CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 mars 2018, n° 15-10585
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Francal (SARL)
Défendeur :
La Halle (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Teytaud, Druesne, Claisse, Poussardin
Faits et procédure
La société La Halle, filiale du groupe Vivarte, spécialisée dans l'achat et la vente de tous textiles, chaussures, articles chaussants, bonneterie, linge de maison et articles de puériculture, se fournit en produits d'emballages auprès de la société Francal, active dans le domaine du négoce de cartonnage et articles textiles.
Ayant constaté une baisse de ses ventes en 2013 et 2014, la société Francal a estimé avoir été victime d'une rupture partielle et brutale des relations commerciales de la part de la société La Halle.
Après une conciliation infructueuse, la société Francal a assigné la société La Halle à bref délai devant le Tribunal de commerce de Lille sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Par jugement du 24 février 2015, le Tribunal de commerce de Lille a :
- condamné la société La Halle à payer à la société Francal la somme de 187 500 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et partielle de la relation commerciale suivie entre les deux sociétés, outre les intérêts au taux légal,
- débouté la société Francal de ses demandes au titre des années 2015 et 2016,
- débouté la société Francal de sa demande au titre du remboursement des remises de fin d'année,
- débouté la société Francal de sa demande au titre du remboursement des pénalités pour retards de livraison,
- condamné la société La Halle à payer à la société Francal la somme de 6 050 euros à titre de dommages et intérêts pour le dépassement des délais de paiement,
- débouté la société Francal de sa demande au titre du préjudice d'atteinte à son image commerciale,
- condamné la société La Halle à payer à la société Francal la somme de 12 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de ce jugement, à charge pour la société Francal de fournir une caution bancaire couvrant, en cas d'exigibilité de leur remboursement éventuel, toutes les sommes versées en exécution de présent jugement outre les intérêts pouvant avoir couru sur ces sommes,
- condamné la société La Halle aux entiers dépends de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 81,12 euros (en ce qui concerne les frais de greffe).
LA COUR
Vu l'appel interjeté par la société Francal et ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 22 janvier 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :
vu les articles L. 442-6, L. 441-6, L. 441-7 et L. 442-6 du Code de commerce, 699 et 700 du Code de procédure civile,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a constaté que la société Francal a été victime d'une rupture brutale et partielle de relations commerciales établies commise par la société La Halle à compter de l'exercice 2013,
- dire que la société La Halle engage sa responsabilité civile quasi délictuelle sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- dire qu'au regard des caractéristiques de la relation commerciale établie débutée en 1991 et relative à la fourniture de produits sous marque de distributeur, un préavis de 48 mois aurait dû être mis en œuvre préalablement par la société La Halle,
- à titre principal, condamner la société La Halle à verser à la société Francal en réparation du préjudice économique subi pour les exercices 2013 et 2014, une somme de 629 000 euros,
- à titre subsidiaire, condamner la société La Halle à verser à la société Francal en réparation du préjudice économique subi pour les exercices 2013 et 2014 une somme de 515 500 euros,
- constater que la société La Halle a compensé d'autorité les sommes qu'elle devait à la société Francal avec des " remises de fin d'année " sans pouvoir justifier d'un accord intervenu entre les parties par la signature de la convention unique annuelle avant le 1er mars de chaque exercice,
- réformer le jugement du 24 février 2015,
- condamner la société La Halle à restituer à la société Francal la somme de 95 776,54 euros HT,
- réformer le jugement du 24 février 2015 et constater que la société La Halle a systématiquement fait application de pénalités qu'elle a déduites unilatéralement et d'autorité des factures dues à la société Francal, sans même qu'il soit établi que ces pénalités soient des créances certaines, liquides et exigibles et que la société Francal fût en mesure de contrôler la réalité des griefs,
- condamner la société La Halle à payer à la société Francal la somme de 12 600,77 euros HT,
- constater la violation systématique, par la société La Halle, des délais de paiement pour le règlement des sommes dues à la société Francal,
- confirmer partiellement le jugement du 24 février 2015 et la condamner à verser à la société Francal d'une part en réparation des préjudices financiers une somme de 14 298 euros, d'autre part, au titre des indemnités forfaitaires pour retard de paiement une somme de 5 320 euros, et en réparation des préjudices d'atteinte à son image commerciale, une somme de 15 000 euros,
- condamner en cause d'appel la société La Halle à verser à la société Francal une somme de 15 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société La Halle aux frais et dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître François Teytaud, dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions de la société La Halle, intimée et appelante incidente, déposées et notifiées le 5 février 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :
vu les articles L. 441-6 et L. 442-6 du Code de commerce,
- faire droit à l'appel incident de La Halle,
en conséquence :
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a retenu la responsabilité de La Halle pour rupture brutale et partielle des relations commerciales,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné La Halle à payer à Francal la somme de 187 500 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et partielle de la relation commerciale, outre les intérêts au taux légal,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné La Halle à payer à Francal la somme de 6 050 euros à titre de dommages et intérêts pour le dépassement des délais de paiement,
- rejeter l'ensemble des demandes, principale et subsidiaire, de Francal,
- rejeter les demandes de Francal au titre de la réparation de préjudices financiers et d'indemnités forfaitaires pour retard de paiement,
- rejeter les demandes de Francal portant sur le paiement d'indemnités pour non-respect des délais de paiement et pour retard de paiement sur les années 2016 et 2017, soit les sommes de 9 098 euros et 2 240 euros,
si, par impossible, la cour venait à retenir la responsabilité de La Halle pour une rupture brutale et partielle des relations commerciales :
- fixer une durée de préavis conforme à la loi, la jurisprudence et les données de l'espèce,
- dire que l'indemnité qui pourrait être allouée à Francal ne peut correspondre qu'à l'application du taux de marge brute sur le montant du chiffre d'affaires non réalisé au cours de la durée du préavis,
- débouter Francal de l'ensemble de ses demandes,
pour le surplus :
- confirmer le jugement dont appel,
en conséquence,
- confirmer le jugement en ce qu'il a fixé la date de début de la relation commerciale entre la société La Halle et la société Francal à l'année 2000,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Francal de ses demandes au titre des années 2015 et 2016,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Francal de sa demande au titre du remboursement des remises de fin d'année, et ainsi débouter Francal de sa demande en paiement de la somme de 95 775,54 euros hors taxes,
- à tout le moins, débouter Francal de sa demande en paiement formée à titre supplémentaire pour l'année 2016,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Francal de sa demande au titre du remboursement des pénalités de retard, et ainsi débouter Francal de sa demande en paiement de la somme de 12.600,77 euros,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Francal de sa demande au titre du préjudice d'atteinte à son image commerciale, et ainsi débouter Francal de sa demande en paiement de la somme de 15. 000 euros,
- condamner Francal à verser à La Halle la somme de 19 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel,
- condamner Francal aux entiers dépens ;
SUR CE
Sur la rupture brutale partielle des relations commerciales établies
Les sociétés La Halle et Francal s'accordent sur l'existence de relations commerciales établies. Néanmoins, elles sont en désaccord sur le début de ces relations et sur le caractère brutal de la rupture.
Si, aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer. Par ailleurs, " les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".
Sur le point de départ des relations commerciales
Si la société Francal prétend que les relations commerciales ont débuté en 1991, la société La Halle soutient, quant à elle, qu'elles remontent à l'année 2000.
La société Francal verse aux débats une attestation de son expert-comptable récapitulant le chiffre d'affaires réalisé par elle avec La Halle depuis l'année 2000 (pièce 7).
Elle produit également un cahier comptable manuscrit (pièce 12), retraçant ses ventes entre 1990 et 1995 ; si la société La Halle aux vêtements, désignée sous ses initiales HAV, apparaît une dizaine de fois sur ce cahier entre février 1991 et février 1992, ces mentions ponctuelles ne sauraient démontrer l'existence de relations continues entre les deux sociétés de 1990 à 1995 et, a fortiori, entre 1990 et 2000.
L'attestation d'une ancienne salariée de la société Francal (pièce 13) vient relater qu'un des bons clients de la société Francal étaient les magasins à enseigne Spot ; mais la société Francal n'établit pas que ces magasins à enseigne Spot appartenaient à la société La Halle ou que le courant d'affaires entretenu avec ces magasins aurait été poursuivi par la société La Halle. Le procès-verbal de constat d'huissier du 20 octobre 1997 (pièce 43) permet d'apprendre que la société Francal avait en stock des cartons d'emballage au nom de Spot et Aurore en 1997, étant précisé que la marque Spot était une marque de la société Vivarte, société dont la société La Halle était une filiale ; mais cet élément ne suffit pas à démontrer qu'il existait une relation d'affaires en 1997 entre la société Francal et la société La Halle.
De même, le procès-verbal de constat effectué sur un ordinateur de la société Francal (pièce 20) n'a permis que l'édition de deux courriers à l'intention de la Compagnie Européenne du Vêtement, société distincte et autonome, bien que faisant partie du même groupe que Francal, concernant des échantillons de sacs en 1999 et un courrier de 2000. Le troisième courrier mentionné dans le procès-verbal de constat est bien à l'intention de La Halle aux vêtements, mais fait référence à une commande du 10 décembre 2001.
L'attestation de la société Imprimerie Pastour (pièce 40) fait état " au début des années 90 " de boîtes fabriquées à destination de Spot, puis La Halle aux Vêtements, puis La Halle aux chaussures, sans qu'aucune solution de continuité ne puisse être établie entre 1990 et 2000.
Enfin, la pièce 45, constituée par un contrat de travail signé entre la société Francal et Monsieur X, mentionne, parmi les clients " exclusivement Francal ", le groupe André, dont aucun élément n'établit que la société La Halle aurait repris l'activité ou le flux d'affaires avec la société Francal.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a constaté que la relation commerciale établie entre la société Francal et la société La Halle remontait à l'année 2000.
Sur la baisse des achats de La Halle
La société Francal soutient qu'aucun cas de force majeure ou faute grave ne lui a jamais été opposé, seules exceptions prévues par le texte qui auraient permis d'échapper à l'exigence de la notification préalable d'un préavis écrit. Elle expose que la baisse prétendue d'activité dans le secteur de l'emballage cadeau ne peut justifier une baisse des commandes de la société La Halle, celle-ci n'ayant versé aux débats aucune pièce pour justifier d'un " effondrement des commandes ", ou encore du " caractère sinistré de son activité ". Elle souligne que La Halle lui a, en réalité, substitué un autre fournisseur dès 2013, sa part dans les achats ayant baissé de 19 points (de 77 % en 2012 à 58 % en 2013), alors que le poids des autres fournisseurs augmentait parallèlement de 19 points.
La société La Halle estime que les conditions d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne sont pas réunies, une simple baisse des commandes, provoquée par la crise économique, ne révélant pas la volonté d'une société de cesser une relation commerciale avec un fournisseur. Elle explique la diminution de ses achats auprès de Francal par une baisse des budgets alloués à la catégorie des emballages cadeaux depuis plusieurs saisons, de l'ordre de 60 % depuis 2009, compte tenu de l'évolution du marché, une baisse des ventes de boîtes et emballages cadeaux constatée sur les points de vente La Halle et une baisse de la place accordée à ces produits dans le cadre des nouveaux concepts adoptés par La Halle. Elle soutient qu'elle a dû faire face à des circonstances exceptionnelles, engendrées par la conjoncture économique particulièrement défavorable et par l'effondrement du marché des produits textiles, concrétisées par un plan de sauvegarde et de l'emploi, annoncé le 7 avril 2015 et ayant engendré la fermeture de 197 enseignes " La Halle aux Vêtements ". Elle ajoute qu'elle a été dans l'obligation de réduire le volume de ses commandes à l'égard de la quasi-totalité de ses fournisseurs en raison de la baisse considérable du budget alloué à l'achat de produits textiles. Elle souligne que parmi ses cinq fournisseurs en boîtes et emballages cadeaux, Francal est demeuré le premier, avec plus de 50% de ses achats (58 % en 2013 et 59% en 2014).
Il n'est pas contesté que le chiffre d'affaires réalisé par la société Francal avec la société La Halle a chuté de 46 % sur l'exercice 2013 par rapport à la moyenne des cinq exercices précédents.
Cette chute n'a pas été précédée d'un préavis, la teneur du rendez-vous programmé entre les deux sociétés le 31 janvier 2014, au demeurant inconnue, étant indifférente, puisque postérieure à la baisse de 2013. Par ailleurs, la seule annonce orale du caractère " probable " de la baisse des achats de la société La Halle auprès de la société Francal ne saurait valoir préavis, qui doit être non équivoque, et ne saurait priver la rupture de son caractère brutal.
Il résulte de l'attestation du commissaire aux comptes de la société La Halle relative aux achats de boîtes cadeaux par cette société de 2008 à 2014 (pièce 12 de l'intimée) que si le volume de boîtes achetées auprès de la société Francal a chuté de 46 % sur l'exercice 2013 par rapport aux cinq exercices précédents, le volume total de boîtes achetées en 2013 n'a chuté que de 26 %, de sorte que la société La Halle a substitué d'autres fournisseurs à la société Francal. Il en résulte que la baisse des achats constatée auprès de Francal ne peut s'expliquer par la baisse générale des achats de boîtes cadeaux, due à la crise économique.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que la baisse soudaine d'achats de la société La Halle auprès de la société Francal constituait une rupture brutale partielle des relations commerciales entre les deux sociétés.
Sur les fautes de la société Francal
La société La Halle soutient que, selon les termes de l'article 10 de ses conditions générales d'achat (CGA) de 2007, la société Francal aurait dû l'avertir que la part du chiffre d'affaires réalisée avec elle dépassait 20 %. Par ailleurs, elle prétend que d'importants retards de livraison de Francal ont été déplorés et, ce, de manière régulière, et que ces retards de livraison se sont doublés de volumes livrés inférieurs aux volumes commandés par elle.
La société Francal réplique, d'une part, que les conditions générales d'achat de 2007 ne valent que pour l'exercice 2007, et que la société La Halle ne l'a jamais sollicitée les années suivantes sur sa situation de dépendance, et, d'autre part que ces retards de livraison étaient dus au non-respect des délais de paiement par la société Halle.
L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce prévoit in fine que ses dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations contractuelles. Ce dernier alinéa ne précise ni la nature ni le degré de l'inexécution contractuelle autorisant la dispense de préavis. Toutefois, dès lors qu'il instaure une dérogation à l'exigence d'un préavis prévu au premier alinéa, son application nécessite que l'inexécution des obligations contractuelles qu'il vise, présente un caractère de gravité suffisant pour justifier une rupture immédiate eu égard à l'ancienneté des relations des relations commerciales.
Or, la société La Halle ne s'est jamais prévalue des retards de livraison et de l'absence de déclaration du dépassement du seuil de 20 % auprès de la société Francal, attestant de ce fait que ces circonstances n'étaient pas graves pour elle. Il n'est pas démontré que ces pratiques aient revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier la rupture sans préavis.
Sur le préavis
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause. Le délai de préavis suffisant s'apprécie au moment de la notification de la rupture.
La société appelante considère que la relation avait vingt-deux ans d'ancienneté au moment de la rupture partielle en 2013 et revendique le respect d'un préavis de vingt-quatre mois. Elle soutient que ce délai doit être doublé, la société La Halle lui ayant confié la fabrication de produits spécifiques sous marque de distributeur à hauteur de 64 % en 2012 et 50 % pour 2013. Elle soutient que le doublement doit être appliqué sur la totalité du préavis, contrairement à ce que les premiers juges ont décidé.
La société intimée réplique que les durées de préavis applicables en cas de rupture totale ou partielle d'une relation commerciale portant sur la fourniture de produits sous marque de distributeur sont comprises entre 4 mois et 24 mois maximum, selon la durée de la relation commerciale et la part que représente, dans le chiffre d'affaires total, celle du partenaire commercial. Elle souligne que Francal ne lui fournissait pas uniquement des produits sous marque de distributeur, puisque près de la moitié des produits qu'elle lui vendait n'en étaient pas et prétend que Francal est donc mal fondée à solliciter le bénéfice d'un doublement du préavis pour l'ensemble des produits fournis à La Halle. En tout état de cause, elle considère que pour une durée de relations commerciales d'une quinzaine d'années, à supposer une rupture brutale caractérisée, un préavis compris entre 6 et 12 mois serait suffisant, y compris si la fourniture de produits sous marque de distributeur est retenue comme facteur majorant du préavis.
Compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales de 12 années, et des autres circonstances de la rupture, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé à 12 mois la durée du préavis.
En revanche, pour tenir compte de la circonstance, non discutée par les parties, selon laquelle la société Francal produisait des produits sous marque de distributeur à destination de la société La Halle, il y a lieu, non pas de doubler le préavis, mais de le majorer d'un montant équivalent à 58 %, compte tenu de la moyenne, sur les trois années précédant la rupture, du pourcentage des ventes représenté par les produits MDD sur la totalité des ventes de la société Francal à la société La Halle, calculée à partir des données, non sérieusement contredites, figurant sur l'attestation de l'expert-comptable de la société Francal (pièce 8). Le préavis supplémentaire sera donc de 7 mois, ce qui porte le préavis total à 19 mois.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a fixé ce préavis à 18 mois.
Sur le préjudice
La société Francal soutient que son indemnité pour rupture brutale se calcule sur le montant de la marge brute dont elle aurait dû bénéficier pendant la durée du préavis non exécuté et sur la base de la moyenne du chiffre d'affaires des années antérieures. Elle évalue son préjudice, sur la base d'un doublement du préavis, à la somme de 629 000 euros. A titre subsidiaire, elle sollicite une indemnité réparatrice de 515 500 euros au titre de la rupture partielle de relations commerciales établies sur la base d'un préavis majoré uniquement sur la fourniture de produits MDD, soit 63 % des achats.
La société intimée soutient que la société appelante ne devait pas retenir les cinq derniers exercices clos pour le calcul de son préjudice, mais les trois années antérieures à la rupture. Elle considère que le pourcentage à prendre en compte au titre des MDD ne saurait être de 64 % mais de 53 %.
Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.
La cour a retenu le pourcentage de 58 % à titre de majoration du préavis au titre des MDD, comme il a été vu plus haut et a estimé qu'un préavis supplémentaire de 7 mois aurait dû être consenti à la société Francal.
Le tribunal de commerce s'est justement fondé sur les chiffres d'affaires 2011 et 2012 réalisés par la société Francal avec la société La Halle, les chiffres d'affaires réalisés en 2009 et 2010 ne se situant pas dans la tendance générale des années 2006 à 2012 et ne reflétant pas fidèlement le flux d'affaires entre les parties. Il y a lieu de déduire de ces chiffres d'affaires les chiffres d'affaires effectivement réalisés pendant les 19 mois de préavis, et d'appliquer à cette somme un taux de marge non sérieusement discuté de 54,46 %.
L'indemnité allouée au titre de l'année 2013 sera donc de 118 281 euros, comme calculée par les premiers juges ((525 000 euros -307 810 euros) X 54,46 %).
L'indemnité allouée au titre de sept mois de l'année 2014 sera de 77 832 euros (((525 000 -280 000 euros) X 54,46 %) X 7/12).
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris sur le quantum de dommages-intérêts alloués à la société Francal et de condamner la société La Halle à payer à la société Francal la somme totale de 196 113 euros à titre de dommages-intérêts pour la rupture brutale partielle de la relation commerciale établie. Cette somme sera majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement du 24 février 2015.
Sur la violation des délais de paiement
La société Francal soutient que la date de règlement a été fixée, de manière supplétive, à trente jours date d'émission de facture suivant l'article L. 441-6 alinéa 4 du Code de commerce, qui dispose : " Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée ". Elle fait état d'un délai de paiement excédant en moyenne plus de 70 jours la date de règlement mentionnée sur les factures pour l'année 2014. Cette violation a été constatée également pour l'année 2015. Elle sollicite ainsi une indemnité arrondie à 5 200 euros pour l'année 2014, et 9 098 euros pour les retards subis en 2016 et 2017.
La société La Halle réplique que le délai de 30 jours est énoncé de manière supplétive. Ainsi elle indique que les CGA signées et acceptées par Francal le 8 septembre 2007 stipulent d'autres conditions de règlement applicables à la relation et que l'alinéa 5 de l'article L. 441-6 prévoit un délai plafond de paiement de 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date d'émission de la facture. Elle considère donc que les données figurant sur le tableau communiqué sont erronées puisqu'elles ne tiennent pas compte du délai de paiement de 60 jours applicable à compter de la date d'émission de la facture. S'agissant des indemnités pour non-respect de délais de paiement et pour règlement tardif de 56 factures, la société La Halle soutient qu'il s'agit de demandes nouvelles et formulées quelques jours avant la clôture de la procédure en appel.
Sur les retards de 2014
Selon l'alinéa 5 de l'article L. 441-6 du Code de commerce, " Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du Code général des impôts, ce délai ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture ".
Le tribunal de commerce a, à juste titre, écarté les conditions générales d'achat signées entre les parties le 8 septembre 2007, en ce que les délais de règlement de 90 jours fin de mois à compter de la réception de la marchandise sont supérieurs à ceux prévus à l'alinéa précédent, de 60 jours à compter de la date d'émission de la facture. Il y a donc lieu de se référer à cette disposition. Le délai moyen de règlement calculé par la société Francal dans sa pièce 15 est donc nécessairement surévalué, le délai moyen de paiement étant celui calculé par le tribunal de commerce, à savoir 40 jours. Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société La Halle à payer la somme de 2 970 euros à la société Francal sur ce fondement.
Selon l'alinéa de l'article L. 441-6 du Code de commerce, " (...) tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l'égard du créancier, d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par décret ". Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté que 77 factures (sur les 83 de la liste de la société Francal en pièce 15) avaient été réglées avec un retard de paiement, entraînant la condamnation de la société La Halle à payer à la société Francal la somme forfaitaire de 40 euros X 77, soit la somme de 3 080 euros.
Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.
Sur les retards de 2016 et 2017
Aux termes de l'article 564 du Code de procédure civile : " A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ".
L'article 565 du Code de procédure civile précise que : " Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ".
Enfin, l'article 566 du Code de procédure civile indique que : " Les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ".
Les demandes pour les retards de paiement de 2016 et 2017, complémentaires des demandes pour 2014, sont recevables, bien que présentées pour la première fois en appel.
Toutefois, elles ne sont accompagnées d'aucun justificatif (pièce 48), contrairement à celles de 2014. Elles seront donc rejetées.
Sur le préjudice d'image
Si la société Francal considère que la violation systématique des délais de paiement par la société La Halle a nécessairement causé une atteinte à son image commerciale vis-à-vis de ses partenaires, dont elle évalue la réparation à la somme de 1 500 euros, la société La Halle réplique à juste raison que l'existence-même de ce préjudice n'est pas justifiée et qu'aucune démonstration n'est apportée qu'il serait en lien de causalité avec les retards de paiement.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur les remises de fin d'année
La société Francal soutient que La Halle a compensé d'autorité une somme due au titre de prétendues remises de fin d'année, requalifiée en avoirs, avec les sommes qui lui étaient dûes au titre de la livraison des marchandises. Elle considère que les remises de fin d'année appliquées d'autorité par la société La Halle, qui ne reposent sur aucune convention annuelle, n'ont pour contrepartie aucun avantage ou service commercial effectivement rendu. Elle demande donc la restitution de la totalité des remises de fin d'année facturées et compensées unilatéralement par la société La Halle, soit au total la somme de 95 776,54 euros hors taxes.
La société La Halle réplique que les remises de fin d'année sont prévues aux conditions particulières figurant à la fin des CGA de La Halle, signées et acceptées par Francal le 8 septembre 2007. Elle indique que ces conditions particulières stipulent expressément le barème selon lequel sont calculées et versées les remises de fin d'année par le fournisseur, en fonction du chiffre d'affaires total hors taxes réalisé. Il est également mentionné dans ces CGA, notamment, que " l'entreprise déduira des factures dont elle serait redevable envers le fournisseur, le montant de cette remise ".
Les remises de fin d'année sont prévues aux conditions particulières figurant à la fin des conditions générales d'achat de la société La Halle signées et acceptées par la société Francal le 8 septembre 2007. Ces conditions particulières stipulent expressément le barème selon lequel sont calculées et versées les remises de fin d'année par le fournisseur, en fonction du chiffre d'affaires total hors-taxes réalisé. Ces conditions prévoient également : " cette remise sera versée au plus tard à l'entreprise dans les 30 jours à compter de la date de réception de la facture émise par l'entreprise à chaque fin de saison. Au-delà du délai de 30 jours, l'entreprise déduira des factures dont elle serait redevable envers le fournisseur, le montant de cette remise ".
La société Francal a tacitement acquiescé au renouvellement, chaque année, de ces conditions générales d'achat et de ces conditions particulières, dont elle n'a jamais contesté l'application avant 2014, s'étant, en l'absence de tout nouvel accord entre les parties, abstenue de contester les compensations opérées par la société La Halle sur les factures antérieures à 2014. La contrepartie de ces remises consiste dans le volume d'achats effectués.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que les sommes compensées à ce titre par la société La Halle correspondaient bien au chiffre d'affaires réalisé et au barème indiqué et en ce qu'il a rejeté la demande de remboursement de la société Francal.
Sur les pénalités de retard de livraison
La société Francal soutient que la société La Halle a fait application unilatéralement de pénalités à son encontre pour retards de livraison, en déduisant systématiquement et d'autorité, sur les factures dûes à Francal, les sommes de 4 310.11 euros HT en 2013 et de 8 290.66 euros HT en 2014. Elle considère que ces pénalités ne reposent sur aucun fondement, et qu'elles n'ont pas de caractère certain, liquide et exigible. Elle sollicite ainsi une somme de 12 600 77 euros en réparation des pénalités indûment compensées.
La société La Halle réplique que l'article 4 des modalités opérationnelles des CGA prévoient l'application de pénalités de retard. Elle précise que selon cet article, " le fournisseur sera redevable d'une indemnité forfaitaire et définitive au profit de l'entreprise pour toute marchandise livrée en retard, d'un montant de : 5 % du montant net HT de la commande, pour un retard de 5 à 11 jours ouvrés ; 10 % du montant net HT de la commande, pour un retard de 12 à 19 jours ouvrés ; 15 % du montant net HT de la commande, pour un retard de 20 jours ouvrés et plus ".
Ces créances ont donc, selon elle, un caractère certain, liquide et exigible, dès lors que les retards de livraison sont avérés et reconnus.
L'article 4 précité, figurant dans les conditions générales d'achat tacitement reconduites depuis 2007, prévoit l'application de pénalités de retard, dont la déduction par la société La Halle des factures de marchandises, n'a jamais été contestée par la société Francal. Il n'y a donc pas lieu d'appliquer l'article L. 442-6, I, 8° du Code de commerce, la société Francal ayant été mise en mesure, grâce à la réception de factures détaillées, de contrôler la réalité du grief correspondant, à savoir les retards qui lui sont imputés et le calcul des pénalités.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande en restitution de somme de la société Francal.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Chacune des parties succombant en partie, il y a lieu d'ordonner le partage des dépens et de condamner chacune à en supporter la moitié. Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, à l'exception de la durée du préavis et du quantum de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale partielle, infirme le jugement sur ce point, et, statuant à nouveau, condamne la société La Halle à payer à la société Francal, sur la base d'un préavis de 19 mois, la somme de 196 113 euros à titre de dommages-intérêts pour la rupture brutale partielle de la relation commerciale établie, ladite somme étant majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement du 24 février 2015, y ajoutant, déclare recevable mais déboute la société Francal de sa demande au titre des pénalités de retard de paiement des factures 2016 et 2017, fait masse des dépens et condamne la société La Halle et la société Francal à en supporter chacune la moitié, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.