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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 31 octobre 2014, n° 2014-19335

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

GDF Suez (SA)

Défendeur :

Direct Energie (SA), Eni Cas & Power France (Sté), Total Energie GAZ (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M Remenieras

Conseillers :

Mmes Leroy, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes Teytaud, Zelenko, Freget, Tasso de Panafieu

CA Paris n° 2014-19335

31 octobre 2014

Depuis la fin des années 1990, le marché de la fourniture de gaz s'est progressivement ouvert à la concurrence sous l'impulsion de l'Union européenne. A partir de 2004, tous les consommateurs non résidentiels français ont eu la possibilité de choisir leur fournisseur de gaz, soit 640 000 sites professionnels, ce qui représentait 70 % de la consommation nationale. Depuis le 1er juillet 2007, les marchés de l'électricité et du gaz sont ouverts à la concurrence pour l'ensemble des clients (clients résidentiels et non résidentiels). Cependant, les pouvoirs publics français ont souhaité maintenir l'existence de tarifs réglementés de vente (les TRV) pour le gaz (TVRG) et l'électricité, fixés pour le gaz en application de l'article L. 445-1 et suivants du Code de l'énergie. Sur la quasi-totalité du territoire national les consommateurs ont actuellement le choix entre deux types d'offres de fourniture de gaz, celles aux TRVG qui sont proposées presqu'exclusivement par la société GDF Suez, dans le cadre de sa mission de service public, et celles, dites "de marché" qui sont aussi proposées par cette société, mais également par les nouveaux fournisseurs de gaz naturel, dits "fournisseurs alternatifs", parmi lesquels on compte la société EDF.

La loi du 17 mars 2014 a introduit à l'article L. 445-4 du Code de l'énergie des dispositions prévoyant l'extinction progressive des TRVG pour les clients non domestiques dont la consommation excède 30 000 kilowattheures de gaz naturel par an. Cette suppression doit se faire en trois étapes dont deux sont encore à venir : le 31 décembre 2014 au plus tard pour les consommateurs non domestiques dont la consommation annuelle est supérieure à 200 000 kilowattheures et le 31 décembre 2015 au plus tard pour les consommateurs non domestiques, dont la consommation annuelle est supérieure à 30 000 kilowattheures. La date de la suppression des tarifs réglementés pour les clients non résidentiels dont la consommation annuelle est inférieure à 30 000 kilowattheures et pour les consommateurs résidentiels n'est, à l'heure actuelle, pas encore fixée.

Le 15 avril 2014, la société Direct Energie, qui est un fournisseur de gaz alternatif, a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société GDF Suez dans le secteur de la fourniture de gaz, d'électricité et des services énergétiques. Les pratiques reprochées consistaient dans l'entretien d'une confusion entre les activités relevant d'un service public et les activités concurrentielles, l'utilisation abusive des fichiers de clientèle, le couplage d'offres de fourniture de gaz, d'électricité et de services annexes et, enfin, dans le dénigrement des concurrents. Accessoirement à sa saisine au fond, la société Direct Energie a sollicité le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce.

L'Autorité de la concurrence a rendu sa décision le 9 septembre 2014, sous le numéro 14-MC-02, à la suite de la séance qui s'était tenue le 9 juillet précédent.

Cette décision a constaté que l'utilisation par GDF Suez de moyens issus du monopole, notamment, ses fichiers aux clients TRV, d'une part, pour commercialiser à la fois ses offres de gaz au TRV, qui relèvent de ses obligations de service public, et ses offres au tarif de marché de gaz et d'électricité, d'autre part, pour inciter ses clients au TRU à s'orienter vers ses offres de marché de gaz et d'électricité, est susceptible de constituer une pratique prohibée au regard des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.

Après avoir relevé que les pratiques sont de nature à créer une atteinte grave et immédiate au secteur, aux consommateurs et à la situation de la société Direct Energie, elle a prononcé les mesures conservatoires suivantes

"Article 1er : Il est enjoint à GDF Suez, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, d'accorder, à ses frais, aux entreprises disposant d'une autorisation ministérielle de fourniture de gaz naturel qui en feraient la demande, un accès à certaines des données figurant dans les fichiers des clients ayant un contrat de fourniture au tarif réglementé de vente de gaz, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, notamment via des web services accessibles 24h-24h et 7 jours/7,

Données relatives aux clients personnes morales

Article 2 : Les données relatives aux contrats détenus par des personnes morales auxquelles il sera donné accès sont les suivantes: les numéros de point de comptage et d'estimation (PCE), les consommations annuelles de référence (CAR), les profits de consommation, les noms des sociétés titulaires des contrats, les noms et prénoms des interlocuteurs, les adresses de facturation, les adresses de consommation, les numéros de téléphone fixe des interlocuteurs.

Article 3 : Les informations énumérées ci-dessus relatives aux contrais détenus par des personnes morales devront être rendues accessibles le 3 novembre 2014 au plus tard.

Si ces données ne sont pas effectivement accessibles à cette date, conformément à l'obligation visée aux articles 1 et 2, il est enjoint à GDF Suez de suspendre à partir de cette même date toute activité de commercialisation de ses offres de marché de gaz à destination de ses clients ayant la qualité de personnes morales e. raccordés au réseau de distribution.

Données relatives aux clients personnes physiques

Article 4 : Les données relatives aux contrats détenus par des personnes physiques auxquelles il sera donné accès sont les suivantes : les numéros de point de comptage et d 'estimation (FCE) les consommations annuelles de référence (CAR), les profits de consommation, les noms et prénoms des clients, les adresses de facturation, les adresses de consommation, les numéros de téléphone fixe.

Article 5 : Préalablement à la mise en œuvre de l'obligation mentionnée à l'article 4 ci-dessus, il est enjoint à GDf Suez, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de mettre en place une information permettant de recueillir une éventuelle opposition de ces clients à la communication des données les concernant.

Article : 6 : Pour les clients qui n'ont pas renoncé à la facture papier, cette information prendra la forme d'un formulaire papier, rédigé de la façon suivante : "L'Autorité de la concurrence a enjoint à GDF Suez, pur décision n° 14-MC-02 du 9 septembre 2011, de donner à ses concurrents accès à certaines données figurant dans les fichiers des clients ayant un contrat de fourniture au tarif réglementé de vente de gaz, afin de rétablir les conditions d'une concurrence effective entre ses offres et celles des autres opérateurs, en fonction de leurs mérites propres. Ces données sont les suivantes numéros de point de comptage et d'estimation (PCE) consommations annuelles de référence (CAR), profils de consommation, noms et prénoms des clients, adresses de facturation, adresses de consommation, numéros de téléphone fixe. Si vous ne souhaitez pas que vos données soient transmises à des fins de prospection commerciale aux fournisseurs ayant fait une demande d'accès à la base de données clients de GDF Suez, veuillez renvoyer le formulaire en cochant la case ci-contre. A défaut d'opposition de votre part dans les 30 prochains jours, vos données seront automatiquement rendues accessibles à ces fournisseurs".

Article 7: Pour les clients qui ont renoncé à la facture papier, cette information prendra la forme d'un courriel reprenant le texte cité à l'article 6 ci-dessus et permettant le droit d'opposition via un lien redirigeant vers un formulaire accessible dans un espace sécurisé sur le site Internet de l'entreprise.

Article 8 : Les informations énumérées ci-dessus relatives aux contrats détenus par des personnes physiques devront être rendues accessibles le 15 décembre 2014 au plus tard.

Si les données relatives aux contrats des clients qui ne se seront pas opposées à cette communication ne sont pas effectivement accessibles à cette date, il est enjoint à GDF Suez de suspendre, à partir de cette même date, toute activité de commercialisation de ses offres de marché de gaz à destination de ses clients ayant la qualité de personnes physiques.

Article 9: GDF Suez rendra compte à l'Autorité de la concurrence, au plus tard quinze jours avant les dates limites fixées respectivement aux articles 3 et 8, de l'état d'avancement de tu procédure d'accès aux informations décrite à l'article premier.

La Cour

Vu le recours en annulation et subsidiairement en réformation de la décision n° 14-MC-02 déposé le 19 septembre 2014 au greffe de la Cour par la société GDF Suez ;

Vu l'assignation signifiée par la société GDF Suez à la société GDF Suez, au ministre de l'Economie des Finances et du numérique et Mme la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le w septembre2014 ;

Vu les conclusions en réponse déposées par la société Direct Energie au greffe de la cour le 7 octobre 2014 ;

Vu les conclusions additionnelles déposées par la société Direct Energie au greffe de fa cour le 9 octobre 2014 :

Vu les conclusions récapitulatives déposées au greffe de la cour le 9 octobre 2014 par la société GDF Suez ;

Vu les observations déposées au Greffe de la cour par l'Autorité de la concurrence le 8 octobre 2014 ;

Vu les observations déposées au greffe de la cour par le ministre de l'Economie des Finances et du numérique, le 7 octobre 2014

Vu l'intervention volontaire déposée au greffe de la cour par la Commission de régulation de l'énergie le 7 octobre 2014 et ses observations complémentaires et récapitulatives déposées le 8 octobre 2014 ;

Vu l'intervention volontaire déposée au greffe de la cour par la société Total Energie Gaz le 7 octobre 2014 ;

Vu l'intervention volontaire déposée au greffe de la cour par la société Eni Gas Power France, le 7 octobre 2014 ;

Vu l'avis communiqué aux parties par le Ministère Public le 8 octobre 2014

Après avoir entendu à l'audience publique du 9 octobre 2014, le conseil de la requérante, qui a été mis en mesure de répliquer, le conseil de la société Direct Energie, le représentant de la CRE, les conseils des sociétés intervenantes volontaires, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du ministre de l'Economie et le Ministère public ;

SUR CE

Sur la recevabilité des conclusions complémentaires ses observations du 7 octobre 2014 déposées par la société Direct Energie au greffe de la cour le 9 octobre 2014 ;

Considérant que le 9 octobre 2014, jour de l'audience, la société Direct Energie a déposé des conclusions additionnelles à ses conclusions déposées le 7 octobre précédant, par lesquelles elle répond aux observations du ministre de l'Economie et de l'Autorité de la concurrence, ainsi qu'à l'avis du Ministère public sur une difficulté posée par la communication de données personnelles contenues dans le fichier des clients non résidentiels abonnés aux TRV gaz de la société GDF Suez ;

Considérant qu'à l'audience, la société GDF Suez a contesté la recevabilité de ces conclusions qui venaient de lui être communiquées

que cependant la procédure de recours concernant une décision de l'Autorité de la concurrence prononçant des mesures conservatoires n'est pas régie par des dispositions particulières de mise en état ; que compte tenu de l'urgence dans laquelle il convient d'examiner un tel recours, il est admis que les parties peuvent, sous réserve du respect mutuel de leurs droits de la défense, déposer des conclusions jusqu'au moment de l'audience, possibilité dont la société GDF Suez a d'ailleurs usé puisqu'elle a même déposé des conclusions récapitulatives le jour de l'audience ; qu'en l'espèce, les conclusions contestées se composent de quatre pages, dont deux seulement d'argumentation et ne comportent pas d'analyse complexe ou d'éléments nouveaux auxquels la société GDF n'aurait pu répliquer ; qu'il convient dans ces circonstances de retenir la recevabilité des conclusions déposées par la société Direct Energie le 9 octobre 2014 ;

Sur la recevabilité de l'intervention de la CRE

Considérant qu'à l'audience, la société GDF Suez, qui n'a pas contesté la recevabilité des interventions des sociétés Eni Gas Power France (la société Eni) et Total Energie Gaz (la société Total) a en revanche, émis un doute sur la recevabilité de l'intervention de la CRE ;

Que cette intervention volontaire de la part d'une autorité administrative, qui ne défend pas une de ses propres décisions et qui n'a pas la qualité de partie, est irrecevable en application des dispositions de l'article R. 464-17 du Code de commerce, lequel, par dérogation aux dispositions du Code de procédure civile, réserve le droit d'intervenir aux seules personnes qui ont été parties en cause devant l'Autorité de la concurrence ; que les conclusions d'intervention volontaire de la CRE et les pièces afférentes doivent donc être écartées des débats ; qu'en revanche la cour usant de la faculté d'entendre toute personne susceptible de l'éclairer, prévue par l'article 27 du Code de procédure civile, lequel est applicable en vertu des dispositions de l'article R. 464-10 du Code de commerce, a admis que la CRE puisse formuler des observations orales à l'audience ;

Sur le fond

Considérant qu'en application de l'article L. 464-1 du Code de commerce, l'Autorité de la concurrence peut prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires, dans le cas où la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'Economie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante que la mise en œuvre de cette disposition réclame que la pratique reprochée soit susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle et qu'il soit établi qu'elle cause une atteinte grave et immédiate à l'un ou l'autre des intérêts énoncés par le texte ;

Considérant que l'Autorité de la concurrence a, pour prendre la décision déférée, retenu, d'une part, que le marché pertinent était celui de la fourniture de gaz naturel, d'autre part que l'utilisation par GDF Suez de moyens issus du monopole, notamment ses fichiers aux clients tarifs réglementés de vente (ci-après, "TRV"), pour favoriser ses offres de marché de gaz et d'électricité sur le marché libre était susceptible de constituer une pratique prohibée au regard des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE, enfin, que cette pratique était de nature à créer une atteinte grave et immédiate au secteur, aux consommateurs et à la situation de Direct Energie et qu'elle a, en conséquence, prononcé les mesures conservatoires critiquées ;

Considérant que la société GDF Suez qui à ce stade de la procédure ne conteste ni le marché, ni la position dominante, retenus par l'Autorité, soutient que la décision doit être annulée au motif que celle-ci n'aurait pas démontré que l'utilisation qu'elle a fait de son fichier des clients au tarif réglementé de vente (les clients au TRV) est susceptible de constituer un abus de position dominante ;

Sur l'existence d'une pratique susceptible de constituer un abus de position dominante

Considérant que la société requérante expose que l'Autorité de la concurrence a admis que les offres de gaz au tarif réglementé et au tarif de marché constituaient un seul marche, à tout le moins pour les clients résidentiels et les clients non résidentiels consommant moins de 30 Mwh par an et qu'elle aurait commis une erreur de droit en retenant une pratique de confusion ou d'utilisation croisée de bases de clientèles sur un marché unique ; qu'elle fait valoir à ce sujet qu'une telle pratique ne peut constituer un abus de position dominante que si l'utilisation croisée de base de clientèle est opérée sur deux marchés connexes, principe énoncé par l'autorité dans un avis 10-A-13 et qui ressort en outre de sa pratique décisionnelle ; quelle ajoute que, de plus, l'Autorité n'a pas démontré que les pratiques reprochées étaient susceptibles de constituer un abus ;

Sur l'utilisation croisée de base de clientèle au sein d'un seul et même marché

Considérant qu'un abus de position dominante est constitué dès lors qu'est caractérisée la mise en œuvre par une entreprise en position dominante sur un marché, d'une pratique qui a pour objet et-ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché ou sur un autre connexe, et qui de ce fait constitue un abus de sa situation ; que si, en principe, l'abus se produit sur le marché dominé, la jurisprudence a admis qu'il pouvait, dans certains cas, produire ses effets sur un marché connexe ; que, dès lors, il n'existe aucun principe qui commanderait que l'utilisation croisée de base de clientèle ne deviendrait abusive que si elle se produisait sur deux marchés différents ; que si dans un avis relatif à l'utilisation croisée de clientèle (Avis n° 10-A-13), l'Autorité de la concurrence a décrit des mécanismes mis en œuvre sur des marchés différents, ce qui résulte de l'ouverture à la concurrence de marchés exploités jusqu'à une époque récente en monopole, il n'est toutefois pas exclu que, dans de telles circonstances, une pratique abusive puisse être relevée sur un seul et même marché ; que, de même, si des décisions ont sanctionné des comportements abusifs développés sur un marché dominé connexe de celui sur lequel les effets étaient ressentis, ces cas d'espèce ne font pas obstacle à ce qu'une pratique abusive puisse être relevée au sein d'un seul et même marché ;

Considérant que qualifier comme étant susceptible de constituer un abus, l'utilisation par la société GDF Suez du fichier susmentionné ne conduit pas, contrairement à ce qu'elle prétend, à lui interdire de proposer des offres au tarif de marché ; qu'en effet, l'abus relevé par l'Autorité comme étant susceptible d'être constitué, résulte de l'utilisation de l'avantage constitué par le fichier, mais aussi de l'ensemble des moyens résultant du monopole historique, sans que les concurrents de la société GDF Suez puissent avoir accès à de tels avantages ; qu'il convient de rappeler à ce sujet qu'il résulte d'une jurisprudence communautaire constante que la notion d'"exploitation abusive" est une notion objective visant les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche-Commission, 85-76, Rec. p. 461, point 91; du 3 juillet 1991, AKZO-Commission, C-62-86, Rec. p. I-3359, point 69 ; du 11 décembre 2008, Kanal 5 et TV 4, C-52-07, Rec. p. 1-9275, point 25, ainsi que du 17 février2011, TeliaSonera Sverige, C-52-09, Rec. p. I-527, point 27 ; 6 décembre 2012, AstraZeneca-Commission, C-457-10, point 74).

Considérant que l'Autorité de la concurrence n'a pas commis d'erreur de droit à ce sujet

Sur le caractère possiblement abusif de la pratique reprochée

Considérant que la société GDF Suez rappelle qu'une entreprise n'est susceptible d'abuser de sa position dominante du fait d'une utilisation croisée d'une base de clientèle que si, d'une part, elle a constitué cette base autrement que par les mérites, d'autre part, que cette base de données ne serait pas réplicable par ses concurrents et, enfin, que cette pratique produirait des effets anticoncurrentiels quelle oppose que la décision attaquée est dépourvue de fondement dès lors que l'Autorité a retenu à tort que ces éléments étaient réunis

Sur la constitution de la base de clientèle

Considérant que la société GDF Suez fait valoir que contrairement à ce qu'a retenu la décision, la base de clientèle n'est pas, dans son état actuel, un "héritage de son statut d'ancien monopole du secteur de la fourniture de gaz", puisque du fait de l'ouverture à la concurrence depuis 2000, s'agissant des gros clients non résidentiels, depuis 2004, s'agissant de l'ensemble des clients non résidentiels, depuis 2007, s'agissant des clients résidentiels, les clients qui se trouvent dans la base de clientèle au TRG sont ceux qui volontairement ont fait le choix de garder ce tarif ou y sont revenus après avoir quitté un opérateur alternatif; qu'en conséquence le fichier au TRV, tel qu'il existe à l'heure actuelle, mis à jour depuis dix ans à ses frais, n'est plus celui qui existait en 2004 et en 2007 qui provenait alors de son ancien monopole ;

Considérant, cependant, que la société GDF Suez ne conteste pas que la base de données des abonnés au TRV ait été constituée, à l'origine, dans le cadre de l'ancien monopole ; qu'elle n'apporte aucun élément sérieux pour contester qu'à ce titre, la constitution de la base de données et ses mises à jour ont été financées par ces tarifs comme l'a indiqué la CRE dans son avis à l'Autorité du 28 mai 2014; que, si à partir du début des années 2000, certains clients ont été sortis de cette base parce qu'ils avaient souscrit à un tarif de marché, mais, que revenant ensuite à une offre au tarif réglementé, ils y ont alors été réinscrits, il n'en demeure pas moins que le maintien de cc tarif étant réservé, à quelques exceptions près, à la société GDF Suez, cette base, même mise à jour, est un "héritage" de l'ancien monopole ; que, de plus, cette mise à jour est une charge dont le tarif comprend réglementairement le coût et qu'il est donc, de ce fait, non à la charge de la société GDF Suez, comme elle le prétend sans apporter aucun élément, mais des utilisateurs ; qu'enfin, ainsi qu'il sera vu ci-dessous, la difficulté à répliquer ce fichier résulte de ce que l'information de l'utilisation de gaz par des clients, d'une part, et de gaz au TRV, d'autre part, est impossible à obtenir sans investissements particulièrement importants, alors que la société GDF Suez détient cette information du seul fait de l'exploitation de son monopole historique ; qu'en conséquence l'Autorité a justement retenu que la base de clientèle des abonnés au TRV était un héritage de l'ancien monopole.

Sur la reproductibilité de la base de clientèle

Considérant que la société GDF Suez soutient sur ce point que les fournisseurs alternatifs ont les moyens de répliquer le fichier ; qu'elle fait valoir à ce sujet que l'Autorité à procédé à une appréciation globale du caractère reproductible ou non du fichier au TRV sans analyser précisément les informations qui auraient été utilisées de manière croisée pour conquérir des clients en offres de marché ;

Considérant cependant, que l'Autorité de la concurrence a décrit aux points 134 et 135 de sa décision les données figurant dans les bases de données clientèle au TRV pour les clients non résidentiels, d'une part, et les clients résidentiels, d'autre part ; qu'elle a ensuite relevé différentes façons dont la société GDF Suez utilisait ces fichiers pour présenter des offres commerciales au tarif de marché, notamment, par le biais de son site Internet par lequel les clients peuvent, sans avoir à donner de renseignements sur leur consommation puisque ceux-ci sont déjà détenus par la société GDF Suez, obtenir une proposition commerciale contenant des conditions particulières de ventes basées sur leurs données particulières, soit par un site dédié au changement de domicile, soit encore par courrier présentant des offres pré-remplies que le client n'a qu'à signer, soit enfin par des pratiques de relance de personnes qui seraient devenues clientes de fournisseurs alternatifs (winback) ; que ces éléments permettent, à ce stade de la procédure, de constater que la société GDF Suez utilise les données du fichier des abonnés au tarif réglementé pour présenter des offres en tarif de marché ou pour démarcher ses anciens clients passés à la concurrence ; que l'Autorité qui a ensuite précisé dans le dispositif de sa décision qu'elles étaient les données que la société GDF Suez devrait communiquer, retenant les seules d'entre elles nécessaires à l'exercice d'une concurrence effective (numéros de point de comptage et d'estimation (PCE), consommations annuelles de référence (CAR), profils de consommation, tant pour les personnes physiques que morales, ainsi que les données permettant de les identifier et d'entrer en contact avec elles), n'avait pas à préciser dans sa décision que ces données étaient précisément celles que la société GDF Suez utilisait ;

Considérant que la société GDF Suez reproche à l'Autorité de s'être bornée à reprendre l'avis de la CRE, ainsi que les déclarations de fournisseurs alternatifs forcément partiaux, sans avoir vérifié la réalité du caractère réplicable ou non du fichier des clients au TRV ; qu'elle ajoute qu'elle n'a pas pris en compte les explications de la société EDF qui avait précisé comment elle avait pour sa part pu constituer un fichier de prospection en croisant des informations provenant de différents fichiers ;

Considérant que l'Autorité de la concurrence a retenu un faisceau d'indices démontrant que le fichier des clients au TRV n'était pas réplicable dans des conditions raisonnables de coût et de temps ; qu'elle ne saurait par principe écarter les témoignages de concurrents sur ce point, dès lors que ceux-ci sont concordants et que leur teneur a été confirmée par la CRE, autorité sectorielle impartiale chargée, notamment, de la surveillance du fonctionnement des marchés de l'énergie ; que si celle-ci a rendu son avis de manière non contradictoire, la société GDF Suez a pu en contester le contenu devant l'Autorité de la concurrence et apporter tous éléments qu'elle jugeait utile à la contradiction de cet avis ;

Considérant qu'aux éléments retenus dans la décision, détaillés dans les paragraphes 145 à 154, il convient d'ajouter que si le croisement entre les données communiquées par le gestionnaire du réseau de distribution du gaz et des fichiers de professionnels permet de connaître les coordonnées des personnes physiques et morales consommatrices de gaz, il ne permet néanmoins pas de savoir, notamment, si ces personnes sont des entreprises ou des personnes physiques, si elles sont abonnées en TRV ou ce tarif de marché, ni quel est leur montant de consommation annuelle ou quelle est la durée de leur engagement, informations dont dispose la société GDF Suez mais que les fournisseurs alternatifs ne peuvent obtenir qu'au moyen de démarchages à domicile ou téléphonique, particulièrement coûteux et lents ; que, de plus, si la société EDF, dont les représentants ont été interrogés par le rapporteur, ne s'est pas plainte de difficultés à constituer une base de clientèle, il résulte des réponses apportées que celle-ci dispose de moyens de prospections particuliers et propres, dont les autres opérateurs sont exclus, puisqu'elle a un accès direct et quasi systématique aux personnes emménageant d'un lieu à un autre et transférant leurs contrats d'abonnement d'électricité ou souhaitant renégocier leur contrat, opérations à l'occasion desquelles elle peut, d'une part, poser toutes les questions relatives à la consommation de gaz, d'autre part présenter une offre adéquate regroupant les deux énergies ; que le fournisseur alternatif qu'est la société EDF ne se trouve donc pas dans une situation identique aux autres et que le fait qu'elle ait pu constituer un fichier de démarchage satisfaisant ne peut faire l'objet d'une analogie ;

Considérant encore, que les données économiques communiquées, en particulier le contrat et les factures produites par la société Eni, démontrent que le coût de constitution de fichier de prospects non résidentiels serait de plus de 20 000 euros par mois et qu'un tel fichier est encore très en deça des informations contenues dans la base de clientèle au TRV de la société GDF Suez, puisqu'il ne comporterait que des prospects, et pas, ainsi qu'il a déjà été relevé, les données de consommation annuelle de référence et de profil de consommation, ni de tarif adopté (TRV ou marché), ni encore de durée d'engagement, qui figurent dans le fichier en cause ; que, de plus, le démarchage des clients résidentiels nécessite en l'état, pour les entreprises alternatives, des visites à domicile ou des entretiens par téléphone, qui sont particulièrement coûteux et d'une efficacité aléatoire ;

qu'en conséquence, en l'état des éléments constituant le dossier, il est suffisamment démontré que le coût global de réalisation d'un fichier contenant les informations qui figurent dans la base de données de clientèle non résidentielle et résidentielle au TRV de la société GDF Suez est tel qu'il ne peut être qualifié de raisonnable et qu'il introduit entre celle-ci et les opérateurs alternatifs, une distorsion de concurrence :

Sur la potentialité d'effets résultant de la pratique retenue

Considérant que la société GDF Suez conteste que son fichier de clients au TRV constitue un avantage significatif qu'elle fait valoir sur ce point que les opérateurs alternatifs appartiennent à des groupes puissants qui disposent de moyens leur permettant de prospecter la clientèle sur un pied d'égalité avec elle et que d'ailleurs ils ont réussi à conquérir des parts de marché croissantes sans disposer de cc fichier ;

Considérant cependant que des pratiques mises en œuvre par un opérateur détenteur historique d'un monopole ayant pour effet de freiner le développement de la concurrence sur le marché sur lequel il exerçait son monopole sont, particulièrement néfastes en ce qu'elles sont susceptibles de ralentir, voire de faire échec à l'ouverture de ce marché à la concurrence par la mise en place d'une barrière à l'entrée; qu'en l'espèce, la base de clientèle en cause comporte des informations permettant à la société GDF Suez non seulement un accès facile à la clientèle au TRV, mais encore de proposer à cette clientèle des offres ciblées et adaptées à chaque mode et quantité de consommation ; que l'accès à certaines des informations de ce fichier est donc nécessaire au développement de la concurrence sur le marché du gaz ; que quand bien même certains fournisseurs alternatifs seraient-ils adossés à des groupes puissants leur permettant d'assumer plus facilement que d'autres des pertes financières liées à de lourds investissements de prospection non compensés par des gains de parts de marchés, il n'en demeure pas moins que ceux-ci constituent des entreprises autonomes soumises à la nécessaire rentabilité de leur activité, ce dont dépend aussi le caractère concurrentiel du secteur concerné; qu'en conséquence, l'argument selon lequel les fournisseurs alternatifs appartiennent à des groupes puissants leur permettant d'investir, quelqu'en soit le coût, dans la réplication du fichier hérité du monopole de la société GDF Suez est en l'espèce inopérant que, de plus, le refus de la société GDF Suez de donner accès aux données réclamées par ses concurrents intervient dans un contexte décrit au point 161 de la décision, de méconnaissance par les consommateurs, d'une part, de la possibilité de changer d'opérateur qui leur est offerte, d'autre part, de ce que recouvre le tarif réglementé de vente et, enfin, de la partition entre les sociétés EDF et GDF Suez, longtemps société unique dénommée Edf GDF qu'à ce contexte de méconnaissance doit être ajoutée l'image de marque de la société GDF Suez représentant pour les consommateurs une garantie de sérieux et de sécurité ;

Considérant que les difficultés d'ouverture à la concurrence du marché du gaz sont une réalité puisqu'ainsi que l'a relevé l'Autorité de la concurrence, dix ans après l'ouverture des marchés à l'ensemble des consommateurs non résidentiels et sept ans après l'ouverture des marchés aux clients résidentiels, les fournisseurs alternatifs nouveaux entrants, c'est-à dire en excluant la société EDF, qui dispose, ainsi qu'il a été dit, de moyens d'accès à la clientèle particuliers et avantageux, détiennent une part de marché global de 13 % toutes offres confondues du segment du marché des petits clients industriels et commerciaux et de 5 3/4 du segment du marché résidentiel

Considérant que les données chiffrées invoquées par la société GDF Suez sur ce point et selon lesquelles les fournisseurs alternatifs réalisent aujourd'hui plus de la moitié de la fourniture de gaz naturel, qu'il s'agisse des clients résidentiels ou non résidentiels, ne reflètent pas la réalité de la situation concurrentielle du marché ; qu'en effet, la société requérante invoque les fournitures de gaz naturel en amalgamant les clients résidentiels et non résidentiels, alors que s'agissant des clients non résidentiels le segment comprenant les "gros clients" raccordés au réseau de transport et pour lesquels la concurrence est réelle n'est pas concerné par les mesures conservatoires (décision paragraphe 75) et qu'il représente 57 % de la consommation nationale (décision § 11); qu'en outre, les données invoquées intègrent la société EDF dans les fournisseurs alternatifs, alors que celle-ci qui est rattachée historiquement à la société GDF Suez avec laquelle elle constituait une seule société et qui bénéficie de l'image de marque de l'ancien monopole, ne peut être considérée comme étant dans une situation identique aux fournisseurs alternatifs ; que, de plus, le fait que ceux-ci aient connu une progression de leurs parts des ventes au deuxième trimestre 2014 ne permet pas d'écarter la potentialité d'effets des pratiques en cause sur le marché résultant des éléments précédemment relevés ;

Considérant, enfin, que les déclarations à la presse du dirigeant de la société Direct Energie vantant l'attractivité de son offre et assurant de sa bonne santé économique ne sauraient non plus démentir que, compte tenu du contexte rappelé dans les développements précédents, la pratique reprochée à la société GDF Suez est susceptible de produire des effets anticoncurrentiels sur le marché ;

Sur l'atteinte grave et immédiate à l'Economie et au secteur, au consommateur ou à l'entreprise plaignante

Considérant qu'ainsi qu'il a été rappelé précédemment, le prononcé de mesures conservatoires ne peut intervenir que s'il est établi que la pratique anticoncurrentielle susceptible d'être constituée par une atteinte grave et immédiate à l'Economie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ; que s'il suffit que l'une ou l'autre de ces atteintes soit établie, les conditions de gravité et d'immédiateté doivent, en revanche, toutes les deux être remplies et que doit, de plus, être démontré le tien de causalité entre la pratique et l'atteinte

Considérant qu'en l'espèce, l'Autorité de la concurrence a estimé que la pratique causait une telle atteinte tout à la fois au secteur, à l'intérêt des consommateurs et à la société Direct Energie ; que la société GDF Suez conteste la réalité de ces atteintes ainsi que leur caractère grave et immédiat ;

Atteinte au secteur

Considérant que la société GDF Suez objecte que l'urgence et donc le caractère d'immédiateté de l'atteinte retenue par la décision attaquée, résulte du calendrier de suppression du TRV par la loi Hamon, mais que la fin de ce tarif ne concerne que les clients non résidentiels dont la consommation est supérieure à 200 Mwh, le 31 décembre 2014, puis les clients non résidentiels dont la consommation est supérieure à 30 Mwh. Le 31 décembre 2015 ; qu'elle précise qu'aucune urgence n'est constituée pour les clients résidentiels et les clients non résidentiels dont la consommation est inférieure à 30 Mwh, ce que soutient aussi le ministre de l'Economie

Considérant que, comme il a été retenu précédemment, les effets d'une pratique d'obstruction au jeu de la concurrence dans un secteur pour lequel il a récemment été mis fin à un monopole, sont de nature à structurer le marché de façon durable et que pour cette raison, de telles pratiques causent un trouble grave et immédiat au secteur économique concerné ;

Considérant que l'atteinte prévue par l'article L. 464-1 du Code de commerce porte de façon général sur le secteur concerné et doit donc être envisagée de manière globale et non segment par segment comme le fait la société GDF Suez ;

Considérant qu'indépendamment de la fin des tarifs réglementés de vente pour les abonnés non résidentiels consommant plus de 200MWh, le 31 décembre 2014, et pour les abonnés consommant plus de 30 Mwh, le 31 décembre 2015, il ressort des éléments chiffrés repris dans la décision et qui seront examinés ci-dessous, que le développement des fournisseurs alternatifs est entravé de façon générale, ce qui ne peut que renforcer la position dominante de la société GDF Suez en dépit de l'ouverture du secteur de la fourniture de gaz à la concurrence ; qu'en conséquence, indépendamment de la question de la fin très prochaine du TRV pour les entreprises ayant la consommation sus énoncée, l'urgence résulte du fait de la faible influence des fournisseurs alternatifs sur l'ensemble du secteur et du risque de structuration durable du marché dans sa configuration actuelle qu'il importe peu, en conséquence, que les clients résidentiels et les clients non résidentiels dont la consommation est inférieure à 30 Mwh. ne soient pas concernés par la fin des tarifs réglementés ;

Considérant qu'il convient d'observer à ce sujet que les extraits de l'Observatoire des marchés de l'électricité et du gaz de la CRE pour le deuxième trimestre 2014, communiqués par la société GDF Suez, permettent de constater que le nombre total de sites résidentiels était au 30 juin 2014 de 10 958 000 et que le nombre de sites non résidentiels était de de 669 000 ; que sur ces totaux, 7 621 000 sites résidentiels, soit plus des deux tiers, et 314 000 des sites non résidentiels, soit environ la moitié, étaient demeurés au TRV, ce qui porte la part des fournisseurs alternatifs sur l'ensemble des sites à 15,2 % en résidentiels et 26,9 % en non résidentiels ; que s'agissant de la consommation annuelle, la part de marché des fournisseurs alternatifs était de 15,4 % des consommations des clients résidentiels et de 50,3 % des non résidentiels ;

Considérant toutefois que ces données de la CRE relatives aux parts des fournisseurs alternatifs dans la consommation, invoquées par la société GDF Suez ne reflètent pas la réalité de la situation concurrentielle du secteur ; qu'en effet, d'une part, parmi les fournisseurs alternatifs est comptée la société EDF qui, titulaire d'un ancien monopole sur l'électricité, ne se trouve pas soumise aux mêmes difficultés d'entrée sur le marché et ce d'autant moins qu'elle a longtemps constitué avec la société GDF une société unique laquelle reste encore présente dans l'esprit des consommateurs comme le relève l'Autorité au paragraphe 161 de sa décision; qu'à cet égard il convient de rappeler que cette société détient, à elle seule, une part de 31 % des offres faites aux petits clients industriels et commerciaux dont la consommation est inférieure à 30 Mwh et de 36 % des offres faites aux consommateurs résidentiels (Décision §76) ; que, de plus, la consommation des non résidentiels, telle qu'elle est exprimée dans les données de la CRE et invoquées par la société GDF Suez, comprend celle des gros clients qui représentent une part de 57 % de la consommation nationale et ne sont pas compris dans le périmètre de l'examen de la mesure conservatoire ;

Considérant qu'outre le faible développement des parts des fournisseurs alternatifs dans chaque segment de la fourniture de gaz, l'Autorité a aussi relevé un mouvement de conversion de clients résidentiels au TRV de la société GDF Suez à ses offres de marché, qui a débuté à la fin de l'année 2012 et a été couronné de succès en 2013, puisqu'il résulte des données communiquées par la CRE que plus de 60 % des nouveaux sites résidentiels en offre de marché réalisés pour l'année, l'ont été par la société GDF Suez ;

Considérant que si cet accroissement a débuté en septembre 2012, les données communiquées montrent qu'il a été progressif et régulier, ne présentant une rupture avec les évolutions antérieures qu'en avril 2013, date à partir de laquelle les données traduisent une évolution de la stratégie de la société GDF Suez, confirmée par un document interne à la société sur les objectifs de 2014 à 2016 (décision § 238) ; qu'à la date de la saisine en avril 2014, cette évolution était récente au regard des dates d'ouverture du marché de la fourniture de gaz à la concurrence qui remontent à 2004 et 2007 ; qu'il ne peut, dans ces circonstances, être considéré que la pratique relevée était trop ancienne pour justifier le prononcé de mesures conservatoires ; qu'enfin les données communiquées par la CRE démontrent que la progression de la société GDf Suez sur les offres au tarif de marché est régulière depuis 2012, ainsi que cela a déjà été relevé, et qu'elle s'est poursuivie durant le troisième trimestre puisqu'elle a dépassée 1 400 000 sites en juillet 2014, ce qui n'était pas encore le cas en avril précédent ; que cette augmentation est particulièrement significative puisqu'en octobre 2012, l'écart entre les sites ouverts au prix de marché par les fournisseurs alternatifs et ceux ouverts par la société GDF Suez était de 600 000 et qu'il n'était plus que de 200 000 en juillet 2014 ; que le fait que ces clients puissent facilement devenir ensuite clients de fournisseurs alternatifs ne permet pas de considérer que le mouvement ainsi amorcé par la société GDF Suez ne serait pas durable, alors qu'il a été constaté qu'en l'état du développement du marché, les consommateurs sont mal informés de cette possibilité qui leur est offerte (un consommateur sur deux) et que les données actuelles montrent le caractère régulier de cette hausse depuis plus d'un an ;

Considérant, par ailleurs, que l'ensemble des éléments relevés précédemment au sujet des clients résidentiels concernent tout autant les clients non résidentiels dont la consommation annuelle serait inférieure à 30 Mwh ; qu'en conséquence, le trouble grave et immédiat, dont l'existence a été retenue s'agissant de ces clients, est établi et ce en dépit du fait qu'ils ne soient pas concernés par la fin du tarif réglementé ;

Considérant encore que la suppression du TRV au 31 décembre 2014 pour les clients non résidentiels consommant plus de 200 Mwh par an et au 31 décembre 2015 pour ceux consommant plus de 30 Mwh par an, constitue en ces deux étapes, une situation qui accentue le caractère immédiat du trouble à l'ensemble du secteur, puisque le fait que la société GDF Suez soit seule détentrice de la base clientèle constituée dans le cadre de son monopole lui permet, ainsi qu'il été relevé précédemment, d'une part, de détecter rapidement et facilement les clients au TRV qui vont devoir, avant l'une de ces deux dates, prendre parti sur l'option de demeurer client de GDF Suez ou de s'adresser à un autre opérateur, d'autre part, de leur présenter des offres ciblées au regard de la typologie et de l'ampleur des consommations, éléments dont ne disposent pas les fournisseurs alternatifs ; que cet avantage est de nature à lui permettre de réduire considérablement l'efficacité des offres que pourraient présenter les fournisseurs alternatifs, si tant est qu'ils aient la possibilité de repérer les prospects susceptibles d'être intéressés par ces offres en temps utile ; que la société GDF Suez ne démontre pas la réalité de son affirmation selon laquelle, seuls 9 % des clients non résidentiels qu'ils soient consommateurs de plus de 200 MWh ou de plus de 30 Mwh, seraient intéressés par la fin du TRV ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il est établi que les pratiques précédemment retenues comme étant susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles d'abus de position dominante causent un trouble grave et immédiat au secteur de la fourniture de gaz et que les moyens développés par la société GDF Suez au soutien de son recours ne sont pas fondés ;

Atteinte à l'intérêt des consommateurs

Considérant que l'Autorité de la concurrence a relevé que sur le segment des clients résidentiels le mouvement de conversion de clients au TRV de la société GDF Suez à ses offres de marché avait créé un "réflexe durable pour les consommateurs de choisir d'abord les offres de l'opérateur historique" ; que la société GDF Suez conteste la réalité de ce "réflexe" en soutenant que les derniers chiffres publiés par la CRE montrent que depuis 2014 plus de 50 % des contrats de fourniture de gaz naturel des clients résidentiels sont conclus avec les fournisseurs alternatifs, soit 58,6 % au premier trimestre 2014 et 53,8 % au deuxième;

Considérant qu'il convient, cependant, d'observer que ces parts concernent seulement le nombre de sites ayant conclu un contrat au cours du trimestre considéré, à l'occasion d'une mise en service ou d'un changement de fournisseur; que comme le précise l'Observatoire des marchés et du gaz de la CRE pour le deuxième trimestre 2014, ces données "mesurent l'efficacité commerciale du fournisseur en terme d'acquisition de nouveaux sites" pendant le trimestre considéré; qu'elles ne donnent donc pas une mesure de progression en terme de parts de marchés que ce soit en stock de clients ou en volume des ventes qui permettent de quantifier la situation des concurrents sur le secteur ou le marché concerné et qu'elles ne sauraient être invoquées pour atténuer l'effet des pratiques développées par la société GDF Suez sur ce marché ;

Considérant que la société GDF Suez reproche encore à l'Autorité de procéder par pure affirmation lorsqu'elle retient que le "réflexe" susmentionné aurait été créé par les pratiques d'utilisation croisée du fichier au TRV qui lui est reproché ; que cependant les données chiffrées produites démontre un accroissement soudain, après plusieurs mois de stabilité, du nombre de clients au tarif libre de la société GDF Suez ; qu'il n'est pas contesté que cet accroissement a fait suite à une incitation développée par cet opérateur à l'égard de ses clients au TRV à souscrire à une offre au tarif de marché et démontrée par la décision aux paragraphes 138 à 143 ; que ce mouvement à la hausse ne peut s'expliquer par un intérêt particulier des prix de marché offerts par la société GDF Suez, puisque ceux-ci sont plus élevés que ceux des fournisseurs alternatifs, ce qui n'est pas contesté ; que dans ces conditions, les données chiffrées et leur coïncidence avec les actions commerciales entreprises démontrent une réticence des consommateurs résidentiels à profiter des avantages de la concurrence introduite sur le marché et, ainsi que l'a qualifié l'Autorité, de "réflexe" de souscrire des contrats à une tarification de marché, mais tout en demeurant client de l'opérateur historique ; que si d'autres circonstances, comme les mérites propres de la société ODE Suez ou la fidélité des consommateurs, pourraient, éventuellement, expliquer cette tendance des consommateurs, cette hypothèse n'est confortée par aucun élément du dossier ;

Considérant que comme l'a retenu la décision entreprise, la pratique relevée comme étant susceptible de constituer un comportement anticoncurrentiel cause une atteinte grave aux consommateurs, puisqu'elle les détourne des avantages qu'ils pourraient trouver en termes de prix auprès des fournisseurs alternatifs, dont les offres sont moins élevées que celles de la société GDF Suez ; que c'est à juste titre que l'autorité a écarté les données relatives à la société EDF dans l'examen du degré de pénétration des fournisseurs alternatifs sur le marché, puisque celle-ci, bien que n'étant pas un opérateur historique, dispose, ainsi qu'il a déjà été dit, d'avantages, tels que la facilité de sen accès à la clientèle, son rattachement historique à la société GDF Suez et l'image de marque quelle peut en tirer, avantages que ne détiennent pas les autres opérateurs alternatifs ; que si la société EDF est bien concurrente de la société GDF Suez, elle ne peut être considérée comme étant dans la même situation que les autres fournisseurs alternatifs ; qu'il importe peu que la CRE l'ait jusqu'à présent comptée comme un fournisseur alternatif au même titre que les autres dès lors que les données de son Observatoire de l'énergie visent seulement à fournir des informations sur l'ouverture des marchés, mais pas à examiner l'existence de pratiques anticoncurrentielles

Considérant, en outre, que si l'autorité a justement estimé que la gravité de l'atteinte portée aux intérêts des consommateurs du fait de ce qu'ils sont détournés des avantages de la concurrence, résulte de ce qu'ils ne peuvent ainsi profiter de prix moins élevés, alors que les tarifs du gaz, qui est un poste de dépense contrainte, sont en augmentation depuis plusieurs années ; que ni cette circonstance, ni le déficit d'information des consommateurs mentionné par la décision et qui relèvent d'un constat objectif, n'ont été imputés à la charge de la société GDF Suez, mais qu'il n'en demeure pas moins que dans ce contexte, la pratique qu'il lui est reprochée de mettre en œuvre cause un trouble grave et immédiat aux consommateurs;

Considérant par ailleurs que le fait que la société GDF Suez ait perdu un certain nombre de clients sur le segment résidentiel n'est pas de nature à démontrer que ce segment ne subirait pas les effets immédiats et graves relevés ci-dessus, dès lors qu'elle en a regagné un nombre significatif constaté dans le cadre des reconversions des contrats au TRV en contrats au tarif de marché, analysés précédemment; que de plus, les 70 000 clients qui ont conclu avec la société alternative Lampiris ont été drainés par une campagne lancée par l'association UFC-Que Choisir, dans le cadre d'une opération ponctuelle auprès de consommateurs sensibilisés aux questions de concurrence, laquelle ne peut être renouvelée par cette association avec tous les fournisseurs alternatifs ;

Considérant enfin que la société GDF Suez reproche à l'Autorité d'avoir retenu des chiffres statiques de stock de clients et non ceux de vente qui, selon elle, reflètent plus exactement les évolutions dans le temps des opérateurs de marchés ; que si cette critique pourrait, dans d'autres situations, être justifiée, elle ne l'est pas en l'espèce qui concerne une pratique mise en œuvre le par un opérateur historique sur un marché ouvert à la concurrence depuis plus de dix ans mais qui, pourtant, est demeuré dans son ensemble peu concurrentiel, les consommateurs restant peu informés de la possibilité qu'ils ont de faire jouer la concurrence et de ce que les prix de l'opérateur historique et dominant sont plus élevés que ceux des opérateurs alternatifs ; qu'en effet, en 2013, 90 % des sites étaient encore au tarif réglementé de vente que seuls les opérateurs historiques, dont GDF est le principal, sont habilités à proposer ; qu'il s'en déduit qu'au moment de la mise en œuvre de la pratique, les fournisseurs alternatifs n'avaient pas encore réussi à pénétrer le marché de façon à atteindre le seuil critique à partir duquel ils peuvent s'y maintenir; que si au cours des mois précédant la décision, les données chiffrées ont permis de constater une augmentation de prise de parts de marchés en termes de ventes, celles-ci ne sont pas de nature à faire échec aux constatations de l'Autorité, puisque, d'une part, le marché demeure caractérisé par son immobilisme et que, d'autre part, les données invoquées en l'espèce intègrent de façon globale un segment sur lequel sont présents des consommateurs de volumes importants et sur lequel il n'est pas contesté que la concurrence entre les opérateurs fonctionne ; que dans ces circonstances, l'autorité n'a pas commis d'erreur en se référant aux parts de stocks de clients plutôt de volumes de ventes ;

Atteinte à l'entreprise plaignante

Considérant que la société GDF Suez conteste l'existence d'une atteinte grave et immédiate portée à la société Direct Energie et invoque sur ce point les déclarations du dirigeant de celle-ci dans la presse, par lesquelles il a fait état, en avril 2014, de gains en termes de parts de clientèle, en mars 2014, d'une prévision d'amélioration des marges et de la rentabilité et, en 2013, d' "une forte amélioration du résultat opérationnel courant qui s'établit à 11 M€ soif une amélioration de 16,8 M€ par rapport au résultat opérationnel courant de 2012 (..)"

Considérant que le fait qu'une entreprise connaisse des résultats positifs ne fait pas obstacle à ce qu'elle puisse subir un trouble grave et immédiat du fait de pratiques susceptibles de constituer un comportement anticoncurrentiel ; que la décision attaquée relève que la CRE a constaté, dans son avis du 28 mai 2014 que les parts de la société Direct Energie "sur le marché résidentiel" reculaient sensiblement depuis la fin de l'année 2012, du fait, notamment, des conversions de clients au TRV vers des contrats en offre de marché et que ce recul était tel qu'elle avait ainsi perdu, en dix-huit mois, l'intégralité des parts de marché que la fusion avec la société Powéo lui avait apportées ; que ces pertes de clientèle, constatées par l'autorité de régulation de l'énergie, montrent que la pratique retenue en l'espèce, et susceptible d'avoir pour effet de faire obstacle au développement d'une concurrence efficace et effective sur un marché longtemps exploité en monopole, cause un trouble grave et immédiat à la société Direct Energie entravée dans son développement lui permettant de se maintenir sur ce marché :

Sur le lien de causalité

Considérant que la société GDF Suez reproche à la décision d'avoir conclu à l'existence d'un lien de causalité entre la pratique reprochée et les troubles graves et immédiats, au seul motif qu'il était constaté qu'en dépit d'offres de prix moins élevées que les siennes, pour un produit identique, les parts des fournisseurs alternatifs sur les segments du marché de la fourniture de gaz stagnaient ; qu'elle estime ce motif insuffisant et fait valoir que d'autres raisons que le prix, comme le service rendu au client, ou le faible investissement publicitaire de la part de ses concurrents peuvent expliquer l'attitude des consommateurs ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été relevé dans les développements qui précèdent, la pratique reprochée à la société GDF Suez et susceptible de constituer un abus de position dominante en violation des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE, consiste dans l'utilisation des données contenues dans son fichier de clients au TRV provenant de son ancien monopole et dont la mise à jour est financée par ce tarif, pour inciter ses clients au TRV à conclure des contrats en offre de marché, ou pour accomplir des démarches de reconquêtes d'anciens clients qui seraient passés à la concurrence, tout en refusant de communiquer ces données à ses concurrents sur ce segment de marché de la fourniture de gaz ; que cette pratique entrave l'accès des fournisseurs alternatifs aux clients de la société GDF Suez, lesquels ayant souscrit une offre au TRV, pourraient être convaincus de l'intérêt d'offres concurrentielles au prix de marché ; que cette barrière à l'entrée est démontré par le constat de l'autorité de régulation de l'énergie selon lequel les opérateurs qui pourraient se développer sur le marché demeurent confinés à des parts encore mineures et ce, alors même que ces concurrents présentent des offres de prix inférieures au TRV et aux offres de marché de la société GDF Suez ;

Considérant que si la requérante soutient que le faible intérêt des consommateurs de gaz pour les offres concurrentes aux siennes peut s'expliquer par la qualité de son service ou par une insuffisante communication des fournisseurs alternatifs, elle n'apporte aucun élément permettant de constater que le service qu'elle offre serait de meilleure qualité ou mieux apprécié de la clientèle concernée; que si tel était d'ailleurs le cas la communication de certaines des données de clientèle au TRV sera sans effet pour elle; qu'au surplus, il ne saurait être reproché aux fournisseurs alternatifs de ne pas faire suffisamment de campagnes de publicité pour faire connaître leur existence et leurs prix, alors que l'accès aux seuls clients susceptibles d'être intéressés par leurs offres constitue un vecteur de publicité ciblée plus efficace qu'une campagne généralisée ; qu'il s'en déduit, d'une part, que le lien de causalité entre le comportement reproché et les atteintes subies par le secteur concerné, les consommateurs et l'entreprise plaignante est établi, d'autre part, que les moyens du recours ne sont pas fondés ;

Sur les mesures prononcées

Considérant que l'Autorité a enjoint à la société GDF Suez d'accorder, à ses frais, aux entreprises disposant d'une autorisation ministérielle de fourniture de gaz naturel qui en feraient la demande un accès à certaines des données figurant dans les fichiers des clients ayant souscrit un contrat de fourniture de gaz au tarif réglementé de vente, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, notamment via des sites web services accessibles 24h/24h et 7 jours/7 ;

Que la société GDF Suez oppose que l'Autorité de la concurrence a prononcé des mesures irréversibles en violation des dispositions de l'article L. 464-1 du Code de commerce qui ne lui permettent de prononcer que des mesures provisoires à caractère conservatoire ; qu'elle fait valoir que le pouvoir de prononcer de telles mesures constitue une atteinte à la présomption d'innocence et qu'elles ne doivent donc pas être irréversibles ou susceptibles de causer un dommage irrémédiable dans le cas où l'instruction du dossier révèlerait que les pratiques dénoncées ne sont pas anticoncurrentielles Considérant qu'il résulte de la combinaison des alinéas 1 et 3 de l'article L. 464-1 du Code de commerce que l'Autorité de la concurrence peut prononcer les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui paraissent nécessaires et que celles-ci peuvent comporter la suspension de la pratique concernée, ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur, et qu'elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ;

Considérant que l'injonction prononcée, destinée à remédier, jusqu'au prononcé de la décision, aux atteintes graves et immédiates causées au secteur concerné, aux consommateurs et à l'entreprise plaignante par la pratique relevée, consiste en l'espèce à donner aux fournisseurs alternatifs de gaz la possibilité d'identifier les clients de la société GDF Suez ayant conclu un contrat au TRV et de leur présenter une offre adaptée à leur situation, ce que pratique déjà la société GDF Suez à l'égard de ses propres clients ; qu'ainsi, la mesure critiquée se limite à suspendre la pratique en cause consistant à exploiter les données du fichier TRV, issues de l'ancien monopole de la société GOF Suez, tout en empêchant les fournisseurs alternatifs d'y avoir accès ;

Considérant que, de plus, l'Autorité a précisé dans les articles 3 et 4 de son dispositif quelles étaient les données que la société GDF Suez devait communiquer et elle a prévu, à l'article 4, la mise en place d'une procédure permettant aux personnes physiques, dont les coordonnées figurent dans ce fichier, de s'opposer à la transmission de celles-ci qu'en outre, il est indiqué que la communication des données en cause devra être effectuée au moyen d'un site Internet ; qu'il résulte de l'ensemble de ces précisions de la décision que seules les données indispensables pour permettre aux fournisseurs alternatifs de cibler des prospects et de leur présenter une offre répondant à leurs besoins doivent être divulguées par la société GDF Suez; que le site internet pourra être fermé à tout moment s'il en était besoin, et que, de plus, les opérateurs qui en auraient extrait des données pourraient, si la pratique en cause n'était pas considérée comme constituant une pratique anticoncurrentielle, se voir enjoindre de ne plus les utiliser ; que la mesure prononcée n'a donc pas le caractère irrémédiable reproché et qui en tout état de cause, n'est pas exclu par les dispositions de l'article L. 464-1 du Code de commerce, dès lors que les mesures prononcées sont nécessaires pour faire face à l'urgence et sont proportionnées au trouble subi ;

Considérant que la société requérante conteste le caractère proportionné de la mesure à la gravité et à l'immédiateté des atteintes relevées en ce qu'elle affecte de manière excessive ses prérogatives ;

Que, d'une part, il convient de relever que. contrairement à ce que la société GDF Suez soutient, l'injonction ne la contraint pas à communiquer son fichier clients à ses concurrents, mais seulement certaines données figurant dans son seul fichier de clients abonnés au tarif règlementé de vente, lequel est issu de l'exploitation de son ancien monopole ; que, de plus, la communication prévue est limitée aux données qui pourront permettre à ses concurrents de proposer des offres au tarif de marché correspondant aux besoins de ces seuls clients au regard de leurs consommations, ce que fait déjà la société GDF Suez ; que cette mesure qui ne va pas au-delà du périmètre de la pratique, lui est en conséquence proportionnée et n'affecte pas de manière excessive les prérogatives de la partie en cause ; qu'elle constitue en outre l'unique moyen de répondre aux atteintes graves et immédiates qui ont été relevées ; qu'en effet, la mesure d'information sur les offres des fournisseurs alternatifs, que la société GDF Suez propose de transmettre à ses clients au TRV, ne permettrait pas à ces fournisseurs de présenter aux clients concernés des offres adaptées à leurs besoins et leurs types de consommation, alors que l'opérateur historique dispose de cette possibilité ; que si l'association UFC-Que choisir a indiqué, dans son communiqué de presse du 11 septembre 2014, que les consommateurs devront être vigilants, s'ils ne veulent pas subir un "matraquage publicitaire", à renvoyer le "courriel" ou le formulaire d'opposition à la communication des données les concernant, elle n'a toutefois pas exprimé l'opposition à l'utilité de la mesure que lui prête la société requérante ;

Considérant que la société GDF Suez oppose encore que la mesure ordonnée est disproportionnée en cc qu'elle vise aussi les clients résidentiels qui ne sont pas concernés par une suppression prochaine du TRV et que les informations qu'elle doit communiquer ne sont pas indispensables pour prospecter les clients à ce tarif ; que cependant, l'existence du trouble grave et immédiat concernant toutes les catégories de clients au TRV, relevé précédemment, justifie que les mesures conservatoires concernent l'ensemble des clients à ce tarif ; que l'Autorité a ordonné la communication de certaines données du fichier, lesquelles sont toutes nécessaires à la présentation de propositions de contrats adaptés aux besoins de consommations des clients et à permettre aux fournisseurs alternatifs d'entrer en contact avec les prospects susceptibles d'être intéressés par leurs offres ; que la mesure ne présente pas de caractère disproportionné sur ce point ;

Considérant que la société requérante Lait encore valoir que la mesure ordonnée est disproportionnée en ce que les coûts de sa mise en œuvre qu'elle évalue à plus de dix millions d'euros sont intégralement laissés à sa charge ;

Considérant que l'article L. 445-3 du Code de l'énergie énonce que "Les tarif réglementés de vente du gaz naturel sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures et des coûts liés à ces fournitures. Ils couvrent l'ensemble de ces coûts" ; qu'il en résulte que les coûts de constitution du fichier et d'exploitation de celui-ci sont compris dans le tarif réglementé, ce qu'a confirmé la CRE dans son avis rendu à l'Autorité de la concurrence ; que de plus, la société GDF Suez a attendu d'être contrainte à la communication des données en cause dans l'urgence, ce qui n'a pu qu'augmenter le coût des prestations qui y sont liées et dont elle ne justifie d'ailleurs pas le montant puisqu'elle se contente d'énoncer des projections sans aucun élément justificatif ; que dans ces conditions et pour assurer l'efficacité de la mesure prononcée, il appartient à la société GDF Suez, au moins pour la durée de la procédure, de supporter la charge de la communication des données qu'elle détient et exploite à son avantage dans le cadre de l'ouverture à la concurrence du marché du gaz, depuis plusieurs années ; que la mesure n'est en conséquence pas disproportionnée en ce qu'elle doit être réalisée, aux frais de la société GDF Suez: que l'Autorité de la concurrence devra, dans le cadre de la décision au fond, déterminer avec l'avis de la CRE, comment doit se répartir ensuite la charge de la communication des données afin que soit respecté un juste équilibre des conditions de la concurrence ;

Considérant qu'au surplus, les dates de mise en œuvre des injonctions ont été fixées au regard de l'urgence ; que le prononcé de celles-ci a fait l'objet d'un débat contradictoire devant l'Autorité dans le cadre duquel la société GDF Suez pouvait exposer les délais qui lui seraient nécessaires pour cette mise en œuvre ; qu'elle n'a pas fait état, dans ses conclusions ou lors de l'audience de la cour, de difficultés précises qui pourraient faire obstacle à l'exécution de l'injonction avant le 3 novembre 2014 pour les personnes morales, ou le 15 décembre 2014 pour les personnes physiques ; que, cependant, le délai d'aboutissement de la procédure de recours a nécessairement induit une période d'incertitude pour l'exécution de la décision qui impose des mesures techniques dont la mise en place est complexe ; qu'il convient, dès lors, de prolonger de quelques jours le délai dans lequel la communication des données concernant les personnes morales devra être effective et de préciser que cette mesure devra être exécutée au plus tard le 13 novembre 201 4 ; que de plus, la mesure concernant les personnes physiques impose de laisser un délai de réponse à ces dernières pour prendre parti sur l'acceptation de la transmission des données les concernant et nécessite un délai de retraitement de leurs réponses ; que le délai fixé au 15 décembre 2014 sera prolongé au 15 janvier 2015 ; que la décision sera modifiée sur ces Points ;

Considérant que la société GDF Suez fait valoir que la mesure est disproportionnée en ce qu'elle a prévu une mesure subsidiaire de suspension de la commercialisation de ses offres au prix de marché qui ne figure pas parmi les mesures conservatoires que l'Autorité de la concurrence a compétence de prononcer, n'est pas strictement nécessaire et est, de plus, potentiellement anticoncurrentielle qu'elle précise que l'Autorité est incompétente pour prononcer une telle mesure qui relève exclusivement du ministre chargé de l'énergie au terme d'une procédure contradictoire ;

Considérant que l'article L. 461-4 du Code de commerce précité énonce que l'Autorité peut prononcer toute mesure qui serait nécessaire pour faire cesser le trouble grave et immédiat relevé par elle ; que dès lors il importe peu que la suspension de l'activité de commercialisation d'un produit ne soit pas énoncée, en tant que telle, dans les mesures qui peuvent être prononcées dans le cadre d'une demande de mesures conservatoires ; que le législateur a conféré à l'Autorité de la concurrence une mission de police économique ainsi qu'un certain nombre de pouvoirs nécessaires à l'exécution de ses décisions ; que, dès lors, s'il est prévu par l'article 6 du décret 2004-250 du 19 mars 2004 une procédure par laquelle le ministre chargé de l'énergie peut prendre la décision de suspendre ou retirer les autorisations de fourniture délivrées à un fournisseur pour un certain nombre de motifs précisément énoncés. Celle-ci ne saurait faire obstacle à l'exercice des pouvoirs de police économique dont l'Autorité est chargée ; que l'injonction de suspension prévue dans la décision, n'est qu'un subsidiaire prononcé pour assurer l'exécution de l'injonction principale de communiquer des données de la base de clientèle au TRV et, en tant que telle, n'est pas disproportionnée au trouble au fonctionnement concurrentiel du marché de fourniture de gaz en cas d'inexécution de l'injonction qui a pour objectif de remédier à une atteinte grave et immédiate au secteur, aux consommateurs et à l'entreprise plaignante; qu'au surplus cette décision n'implique pas la cessation de l'activité de distribution, mais seulement la suspension de l'activité de commercialisation ; qu'il convient, dans ces conditions, de confirmer la décision sur ce point

Considérant que la société requérante fait aussi valoir que la mesure prononcée est disproportionnée en ce qu'elle lui impose de transmettre à ses clients une information dont la teneur excède ce qui est nécessaire pour recueillir le consentement des personnes physiques au transfert de leurs données ; qu'elle fait valoir à ce sujet que le texte énoncé par la décision et qu'elle doit adresser à ses clients personnes physiques fait référence à la nécessité de "(...) rétablir les conditions d'une concurrence effective entre ses offres et celles des autre opérateurs en fonction de leurs mérites propres (...)" ; qu'elle estime que ce libellé viol e la présomption d'innocence car il suggère clairement qu'elle s'est livrée à des pratiques contraires à la concurrence par les mérites, alors qu'il n'est pas établi que tel soit le cas, et qu'elle demande que cette partie du communiqué soit supprimée ;

Considérant que le prononcé de mesures conservatoires dépend de la seule condition que les pratiques relevées soient susceptibles de constituer des pratiques prohibées par les dispositions du droit de la concurrence ; qu'en l'espèce, il a été retenu que l'utilisation par la société GDF Suez des données du fichier de clientèle au TRV, alors même qu'elle refuse de les communiquer à ses concurrents sur le segment de marché du tarif libre, est susceptible de constituer une pratique d'abus de position dominante, ce que l'enquête au fond devra établir; que la phrase insérée dans le texte qui doit être adressé aux personnes physiques par la société GDF Suez afin de recueillir leur accord pour la communication des données les concernant et selon laquelle il serait nécessaire de "rétablir les conditions d'une concurrence effective entre [les offres de la société GDF Suez] et celles des autre opérateurs en fonction de leurs mérites propres (..)", formule l'affirmation de ce que la concurrence par les mérites n'est pas respectée ce qui n'est à ce stade de la procédure pas établi ; que dans ces conditions il convient d'ordonner la modification de la rédaction du texte et de remplacer le verbe "rétablir" pat- le verbe "assurer" qui n'induit pas l'idée d'un remède à une situation ; que la référence aux "mérites propres des entreprises" est une donnée objective traduisant les caractéristique d'une concurrence saine et libre entre les opérateurs et que son insertion dans le texte ne traduit pas l'idée que la société GDF Suez aurait pu ne pas en respecter les principes ; que le texte sera formulé de la façon suivante : "L'Autorité de la concurrence a enjoint à GDF Suez, par décision n° 14-MC-O2 du 9 septembre 2014, de donner à ses concurrents accès à certaines données figurant dans les fichiers des clients ayant un contrat de fourniture au tarif réglementé de vente de gaz, afin d'assurer les conditions d'une concurrence effective entre ses offres et celles des autres opérateurs, en fonction de leurs mérites propres" que la décision sera donc réformée sur ce point ;

Considérant que la société GDF Suez soutient encore que l'Autorité de la concurrence n'a pas respecté les dispositions de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 en lui enjoignant de communiquer aux fournisseurs alternatifs les "noms et prénoms des interlocuteurs" ainsi que leurs numéros de téléphone fixe ; qu'en effet, les dispositions précitées définissent la notion de donnée à caractère personnel comme étant "toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d'identification ou à un ou plusieurs éléments qui tut sont propres" ; que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a précisé dans l'avis qu'elle a délivré à l'Autorité de la concurrence le 13 juin 2014 que les règles relatives à la protection des données personnelles s'appliquaient autant aux professionnels qu'aux personnes privées ; que l'Autorité indique que, dans ces conditions, la cour pourrait enjoindre à la société GDF Suez de mettre en place une information permettant de recueillir une éventuelle opposition des interlocuteurs personnes physiques au sein de ses clients personnes morales à la communication des données les concernant, préalablement à la mise en œuvre de l'injonction mentionnée à l'article 2 de sa décision ; que la société GDF Suez n'expose pas de difficulté particulière qui pourrait s'opposer à la mise en place de cette mesure préalable, laquelle pourra être réalisée par la voie électronique, lorsqu'elle disposera des adresses le permettant ; que la décision sera réformée à cet égard

Considérant, enfin, que compte tenu des difficultés de développement de la concurrence sur les différents segments de marché concerné, il n'est pas justifié de substituer, ainsi que le demande la société GDF Suez, un mécanisme de consentement préalable au mécanisme de non opposition mis en place par l'Autorité de la concurrence dans la décision déférée ; que la demande doit être rejetée ;

Sur les frais irrépétibles

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Direct Energie l'ensemble des frais non compris dans les dépens qu'elle a été contrainte d'exposer pour défendre ses droits en appel ; que la société GDF Suez sera condamnée à lui verser la somme de 30 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Déclare irrecevables les conclusions d'intervention volontaire de la Commission de régulation de l'Energie, ainsi que ses observations du 8 octobre 2014 et les pièces communiquées ; Déclare recevables les observations de la société Direct Energie complémentaires à ses observations du 7 octobre 2014 déposées au greffe de la cour le 9 octobre 2014 ; Rejette le recours de la société GDF Suez formé contre la décision de l'Autorité de la concurrence numéro 14-MC-02, sauf en ce qui concerne ses demandes de réformation des articles 3, 6 et 8 de cette décision ; Statuant à nouveau, Réforme la décision n° 14-MC-02 sur les points suivants ; Dit que la date à laquelle les données précisées à l'article 2 concernant les personnes morales devront être rendues accessibles sera le 13 novembre 2014, au lieu du 3 novembre 2014, ainsi qu'il est prévu à l'article 3 de la décision ; Enjoint à la société GDF Suez de mettre en place une information permettant de recueillir une éventuelle opposition des interlocuteurs personnes physiques au sein de ses clients personnes morales à la communication des données les concernant, préalablement à la mise en œuvre de l'obligation mentionnée à l'article 2 de sa décision ; Dit que cette information pourra se faire par courrier électronique reprenant le texte prévu à l'article 6 de la décision, tel qu'il sera modifié ci-dessous ; Dit que le texte précisé par l'article 6 de la décision sera rédigé de la façon suivante : L'Autorité de la concurrence a enjoint à GDF Suez, par décision n° 14-MC-02 du 9 septembre 2014 de donner à ses concurrents accès à certaines données figurant dans les fichiers des clients ayant un contrat de fourniture au tarif réglementé de vente de gaz, afin d'assurer les conditions d'une concurrence effective entre ses chiffres et celles des autres opérateurs, en fonction de leurs mérites propres. Ces données sont les suivantes : numéros de point de comptage et d'estimation (PCE), consommations annuelles de référence (CAR), profils de consommation, noms et prénoms des clients, adresses de facturation, adresses de consommation numéros de téléphone fixe. Si vous ne souhaitez pas que vos données soient transmises à des fins de prospection commerciale aux fournisseurs ayant fait une demande d'accès à la base de données clients de GDF Suez, veuillez renvoyer le formulaire en Cochant la case ci-contre. A défaut d'opposition de votre part dans les 30prochains jours, VOS données seront automatiquement rendues accessibles à ces fournisseurs". Dit que pour les personnes physiques interlocutrices professionnelles au sein des personnes morales le texte sera rédigé de la façon suivante : "L'Autorité de la concurrence a enjoint à GDF Suez, par décision n° 14-MC-02 du 9 septembre 2014, de donner à ses concurrents accès à certaines données figurant dans les fichiers des clients ayant un contrat de fourniture au tarif réglementé de vente de gaz, afin de rétablir les conditions d'une concurrence effective entre ses offres et celles des autres opérateurs, en fonction de leurs mérites propres. Ces données sont les suivantes : les numéros de point de comptage et d'estimation (PCE), les consommations annuelles de référence (CAR), les profits de consommation, les noms des sociétés titulaires des contrats, les noms et prénoms des interlocuteurs, les adresses de facturation, les adresses de consommation, les numéros de téléphone fixe des interlocuteurs. Si vous ne souhaitez pus que vos données personnelles soient transmises à des fins de prospection commerciale aux fournisseurs ayant fait une demande d'accès à la base de données clients de GDF Suez, veuillez renvoyer le formulaire disponible sous le lien suivant en cochant la case le mentionnant. A défaut d'opposition de votre part dans les S prochains jours, vos données Seront automatiquement rendues accessibles à ces fournisseurs". Dit que la date à laquelle les données précisées à l'article 4 concernant les personnes physiques devront être rendues accessibles sera le 15 janvier 2015 au lieu du 15 décembre 2014, ainsi qu'il est prévu à l'article 8 de la décision ; Dit que l'Autorité de la concurrence devra, dans le cadre de la décision au fond, déterminer avec l'avis de la CRE, comment doit se répartir la charge de la communication des données afin que soit respecté un juste équilibre des conditions de la concurrence entre les opérateurs, Rejette toute demande autre, plus ample ou contraire des parties Condamne la société GDF Suez à verser à la société Direct Energie la somme de 30 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société GDF Suez aux dépens du recours ; Vu l'article R. 470-2 du Code de commerce, dit que sur les diligences du greffe de la Cour d'appel de Paris, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée a accusé de réception, à la Commission européenne, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'Economie.