TUE, 29 octobre 2020, n° T-452/20 R
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Ordonnance
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Facebook Ireland Ltd
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. van der Woude
Avocats :
M. Jowell, M. Bailey, M. Aitken, M. Das, Mme Malhi, M. Haria, M. Quayle, M. Oeyen
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL,
Antécédents du litige, procédure et conclusions
1 Le 13 mars 2019, la Commission européenne a adressé à la requérante, Facebook Ireland Ltd, une demande d’information par décision prise au titre de l’article 18, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1). Cette demande de renseignements comprenait plus de 100 questions uniques, relatives à différents aspects des activités et de l’offre de produits de la requérante.
2 La requérante a répondu à cette demande de renseignements en trois temps, les 23 avril, 21 mai et 18 juin 2019. Les documents produits ont été identifiés au moyen d’une recherche initiale effectuée en utilisant des mots clés et d’un contrôle de la pertinence réalisé par les juristes externes de la requérante, qualifiés pour exercer dans l’Union européenne.
3 Le 30 août 2019, la Commission a envoyé une demande de renseignements sur le fondement de l’article 18, paragraphe 2, du règlement no 1/2003. La demande de renseignements comportait 83 questions uniques relatives à Facebook Marketplace, aux réseaux sociaux et aux fournisseurs de petites annonces en ligne.
4 La requérante a répondu à cette demande de renseignements en trois temps, les 30 septembre, 10 octobre et 5 novembre 2019.
5 Le 11 novembre 2019, la Commission a adopté une deuxième décision au titre de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003. La Commission a demandé à la requérante de fournir, notamment, un certain nombre de documents internes répondant à certains critères cumulatifs, à savoir les documents préparés par certains conservateurs (custodians) pour leur compte ou reçus par ces derniers, les documents datés du 1er janvier 2013 jusqu’à la date de la décision du 11 novembre 2019 et les documents contenant certains termes de recherche ou syntaxes de recherche. En particulier, deux ensembles différents de termes de recherche devaient être appliqués à deux ensembles de conservateurs respectifs. Pour un ensemble de conservateurs, les termes de recherche à utiliser étaient ceux que la requérante elle-même avait sélectionnés et utilisés de sa propre initiative pour rechercher et identifier des documents internes à soumettre en réponse à la décision du 13 mars 2019. Pour la deuxième série de conservateurs, les termes de recherche à utiliser avaient été élaborés par la Commission sur la base, d’une part, des propres documents internes de la requérante et des réponses fournies à la décision du 13 mars 2019 et, d’autre part, de certains documents internes de la requérante publiés le 5 décembre 2018 par la commission du numérique, de la culture, des médias et du sport du Parlement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.
6 Par lettre du 20 novembre 2019, la requérante a communiqué ses inquiétudes quant à la nécessité, à la proportionnalité et à la motivation de certains aspects de la demande. Une série d’échanges a eu lieu entre la requérante et la Commission dans l’objectif d’affiner les termes de recherches et de réduire le nombre de documents identifiés.
7 Le 17 janvier 2020, la Commission a communiqué à la requérante une version révisée des termes de recherche.
8 Le 22 janvier 2020, la Commission a informé la requérante de son intention d’adopter une nouvelle décision contenant des termes de recherches modifiés.
9 Le 4 mai 2020, la Commission a adopté deux décisions en application de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, une décision relative aux données (affaire AT.40628 – Pratiques de Facebook liées aux données) et la décision C(2020) 3013 final, du 4 mai 2020, relative à une procédure d’application de l’article 18, paragraphe 3, et de l’article 24, paragraphe 1, sous d), du règlement no 1/2003 du Conseil (affaire AT.40684 – Facebook Marketplace) (ci-après la « décision attaquée »). Au titre de l’article premier de la décision attaquée, la requérante doit fournir à la Commission les informations spécifiées à l’annexe I.A de la décision au plus tard le 15 juin 2020 et les informations spécifiées à l’annexe I.B au plus tard le 29 juin 2020. L’article 2 prévoit une amende journalière potentielle de huit millions d’euros en cas de non-respect des demandes de renseignements.
10 Le même jour, le directeur général de la direction générale (DG) de la concurrence de la Commission a envoyé à la requérante une lettre proposant une procédure distincte pour la production de documents sensibles qui, selon la requérante, ne contiendraient que des informations à caractère personnel, totalement étrangères à ses activités commerciales. Ces documents seraient uniquement versés au dossier, après avoir été examinés dans une salle de données virtuelle.
11 Dans une série d’échanges, la requérante et la Commission ont discuté des éventuelles modalités d’utilisation de la salle de données virtuelle.
12 Par lettre du 12 juin 2020, la Commission a accepté de prolonger jusqu’au 10 août suivant le délai imparti à la requérante pour répondre à la demande de renseignements contenue dans la décision attaquée.
13 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 juillet 2020, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée.
14 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 15 juillet 2020, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :
– surseoir à l’exécution de l’article 1er de la décision attaquée en ce qu’elle demande la communication des documents internes visés à l’annexe I.B ;
– à titre subsidiaire, surseoir à l’exécution de l’article 1er de la décision attaquée dans la mesure où elle vise des documents contenant des informations qui, de l’avis de son conseil externe, qualifié pour exercer dans l’Union, n’ont aucun rapport avec l’enquête de la Commission et sont inutiles pour celle-ci ;
– à titre plus subsidiaire, surseoir à l’exécution de l’article 1er de la décision attaquée dans la mesure où elle vise des documents dénués de pertinence et lui permettre de communiquer ces derniers dans une salle de données virtuelle sécurisée, gérée par son conseil externe, qualifié pour exercer dans l’Union, et à laquelle personne ne pourra accéder avant la résolution du recours dans l’affaire principale ;
– à titre encore plus subsidiaire, surseoir à l’exécution de l’article 1er de la décision attaquée dans la mesure où elle vise des documents dénués de pertinence et lui permettre de communiquer ces derniers dans une salle de données virtuelle sécurisée, gérée par son conseil externe, qualifié pour exercer dans l’Union, et dont l’accès fera l’objet de contrôles appropriés de la Commission comme le Tribunal l’estimera nécessaire ;
– condamner la Commission aux dépens.
15 Par ordonnance du 24 juillet 2020, Facebook Ireland/Commission (T‑452/20 R, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le président du Tribunal a ordonné le sursis à l’exécution de la décision attaquée jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé.
16 Par lettre du même jour, la Commission a informé le Tribunal qu’il n’y avait plus lieu d’adopter une ordonnance sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure, dès lors qu’elle avait accepté d’étendre le délai fixé au 10 août 2020 à une date fixée jusqu’à cinq jours à partir de la décision statuant sur la demande en référé.
17 Le 4 août 2020, la requérante a déposé ses observations sur la lettre de la Commission du 24 juillet 2020.
18 Dans ses observations déposées au greffe du Tribunal le 6 août 2020, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :
– rejeter la demande de sursis à exécution ;
– condamner la requérante aux dépens.
19 Par lettre du 17 août 2020, la requérante a informé le Tribunal que 211 233 documents, sur les 244 483 documents demandés au titre de la décision attaquée, avaient été fournis à la Commission et que la demande de mesures provisoires ne concernait donc que les 33 250 documents restants.
20 Le 2 septembre 2020 une réunion informelle a eu lieu.
21 Par lettre du 8 septembre 2020, la requérante a informé le Tribunal de la proposition d’un procédé alternatif pour la production des documents restants qu’elle avait adressée à la Commission.
22 La Commission a déposé ses observations sur cette proposition le 17 septembre 2020.
En droit
Généralités
23 Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).
24 Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).
Observations préliminaires
25 Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient, à titre liminaire, d’apporter quelques précisions sur la portée de la demande de mesures provisoires relatives à la décision attaquée.
26 Premièrement, ainsi qu’il a été confirmé lors de la réunion informelle du 2 septembre 2020, les documents que la requérante doit produire au titre de la décision attaquée sont d’ores et déjà identifiés. En outre, leur nature et leur contenu ont été examinés par les soins des avocats externes de la requérante.
27 Deuxièmement, il ressort de la lettre de la requérante du 17 août 2020 que 211 233 documents, sur les 244 483 documents demandés au titre de la décision attaquée, ont été fournis à la Commission, de sorte que la demande de mesures provisoires ne concerne plus que les 33 250 documents restants.
28 Troisièmement, il ressort des discussions ayant eu lieu lors de la réunion informelle du 2 septembre 2020 et des informations fournies par la requérante dans sa lettre envoyée à la Commission le 8 septembre 2020 que, selon la requérante, les 33 250 documents restants peuvent être répartis dans les catégories suivantes :
– documents contenant des informations purement personnelles : la requérante cite, à titre d’exemple, des échanges entre personnes physiques avec leurs partenaires et enfants, des documents contenant des dispositions relatives à la sécurité des personnes, des documents relatifs à la tutelle des enfants, des documents relatifs aux testaments personnels, la correspondance en période de grande détresse personnelle, la correspondance avec des médecins et d’autres professionnels de la médecine et des documents relatifs à la gestion des ressources humaines, tels que des documents relatifs aux congés de convenance personnelle, aux plaintes sur le lieu de travail et à la compensation ;
– documents contenant des opinions personnelles et des engagements politiques : la requérante cite, à titre d’exemple, des documents qui font état des opinions politiques personnelles de ses employés et de ses cadres supérieurs, des documents relatifs à son rôle dans le soutien de l’intégrité des élections démocratiques, des correspondances personnelles de personnes physiques ou ses correspondances avec des chefs d’État, des membres de gouvernement, des régulateurs, des organisations philanthropiques et des personnalités publiques sur des sujets tels que la lutte antiterroriste, la répression de la criminalité, l’application des lois et la cybersécurité ;
– documents relevant de la vie privée de la requérante : elle cite, à titre d’exemple, des documents relatifs aux évaluations de sécurité de ses locaux et des documents concernant des conflits entre ses employés ;
– documents relatifs à des activités commerciales de la requérante : elle cite, à titre d’exemple, des documents relatifs à ses efforts en matière de diversité, des documents relatifs aux activités de modération du contenu de son site Internet, des documents sensibles sur le plan commercial concernant des affaires fiscales, des annonces en bourse ou l’octroi de licences de contenu sportif.
29 Il convient de constater que la délimitation des quatre catégories et la classification des documents constituent un exercice difficile, dès lors que certains documents sont susceptibles de relever de plusieurs catégories.
Sur la condition relative au fumus boni juris
30 S’agissant de la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris, il convient de rappeler que cette condition est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence d’un différend juridique ou factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond [voir, en ce sens, ordonnances du 3 décembre 2014, Grèce/Commission, C‑431/14 P‑R, EU:C:2014:2418, point 20 et jurisprudence citée, et du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 59 et jurisprudence citée].
31 En l’espèce, dans le cadre de sa démonstration de la satisfaction de cette condition, la requérante invoque trois moyens.
32 Par son premier moyen, la requérante fait valoir que la décision attaquée viole l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 au motif que, en l’obligeant à produire de nombreux documents dénués de pertinence pour l’enquête de la Commission, la décision serait contraire au principe de nécessité, violerait ses droits de la défense et constituerait un détournement des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 dans le but illicite d’obtenir des informations dénuées de pertinence pour les infractions potentielles telles que décrites dans la décision attaquée.
33 Par son deuxième moyen, la requérante fait valoir que, en exigeant la production de nombreux documents privés et dénués de pertinence, la décision attaquée violerait le droit fondamental au respect de la vie privée consacré à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et à l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), le principe de proportionnalité et le droit fondamental à une bonne administration.
34 Par son troisième moyen, la requérante allègue que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation, en violation de l’article 296 TFUE.
Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003
35 Il convient d’observer que l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 permet à la Commission de demander aux entreprises et aux associations d’entreprises, par simple demande ou par voie de décision, de fournir « tous les renseignements nécessaires » pour l’accomplissement des tâches que les articles 101 à 103 TFUE et le règlement no 1/2003 lui ont assignées.
36 Selon une jurisprudence constante, seule peut être requise par la Commission la communication de renseignements susceptibles de lui permettre de vérifier les présomptions d’infraction qui justifient la conduite de l’enquête et qui sont indiquées dans la demande de renseignements (arrêts du 12 décembre 1991, SEP/Commission, T‑39/90, EU:T:1991:71, point 25, et du 8 mars 1995, Société générale/Commission, T‑34/93, EU:T:1995:46, point 40).
37 Dès lors que, le caractère nécessaire du renseignement doit être apprécié par rapport au but mentionné dans la demande de renseignements, ce but doit être indiqué avec suffisamment de précision, sans quoi il serait impossible de déterminer si le renseignement est nécessaire et la Cour ne pourrait pas exercer son contrôle (voir arrêt du 10 mars 2016, Schwenk Zement/Commission, C‑248/14 P, non publié, EU:C:2016:150, point 28 et jurisprudence citée).
38 Eu égard au large pouvoir d’investigation et de vérification de la Commission, c’est à cette dernière qu’il appartient d’apprécier la nécessité des renseignements qu’elle demande aux entreprises concernées. En ce qui concerne le contrôle que le Tribunal exerce sur cette appréciation de la Commission, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la notion de « renseignements nécessaires » doit être interprétée en fonction des finalités en vue desquelles les pouvoirs d’enquête en cause ont été conférés à la Commission. Ainsi, il est satisfait à l’exigence d’une corrélation entre la demande de renseignements et l’infraction présumée, dès lors que, à ce stade de la procédure, ladite demande peut être légitimement considérée comme présentant un rapport avec l’infraction présumée, en ce sens que la Commission puisse raisonnablement supposer que le renseignement l’aidera à déterminer l’existence de l’infraction alléguée (arrêt du 14 mars 2014, Holcim (Deutschland) et Holcim/Commission (T‑293/11, non publié, EU:T:2014:127, point 110).
39 En l’espèce, en premier lieu, il convient de relever que les documents demandés au titre de la décision attaquée ont été identifiés sur la base de termes de recherche vastes, dont certains sont constitués de mots fréquents ou très courants, comme « publicité », « croissance », « idée », « avantage », « examiné » et « qualité ». Il n’est donc guère étonnant que l’application de ces termes de recherche conduise à l’obligation de produire des documents sans lien avec l’objet de la demande d’information. En effet, la Commission elle-même admet que certains documents demandés ne sont pas pertinents et nécessaires à son enquête.
40 Toutefois, selon la Commission, même si les termes de recherche sont bien sélectionnés et ciblés afin de produire des documents potentiellement pertinents pour l’enquête, il est inévitable qu’ils incluent certains documents qui s’avèrent en réalité ne pas être directement pertinents pour l’enquête. Selon la Commission, l’appréciation de l’exigence d’une corrélation entre la demande de renseignements et l’infraction présumée devrait s’opérer sur la base des termes de recherche et non sur la base des documents qui devraient être produits en réponse à ces termes. La Commission affirme que le fait que certains de ces documents puissent s’avérer sans pertinence pour l’enquête ne constitue en aucun cas une indication du caractère disproportionné ou illégal des termes de recherche sur lesquels est fondée la demande de renseignements.
41 À cet égard, premièrement, il convient de rappeler que la requérante considère que la décision attaquée est disproportionnée au motif notamment que les termes de recherche qui y sont définis ne seraient pas accompagnés d’une méthode permettant d’exclure des documents dénués de pertinence.
42 Ainsi, le différend entre les parties semble porter notamment sur la méthode appropriée et les modalités selon lesquelles il convient de vérifier la pertinence des documents demandés et donc sur la question de savoir si, en l’absence d’une telle méthode, la demande de renseignements serait contraire aux principes de nécessité et de proportionnalité.
43 Deuxièmement, il résulte de la nature de la demande de renseignements litigieuse que son ampleur ne se concrétise qu’après application des termes de recherche aux fichiers électroniques de la requérante pour identifier les documents répondant à ces mêmes termes. Ainsi qu’il a été relevé au point 26 ci‑dessus, l’ensemble des documents demandés au titre de la décision attaquée a bien été identifié, ce qui permettra au juge du fond d’apprécier la nécessité de ces renseignements au regard des présomptions d’infractions. L’argument de la Commission selon lequel la nature et le contenu des documents demandés ne pourraient pas être pris en compte dans le cadre de l’appréciation du caractère nécessaire de la demande ne saurait donc convaincre à première vue.
44 En second lieu, il convient de rappeler que l’article 18 du règlement no 1/2003 ne constitue pas le seul moyen pour la Commission de rassembler les informations nécessaires pour ses enquêtes. Elle peut également ordonner des inspections dans les locaux de l’entreprise sur la base de l’article 20 du même règlement. Dans le cadre des inspections, la Commission peut effectuer une copie des documents électroniques potentiellement pertinents pour l’enquête afin de les examiner ultérieurement en vue de leur pertinence réelle pour l’enquête. La Commission fait valoir, en se basant sur le raisonnement suivi dans l’arrêt du 16 juillet 2020, Nexans France et Nexans/Commission (C‑606/18 P, EU:C:2020:571), que les règles applicables aux inspections devraient nécessairement être au moins aussi strictes que celles applicables aux réponses aux demandes de renseignements et que ces règles ne s’opposent pas à ce que ses fonctionnaires procèdent à un examen sommaire des documents susceptibles de contenir des données privées.
45 Or, lors du déroulement de ces inspections, qui sont considérées comme étant par nature plus invasives, les entreprises concernées bénéficient de certaines garanties procédurales (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2014, Energetický a průmyslový et EP Investment Advisors/Commission, T‑272/12, EU:T:2014:995, point 68). Il est notamment prévu au titre de ces garanties que les documents qui ne seraient pas de nature professionnelle, c’est-à-dire ceux qui n’auraient pas trait à l’activité de l’entreprise sur le marché, sont exclus du champ d’investigation ouvert à la Commission (arrêts du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission, 155/79, EU:C:1982:157, point 16, et du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, point 45). En outre, les entreprises faisant l’objet d’une inspection ordonnée par une décision d’inspection ont la possibilité de bénéficier d’une assistance juridique (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, C‑550/07 P, EU:C:2010:512, points 40 à 44).
46 Selon le point 64 de l’arrêt du 16 juillet 2020, Nexans France et Nexans/Commission, (C‑606/18 P, EU:C:2020:571), invoqué par la Commission, celle-ci doit respecter les droits de la défense de l’entreprise concernée lorsqu’elle vérifie si les données sont pertinentes pour l’objet de l’inspection, avant de verser au dossier les documents jugés pertinents et d’effacer les autres données copiées.
47 Dans le cas d’espèce, la demande d’information litigieuse s’apparente fortement à une telle inspection, dès lors que la requérante doit produire un nombre important de documents collectés sur ses serveurs sur la base de termes de recherche, et dont la pertinence ne sera évaluée qu’ultérieurement par la Commission. Or, aucune mesure spécifique additionnelle n’est prévue pour assurer le respect des droits de l’entreprise concernée au regard de l’ampleur des documents demandés et de la forte probabilité qu’un nombre important de documents ne soient pas nécessaires pour les besoins de l’enquête de la Commission.
48 Partant, il n’est pas déraisonnable de considérer que, au regard du format et de l’ampleur de la demande de renseignements, un niveau de protection similaire à celui garanti par l’article 20 du règlement no 1/2003 devrait s’appliquer.
49 Il convient de relever que les autres arguments avancés par la Commission ne semblent pas de nature à infirmer cette conclusion.
50 La Commission fait valoir que, selon la jurisprudence relative aux demandes de renseignements, ses fonctionnaires doivent pouvoir passer en revue un grand nombre de documents potentiellement pertinents afin d’identifier parmi ceux-ci les documents réellement pertinents pour l’enquête. En effet, il ressortirait de cette jurisprudence que la Commission est en droit de demander des « renseignements susceptibles de lui permettre de vérifier les présomptions d’infractions qui justifient la conduite de l’enquête » pour autant qu’il existe une corrélation entre la demande de renseignements et l’infraction présumée.
51 Il convient de préciser à cet égard, que, premièrement, cette jurisprudence ne signifie pas que les principes de nécessité et de proportionnalité cesseraient de s’appliquer aux demandes de renseignements. Ainsi que le relève la Commission elle-même, il en ressort qu’elle doit raisonnablement supposer que l’information demandée lui est utile pour déterminer l’existence de l’infraction présumée.
52 Deuxièmement, le fait que les fonctionnaires de la Commission doivent respecter certaines garanties procédurales ne signifie pas qu’ils n’auraient plus la possibilité d’identifier, parmi le nombre important de documents qui répondent aux termes de recherche, les documents qui sont pertinents pour les besoins de son enquête.
53 Il résulte de tout ce qui précède que, au regard du caractère vaste des termes de recherche et compte tenu de la probabilité que ces termes fassent réagir un nombre important de documents qui ne sont pas nécessairement pertinents pour l’enquête de la Commission, il ne saurait être exclu, à ce stade, que, en l’absence d’une méthode de vérification assortie de garanties appropriées et spécifiques pour la sauvegarde des droits des personnes concernées, le juge du fond constate que la décision attaquée n’est pas conforme à l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003.
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du droit fondamental au respect de la vie privée consacré à l’article 7 de la Charte et à l’article 8 de la CEDH
54 Il convient de relever que, selon l’article 7 de la Charte, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.
55 À cet égard, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte prévoit que toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. En outre, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.
56 En ce qui concerne l’article 8 de la CEDH, l’article 52, paragraphe 3, de la Charte énonce que, « [d]ans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la [CEDH], leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention ».
57 En l’espèce, la Cour a déjà jugé que l’exercice des pouvoirs d’inspection au titre de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 exercés auprès d’une entreprise constituait une ingérence dans le droit de cette dernière au respect de sa vie privée et de sa correspondance (arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T 289/11, T 290/11 et T 521/11, EU:T:2013:404, point 65). Ce raisonnement apparaît transposable en l’espèce dans le cadre des pouvoirs exercés au titre de l’article 18, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003. Il convient donc d’examiner si la décision attaquée remplit les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte et à l’article 8, paragraphe 2, de la CEDH.
58 Selon ces conditions, la limitation doit tout d’abord être prévue par la loi. La mesure en cause doit donc avoir une base légale (voir arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 79 et jurisprudence citée).
59 Tel est le cas en l’espèce dès lors que la décision attaquée a été adoptée sur le fondement de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, disposition qui confère à la Commission la compétence pour demander par décision aux entreprises et associations d’entreprises de fournir des renseignements.
60 Ensuite, en ce qui concerne la condition selon laquelle, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui, il convient de relever que l’exercice des pouvoirs conférés à la Commission par le règlement no 1/2003 concourt au maintien du régime concurrentiel voulu par les traités, dont le respect s’impose impérativement aux entreprises. La décision attaquée, qui a été adoptée sur le fondement du règlement no 1/2003, répond donc à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union.
61 Enfin, s’agissant de la question de savoir si la décision attaquée excède ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs d’intérêt général, il ressort de l’analyse relative au respect du principe de nécessité au titre de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 opérée aux points 39 à 53 ci-dessus que la thèse de la requérante selon laquelle elle serait tenue de fournir des documents qui ne sauraient être considérés comme étant nécessaires à la Commission pour démontrer les présomptions d’infractions ne paraît pas, à première vue, dépourvue de fondement sérieux.
62 Cette conclusion s’impose d’autant plus en ce qui concerne les documents contenant des données à caractère personnel et tout particulièrement ceux contenant des données qui peuvent être qualifiées de sensibles et dont le traitement est particulièrement délicat au regard de la protection de la vie privée (ci-après les « données à caractère personnel sensibles »). La requérante cite à titre d’exemple des documents contenant des courriers privés échangés par des salariés au sujet de rapports médicaux et de rapports d’autopsie ainsi que des courriers échangés entre des salariés à des moments de grande détresse personnelle.
63 À cet égard, il y a lieu de relever que, compte tenu du caractère extrêmement intime et sensible des données à caractère médical, le traitement de ces données appelle un examen particulièrement rigoureux (arrêt du 12 septembre 2019, XI/Commission, T‑528/18, non publié, EU:T:2019:594, point 67).
64 Il convient également de rappeler que tant le règlement (UE) 2018/1725 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union et à la libre circulation de ces données, et abrogeant le règlement (CE) no 45/2001 et la décision no 1247/2002/CE (JO 2018, L 295, p. 39), que le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1, ci-après le « RGPD »), prévoient une protection accrue pour les données relevant de certaines catégories particulières, à savoir les données à caractère personnel qui révèlent l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale, les données biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, les données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne physique.
65 Dans ce contexte, la Commission fait valoir que l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement 2018/1725 dispose que les institutions de l’Union peuvent légalement traiter des données à caractère personnel lorsque cela « est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi l’institution ou l’organe de l’Union ». La Commission se réfère également à la lettre du Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) du 22 octobre 2018 (WW/OL/sn/ D (2018) 2422 C 2018-0632) dans laquelle il est indiqué que, bien que « les enquêtes et activités de contrôle menées par la Commission dans le domaine de la concurrence visent des entreprises ou des États membres qui sont soumis aux règles de concurrence énoncées dans le traité, et non des personnes physiques en tant que telles », « dans le cadre des enquêtes en matière de concurrence, inévitablement, des données à caractère personnel sont également traitées ». Ce document ajoute que « [l]e traitement de ces données à caractère personnel est nécessaire pour que la Commission s’acquitte des tâches qui lui sont assignées en tant qu’autorité publique chargée de l’exécution des règles de concurrence de l’U[nion] ». La Commission fait également valoir que selon le CEPD « le RGPD n’empêche pas la communication d’informations contenant des données à caractère personnel aux institutions de l’U[nion], que ce soit en réponse à une obligation légale de le faire ou sur une base volontaire ».
66 À cet égard, s’il est vrai que, selon la lettre d’information du CEPD, le RGPD n’empêche pas la transmission d’informations contenant des données à caractère personnel aux institutions de l’Union, il n’en demeure pas moins que la Commission doit respecter les limites à ses pouvoirs que lui imposent tant le règlement no 1/2003 que le règlement 2018/1725. Il ressort de la lettre d’information du CEPD que, pour que la collecte et le traitement ultérieur de données à caractère personnel soient licites en vertu de l’article 5, sous a), du règlement 2018/1725, il faut que cette collecte et ce traitement soient nécessaires et proportionnés à l’exercice par la Commission de ses pouvoirs.
67 Or, ainsi que cela a été relevé au point 53 ci-dessus, au regard du caractère vaste des termes de recherche et compte tenu de la probabilité qu’ils fassent réagir un nombre important de documents qui ne sont pas nécessairement pertinents pour l’enquête de la Commission, il ne saurait être exclu, à ce stade, que le juge du fond considère que la décision attaquée n’est pas conforme à l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 en l’absence d’une méthode de vérification de pertinence assortie de garanties appropriées et spécifiques pour la sauvegarde des droits des personnes concernées. Par ailleurs, le fait que la Commission utilise, aux fins de ses enquêtes, des moyens de recherche qui nécessitent inévitablement le traitement de données à caractère personnel ne signifie pas pour autant qu’elle n’est pas tenue de tenir compte du caractère sensible de certaines de ces données.
68 Dans ces conditions, le moyen tiré d’une violation de l’article 7 de la Charte et de l’article 8 de la CEDH ne paraît pas, à première vue, dépourvu de fondement sérieux.
69 Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris, dans la mesure où, à première vue, les premier et deuxième moyens ne semblent pas dépourvus de fondement sérieux.
Sur la condition relative à l’urgence
70 Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).
71 S’il est exact que, pour établir l’existence d’un préjudice grave et irréparable, il n’est pas nécessaire d’exiger que la survenance du préjudice soit établie avec une certitude absolue et qu’il suffit que celui-ci soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant, il n’en reste pas moins que la partie qui sollicite une mesure provisoire demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel dommage grave et irréparable [ordonnance du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), EU:C:1999:608, point 67].
72 Afin de démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice, la requérante allègue en substance l’existence des quatre catégories de préjudice suivantes dont l’incidence, selon elle, serait impossible à évaluer : le préjudice découlant de la violation de son droit fondamental et de celui de ses salariés et d’autres particuliers au respect de leur vie privée, contrairement à l’article 7 de la Charte et à l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH ; le préjudice subi en cas de divulgation des documents en cause en dehors de la Commission ; le préjudice subi en raison de l’utilisation éventuelle par la Commission des documents non pertinents pour engager des enquêtes nouvelles relatives aux infractions qu’elle n’a pas encore relevées ou ne lui a pas encore notifiées ou afin de préparer une proposition de règlementation sectorielle ; le préjudice résultant du fait qu’elle se verrait privée de la protection juridictionnelle effective consacrée à l’article 47 de la Charte.
Sur le préjudice allégué résultant de la violation du droit à une vie privée
73 La requérante fait valoir que la divulgation des documents litigieux entraînerait un risque imminent de préjudice grave découlant de la violation de son droit fondamental et de celui de ses salariés et d’autres particuliers au respect de leur vie privée, contrairement à l’article 7 de la Charte et à l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH.
74 Il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que la thèse selon laquelle un préjudice est, par définition, grave et irréparable, puisqu’il touche à la sphère des droits fondamentaux ne saurait être admise, dès lors qu’il ne suffit pas d’alléguer, de façon abstraite, une atteinte à des droits fondamentaux pour établir que le dommage qui pourrait en découler a nécessairement un caractère grave et irréparable. Il appartient toujours à la partie qui sollicite l’adoption d’une mesure provisoire d’exposer et d’établir la probable survenance d’un tel préjudice dans son cas particulier [voir, en ce sens, ordonnance du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group, C‑278/13 P(R), EU:C:2013:558, points 40 et 41].
75 Par conséquent, il convient d’examiner si, en l’espèce, la requérante a démontré à suffisance de droit la probable survenance d’un préjudice grave et irréparable dans son cas particulier.
76 Aux fins de cet examen, il convient d’analyser, d’une part, l’existence d’un préjudice grave et irréparable résultant de la violation du droit à la vie privée de la requérante et, d’autre part, l’existence d’un tel préjudice en raison de la violation du droit à la vie privée des personnes physiques.
– Sur le préjudice allégué résultant de la violation du droit à une vie privée de la requérante
77 Afin de démontrer l’existence d’un préjudice grave résultant de la violation de son droit à une vie privée, la requérante fait valoir, en faisant référence à l’arrêt du 14 février 2008, Varec (C‑450/06, EU:C:2008:91), que la Cour a déclaré qu’une entreprise pourrait subir un « préjudice extrêmement grave » en cas de communication irrégulière de documents internes de nature confidentielle.
78 Premièrement, il convient de relever que l’argumentation de la requérante fondée sur l’arrêt du 14 février 2008, Varec (C‑450/06, EU:C:2008:91), selon laquelle une entreprise pourrait subir un préjudice extrêmement grave en cas de communication irrégulière d’informations confidentielles, ne saurait convaincre dans le cas d’espèce. Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le risque de préjudice grave résultait de la communication irrégulière de certaines informations à un concurrent de l’entreprise concernée. Tel n’est pas le cas en espèce étant donné que les documents en cause ne seraient divulgués qu’aux services de la Commission.
79 De même, la conclusion à laquelle est arrivée le juge des référés dans l’ordonnance du 16 novembre 2012, Akzo Nobel e.a./Commission, (T‑345/12 R, EU:T:2012:605), n’est pas transposable en l’espèce dans la mesure où les considérations dont le juge des référés avait tenu compte afin de conclure que la condition de l’urgence était établie dans cette affaire partaient de la prémisse selon laquelle, en cas de rejet de la demande en référé, la Commission pourrait procéder à la publication immédiate des informations litigieuses. Or, force est de constater que, comme le fait valoir la Commission, les documents en cause en l’espèce ne feront pas l’objet d’une publication envers le public.
80 Deuxièmement, les fonctionnaires et agents de la Commission sont soumis à des obligations strictes de secret professionnel en vertu de l’article 339 TFUE et de l’article 28 du règlement no 1/2003. Ces dispositions interdisent aux fonctionnaires de la Commission de divulguer les informations obtenues en réponse à une demande de renseignements ou de les utiliser à des fins autres que celles pour lesquelles elles ont été obtenues. En outre, les fonctionnaires et agents de la Commission sont liés par l’article 17 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, qui leur interdit, y compris après la cessation de leurs fonctions, « toute divulgation non autorisée d’informations portées à [leur] connaissance dans l’exercice de leurs fonctions, à moins que ces informations n’aient déjà été rendues publiques ou ne soient accessibles au public ».
81 Il résulte de ce qui précède que, à la lumière de ces obligations, la requérante n’a pas démontré qu’elle subirait un préjudice grave et irréparable en raison de la divulgation des documents visés au point 72 ci-dessus à la Commission.
– Sur le préjudice allégué résultant de la violation de la vie privée des personnes physiques
82 La requérante fait valoir un préjudice grave et irréparable qui résulterait du fait que des données à caractère personnel seront versées au dossier et examinées par toute personne ayant accès à celui-ci. Selon la requérante, ce préjudice entraînerait à son tour une atteinte grave et irréparable à sa réputation qui ne pourrait être quantifiée ni compensée de manière adéquate par l’octroi éventuel de dommages et intérêts.
83 Ainsi qu’il a été relevé au point 80 ci-dessus, les fonctionnaires de la Commission sont tenus à des obligations de confidentialité qui les empêchent d’utiliser les informations obtenues en réponse à une demande de renseignements à des fins autres que celles pour lesquelles elles ont été obtenues et de divulguer des informations reçues dans l’exercice de leurs fonctions, à moins que ces informations n’aient déjà été rendues publiques ou ne soient accessibles au public.
84 À la lumière de ces obligations, le simple fait que les fonctionnaires de la Commission procéderaient à la vérification de la pertinence de documents contenant des données à caractère personnel ne saurait en principe en soi causer un préjudice grave et irréparable. Toutefois, la requérante fait valoir que, parmi les documents demandés au titre de la décision attaquée, figurent des documents qui contiennent des données à caractère personnel sensibles. Or, dans la mesure où ces données ne sont partagées que dans la sphère la plus intime, tout élargissement indu du cercle de personnes tierces qui en prennent connaissance peut entraîner un préjudice grave et irréparable pour les personnes concernées. En effet, ainsi que cela est rappelé au point 64 ci-dessus, tant le règlement 2018/1725 que le RGPD prévoient une protection accrue pour les données relevant de certaines catégories particulières, notamment les données qui dévoilent les opinions politiques ou les données concernant la santé d’une personne physique.
85 Il y a également lieu de relever que le Tribunal a constaté, dans le cadre d’un recours en indemnité, qu’un préjudice pourrait résulter du fait que certains fonctionnaires de la Commission avaient, au cours de la procédure administrative, pris connaissance de données à caractère médical et les avaient révélées dans la décision attaquée, bien qu’une telle ingérence dans les droit fondamentaux de la partie requérante, consacrés par les articles 7 et 8 de la Charte, n’eut pas été nécessaire afin d’adopter et de motiver ladite décision (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, XI/Commission, T‑528/18, non publié, EU:T:2019:594, point 75). Il a précisé notamment que, quelles que soient les règles de confidentialité en vertu desquelles ces données avaient été traitées, compte tenu du caractère extrêmement intime et sensible des données à caractère médical, la partie requérante avait pu légitimement se sentir blessée.
86 Il résulte de ce qui précède que l’élargissement du cercle des personnes ayant pris connaissance des données à caractère personnel sensibles risque de causer un préjudice grave aux personnes concernées.
87 S’agissant du caractère irréversible du préjudice, il convient de relever que l’annulation de la décision attaquée ne saurait inverser les effets de la divulgation des données, dès lors que la prise de connaissance de ces informations par les personnes les ayant lues est immédiate et irréversible.
88 La Commission fait valoir que la requérante ne saurait invoquer un prétendu préjudice grave et irréparable subi par ses employés et d’autres personnes sans démontrer quel est le préjudice grave et irréparable qu’elle-même serait susceptible de subir en cas de violation alléguée de la vie privée de ses employés et d’autres personnes.
89 Certes, selon une jurisprudence bien établie, la partie requérante doit démontrer que le sursis à exécution sollicité est nécessaire à la protection de ses intérêts propres et elle ne saurait se prévaloir, pour établir l’urgence, d’une atteinte portée à un intérêt qui ne lui est pas personnel, telle, par exemple, une atteinte aux droits de tiers. Dès lors, une partie requérante ne peut utilement invoquer le préjudice que subiraient ses seuls employés pour étayer l’urgence du sursis à exécution demandé, mais elle doit démontrer qu’un tel préjudice est susceptible d’entraîner, pour elle-même, un préjudice personnel grave et irréparable (voir, en ce sens, ordonnance du 11 mars 2013, Pilkington Group/Commission, T‑462/12 R, EU:T:2013:119, points 41 et 42 et jurisprudence citée).
90 Toutefois, il convient de constater que le raisonnement suivi dans l’ordonnance du 11 mars 2013, Pilkington Group/Commission (T‑462/12 R, EU:T:2013:119), n’est pas transposable dans les circonstances de la présente affaire.
91 Premièrement, le cas d’espèce est particulier en ce que la décision attaquée impose à la requérante une obligation positive de rechercher l’ensemble de ses fichiers électroniques sur la base de termes de recherche larges et de communiquer les documents répondant à ces mêmes termes à la Commission, quand bien même ces documents contiennent des données à caractère personnel sensibles. De plus, il s’agit d’une obligation qui est adressée nommément à la requérante et non aux personnes physiques concernées, obligation dont la requérante doit s’acquitter dans un délai strict et sous peine d’astreinte.
92 Deuxièmement, la requérante fait valoir à juste titre qu’une telle obligation la contraint à traiter des données à caractère personnel sensibles.
93 Certes, il ressort de la lettre d’information du CEPD à laquelle se réfère la Commission que le RGPD n’empêche pas la transmission d’informations contenant des données à caractère personnel aux institutions de l’Union, que ce soit en réponse à une obligation légale ou sur une base volontaire, pour autant que la Commission agisse dans le cadre de ses pouvoirs. Toutefois, cette lettre ne répond pas au problème de l’espèce. D’une part, elle précise que le CEPD n’a aucun pouvoir de contrôle sur les opérateurs économiques qui sont supervisés par les autorités nationales chargées de la protection des données dans les États membres en ce qui concerne le respect de la protection des données. D’autre part, les documents en cause dans le cas d’espèce sont susceptibles d’être qualifiés de catégories particulières de données à caractère personnel au sens de l’article 9 du RGDP auxquels une protection accrue est accordée. Or, le traitement de ces catégories particulières de données n’a pas été abordé dans la lettre du CEPD.
94 Il résulte de ce qui précède que la condition de l’urgence est remplie en ce qui concerne la divulgation des documents contenant des données à caractère personnel sensibles.
Sur le préjudice allégué résultant de la divulgation des informations à des personnes tierces à la Commission
95 La requérante fait valoir que le préjudice subi serait encore plus grave si les documents en cause étaient diffusés de manière plus large en dehors de la Commission, notamment lorsque des tiers, tels que ses concurrents, demanderaient l’accès au dossier auxquels ces documents seraient susceptibles d’être versés. La requérante affirme également qu’une fois les documents transmis à la Commission, ils pourraient devenir automatiquement communicables à d’autres juridictions, notamment aux particuliers qui l’ont assignée en justice aux États Unis.
– Sur le préjudice allégué résultant de la divulgation à la suite d’une demande d’accès introduite par des parties tierces
96 En premier lieu, s’agissant des demandes d’accès au dossier par des tiers, il convient de relever que la Commission restituerait ou détruirait les documents clairement dénués de pertinence après une vérification de leur nécessité pour les besoins de l’enquête, de sorte qu’il est très probable que ces documents ne figureraient plus dans le dossier de la Commission au moment où une telle demande serait introduite.
97 En deuxième lieu, il ressort de la communication de la Commission relative aux règles d’accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant des articles [101] et [102 TFUE], des articles 53, 54 et 57 de l’Accord EEE et du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil (JO 2005, C 325, p. 7), que la requérante est la seule partie qui pourrait avoir pleinement accès au dossier si la Commission devait ouvrir une enquête formelle et émettre une communication des griefs. En cas de demande d’accès adressée par des plaignants, il convient de constater qu’ils ne pourraient demander l’accès qu’à la version non confidentielle des documents. Lorsque la Commission a l’intention de divulguer des informations, la requérante doit avoir la possibilité de fournir une version non confidentielle des documents. La décision attaquée invite d’ailleurs expressément la requérante à fournir des versions non confidentielles de ses réponses à la décision attaquée.
98 En troisième lieu, dans l’hypothèse où la Commission serait saisie d’une demande fondée sur le règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43) tendant à la communication de documents recueillis en application de la décision attaquée, il convient de relever, premièrement, qu’il est peu probable que les documents et les informations recueillis par la Commission en application de la décision attaquée fassent l’objet d’une communication à des tiers de manière immédiate, ou même avant l’intervention de la décision du Tribunal statuant dans l’affaire principale sur la demande d’annulation de la décision attaquée. En effet, en l’absence de décision de la Commission mettant fin à l’enquête, si une demande d’accès était présentée dans un bref délai sur le fondement du règlement no 1049/2001, elle devrait être examinée par la Commission au regard de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, dudit règlement. À cet égard, il convient de préciser que les documents relatifs à une enquête menée au titre du règlement no 1/2003 sont présumés bénéficier de la protection prévue par cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2014, Commission/EnBW, C‑365/12 P, EU:C:2014:112, point 93, et ordonnance du 29 janvier 2020, Silgan International et Silgan Closures/Commission, T‑808/19 R, non publiée, EU:T:2020:16, point 26).
99 Deuxièmement, il convient de constater que, même dans l’hypothèse où les documents et les informations recueillis par la Commission en application de la décision attaquée pourraient être communiqués à des tiers ou à d’autres entreprises faisant l’objet de l’enquête de la Commission, une telle communication ne porterait que sur les parties non confidentielles de ces documents, les secrets d’affaires et les intérêts commerciaux de la requérante restant protégés par les dispositions du règlement no 1049/2001 et du règlement no 1/2003 (voir, en ce sens, ordonnance du 29 janvier 2020, Silgan International et Silgan Closures/Commission, T‑808/19 R, non publiée, EU:T:2020:16, point 27).
100 Troisièmement, la Commission serait tenue d’informer la requérante d’une demande fondée sur le règlement no 1049/2001 conformément à l’article 4, paragraphe 4, de ce règlement. Dans une telle hypothèse, si la requérante estimait que la divulgation de ces documents était susceptible de lui causer un préjudice grave et irréparable, elle pourrait saisir le juge des référés d’une demande de sursis à l’exécution de la décision de la Commission relative à cette communication (voir, en ce sens, ordonnance du 29 janvier 2020, Silgan International et Silgan Closures/Commission, T‑808/19 R, non publiée, EU:T:2020:16, point 29).
– Sur le préjudice allégué résultant du fait que les documents transmis à la Commission pourraient devenir automatiquement communicables à d’autres juridictions et aux particuliers qui ont assigné la requérante en justice aux États Unis
101 S’agissant du préjudice lié au caractère communicable des documents, il convient de constater que l’allégation de la requérante n’est aucunement étayée afin de démontrer avec un degré suffisant de probabilité la survenance d’un préjudice grave et irréparable imminent.
102 En effet, il ressort d’une lettre adressée par la requérante à la DG « Concurrence » le 2 août 2019, que la Commission a communiquée au Tribunal en annexe à ses observations sur la demande en référé, que la requérante n’a pas transmis certains documents internes répondant à la décision de la Commission du 13 mars 2019 au motif qu’une telle transmission pourrait être considérée comme une renonciation au caractère privilégié dont bénéficient les documents en cause aux États-Unis.
103 Il convient de relever à cet égard que la requérante elle-même indique, en faisant référence à la jurisprudence des juridictions aux États-Unis [United States v. American Tel. and Tel. Co., 642 F.2d 1285, 1299 (D. C. Cir. 1980)], qu’une telle renonciation ne pourrait être constatée qu’en cas de « divulgation volontaire » des documents en cause.
104 Or, ainsi que cela a été relevé à juste titre par la Commission, la requérante est obligée de fournir les documents en cause au titre d’une décision juridiquement contraignante sur le fondement de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 assortie d’astreintes. En outre, le fait que la requérante a introduit un recours en annulation contre cette décision assortie d’une demande de mesures provisoires démontre également l’absence du caractère volontaire de la divulgation.
105 Enfin, et en tout état de cause, en ce qui concerne la divulgation éventuelle des documents en cause aux particuliers qui ont assignée la requérante en justice aux États-Unis, il convient de rappeler que l’obligation pour une entreprise de réparer le dommage causé du fait d’avoir commis une infraction aux règles de droit de la concurrence de l’Union relève de la responsabilité civile de cette entreprise. Par conséquent, la cause déterminante du dommage prétendument lié aux recours en indemnité réside non pas dans la divulgation des informations en cause par la Commission, mais dans l’infraction au droit de la concurrence commise par la requérante (voir, en ce sens, ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 46).
106 Il résulte de ce qui précède que la requérante n’a pas démontré qu’elle subirait un préjudice grave et irréparable à cet égard.
Sur le préjudice allégué résultant de l’utilisation des documents en cause par la Commission dans le cadre d’enquêtes sur des violations potentielles du droit de la concurrence qui n’ont, à ce jour, pas été relevées par la Commission ou notifiées à la requérante
107 La requérante fait valoir que les documents en cause pourraient être utilisés dans un but différent et illégitime, par exemple pour lancer une nouvelle enquête ou une enquête plus vaste ou pour formuler des propositions en vue d’une réglementation sectorielle plus large.
108 Il convient de relever que, dans l’hypothèse où la décision attaquée serait annulée par le juge de l’Union, la Commission se verrait empêchée, de ce fait, d’utiliser, dans le cadre d’une procédure d’infraction aux articles 101 et 102 TFUE, tous les documents ou pièces probants qu’elle aurait réunis sur la base de la demande de renseignements litigieuse, sous peine de s’exposer au risque de voir le juge de l’Union annuler la décision relative à l’infraction dans la mesure où elle serait fondée sur de tels moyens de preuve. Si la décision attaquée était ultérieurement jugée illégale, la Commission serait donc contrainte de retirer de son dossier les documents affectés par cette illégalité et se trouverait donc dans l’impossibilité de les utiliser comme éléments de preuve [voir, en ce sens, ordonnance du 27 septembre 2004, Commission/Akzo et Akros, C‑7/04 P(R), EU:C:2004:566, points 37 et 39 et jurisprudence citée].
109 Dans ces circonstances, le juge des référés ne peut que constater que la possibilité d’une utilisation illégale, par la Commission, dans une procédure d’infraction aux articles 101 et 102 TFUE des renseignements obtenus en exécution de la décision attaquée a un caractère purement théorique et est, en tout état de cause, peu probable [voir, en ce sens, ordonnance du 27 septembre 2004, Commission/Akzo et Akros, C‑7/04 P(R), EU:C:2004:566, point 40]. Elle ne saurait donc justifier l’adoption des mesures provisoires demandées par la requérante (voir, en ce sens, ordonnance du 29 juillet 2011, Cemex e.a./Commission, T‑292/11 R, non publiée, EU:T:2011:402, point 32).
110 Il résulte de ce qui précède que la requérante n’a pas démontré qu’elle subirait un préjudice grave et irréparable à cet égard.
111 S’agissant du préjudice allégué résultant de l’adoption d’une règlementation sectorielle, il convient de relever que l’argument est purement spéculatif et hypothétique étant donné qu’il repose sur un certain nombre d’événements incertains. En tout état de cause, un tel préjudice ne saurait être considéré comme la conséquence directe de la divulgation des documents en réponse à la demande de renseignements de la Commission.
Sur le préjudice allégué résultant de la violation du droit à une protection juridictionnelle
112 La requérante fait valoir que les documents en cause méritent en soi une protection, dès lors que toute annulation subséquente de la décision attaquée ne remédierait pas aux effets de leur communication à la Commission. En se référant à l’ordonnance du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group [C‑278/13 P(R), EU:C:2013:558], la requérante allègue qu’elle se verrait privée de la protection juridictionnelle effective consacrée à l’article 47 de la Charte si les documents en cause devaient être communiqués avant que le litige au fond ne soit résolu.
113 Il convient de relever que la requérante n’a pas avancé d’arguments afin d’établir que le préjudice qui résulterait de la prétendue violation du droit à une protection juridictionnelle serait distinct des préjudices qui résulteraient de la violation du droit à une vie privée, de la divulgation des documents en cause en dehors de la Commission ou de l’utilisation éventuelle par la Commission des documents non pertinents pour engager des enquêtes nouvelles relatives aux infractions qu’elle n’a pas encore relevées ou notifiées à la requérante ou afin de préparer une proposition de règlementation sectorielle. Or, il ressort des points 70 à 109 ci-dessus que, à l’exception du préjudice résultant de la divulgation de documents contenant des données à caractère personnel sensibles, la requérante n’a pas établi le caractère grave et irréparable des préjudices dont elle allègue l’existence.
114 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de conclure que la requérante a établi l’urgence uniquement en ce qui concerne les documents purement personnels contenant des données à caractère personnel sensibles.
Sur la mise en balance des intérêts
115 Selon la jurisprudence, les risques liés à chacune des solutions possibles doivent être mis en balance dans le cadre de la procédure de référé. Concrètement, cela implique notamment d’examiner si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à obtenir le sursis à l’exécution de l’acte attaqué prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de celui‑ci. Lors de cet examen, il convient de déterminer si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui serait provoquée par son exécution immédiate et, inversement, dans quelle mesure le sursis serait de nature à faire obstacle aux objectifs poursuivis par l’acte attaqué au cas où le recours dans l’affaire principale serait rejeté [ordonnance du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 127].
116 En l’espèce, il s’agit de mettre en balance, d’une part, l’intérêt d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable soit causé en raison de l’élargissement du cercle de personnes ayant pris connaissance de données à caractère personnel sensibles et, d’autre part, l’intérêt public de préserver l’efficacité des règles de concurrence de l’Union.
117 D’une part, il résulte d’une jurisprudence bien établie qu’il appartient à la Commission d’apprécier si un renseignement est nécessaire en vue de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence [voir arrêt du 14 mars 2014, Holcim (Deutschland) et Holcim/Commission, T‑293/11, non publié, EU:T:2014:127, point 110 et jurisprudence citée]. Ainsi que le relève à juste titre la Commission, si l’entreprise faisant l’objet de l’enquête ou ses avocats pouvaient eux-mêmes établir quels documents sont, selon eux, pertinents aux fins de son enquête, cela porterait gravement atteinte à ses pouvoirs d’enquête, avec le risque que les documents qu’elle pourrait considérer comme pertinents aux fins de son enquête soient omis et ne lui soient jamais présentés, en l’absence de toute possibilité de contrôle.
118 D’autre part, le préjudice causé à la requérante en raison du fait qu’elle est obligée de transmettre des données à caractère sensible en violation du droit à une vie privée des personnes physiques établi aux points 82 à 94 ci-dessus impliquerait l’élargissement indu du cercle de personnes ayant pris connaissance de ces données en l’absence de mesures spécifiques visant à protéger les personnes concernées.
119 Dans ces conditions, et compte tenu de l’état d’avancement des discussions entre les parties au sujet des modalités de vérification des documents litigieux, telles qu’elles se trouvent reflétées dans la lettre de la requérante du 8 septembre 2020 et dans les observations de la Commission déposées le 17 septembre 2020, il convient de prévoir une procédure ad hoc pour l’examen des documents susceptibles de contenir des données à caractère personnel sensibles.
120 En vertu de cette procédure, il appartient, dans un premier temps, à la requérante d’identifier les documents contenant des données à caractère personnel sensibles et de les communiquer sur un support électronique séparé à la Commission. Ces documents seront placés, dans un deuxième temps, dans une salle de données virtuelle qui sera accessible à un nombre aussi restreint que possible de membres de l’équipe chargée de l’enquête, en présence (virtuelle ou physique) d’un nombre équivalent d’avocats de la requérante. Dans un troisième temps, les membres de l’équipe chargée de l’enquête examineront et sélectionneront les documents en cause, tout en donnant aux avocats de la requérante la possibilité de les commenter avant de verser les documents considérés comme pertinents au dossier. En cas de désaccord sur la qualification d’un document, le document contesté ne sera pas versé au dossier de l’enquête et les avocats de la requérante auront le droit d’expliquer les raisons de leur désaccord. En cas de désaccord persistant, les avocats de la requérante pourront demander au directeur chargé de l’information, de la communication et des médias à la DG « Concurrence », de trancher le désaccord.
121 Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être partiellement accueillie et qu’il convient de surseoir à l’exécution de l’article 1er de la décision attaquée dans la mesure où cette disposition vise des documents contenant des données à caractère personnel sensibles et pour autant que la procédure visée au point 118 ci-dessus n’est pas mise en place.
122 La présente ordonnance clôturant la procédure de référé, il y a lieu de rapporter l’ordonnance du 24 juillet 2020, Facebook Ireland/Commission (T‑452/20 R, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure, en vertu de laquelle il a été ordonné à la Commission de surseoir à l’exécution de la décision attaquée jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé.
123 En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.
Par ces motifs,
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
ordonne :
1) Il est sursis à l’exécution de l’article 1er de la décision C(2020) 3013 final de la Commission européenne, du 4 mai 2020, relative à une procédure d’application de l’article 18, paragraphe 3, et de l’article 24, paragraphe 1, sous d), du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil (affaire AT.40684 – Facebook Marketplace) dans la mesure où l’obligation qui y est formulée vise des documents qui n’ont pas de lien avec les activités commerciales de Facebook Ireland Ltdet qui contiennent des données à caractère personnel sensibles, et pour autant que la procédure visée au point 2 n’est pas mise en place.
2) Facebook Ireland identifiera les documents contenant les données visées au point 1 et les transmettra à la Commission sur un support électronique séparé. Ces documents seront ensuite placés dans une salle de données virtuelle qui ne sera accessible qu’à un nombre aussi restreint que possible de membres de l’équipe chargée de l’enquête, en présence (virtuelle ou physique) d’un nombre équivalent d’avocats de Facebook Ireland. Les membres de l’équipe chargée de l’enquête examineront et sélectionneront les documents en cause, tout en donnant aux avocats de Facebook Ireland la possibilité de les commenter avant de verser les documents considérés comme pertinents au dossier. En cas de désaccord sur la qualification d’un document, les avocats de Facebook Ireland auront le droit d’expliquer les raisons de leur désaccord. En cas de désaccord persistant, Facebook Ireland pourra demander un arbitrage au directeur chargé de l’information, de la communication et des médias à la direction générale « Concurrence » de la Commission.
3) La demande en référé est rejetée pour le surplus.
4) L’ordonnance du 24 juillet 2020, Facebook Ireland/Commission (T‑452/20 R), est rapportée.
5) Les dépens sont réservés.