Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. com., 21 décembre 2001, n° 00-11993

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France Télécom (SA)

Défendeur :

Kast Télécom (SA), Mes Faivre-Duboz, Gauthier (ès. qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dragon

Conseillers :

MM. Blin, Jacquot

Avoués :

SCP Blanc-Amsellem-Mimran, SCP Cohen-Guedj

Avocats :

Mes Baloup, Deur.

T. com. Grasse, Ord. référé, du 14 avr. …

14 avril 2000

EXPOSE DU LITIGE

Faisant valoir que la SA Kast Télécom opérait sur les factures adressées à sa clientèle une publicité comparative illicite au détriment de la SA France Télécom, cette dernière l'a assignée en référé en cessation sous astreinte de ladite publicité et en paiement d'une provision de 200 000 euros à valoir sur son préjudice. Par ordonnance du 14 avril 2000 rendue par le Tribunal de commerce de Grasse, la SA France Télécom a été déboutée de l'intégralité de sa demande et condamnée à payer à la SA Kast Télécom la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle est appelante de cette décision selon déclaration du 11 mai 2000. Elle expose que :

- la société Kast Télécom a fait figurer une publicité comparative sur un support prohibé ;

- l'ordonnance entreprise est entachée d'une erreur de droit manifeste en ce qu'elle a écarté des débats les factures litigieuses au motif qu'il s'agit de " pièces privées " ;

- peu importe que les prestations de France Télécom n'aient pas été dénigrées ;

- de plus, la publicité sur les tarifs pratiqués par France Télécom est erronée.

Elle conclut à l'infirmation de l'ordonnance, à l'interdiction sous astreinte de Kast Télécom de poursuivre cette publicité, à sa condamnation au paiement d'une provision de 200 000 euros et d'une indemnité de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq quotidiens et cinq hebdomadaires aux frais avancés de l'intimée. La société France Télécom demande enfin à la cour de désigner un huissier pour constater toute infraction.

La société Kast Télécom ayant fait l'objet d'une procédure de règlement judiciaire, l'appelante a attrait en intervention forcée Me Marie-Claire Faivre-Duboz son administrateur judiciaire par acte d'huissier du 18 juin 2001 et Me Gilles Gauthier ès qualités de représentant des créanciers par exploit du 6 juin 2000.

La société Kast Télécom et Me Marie-Claire Faivre-Duboz s'opposent à la demande aux motifs que :

- la référence à France Télécom n'apparaît pas dans les documents de présentation de la société Kast Télécom ;

- France Télécom étant l'opérateur d'origine, son service constituait une norme servant de référence aux autres opérateurs ;

- tous les opérateurs privés font référence à la tarification de France Télécom et persévèrent dans cette pratique ;

- l'erreur réalisée sur les tarifs prêtés à France Télécom est involontaire et n'est pas démonstratrice d'une mauvaise foi ;

- France Télécom ne justifie pas d'un préjudice ;

- l'appelante n'ayant pas produit sa créance ne peut solliciter le paiement d'une provision.

Me Marie-Claire Faivre-Duboz et la société Kast Télécom concluent à la confirmation de l'ordonnance critiquée et au paiement par l'appelante d'une indemnité de 8 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 novembre 2001.

DISCUSSION

Les parties ne discutent pas de la recevabilité de l'appel. La cour ne relevant aucun élément pouvant constituer une fin de non-recevoir susceptible d'être soulevée d'office, l'appel sera déclaré recevable.

Me Gilles Gauthier n'ayant pas constitué avoué, le présent arrêt sera réputé contradictoire.

Sur la demande d'interdiction :

La publicité comparative est régie par les dispositions des articles L. 121-8 et suivants du Code de la consommation. Aux termes de l'article L. 121-11 du même Code, elle ne peut figurer sur des factures. Or il est incontestable que

- sur les deux factures en date du 30 novembre 1999, la société Kast Télécom a fait figurer, immédiatement à côté des colonnes reprenant pour chaque communication téléphonique son tarif et son coût deux autres colonnes indiquant le tarif France Télécom et son coût selon des sigles " FT " identifiant sans discussion possible l'opérateur France Télécom ;

- la comparaison réalisée n'est pas véridique puisque l'intimée a commis " deux erreurs " de tarifs de voisinage au détriment de France Télécom.

L'intimée a donc méconnu les dispositions précitéeset c'est à tort que le premier juge a écarté les factures versées à titre de preuves par France Télécom au motif que des " pièces privées " ne sauraient être produits dans " une audience publique ". En effet nul ne contestant ici que ces documents aient été produits en justice de manière licite, ce moyen est infondé.

Est tout aussi inopérant l'argument selon lequel " tous les opérateurs procéderaient de la sorte ", la cour n'étant saisie que du seul litige opposant France Télécom à Kast Télécom et ne pouvant en outre procéder par " arrêt de règlement ".

De même, c'est avec quelque audace que la société Kast Télécom considère qu'il n'y a pas publicité en la matière dans la mesure où l'information est donnée à une clientèle acquise. En effet la publicité a certes pour finalité de conquérir une nouvelle clientèle mais aussi de garder ou fidéliser la clientèle déjà abonnée. Contrairement aux affirmations de la société Kast Télécom l'application de l'article L. 121-11 n'exige pas que la publicité comparative illicite ait eu pour finalité de dénigrer les produits ou services du concurrent, ce qui serait ajouter au texte.

Si l'intimée ne conteste pas la compétence du juge des référés pour connaître du litige, elle ne peut pour autant conclure à l'absence de trouble manifestement illicite dans la mesure où une publicité prohibée et de surcroît erronée est bien source d'un trouble commercial certain dans un domaine où la concurrence est particulièrement vive ainsi que le reconnaissent les parties elles mêmes.

Enfin les développements opérés par l'intimée sur le chiffre d'affaires réalisé par chacune des parties, sa demande d'agrément et son obtention auprès de l'autorité de régulation des télécommunications ou sa pratique commerciale sont sans intérêt quant à la solution du litige.

L'ordonnance entreprise sera infirmée et défense sera faite à la société Kast Télécom dans les termes figurant au dispositif du présent arrêt. En effet même si l'intimée fait remarquer qu'elle a cessé de faire figurer dans ces factures le tarif de France Télécom pour y substituer un tarif et un coût dits " de référence " sur les mérites duquel la cour n'a pas invitée à se prononcer, elle n'a pris aucun engagement réel et certain quant à la renonciation définitive d'une référence aux tarifs de France Télécom et il convient dès lors de prévenir toutes difficultés futures.

Sur les demandes accessoires :

Compte tenu de ce qui précède, la publication du présent arrêt n'apparaît pas nécessaire.

La société France Télécom ne critiquant pas le courrier du représentant des créanciers de la société Kast Télécom aux termes duquel elle n'a pas produit sa créance indemnitaire, la demande en paiement d'une provision est irrecevable.

La cour n'ayant pas à organiser dès à présent l'exécution de ses décisions (exécution qui demeure l'affaire des parties sous le contrôle éventuel du juge de l'exécution), la demande en désignation d'huissier pour " constater d'éventuelles infractions à l'interdiction qui sera prononcée " n'est pas fondée.

Aucune circonstance d'équité ou économique ne conduit à faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Kast Télécom qui succombe supportera les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire ; Reçoit l'appel ; Infirme l'ordonnance rendue le 14 avril 2000 par le Tribunal de commerce de Grasse en matière de référé ; Interdit à la société Kast Télécom de faire référence sur ses factures aux tarifs pratiqués par France Télécom et ce sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée ; Rejette le surplus de la demande ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Kast Télécom aux dépens et autorise la société civile professionnelle Pierre Blanc - Philippe Blanc - Colette Amsellem-Mimran, titulaire d'un office d'avoué près la cour, à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.