Cass. com., 23 septembre 2014, n° 13-22.047
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocats :
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, SCP Yves et Blaise Capron
Vu leur connexité, joint les pourvois n° K 13-21. 405, Y 13-22. 751, G 13-22. 047, M 13-21. 406 et X 13-22. 750 ;
Donne acte à M. Y..., ès qualités, de ce qu'il se désiste de ses pourvois dirigés contre M. X..., ès qualités, et la société Immobilière Notre-Dame ;
Statuant tant sur les pourvois principaux formés par la société Chauray contrôle et MM. Y... et X..., ès qualités, que sur le pourvoi incident n° K 13-21. 405 relevé par M. Y..., ès qualités ;
Attendu, selon les arrêts attaqués et les productions, que, par acte du 14 octobre 1992, la banque La Hénin a consenti à la SCI Technoavenue (la SCI) un prêt de 4 000 000 francs (609 796 euros), dont M. X..., ès qualités, gérant de la société Immobilière Notre-Dame, associée unique de la SCI, et Mme X..., son épouse, se sont rendus caution ; que la créance a été cédée par voie d'endossement, le 11 février 1999, à la société WHBFR puis, le 23 août 2003, à la société Chauray contrôle (société Chauray) ; que cette dernière a fait pratiquer, des saisies-attributions, les 14, 15 et 16 octobre 2003, entre les mains des locataires de la SCI pour la somme de 1 607 840, 98 euros et, le 4 juin 2004, sur le compte de M. et Mme X... pour un montant de 1 000 763, 72 euros ; que les demandes de mainlevée de ces mesures ont été respectivement rejetées par un arrêt du 29 octobre 2009, rendu sur renvoi après cassation, et par un arrêt du 28 mars 2008 ; qu'entretemps, la SCI a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, les 12 octobre 2004 et 8 février 2005, M. Y... étant désigné liquidateur (le liquidateur) ; que la société Chauray ayant déclaré sa créance à titre privilégiée pour un montant de 2 967 649, 82 euros, le juge-commissaire, par ordonnance du 4 mai 2010, l'a admise à concurrence de 959 189, 35 euros et a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de M. X... en ses qualités de mandataire ad hoc de la SCI et de caution ; que, la société Chauray, le liquidateur, et M. X..., agissant en ces mêmes qualités ont relevé appel de cette ordonnance ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° G 13-22. 047, en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 6 décembre 2012 :
Attendu que la société Chauray fait grief à l'arrêt d'avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée par l'arrêt du 29 octobre 2009, alors, selon le moyen :
1°) qu'il résulte de l'arrêt du 29 octobre 2009 que la cour d'appel d'Aix-en-Provence a rejeté la demande qui lui était faite en tant « que les appelants n'opposent plus à la créancière la prescription des intérêts mais seulement le défaut de mention de ces intérêts sur l'endossement du 11 février 1999 ; que cependant, même si l'acte ne mentionne que la créance en principal, celle-ci a été transmise avec ses accessoires que constituent les intérêts ; que l'article 6, alinéa 3, de la loi susvisée du 15 juin 1976 dispose d'ailleurs que l'endossement emporte transfert de la créance et de ses accessoires, de sorte que le moyen invoqué à cet égard par les appelants doit être écarté ; qu'aucun autre moyen n'est soulevé de nature à combattre la validité des saisies litigieuses » ; qu'il résulte des termes clairs et précis de cet arrêt que la cour d'appel a tranché la contestation relative à la portée des endos litigieux pour rejeter les demandes, fondées sur celle-ci, du liquidateur et de M. X..., ès qualités ; qu'en affirmant néanmoins que cette décision n'avait pas tranché la question de la validité et de la portée des endos, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) que le jugement qui, dans son dispositif, rejette toute demande, statue sur ces chefs de demandes par une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée dès lors qu'il résulte de ses motifs qu'il les a examinés ; que pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 29 octobre 2009, la cour d'appel a retenu que cette décision n'a pas autorité de chose jugée sur la contestation de l'endos opposée par le liquidateur et de M. X..., ès qualités, en tant que cette contestation, écartée dans les motifs de l'arrêt, n'était pas reprise au dispositif qui se bornait à rejeter les demandes ; qu'en statuant ainsi lorsque cet arrêt, rendu entre les mêmes parties, prises en la même qualité, ayant rejeté les demandes du liquidateur et de M. X..., ès qualités, après s'être expliqué sur le moyen relatif à la portée des endos litigieux, avait autorité de la chose jugée quant au rejet des contestations tirées de ce moyen, la cour d'appel a violé les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile ;
Mais attendu que c'est sans méconnaître l'autorité de la chose jugée ni dénaturer l'arrêt du 29 octobre 2009 que la cour d'appel a retenu que cet arrêt qui confirmait le jugement ayant rejeté la demande de mainlevée de saisie-attribution de la SCI n'avait pas tranché dans son dispositif les contestations relatives à la validité et à la portée des endos de la créance litigieuse ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi n° G 13-22. 047, en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 10 mai 2013 :
Attendu que la société Chauray fait grief à l'arrêt d'avoir écarté la fin de non-recevoir tirée du principe de concentration des moyens, alors, selon le moyen, que le jugement qui, dans son dispositif, rejette toute demande, statue sur ces chefs de demandes par une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée dès lors qu'il résulte de ses motifs qu'il les a examinés ; que pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 29 octobre 2009, la cour d'appel a retenu que cette décision n'a pas autorité de chose jugée sur la contestation de l'endos opposée par M. X..., ès qualités, et le liquidateur, pour n'avoir écarté cette contestation que dans les seuls motifs de la décision ; qu'en statuant ainsi lorsque cet arrêt, rendu entre les mêmes parties, prises en la même qualité, ayant rejeté les demandes du liquidateur et de M. X..., ès qualités, après s'être expliqué sur le moyen relatif à la portée des endos litigieux, avait autorité de la chose jugée quant au rejet des contestations tirées de ce moyen, la cour d'appel a violé les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la contestation de la validité et de la portée des endos de la créance litigieuse n'ayant pas, ainsi qu'il vient d'être décidé, été tranchée par l'arrêt du 29 octobre 2009, les conditions requises pour que l'autorité de la chose jugée soit opposée par la société Chauray ne sont pas réunies, sans que le principe jurisprudentiel de la concentration des moyens puisse paralyser la règle posée par l'article 1351 du code civil ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche, du pourvoi n° X 13-22. 750, en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 6 décembre 2012 :
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt d'avoir admis la créance de la société Chauray à titre privilégié, alors, selon le moyen, qu'il faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que l'hypothèque judiciaire garantissant la créance de la société Chauray avait, depuis le prononcé de l'ordonnance entreprise, été annulée par un jugement en date du 14 septembre 2010 et produisait ledit jugement à l'appui ; qu'en se bornant à admettre la créance de la société Chauray à titre privilégié sans se prononcer sur l'annulation, par le jugement en date du 14 septembre 2010 précité, de l'hypothèque judiciaire qui garantissait la créance, la cour d'appel n'a pas répondu à ce moyen et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant constaté, par motifs adoptés, que la cession de créance intervenue au bénéfice de la société Chauray avait transféré à celle-ci, outre une hypothèque judiciaire, une hypothèque conventionnelle, la cour d'appel a répondu en les écartant aux conclusions prétendument délaissées ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen des pourvois principaux n° K 13-21. 405 et Y 13-22. 751 et sur le premier moyen du pourvoi incident n° K 13-21. 405, en ce qu'ils sont dirigés contre l'arrêt du 10 mai 2013, réunis, après avertissement donné aux parties :
Attendu que M. X..., ès qualités, et le liquidateur font grief à l'arrêt d'avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de l'existence d'un aveu judiciaire, alors, selon le moyen :
1°) que le montant restant dû par le débiteur constitue un point de fait sur lequel peut valablement porter un aveu ; qu'en jugeant néanmoins, pour écarter le moyen tiré de l'existence d'un aveu judiciaire de la société Chauray portant sur le montant lui restant dû par la SCI, qu'un tel aveu portait sur un point de droit et non un point de fait, la cour d'appel a violé les articles 1354 et 1356 du code civil ;
2°) que l'aveu fait par le créancier du montant de sa créance peut faire preuve contre lui ; qu'indépendamment des motifs relatifs à la déchéance du droit aux intérêts, l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 28 mars 2008, invoqué par M. X..., ès qualités, et le liquidateur, soulignait, par une deuxième série de motifs, que la société Chauray ne pouvait demander la fixation de sa créance à 3 519 678 euros dans le cadre de la procédure de saisie attribution effectuée en juin 2004 en recouvrement d'une créance qu'elle avait elle-même fixée à 1 000 763, 72 euros ; qu'en s'abstenant néanmoins de rechercher s'il ne résultait pas de cet arrêt que la société Chauray avait elle-même limité le montant de sa créance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1354 du code civil ;
Mais attendu que l'aveu fait au cours d'une instance distincte, même opposant les mêmes parties, n'a pas le caractère d'un aveu judiciaire et n'en produit pas les effets ; qu'étant soutenu que l'aveu judiciaire prétendu a été fait au cours d'une précédente instance ayant abouti à l'arrêt du 28 mars 2008, la décision de la cour d'appel, par ce seul motif de pur droit, substitué à ceux critiqués se trouve justifiée ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° X 13-22. 750, pris en sa seconde branche et sur le moyen unique du pourvoi n° M 13-21. 406, pris en sa première branche, rédigées en termes identiques, et sur le même moyen, pris en sa seconde branche, en ce qu'ils sont dirigés contre l'arrêt du 6 décembre 2012, réunis :
Attendu que le liquidateur et M. X..., ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir admis la créance de la société Chauray à titre privilégié, alors, selon le moyen :
1°) que le juge qui, saisi de l'appel d'une ordonnance du juge-commissaire ayant prononcé l'admission d'une créance, relève d'office le moyen tiré de l'absence de pouvoirs juridictionnels du juge-commissaire pour trancher les contestations soulevées par les parties, doit surseoir à statuer sur l'admission de la créance ; qu'en prononçant l'admission de la créance de la société Chauray à titre privilégié après avoir pourtant relevé d'office le moyen tiré de l'absence de pouvoirs juridictionnels de juge-commissaire pour trancher les contestations relatives à l'application de clauses pénales ainsi qu'à la validité et à la portée des actes de transmission de la créance par voie d'endossement, la cour d'appel a ainsi violé l'article L. 621-104 dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 applicable en l'espèce ;
2°) qu'en toute hypothèse, l'admission d'une créance ne peut être que pure et simple et doit porter sur un montant déterminé ; qu'en admettant la créance de la société Chauray à titre privilégié sans préciser le montant pour lequel elle était admise et en soulevant d'office le moyen tiré de l'absence de pouvoirs juridictionnels du juge commissaire pour statuer sur des contestations relatives à cette créance, la cour d'appel qui a ainsi admis la créance à titre provisoire ou dans son principe dans l'attente des décisions à intervenir sur ces contestations, a violé l'article L. 621-104 dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 applicable en l'espèce ;
Mais attendu que la cour d'appel n'a pas confirmé l'ordonnance en ce qu'elle avait admis la créance de la société Chauray à titre privilégié et hypothécaire pour la somme de 959 189, 35 euros, mais s'est bornée à confirmer cette ordonnance en ce qu'elle a admis cette créance à titre privilégié, sans en reprendre le montant ; que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, et qui s'attaque en sa seconde à une mesure d'administration judiciaire, ne peut être accueilli ;
Mais sur le second moyen du pourvoi principal n° K 13-21. 405, pris en ses première et deuxième branches, et sur les seconds moyens des pourvois principal n° Y 13-22. 751 et incident n° K 13-21. 405, en ce qu'ils sont dirigés contre l'arrêt du 10 mai 2013, réunis :
Vu l'article L. 621-104 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ;
Attendu que pour surseoir à statuer et inviter MM. X... et Y..., ès qualités, et le liquidateur à saisir la juridiction compétente des demandes tendant, d'un côté, à remettre en cause l'application des clauses d'indemnité pour ordre ou poursuite judiciaire et de majoration des intérêts de retard, et de l'autre, à contester la validité et la portée des actes de transmission de la créance par voie d'endossement, ces contestations ne ressortissant pas au pouvoir juridictionnel du juge-commissaire, l'arrêt, après avoir énoncé qu'il résulte de l'article L. 621-104 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, et de l'article 102 de la loi du 25 janvier 1985, que le juge-commissaire qui se prononce dans la procédure de vérification de créances est tenu de constater que la contestation ne relève par de son pouvoir juridictionnel et qu'il doit surseoir à statuer sur l'admission de la créance après avoir invité le demandeur à saisir le juge compétent à peine de forclusion, retient que les pouvoirs du juge-commissaire sont limités à l'appréciation de l'existence et du montant de la créance ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs généraux, sans analyser les clauses litigieuses et préciser en quoi les contestations élevées par MM. Y... et X..., ès qualités, ne pouvaient être tranchées, en tout ou partie, par le juge-commissaire et à sa suite, par elle-même, sans s'ériger en juge du contrat, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du second moyen du pourvoi n° K 13-21. 405 :
Rejette les pourvois n° G 13-22. 047, X 13-22. 750 et M 13-21. 406 en ce qu'ils attaquent l'arrêt rendu le 6 décembre 2012 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Et sur les pourvois principaux n° 13-21. 405 et Y 13-22. 751 et incident n° K 13-21. 405 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a sursis à statuer et invité MM. X... et Y..., ès qualités, à saisir la juridiction compétente des demandes tendant, d'un côté, à remettre en cause l'application des clauses d'indemnité pour ordre ou poursuite judiciaire et de majoration des intérêts de retard, et de l'autre, à contester la validité et la portée des actes de transmission de la créance par voie d'endossement, ces contestations ne ressortissant pas au pouvoir juridictionnel du juge-commissaire et dit qu'à peine de forclusion de ces demandes la saisine devra intervenir dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision, l'arrêt rendu le 10 mai 2013 entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.