Le droit européen et français applicable aux réseaux de distribution.
Le Droit de la distribution, deuxième tome du Traité de droit économique, expose, dans une perspective comparative, l’ensemble des règles européennes et françaises : approvisionnement et fourniture exclusifs, distribution exclusive, distribution sélective, distribution automobile.

Droit français de la distribution

Pourquoi encore consacrer des développements particuliers au droit de la distribution automobile alors que la matière relève désormais en principe du droit commun de la concurrence ? Il est certain que la matière obéissait à un régime très spécifique tant qu'un règlement d'exemption visant le secteur de l'automobile était en vigueur . Tous les règlements automobiles soumettaient l'exemption des contrats de distribution à des conditions très particulières et la quasi-totalité des opérateurs respectaient ces contraintes afin de bénéficier de la sécurité juridique conférée par l'exemption par catégorie. En pratique, les règlements déterminaient le contenu des contrats de sorte que la distribution automobile présentait d'indéniables spécificités sur le plan juridique . Cependant, les contrats automobiles relèvent maintenant du règlement général. Les accords de fourniture, de services, de réparation et d'entretien, et de distribution de pièces de rechange doivent désormais remplir cumulativement les conditions d'exemption du règlement 2022/720 relatif aux restrictions verticales et celles, plus particulières, du règlement 461/2010 concernant les activités d'après-vente. La vente ou la revente de véhicules neufs est demeurée soumise au règlement 1400/2002 jusqu'au 1er juin 2013, date à laquelle cette activité a basculé dans le champ d'application du règlement 330/2010, puis de l'actuel règlement 2022/720. Les conditions du règlement 1400/2002, qui contribuaient à la spécificité des contrats de distribution automobile, telles que la durée des accords, les délais de préavis, la motivation de la résiliation, la libre cession intra-réseau, le droit de recourir à un arbitre ou un expert indépendant en cas de litige, ne s'imposent donc plus pour bénéficier de l'exemption par catégorie. 

Est-ce à dire qu'il suffit aujourd'hui en matière de distribution automobile de se référer aux règles générales sur les restrictions verticales et de se reporter aux ouvrages ou commentaires relatifs à la distribution exclusive ou à la distribution sélective pour être fixé sur le régime applicable à cette forme de distribution ? Rien n'est moins sûr et l'utilité d'une analyse spécifique de la jurisprudence applicable à la distribution automobile demeure pour plusieurs raisons. 

Tout d'abord, des contrats qui font toujours l'objet de contentieux devant les tribunaux ont été conclus sous l'empire du règlement 1400/2002. Dans certains cas, ils relèvent même de règlements automobiles antérieurs, la jurisprudence passée conservant toute sa valeur. Ensuite, les contrats actuellement en vigueur, même conclus depuis le 1er juin 2013, reprennent assez largement tout ou partie des anciennes conditions d'exemption. Certains réseaux n'ont pas modifié leurs contrats : le règlement 1400/2002 étant plus sévère que le règlement général, ces contrats sont parfaitement conformes au règlement d'exemption par catégorie. D'autres contrats ont été renégociés ou remplacés après résiliation par de nouveaux contrats, mais ceux-ci n'utilisent pas nécessairement toutes les facultés offertes par le règlement général en termes d'organisation des réseaux. De nombreux réseaux ont conservé pour la vente de véhicules neufs le système de la distribution sélective quantitative que favorisait le règlement 1400/2002. Par ailleurs, la plupart des marques appliquent le Code de conduite de l'ACEA  ou de la JAMA , qui consacre une durée de préavis de deux ans en cas de résiliation ordinaire ainsi qu'une faculté de recours à un tiers-expert.

Enfin, certaines questions de droit de la concurrence ou de droit des contrats se posent de manière plus aigüe et plus fréquente en droit de la distribution automobile que dans d'autres secteurs. En pratique, tant du côté des distributeurs que des fournisseurs, le droit de la distribution automobile est suivi par des avocats spécialisés en cette matière dans la plupart des pays européens et la matière continue de faire l'objet de conférences  et de publications dédiées . Pour l'ensemble de ces raisons, il nous a paru justifié de consacrer un ouvrage particulier au droit de la distribution automobile. 

La distribution automobile semble constituer en Europe un secteur mature. Certaines marques n'hésitent désormais pas à privilégier l'Asie en se retirant même purement et simplement de la distribution en Europe. L'âge moyen des acheteurs automobiles augmente et un grand nombre de consommateurs se passent de véhicule automobile, notamment à Paris  ou recourent au marché de la location, voire de l'occasion. Les contentieux entre fournisseurs et distributeurs sont en nette diminution, la concentration des distributeurs les protégeant de facto contre le risque de résiliation. La distribution automobile et son droit sont-ils  condamnés à disparaître ? La réponse n'est pas évidente car en même temps, on constate que la distribution automobile se renouvelle. De nouveaux modèles voient le jour tous les ans, de nouvelles technologies se développent qui vont du véhicule électrique à la voiture sans conducteur, soulevant des questions juridiques nouvelles. Certaines marques tentent la vente par internet sans réseau physique ou remplacent leur contrat de distribution par des contrats d'agence. Le droit de la distribution automobile continue donc plus que jamais de susciter un besoin d'analyse spécifique que les présents développements ont vocation à satisfaire.

Règlements 123/85, 1475/95 et 1400/2002.

L. et J. VOGEL, Droit de la distribution automobile, Dalloz, 1996 ; Droit de la distribution automobile, LawLex, 2004 ; Droit de la distribution automobile II, LawLex, 2006.

ACEA : European Automobile Manufacturers Association.

JAMA : Japan Automobile Manufacturers Association.

Cf. la conférence IBC consacrée au droit de la distribution automobile qui réunit tous les ans les spécialistes de la matière à Bruxelles.

V. par ex., WEGNER et OBERHAMMER, The Application of Competition Law to the Automotive Industry, JECLAP, 2015, 669.

FAINSILBER, Concessionnaire automobile dans Paris, profession en péril, Les Echos, 7 décembre 2015, 16.

Le droit de la distribution automobile conserve-t-il une spécificité ?

La loi Macron du 6 août 2015  a inséré un titre IV au sein du livre III du Code de commerce, intitulé “Des réseaux de distribution commerciale”. Le dispositif a pour objet d'aligner la durée de l'ensemble des contrats conclus par les parties et révise le régime des clauses de non-concurrence post-contractuelles. 

Le nouvel article L. 341-1 du Code de commerce dispose que “L'ensemble des contrats conclus entre, d'une part, une personne physique ou une personne morale de droit privé regroupant des commerçants, autre que celles mentionnées aux chapitres V et VI du titre II du livre Ier du présent code , ou mettant à disposition les services mentionnés au premier alinéa de l'article L. 330-3 et, d'autre part, toute personne exploitant, pour son compte ou pour le compte d'un tiers, un magasin de commerce de détail, ayant pour but commun l'exploitation de ce magasin et comportant des clauses susceptibles de limiter la liberté d'exercice par cet exploitant de son activité commerciale prévoient une échéance commune”. Le texte assortit l'harmonisation de la durée des différents contrats d'une indivisibilité légale : la résiliation d'un accord entraîne celle de l'ensemble des contrats conclus. 

Par ailleurs, l'article L. 341-2 pose le principe selon lequel “toute clause ayant pour effet, après l'échéance ou la résiliation d'un des contrats mentionnés à l'article L. 341-1, de restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant qui a précédemment souscrit ce contrat est réputée non écrite”, mais prévoit une dérogation en faveur des clauses qui remplissent quatre conditions cumulatives, inspirées du règlement 330/2010, aujourd'hui remplacé par le règlement 2022/720. Pour bénéficier de l'exception, elles doivent concerner des biens et services en concurrence avec ceux qui font l'objet du contrat ; être limitées aux terrains et locaux à partir desquels l'exploitant exerce son activité pendant la durée du contrat ; être indispensables à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat ; être d'une durée n'excédant pas un an après l'échéance ou la résiliation d'un des contrats mentionnés à l'article L. 341-1. 

La rédaction défectueuse de ces textes soulève de nombreuses questions d'interprétation, notamment celle de leur applicabilité à la distribution automobile. L'amendement à l'origine de ce nouveau titre  visait à régler les difficultés révélées par l'avis 10-A-26 de l'Autorité de la concurrence relatif aux contrats d'affiliation de magasins indépendants dans le secteur de la distribution alimentaire  et à “renforcer la concurrence dans le secteur de la grande distribution en facilitant les changements d'enseignes” . Le texte finalement adopté ne limite plus son champ d'application au commerce alimentaire. L'applicabilité des articles L. 341-1 et L. 342-2 à la distribution automobile demeure néanmoins douteuse . En effet, les contrats visés par ces textes doivent comporter “des clauses susceptibles de limiter la liberté d'exercice par [l']exploitant de son activité commerciale”. Or, les contrats de distribution automobile sont très majoritairement des contrats de distribution sélective purement qualitative ou mêlant sélection qualitative et quantitative et ne comportent pas d'autre restriction à l'activité du distributeur que l'interdiction de la revente à des tiers non agréés, qui leur est inhérente ; en particulier, ils ne contiennent pas de clause d'exclusivité .

Si le juge devait néanmoins retenir l'applicabilité de ces articles à la distribution automobile, quelles seraient les incidences des nouvelles dispositions sur les contrats en cours ? La condition d'échéance commune suppose-t-elle nécessairement de conclure des contrats à durée déterminée ? Le Conseil constitutionnel ne semble pas le penser  puisqu'il a déclaré les dispositions en cause conformes à la Constitution dès lors “qu'elles laissent les parties contractantes libres de fixer la durée et l'échéance commune de l'ensemble des contrats qui les lient et de prévoir leur tacite reconduction”. Rien ne semble donc s'opposer à la conclusion de contrats à durée indéterminée . Le principe de l'indivisibilité des contrats représente indéniablement une source de complications et d'incertitudes. Dans le cadre d'un réseau comportant plusieurs activités, comme la vente et l'après-vente, faut-il, lorsqu'on réorganise l'une d'elles, résilier l'ensemble du réseau ? La résiliation d'un contrat pour faute justifie-t-elle la rupture de l'ensemble des contrats entre les parties alors même que l'exécution des contrats ne suscite aucun motif d'insatisfaction ? Le législateur a étendu, dans l'article L. 341-2, le régime des clauses de non-concurrence post-contractuelles à l'ensemble des clauses “ayant pour effet, après l'échéance ou la résiliation d'un des contrats mentionnés à l'article L. 341-1, de restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant”. Les clauses de préemption et de préférence, stigmatisées par l'avis 10-A-26, semblent directement concernées. Qu'en est-il des clauses de confidentialité ou de non-sollicitation ? L'imprécision est d'autant plus regrettable que la dérogation prévue au II ne sera pas applicable aux contrats de distribution automobile, qui, dans la plupart des cas, ne transfèrent pas de savoir-faire spécifique à protéger.

Enfin, la question de la conformité des articles L. 341-1 et L. 341-2 au droit de la concurrence de l'Union se pose. Actuellement, la quasi-totalité des accords verticaux sont conformes au droit européen de la concurrence et, s'ils ne le sont pas, sont couverts en deçà de 30 % de part de marché par le règlement restrictions verticales ou peuvent bénéficier d'une exemption individuelle. La loi Macron, qui se donne pour objectif de renforcer la concurrence dans le secteur de la distribution , peut-elle, sans violer le principe de primauté du droit de l'Union, ajouter des conditions à celles que pose le règlement restrictions verticales ?

L. 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, JO du 7 août 2015, 13537.

Le texte vise ici les magasins collectifs de commerçants indépendants et les sociétés de caution mutuelle. Il exclut également le contrat de bail dont la durée est régie par l'article L. 145-4 du Code de commerce, le contrat d'association et le contrat de société civile, commerciale ou coopérative.

 Amendement n° 1681 présenté par M. Brottes

Avis Aut. conc. n° 10-A-26 du 7 décembre 2010, LawLex202400000009JBL.

Exposé des motifs de l'amendement n° 1681.

V. en sens contraire, SÉLINSKY, Loi Macron : Les changements affectant le droit matériel de la concurrence dans le domaine de la distribution, consultable sur blog.selinsky-avocats.com

Dans le même sens, V. CABINET SIMON et associés, Lettre des réseaux, n° spécial Loi Macron, Volet relatif aux relations contractuelles entre les réseaux de distribution et les commerces de détail, 13.

Décision Cons. constit. n° 2015-715 DC du 5 août 2015.

Dans le même sens, CABINET SIMON et associés, Lettre des réseaux, n° spécial Loi Macron, Volet relatif aux relations contractuelles entre les réseaux de distribution et les commerces de détail, 15 ; GRALL, LAMY, BUSSONNIERE, Loi Macron : extension des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence, encadrement des réseaux de distribution et ajustement de la loi Hamon en matière de négociation commerciale, Flash concurrence n° 4, sept. 2015.

V. exposé des motifs de l'amendement n° 1681, ci-dessus, ainsi que les observations du Gouvernement présentées au Conseil constitutionnel, selon lesquelles “le législateur poursuit un but d'intérêt général en favorisant l'ordre public économique concurrentiel”.

Applicabilité des articles L. 341-1 et L. 341-2 du Code de commerce à la distribution automobile ?

BUY, Loi "Macron" : focus sur les clauses restrictives d'après-contrat, D. 2015, 1902 ; FERRIER, Les réseaux de distribution commerciale, in Dossier "Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron", JCP G, 26 octobre 2015, (Supplément), 9 ; JAZOTTES, Réforme de la distribution et de la concurrence, RJ com. 2015, 673 ; MAINGUY, Premières vues sur le "droit français nouveau des réseaux de distribution commerciale", JCP E, 2015, n° 1579 ; MALAURIE-VIGNAL, Les apports de la loi Macron en droit de la distribution, Contrats Conc. Consom. 2015, n° 256 ; MARTIN, Loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (dite Macron) : quelles contraintes pour les professionnels du commerce ?,  LD septembre 2015, 1 ; PLANKENSTEINER et CREQUER, Les relations commerciales après la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, LPA 4 novembre 2015, 4 ; L. VOGEL, Le droit de la concurrence et de la distribution après la loi Macron (Entretien), AJCA 2015, 392 ; L. et J. VOGEL, Loi Macron : un nouveau régime des contrats de distribution inutile, coûteux et inadapté, AJCA 2015, 512 ; DJAVADI et FOURGOUX, L'encadrement des réseaux de distribution : Les questions soulevées par l'article L. 341-1 de la loi Macron, Concurrences 1/2016, 16 ; TITONE et PIHERY, L'introduction d'un droit des "réseaux de distribution commerciale" par la loi Macron, RLC 2016, n° 2887.

Droit français de la distribution

234. Le droit de la distribution automobile conserve-t-il une spécificité ?

235. Applicabilité des articles L. 341-1 et L. 341-2 du Code de commerce à la distribution automobile ?