CA Paris, 3e ch. C, 21 décembre 2001, n° 1999-20080
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Automobile Melun Senard (SARL)
Défendeur :
Toyota France (SA), Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Albertini
Conseillers :
Mme Le Jan, M. Bouche
Avoués :
Me. Bettinger, SCP Regnier-Bequet, SCP Lecharny Calarn
Avocats :
Mes Francois, Joubert, Boudou
Saisi sur décision d'incompétence du Tribunal de commerce de Melun, le Tribunal de commerce de Paris, par jugement du 7 juin 1999, a débouté la société SAMS de ses assignations en responsabilité délivrées les 21 et 22 novembre 1996 à l'encontre de la société Toyota France, l'a condamnée à payer à cette société la somme de 8 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a donné acte au Crédit Agricole de la Brie de ce qu' aucune demande n'est formée à son encontre.
La société à responsabilité Limitée Automobile Melun Senard -dite SAMS - a relevé appel de ce jugement; elle conclut le 26 septembre 2001 à son infirmation et à la condamnation de la société Toyota France à lui payer la somme totale de 8 091 952 F à titre de dommages et intérêts, ainsi que les sommes de 20 000 F et de 25 000 F au titre de ses frais irrépétibles exposés respectivement en première instance et devant la cour.
La société anonyme Toyota France conclut le 22 octobre 2001 à la confirmation de la décisîon entreprise, en labsence de faute de sa part dans lexercice de son droit de résiliation et pendant de la période de préavis de fin de contrat, et en labsence de preuve du préjudice allégué par son concessionnaire; elle demande la condamnation de celui-ci à lui payer 20 000 F au titre de larticle 700 du nouveau Code de procédure civile.
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Brie qui s'était portée caution des engagements de la société SAMS, conclut devant la cour le 27 mars 2.000 à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'aucune demande na été formulée à son encontre ; elle réclame la condamnation de la société appelante à lui verser 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Considérant que, suivant acte sous-seing-privé du 17 décembre 1991, la société Toyota France, ayant son siège à Vaucresson, a conclu avec la société SAMS un contrat de concession exclusive à durée indéterminée pour lexploitation dun commerce de vente et daprès-vente de voitures de sa marque à Dammarye-Les-Lys (Seine et Marne);
Que l'article 111-3-1 de ce contrat prévoit la possibilité pour chaque partie cocontractante de le résilier unilatéralement sans avoir â fournir de motif, mais en respectant un préavis dune année;
Considérant que, par lettre recommandée du 29 juin 1995, Bertrand Geze, chef de réseau de la société Toyota, a notifié à Jacqueline Eliez, gérante de la société SAMS, sa décision de se prévaloir de l'article sus-visé, précisant que le contrat se terminera après exécution du préavis dun an;
Que, par lettre recommandée du 8 janvier 1996, Bertrand Geze a confirmé que le contrat prendra fin le 30 juin 1996;
Considérant que, dans ses assignations de novembre 1996, la société SAMS a déclaré avoir été victime dun comportement dolosif du concédant, puisqu'à ses yeux la lettre du 29 juin 1995 n'était qu'une "formalité" destinée à la mise en conformité d'un nouveau contrat aux normes européennes, que des investissements encouragés par la société Toyota pendant la dernière année ont été réalisés et que cette société n'a eu d'autre objectif que de motiver le concessionnaire jusqu'au dernier moment et de l'empêcher de rechercher une autre marque;
Que devant la cour, la société appelante, qui ne conteste pas le respect formel du contrat dans la mise en œuvre de la résiliation par le concédant, reprend les mêmes moyens tirés de son comportement déloyal pendant l'année de préavis;
Or considérant que, sans avoir à justifier de l'opportunité ou du bien-fondé de sa décision de mettre fin aux relations contractuelles, la société Toyota entend cependant expliquer sa décision de résiliation en versant aux débats un courrier recommandé qu'elle a adressé à son concessionnaire le 16 mars 1995, trois mois avant la dénonciation du contrat, pour lui signaler ses retards dans les objectifs de vente, malgré les efforts publicitaires et de réajustement des prix réalisés au plan national pour valoriser la marque, et pour interroger dès lors Jacqueline Eliez sur la mise en place d'un plan d'action efficace et cohérent ;
Considérant qu'une fois adressée fin juin 1995 la dénonciation personnalisée du contrat, dénonciation dénuée d'équivoque à défaut d'allusion à une mise en conformité des contrats Toyota aux normes européennes, et même si des salariés de la société SAMS, dont l'objectivité est contestée, attestent que Bertrand Geze a rassuré Jacqueline Eliez sur le caractère "purement formel" de cette résiliation, il appartient à la société que gère cette dernière de prouver que la société Toyota l'a entretenue par son comportement dans l'illusion d'un renouvellement de la concession et qu'elle l'a notamment encouragée à. faire des investissements coûteux ;
Or considérant que, s'agissant du reproche de déloyauté dans le comportement de la société Toyota, Jacqueline Eliez fait valoir qu'en réponse à cette dénonciation, et en usant de la même forme de lettre recommandée, elle lui a transmis le 11 juillet 1995 ses projets pour le second semestre et l'a expressément interrogée en ces termes :
" s'agit-il d'une résiliation de contrat comme indiqué dans votre lettre, ou bien d'une résiliation dans le cadre du contrat en cours en vue d'un nouveau contrat sous les normes européennes ?... Vous concevez aisément que c'est en fonction des réponses à toutes ces questions que j'engagerai le montant des investissements nécessaires à l'expansion de la concession, dans laquelle je reste toujours prête à m'impliquer " ;
Que la société Toyota a réagi le 21 juillet 1995 par l'annonce de rendez-vous tarit à Dammarie-Les-Lys qu'à Vaucresson, rendez-vous qui ont eu lieu, mais d'où aucun compte-rendu écrit n'a filtré ;
Mais considérant qu'après l'envoi le 26 décembre 1995 à la société SAMS, comme à chacun des concessionnaires du réseau français, d'une lettre-circulaire manuscrite du président du directoire de la société Toyota portant sur ses ambitions et performances en 1996, sur la préparation d'un texte contractuel conforme aux directives européennes et sur les voeux traditionnels de fin d'année, la société SAMS a reçu de Bertrand Geze par lettre recommandée du 8 janvier 1996 un rappel toujours dénué d'équivoque de la date du 30 juin suivant retenue pour fin de la concession ;
Que le 28 juin 1996, deux jours avant le terme du contrat; la société SAMS a adressé à son concédant une correspondance qui prend acte de l'expiration du contrat et qui sollicite l'établissement d'un compte liquidatif; qu'aucune surprise ou incompréhension n'y est exprimée, ni aucune demande d'un nouveau contrat aux normes européennes dont le texte était définitivement adopté par la société Toyota depuis le mois de mai 1996;
Considérant en conséquence que l'appelante, parfaitement au courant du processus de la résiliation, ne prouve pas que la société Toyota a adopté un comportement déloyal pendant l'année de préavis ; que cette société justifie seulement d'envois de courriers, de mailing et de matériaux publicitaires â la société SAMS, sans esprit de discrimination par rapport aux autres membres du réseau ;
Considérant que, s'agissant des investissements que la société Toyota aurait encouragés pendant cette année et qu'elle n'a pu rentabiliser, la société SAMS verse aux débats un décompte et des justifications de travaux réalisés dans sa concession; qu'ainsi 219 432 F auraient été dépensés par le concessionnaire sur demande du concédant et 329 980 F l'auraient été dans la perspective de représenter la marque au-delà du 30 juin 1996;
Que la société Toyota se livre à une critique de chacun des postes de dépenses allégués ;
Or considérant que les travaux d'amélioration de l'éclairage et de mise aux normes des installations électriques, qui, selon factures, ont atteint 21 870,81 F et 11 000 F, sont sans lien démontrés avec le contrat de concession et, de montants relativement modestes, ont conservé leur utilité pour les structures et pour le fonds de commerce bien après la fin de la concession Toyota;
Que les travaux d'aménagement, d'un montant de 41 861,48 F, (facture Leroy-Merlin, carrelage du hall d'exposition,) demeurent d'un montant modeste au regard du chiffre d'affaires de 11 978 229 F, ne sont pas spécifiques à la marque Toyota, à défaut de preuve contraire, n'ont pas été réclamés par la société concédante et, en toute hypothèse, ont valorisé le fonds que la société SAMS a continué à exploiter après la résiliation litigieuse avec les nouvelles enseignes Suzuki et Subaru;
Considérant que la mise en conformité de l'identification Toyota a certes été faite pendant l'année du préavis ; que cependant la société Toyota prouve par des courriers de rappel à l'ordre des 20 avril 1994 et 16 mai 1995 que la concession SAMS était parmi les dernière du réseau à ne pas s'être équipée des nouvelles signalétiques ;
Que le retard apporté dans la réalisation de ces transformations en aoùt 1995 après la notification de la résiliation de la concession est imputable à l'exploitant;
Considérant que la société SAMS prétend encore qu'elle a souscrit le 20 novembre 1995 un contrat de crédit-bail auprès de la Compagnie Générale pour financer un matériel informatique à usage exclusif du réseau Toyota;
Qu'un tel investissement, certes encouragé par le concédant, a toutefois été programmé le 15 juin 1995 par une demande d'ouverture de crédit, c'est-à-dire avant la résiliation ; qu'ainsi elle pouvait encore faire l'objet d'une renonciation une fois reçue la dénonciation ;
Que la faute de la société Toyota n'est pas démontrée;
Qu'enfin, à défaut de preuve de contrainte émanant du concédant, les quelques investissements en matière de publicité réalisés sur le site, et l'embauche d'un attaché commercial Laurent Heymes en décembre 1995, se sont inscrits dans le cadre normal d'une gestion efficace et indépendante du commerce, en conformité à l'article IV de l'avenant de concession signé le 4 décembre 1994 ; qu'au demeurant, en 1997, cet employé travaillait toujours dans le garage au service de la société SAMS ;
Considérant en conséquence qu'aucune faute imputable à la société Toyota n'est prouvée au cours de l'année de préavis contractuel de résiliation;
Considérant au contraireque la société Toyota produit aux débats une lettre de son concessionnaire adressée à la société Rover France pendant le préavis le 20 octobre 1995, qui prouve qu'elle recherchait alors une autre concession mais qu'elle n'ignorait pas que " pour l'instant " elle restait encore liée à la société Toyota par une exclusivité;
Que ce courrier vient conforter la parfaite compréhension par la société SAMS du processus de résiliation du contrat; que cette résiliation ne lui ouvre droit à aucun dommages et intérêts;
Considérant que la confirmation du jugement déféré et l'équité commandent que la société intimée, indemnisée de ses frais irrépétibles de défense exposés en première instance, le soit aussi de ceux dont elle a eu la charge devant la cour;
Qu'il en est de même pour la Caisse de Crédit Agricole, inutilement appelée en appel;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement du 7 juin 1999 ; Faisant partiellement droit aux demandes reconventionnelles, Condamne la société SAMS à payer sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : -15 000 F à la société Toyota France, - 2 000 F à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Brie ; Condamne la société SAMS aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Lecharny et Calarn et de la SCP Regnier Becquet avoués, dans les conditions défmies par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.