 juin 2013, 9976 ; JCP G, 2013, 1614.

Nouvelles tentatives après la soumission du secteur de l'automobile au droit commun de la distribution.

Pour une présentation des thèses en présence, V. GIROUDET-DEMAY, Les règles de la distribution automobile, un débat mi-clos, Jur. auto., octobre 2013, 13 ; BOURGEON, La distribution automobile entre deux droits, Jur. auto., octobre 2013, 20 ; J. VOGEL, Par les mérites, la qualité, les prix et l'intérêt du consommateur, Jur. auto., octobre 2013, 16.

Droit français de la distribution

12. Les termes du débat.

13. Critique du solidarisme contractuel.

14. De la différence des conceptions à l'opposition des solutions.

15. La position des autorités de contrôle.

16. Nouvelles tentatives après la soumission du secteur de l'automobile au droit commun de la distribution.