Conseil Conc., 14 novembre 1989, n° 89-D-37
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine émanant de la SARL Publi-Cazal contre la SA société de presse de la Réunion et la SARL éditions et presse de la Réunion
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré en section, sur le rapport oral de Mme Galenen, dans sa séance du 14 novembre 1989, où siégeaient : M. Pineau, vice-président, présidant; MM. Azema, Cortesse, Gaillard, Sargos, Urbain.
LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la lettre enregistrée le 28 novembre 1988 sous le numéro F 204 (C 246) par laquelle la SARL Publi-Cazal a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre à son encontre par les sociétés Société de Presse de Réunion (SPR) et Editions et Presse de la Réunion (EPR); Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application; Vu les observations du commissaire du Gouvernement; Vu les autres pièces du dossier; Vu les observations du commissaire du Gouvernement; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant de la SARL Publi-Cazal entendus, retient les constatations (I) et adopte la décicion (II) ci-après exposées:
I. - Les constatations
La société Publi-Cazal, agence de la publicité située à Saint-Denis-De-La-Réunion et filiale à 98,7 p. 100 de la SA Cazal, éditrice du quotidien le Journal de l'Ile, reproche aux deux sociétés de presse SPR et EPR situées dans cette même ville et éditrice respectivement du Quotidien et de l'hebdomadaire Visu de s'être concertées pour, d'abord, pratiquer à son égard des conditions discriminatoires de vente d'espaces publicitaires et, ensuite, lui refuser des ordres d'insertion publicitaire.
La SA SPR et la SARL EPR constituent un groupe, le capital de celui-ci étant détenu en totalité par la SA SPR et ses actionnaires et le président du conseil d'administration de SPR étant également gérant de EPR
Sur le marché de la diffusion des annonces publicitaires dans la presse écrite de l'île de la Réunion, le groupe des sociétés SPR et EPR occupe la première place avec 53,41 p. 100 du marché grâce à ses deux publications. Si l'on considère la position de chaque société sur leur marché spécifique, SPR détient 49 p. 100 du marché du quotidien et EPR 68 p. 100 de celui de l'hebdomadaire.
La part du chiffre d'affaires réalisée par Publi-Cazal avec les deux sociétés de presse a représenté respectivement 5,50 p. 100 et 4,48 p 100 de son chiffre d'affaires total pour les années 1986 et 1987. Pour l'année 1988, son chiffre d'affaires a progressé de 15 p. 100 malgré la rupture de ses relations commerciales avec les deux sociétés de presse.
A la suite de relations conflictuelles nées de longue date entre le groupe de presse et son concurrent immédiat la SA Cazal, les sociétés SPR et EPR, par courriers respectifs des 1er et 7 septembre 1987, informent Publi-Cazal, sans invoquer aucun motif, qu'elle ne sera plus commissionnée sur les ordres de publicité à paraître après le 30 septembre 1987. Par courriers des 15 et 21 octobre 1987, elles annoncent leur décision de retirer définitivement la commercialisation de leurs supports à Publi-Cazal à compter du 1er novembre 1987 et lui enjoignent de régler par paiement au comptant les ordres de publicité à paraître jusqu'à cette date. Le 1er novembre, la société EPR refuse d'insérer quatre ordres de publicité émanant le Publi-Cazal.
Selon l'auteur de la saisine, ces pratiques discriminatoires et ce refus de vente seraient la manifestation d'une entente illicite entre les sociétés SPR et EPR et tomberaient sous le coup des dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
II. - A la lumière des constatations qui précèdent, le Conseil de la concurrence
Considérant que, si aux termes d'un arrêté du 3 octobre 1983 de la chambre criminelle de la Cour de cassation, "les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 en ce qu'elle pose le principe de la liberté de la presse et celui de la responsabilité pénale du directeur de la publication d'un journal ou écrit périodique, quelle que soit la nature de l'article publié, ont pour effet de légitimer, au regard de l'article 37 (1°, a) de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 un refus d'insertion même non motivé", il ne s'ensuit pas que les entreprises de presse échappent à la prohibition visant les actions définies par l'article 50 de l'ordonnance précitée et par le titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986, lorsque ces actions tendent à entraver le libre jeu de la concurrence;
Mais considérant, d'une part, que les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne s'appliquent pas au groupe de sociétés dont l'une ne possède pas d'autonomie commerciale par rapport à l'autre; que ces circonstances sont réunies en l'espèce, leur dirigeant commun ayant au surplus déclaré avoir pris pour le compte des deux sociétés les décisions contestées par le requérante;
Considérant, d'autre part, que sur le vu des pourcentages de chiffres d'affaires réalisés par Publi-Cazal avec SPR et EPR, il ne peut être retenu une situation de dépendance économique de celle-là à l'égard de celles-ci;
Considérant que, pour déterminer l'existence d'une position dominante sur un marché, il y a lieu d'examiner notamment la part de marché détenue par les entreprises considérées et celle de leurs différents concurrents; qu'en l'espèce, le groupe des sociétés SPR et EPR occupe 53 p. 100 du marché de la diffusion des annonces publicitaires dans la presse écrite de l'île de la Réunion; que la part de leur concurrent immédiat atteint un montant nettement moindre, avec 28 p. 100 ; que le groupe détient également 68 p. 100 du marché des annonces publicitaires diffusées dans les hebdomadaires; qu'il est ainsi établi que le groupe détient une position dominante sur les marchés susvisés;
Considérant que, si l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe l'exploitation abusive d'une position dominante entravant la libre jeu de la concurrence sur un marché, les pratiques dénoncées, alors même qu'elles pourraient relever du titre IV de ladite ordonnance, n'ont pas eu pour objet ni pour effet d'affecter le jeu de la concurrence sur les différents marchés où interviennent les parties; qu'elles n'ont pas réduit le choix des annonceurs qui peuvent s'adresser soit directement aux supports visés, soit aux nombreuses agences de publicité présentes sur l'île de la Réunion, ni renforcé la position dominante des deux sociétés de presse; qu'en l'espèce, les conditions d'application de l'article 8 précité ne sont pas réunies;
Décide :
Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.