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Décisions

Cass. crim., 8 janvier 1998, n° 97-80.885

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schumacher

Rapporteur :

M. Pibouleau

Avocat général :

M. Lucas

Avocats :

SCP Bore et Xavier, SCP Piwnica et Molinie

Bastia, ch. corr., du 8 janv. 1997

8 janvier 1997

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits ;

I - Sur le pourvoi d'Antoine C... :

Attendu que le demandeur ne produit aucun moyen ;

II - Sur les pourvois de Joseph A..., Marc B... et Jean-Pierre D... :

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société de Dragage-Travaux Publics Fluviaux et Maritimes (DT-PFM), filiale de la société Bouygues Offshore, dont Marc B... et Jean-Pierre D... sont respectivement responsable commercial et directeur général, a obtenu, en février 1992, l'adjudication d'un marché de travaux publics concernant l'aménagement du port de Bonifacio à la suite de la décision d'une commission municipale à laquelle a participé Joseph A..., premier adjoint au maire chargé de suivre les activités portuaires de la commune ;

qu'Antoine C..., au domicile duquel ont été saisis des documents relatifs à la passation de ce marché, a déclaré être intervenu auprès de Joseph A... pour le compte de la société DT-PFM afin que le contrat puisse être attribué à cette entreprise ; que Marc B... et Jean-Pierre D..., représentants de la société DT-PFM, lui ont remis, les 12 et 26 mars 1992, la somme de 100 000 francs, sur laquelle il a versé en deux fois à Joseph A... la somme de 60 000 francs ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié, en faveur de Marc B... et Jean-Pierre D..., pris de la violation des articles 398, 486, 512, 591 et 592 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la cour d'appel était composée, lors du prononcé, d'un seul magistrat qui n'a participé ni aux débats ni au délibéré ;

"alors que si l'arrêt peut être prononcé par un seul magistrat, même en l'absence des autres magistrats du siège, c'est à la condition que ce magistrat ait concouru à la décision, en participant aux débats et au délibéré ; qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que, lors du prononcé, la cour d'appel était composée d'un seul magistrat du siège qui n'avait participé ni aux débats ni au délibéré de sorte que la cassation est encourue" ;

Sur le premier moyen de cassation, présenté par la société civile professionnelle Boré et Xavier, en faveur de Joseph A..., pris de la violation des articles 485, 398, 512, 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la Cour était composée lors des débats et du délibéré de M. Moignard, président, MM. X... et Broquet, conseillers et lors du prononcé de M. Z... ;

"alors que la décision doit être prononcée par la juridiction qui l'a rendue ; que si la lecture peut intervenir en l'absence des autres magistrats du siège, encore faut-il que le magistrat qui procède à cette lecture ait participé aux débats et au délibéré ; que la seule mention de M. Z..., qui n'a participé ni aux débats ni au délibéré, au prononcé de l'arrêt ne met pas la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que les prescriptions prévues aux textes susvisés ont été respectées" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il appert des mentions de l'arrêt attaqué que la cour d'appel était composée, lors des débats et du délibéré, de M. Moignard, président, MM. Y... et Broquet, conseillers ; qu'en cet état et dès lors qu'il n'importe qu'au jour où la décision a été rendue, l'un des conseillers, M. Y..., ait été remplacé par un autre magistrat, M. Z..., la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer que la décision a été rendue conformément aux prescriptions des articles 485 et 512 du Code de procédure pénale ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent qu'être écartés ;

Sur le deuxième moyen de cassation, présenté par la société civile professionnelle Boré et Xavier, en faveur de Joseph A..., pris de la violation des articles 432-11-2° du Code pénal, 177 et 78 anciens du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Joseph A... coupable de trafic d'influence et l'a condamné à un an de prison avec sursis, 200 000 francs d'amende et cinq ans d'interdiction des droits civiques ;

"aux motifs que Joseph A..., premier adjoint au maire de Bonifacio, spécialement intéressé dans les activités portuaires et alors que les décisions relatives aux marchés publics étaient déléguées par le conseil municipal à une instance où il était très influent, avait toute possibilité d'user de cette influence pour faire aboutir les efforts de l'entreprise ; que sa rémunération de 60 000 francs correspond à 2 % du montant du marché, en parfaite correspondance avec les autres mentions relevées concernant la part de commission à revenir "au décideur" ; que le fait que le versement de ces 60 000 francs ait eu lieu après l'obtention du marché ne retire pas aux faits leur caractère frauduleux, la répartition de sommes correspondant à des commissions sur marché se faisant nécessairement postérieurement à ceux-ci ; que Joseph A... ayant accepté sans réticence ces deux versements de 30 000 francs, la preuve d'un accord antérieur à la décision de passation du marché est ici rapportée ; que s'il n'est pas strictement établi qu'il ait été le seul décideur, et qu'une relaxe peut intervenir pour la corruption, le trafic d'influence est patent ;

"1°) alors que le délit de trafic d'influence suppose pour être constitué l'antériorité de l'offre par rapport à l'acte ou à l'abstention sollicitée ; qu'en déduisant l'antériorité d'un accord du seul fait que Joseph A... aurait accepté sans réticence, après l'attribution du marché à la société DT-PFM, deux versements de 30 000 francs, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motifs en violation des textes susvisés ;

"2°) alors que le délit de trafic d'influence implique que le bénéficiaire des dons ou présents soit considéré ou se présente comme un intermédiaire dont l'influence, réelle ou supposée, est de nature à faire obtenir une faveur quelconque ou une décision favorable d'une autorité publique ou d'une Administration ; qu'en l'espèce, Joseph A..., membre de la commission d'appel d'offre ne pouvait jouer aucun rôle d'intermédiaire ; qu'en déclarant, cependant, constitué le trafic d'influence, la Cour a violé les textes susvisés" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, présenté la société civile professionnelle Piwnica et Molinié, en faveur de Marc B... et Jean-Pierre D..., pris de la violation des articles 433-1, alinéa 1,1,2°, 433-1, 121-3, 121-6 et 121-7 du Code pénal, du principe de la présomption d'innocence, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Marc B... et Jean-Pierre D... complices du délit de trafic d'influence actif commis par Antoine C... pour avoir procuré à celui-ci les fonds qui lui ont permis de commettre ce délit en sachant qu'ils devaient y servir ;

"aux motifs qu'Antoine C... a déclaré avoir reçu en espèces deux versements d'un montant de 100 000 francs de la part de Marc B... et Jean-Pierre D..., respectivement cadre commercial et directeur général de DT-PFM aux dates des 12 et 26 mars 1992, que les mêmes jours, Antoine C... avait remis à José A..., premier adjoint au maire de la ville de Bonifacio, chargé de l'urbanisme, deux sommes de 30 000 francs, comme l'attestaient déjà le 11 décembre 1992 des mentions manuscrites figurant sur certains documents saisis faisant état de deux commissions de 50 000 francs à répartir entre Antoine C..., son père, et José A... à hauteur respectivement de 10 000 francs, 10 000 francs et 30 000 francs ; que José A... avait suivi la procédure d'appel d'offre du marché public concernant le port de Bonifacio dès le 24 décembre 1991 jusqu'à la signature du marché le 19 février 1992 réalisée au profit de la société DT-PFM ; que le fait que le versement de ces 60 000 francs ait eu lieu après l'obtention du marché ne retire pas aux faits leur caractère frauduleux, la répartition des sommes correspondant à des commissions sur marché se faisant nécessairement postérieurement à ceux-ci ; que le fait que Joseph A... ait accepté sans réticence ces deux versements de 30 000 francs caractérise la preuve d'un accord antérieur à la décision de passation du marché ; que, s'il n'est pas strictement établi qu'il ait été le seul décideur et qu'une relaxe peut intervenir pour la corruption, que le trafic d'influence est patent ; qu'il en est de même corrélativement pour Antoine C... ; qu'en réglant une commission occulte en espèces puisée dans une caisse noire, Jean-Pierre D..., directeur général, et Marc B..., responsable de l'entreprise ayant obtenu le marché, ne pouvaient ignorer le caractère pour le moins de trafic d'influence des services rendus par Antoine C..., semble-t-il aidé par son père ;

"1°) alors que le versement de dons réalisé après l'obtention de la décision favorable sollicitée n'est frauduleux que s'il procède d'un accord préalable conclu entre le détenteur de l'influence et le tiers amené à effectuer ce versement ; que le seul fait que l'élu ait accepté sans réticence deux versements de 30 000 francs ne saurait suffire à caractériser l'antériorité du pacte exigé par l'article 433-1-2° du Code pénal et constituer l'infraction reprochée ;

"2°) alors que le délit de complicité de trafic d'influence pris sous sa forme active est une infraction intentionnelle qui exige que l'aide et l'assistance aient été données en connaissance de cause, en l'occurrence en connaissance de l'existence d'un pacte frauduleux conclu entre la personne qui prétend avoir une influence et celle qui entend en tirer partie moyennant remise de dons ; qu'en l'espèce, le pacte frauduleux est censé avoir été conclu entre Antoine C... et Joseph A..., les prévenus ayant prétendument procuré à Antoine C... les fonds lui permettant de rémunérer l'élu ; que, dès lors, en se bornant à faire état de la réalité des services rendus par Antoine C... à l'occasion de l'attribution du marché pour en déduire la connaissance du trafic d'influence auquel les prévenus se seraient associés, l'arrêt attaqué a seulement établi l'existence de l'influence réelle d'Antoine C..., mais n'a aucunement caractérisé la connaissance de la destination des fonds qu'ils remettaient, faute d'avoir connu l'existence du pacte frauduleux, de sorte que sa décision n'est pas légalement justifiée" ;

Attendu que, pour déclarer Antoine C... coupable, avec la complicité de Marc B... et de Jean-Pierre D..., du délit de trafic d'influence commis par un particulier, et retenir Joseph A... dans les liens de la prévention du chef de trafic d'influence commis par une personne investie d'un mandat électif public, la cour d'appel relève que l'existence entre les prévenus d'un concert frauduleux préalable au maniement des fonds incriminées, à savoir le versement de la somme de 100 000 francs par Marc B... et Jean-Pierre D... à Antoine C... et sa rétrocession par ce dernier à hauteur de 60 000 francs à Joseph A..., résulte des mentions portées dans la comptabilité occulte, saisie au domicile d'Antoine C..., avant la publication de l'avis d'appel d'offres du 24 décembre 1991 et la décision d'attribution du marché du 19 février 1992 ;

Que les juges ajoutent que, d'une part, la connaissance par Marc B... et Jean-Pierre D... de la destination réelle des sommes remises à Antoine C..., auquel la société DT-PFM n'était liée par aucun contrat, s'induit du fait que les versements ont eu lieu, en espèces, sans reçu de la part du bénéficiaire ni enregistrement en comptabilité, étant précisé, de l'aveu même des prévenus, que les fonds provenaient de "la caisse noire" de la société ; que, d'autre part, Joseph A..., qui, en sa qualité de premier adjoint au maire de Bonifacio, délégué à la commission des marchés publics dans laquelle il jouissait d'une grande influence, avait toute possibilité d'en user pour faire aboutir les efforts de l'entreprise ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir aucun des griefs invoqués ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;

Mais sur le troisième moyen de cassation, présenté par la société civile professionnelle Boré et Xavier en faveur d'Antoine A..., pris de la violation des articles 432-11-2° du Code pénal, 177 et 178 anciens du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Joseph A... coupable d'avoir, à Bonifacio et sur le territoire national, en 1991 et 1992, étant investi d'un mandat électif, sollicité, agréé, des offres ou promesses, sollicité ou reçu des dons (en l'espèce 60 000 francs d'Antoine C...) pour user de son influence que lui donne sa qualité, afin que la société DT-PFM obtienne de la commune de Bonifacio le marché d'aménagement du port de la ville, faits constitutifs du délit de trafic d'influence sous forme passive, et a condamné Joseph A... à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et 200 000 francs d'amende ;

"alors que, sur le fondement des dispositions de l'ancien Code pénal, seul applicable en l'espèce s'agissant d'une infraction commise avant le 1er mars 1994, la peine la plus forte encourue par le prévenu était la peine de 2 à 10 années d'emprisonnement et une amende pouvant atteindre le double de la valeur des promesses agréées sans être inférieure à 1 500 francs ; qu'en retenant la culpabilité de Joseph A... pour avoir prétendument accepté un don de 60 000 francs et en le condamnant à une peine d'emprisonnement d'un an avec sursis et 200 000 francs d'amende, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision sur la légalité de la peine d'amende prononcée" ;

Vu lesdits articles, ensemble l'article 112-1 du Code pénal ;

Attendu que seules peuvent être prononcées les peines légalement applicables à la date à laquelle l'infraction a été commise ;

Attendu que, par l'arrêt attaqué, Joseph A..., déclaré coupable de trafic d'influence commis par une personne investie d'un mandat électif public, pour avoir accepté un don de 60 000 francs, a été condamné à 1 an d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 200 000 francs ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'au moment des faits la peine d'amende encourue ne pouvait, aux termes des articles 177 et 178 anciens du Code pénal, excéder le double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, soit en l'espèce 120 000 francs, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Et sur le troisième moyen de cassation, présenté par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié en faveur de Marc B... et Jean-Pierre D..., pris de la violation des articles 177 et 178 anciens du Code pénal, 112-1 du Code pénal, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a prononcé contre Jean-Pierre D... une amende de 100 000 francs pour des faits de complicité de trafic d'influence actif commis en 1992 ;

"alors qu'il est de principe que lorsqu'un délit puni d'une amende proportionnelle est commun à plusieurs délinquants, le total des amendes prononcées contre tous ne peut dépasser le maximum légal ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que le montant des sommes remises à Joseph A..., élu municipal, par Antoine C... pour son compte et grâce à deux versements antérieurs effectués par Marc B... et Jean-Pierre D..., s'élevait à 60 000 francs ; que le montant total de l'amende maximum susceptible d'être prononcée à l'encontre d'Antoine C..., Marc B... et Jean-Pierre D... globalement à raison de l'ensemble des infractions poursuivies était, en application de l'article 177, alinéa 1er, de l'ancien Code pénal, applicable à l'époque des faits, de 120 000 francs ; qu'Antoine C... et Jean-Pierre D... ayant été respectivement condamnés chacun à une amende de 200 000 francs et de 100 000 francs en tant qu'auteur principal et complice, le montant des amendes prononcées excédait le montant de l'amende maximum de 120 000 francs de sorte que la décision n'est pas légalement justifiée" ;

Et sur le moyen relevé d'office en faveur d'Antoine C... ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que seules peuvent être prononcées les peines légalement applicables à la date à laquelle l'infraction a été commise ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué qu'Antoine C... et Jean-Pierre D... poursuivis, aux termes de la prévention, le premier pour trafic d'influence commis par un particulier pour la remise d'un don de 60 000 francs, le second pour s'être rendu complice de ce délit, en ont été déclarés coupables et respectivement sanctionnés des peines, d'une part, d'1 an d'emprisonnement avec sursis et 200 000 francs d'amende, d'autre part, de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d'amende ;

Mais attendu que, selon les articles 177 et 178 anciens du Code pénal, seuls applicables au moment des faits, l'amende proportionnelle qu'ils prévoient ne peut excéder le double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues, quel que soit le nombre de ceux qui ont coopéré au délit ;

Que, si chacun des prévenus reconnus coupables doit être condamné à une amende distincte et personnelle, le montant de ces amendes ne doit pas dépasser la limite du maximum déterminé par la loi ;

Qu'en prononçant comme elle l'a fait alors que le total des amendes pouvant être infligées aux deux prévenus ne devait pas dépasser 120 000 francs, la cour d'appel a méconnu le principe et les textes visés au moyen ;

D'où il suit que la cassation est également encourue ;

Et attendu que les déclarations de culpabilité n'encourant pas elles-mêmes la censure, la cassation sera limitée aux seules peines prononcées ;

Par ces motifs, Sur le pourvoi de Marc B... :

Le REJETTE ;

Sur les pourvois de Joseph A..., d'une part, d'Antoine C... et Jean-Pierre D..., d'autre part :

CASSE et ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Bastia, en date du 8 janvier 1997, mais seulement en ce qu'il a prononcé sur les peines, Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.